Chapitre 15 Traumatismes du pied
FRACTURES DU TALUS ET DU COL DU TALUS – CLASSIFICATION

1 Rappels anatomiques (a) : Le talus joue un rôle clé dans pas moins de 3 articulations : (1) l’articulation de la cheville – s’articulant avec le tibia et la fibula – ; (2) l’articulation subtalaire – s’articulant avec le calcanéus – ; (3) l’articulation talonaviculaire ; celle-ci et l’articulation calcanéocuboïdienne forment l’articulation médiotarsienne. Des remaniements arthrosiques secondaires peuvent se produire après une fracture, entraînant une irrégularité des surfaces articulaires.

2 Rappels anatomiques (b) : Une arthrose secondaire peut également faire suite à une ostéonécrose avasculaire du talus retrouvée dans la moitié de l’ensemble des fractures du col talien. La vascularisation du talus pénètre à trois niveaux : (1) au col ; (2) au sinus du tarse ; (3) à la face médiale du corps. Plus le nombre de niveaux lésés est important, plus le risque de nécrose est grand.

3 Mécanismes lésionnels : La fracture la plus fréquente est celle du col du talus. Elle peut survenir au décours d’un accident de la voie publique, lorsque l’impact avec la pédale (1) vient plaquer le col du talus contre la marge tibiale antérieure (2). (Pendant longtemps, cette lésion était associée aux accidents d’avion durant lesquels le pied était violemment porté en dorsiflexion par les pédales de gouvernail – « talus de l’aviateur ».) Le traumatisme peut également faire suite à une chute d’une hauteur importante avec réception en position accroupie.

4 Classification des fractures du col du talus (a) : Les fractures du col ont été classées en quatre groupes de sévérité croissante. Dans le groupe I, la fracture est non déplacée. Des refends incomplets ne sont pas rares. Seule la vascularisation issue du col est affectée, et le risque d’ostéonécrose avasculaire est inférieur à 10 %.

5 Classification (b) : Dans le groupe II, une subluxation de l’articulation subtalaire est associée. La partie proximale du talus bascule en flexion plantaire (1). La tête du talus conserve ses rapports avec le naviculaire et le calcanéus (et le reste du pied) qui se subluxe en avant (2).
FRACTURES DU COL DU TALUS – DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT

7 Classification (d) : Groupe III : Si la dorsiflexion est plus importante, associée à une force verticale (1), le tibia va se placer entre les deux fragments du talus. Le fragment postérieur est expulsé en arrière, tandis qu’au même moment la surface articulaire postérieure du calcanéus, convexe (2), le repousse en position médiale. Il vient alors se reposer sur la partie médiale du calcanéus (3) : le sustentaculum tali (4).

8 Classification (e) : Au final, la partie principale du talus se trouve sur le versant médial de la cheville, avec sa surface fracturée (5) saillant latéralement. La vascularisation est compromise à ses trois niveaux. Le risque d’ostéonécrose avasculaire est élevé, dépassant 85 %.

9 Classification (f) : Dans les rares lésions du groupe IV, il existe une luxation de la tête du talus par rapport au naviculaire (1) associée à des lésions du groupe III (2) ou du groupe II. Le taux d’ostéonécrose avasculaire est également très élevé.

10 Diagnostic : Le diagnostic peut être suspecté par l’interrogatoire, mais il est fait radiologiquement. Il faut prendre soin de différencier les lésions de type 1 de celles du type 2. Si le doute persiste, deux clichés de profil, l’un en dorsiflexion (1), l’autre en flexion plantaire (2), peuvent être réalisés et comparés. Ceux-ci révéleront une éventuelle subluxation (illus. : type 2).

11 Traitement des lésions de type 1 : Appliquer un plâtre capitonné avec appui sous les orteils et surélever le membre pendant environ une semaine (1). Puis décharge avec béquilles pendant 3 mois (2). La fracture est alors réévaluée hors du plâtre en termes de consolidation et une ostéonécrose avasculaire est recherchée (3). S’il n’y a aucune complication, l’appui peut être débuté sous couvert d’une contention légère (4). La kinésithérapie peut être nécessaire pour la cheville, l’articulation subtalaire et le mollet.

12 Traitement des lésions de type 2 (a) : Bien que certains préfèrent pour ce type de fracture une réduction à foyer ouvert, un traitement orthopédique peut être tenté. (1) Le pied est placé en flexion plantaire et éversion. (2) Un plâtre capitonné est moulé dans cette position et des radiographies de contrôle effectuées. Si la réduction obtenue est satisfaisante, le traitement conservateur peut alors être poursuivi.
FRACTURES DU COL DU TALUS – TRAITEMENT

13 Traitement des lesions de type II (b) : (3) Le membre est surélevé pendant une semaine avant que (4) le béquillage sans appui ne soit autorisé. Après 3 à 4 semaines, le plâtre est changé avec prudence et la cheville est amenée à angle droit (5). La décharge est alors poursuivie pour 6 semaines supplémentaires. Par la suite, si la fracture est consolidée et qu’il n’existe pas de signe évident de nécrose, l’appui peut être autorisé sous couvert d’une contention (6). La kinésithérapie sera certainement nécessaire.

14 Traitement des lesions de type II (c) : Si les méthodes à foyer fermé ne permettent pas d’obtenir une réduction satisfaisante, une réduction à foyer ouvert sera nécessaire. La fracture peut être fixée par une broche de Kirschner passée de la tête vers le corps du talus, les suites postopératoires étant les mêmes que décrit dans la figure précédente. La broche de Kirschner peut être retirée lors du changement de plâtre. Pour une fixation plus solide, une vis canulée peut être utilisée.

15 Traitement des lesions de type III (a) : La partie déplacée du talus est sous-cutanée, et doit être réduite sans délai car la peau la recouvrant est mise sous tension et souffre. Une réduction à foyer ouvert peut être réalisée, mais les méthodes à foyer fermé peuvent être tentées en première intention. Commencez par empaumer la cheville et appliquez une traction dans l’axe.

16 Traitement des lesions de type III (b) : Tout en maintenant la traction (1), utilisez votre genou (2) pour positionner le pied en flexion dorsale. Tractez légèrement le talon vers l’avant et placez-le en éversion (3) pour ouvrir l’espace au talus. Appliquez une forte pression en regard du corps du talus déplacé (4), latéralement mais aussi vers l’avant et le bas. Puis positionnez le pied en flexion plantaire. Si la prise au talon est médiocre, utilisez un clou de Steinman passé au travers du talon et un étrier.

17 Traitement des lesions de type III (c) : Après réduction, procédez comme décrit ci-dessus dans la figure 13 par une surélévation du membre et par une mobilisation progressive. Si les manoeuvres de réduction à foyer fermé échouent (ce qui est souvent le cas), une réduction à foyer ouvert sera nécessaire. L’état cutané ainsi que le type de fixation interne dicteront le choix du ou des abords. Ces fractures peuvent être fixées (au mieux par un abord postérolatéral) par une ou deux vis verrouillées passées au travers du corps du talus vers la tête de celui-ci (5). Des vis canulées peuvent également être utilisées ; elles sont guidées par des broches de Kirschner introduites de façon temporaire pour maintenir la réduction (6). Le groupe de l’AO, dans l’idée d’une mobilisation rapide, recommande une synthèse interne selon ces grandes lignes pour toutes les fractures du col du talus.
Traitement des lésions de type IV : ces lésions peu fréquentes nécessitent généralement une réduction à foyer ouvert. Tous les fragments doivent être conservés, même s’ils sont totalement libres et non vascularisés de façon évidente. En aucun cas le talus ne doit être excisé.
Complications des fractures du col du talus (a) : Nécrose cutanée : La peau peut se retrouver sous tension en regard du talus déplacé et nécroser. Une réduction rapide est impérative afin d’éviter cette complication.
(b) : Lésions ouvertes : Un débridement méticuleux de la plaie est indispensable, mais encore une fois tous les efforts doivent être déployés pour conserver les fragments principaux. Le traitement doit suivre les lignes habituelles de la prise en charge des fractures ouvertes. Si un sepsis se déclare de façon concomitante à une nécrose du talus, sa guérison ne pourra être obtenue qu’après l’excision des fragments nécrosés.
FRACTURES DU COL DU TALUS – COMPLICATIONS ET AUTRES FRACTURES DU TALUS

18 Complications (suite) : (c) Fracture de cheville : Rarement, on retrouve une fracture malléolaire compliquant une fracture du col du talus. Une réduction à foyer fermé est ici incertaine, et une synthèse interne de la malléole à foyer ouvert est préférable. (Illus. : fracture de groupe III, avec fracture de la malléole latérale.)

19 Complications : (d) Ostéonécrose avasculaire : Le diagnostic est radiographique. L’hyperdensité du talus est souvent apparente dès 6 semaines et constante à 12 semaines, mais à ne pas confondre avec l’ombre dense de la projection des malléoles superposées sur le profil. Une revascularisation se produit toujours après les traumatismes fermés et est généralement bien avancée à 8 mois. (Surveiller sa progression par des radiographies mensuelles.) La reprise complète de l’appui avant la revascularisation est probablement la cause de l’aplatissement important du talus (illus.). Une contention locale et la kinésithérapie seront nécessaires. Par sa position clé, l’ostéonécrose avasculaire du talus peut entraîner une arthrose de la cheville, de l’articulation subtalaire ou de la médiotarsienne (ou une combinaison des trois).

20 Complications : (e) Arthrose : Elle peut se retrouver au décours de toutes les fractures déplacées [1]. Tous les patients doivent être informés initialement que la douleur chronique est une complication fréquente, même en cas de réduction anatomique. La détermination des articulations atteintes (par exemple les trois dans le cas précédent) est nécessaire en vue d’une éventuelle arthrodèse, et l’on peut s’aider de la localisation des douleurs et de leur aspect radiographique. L’infiltration d’un anesthésique local dans les articulations suspectées peut parfois être utile.

21 Autres lésions du talus : (a) Fractures du dôme : La fracture peut impliquer une partie seulement de la surface articulaire supérieure du talus (1) dans les suites d’un traumatisme par cisaillement. Si elle est non déplacée, elle peut être traitée par une immobilisation plâtrée durant 6 semaines avant une réévaluation par arthroscopie et IRM. Si le fragment est important et basculé ou déplacé, il doit être ostéosynthésé par brochage selon la technique de Smillie (2), par une vis de Herbert, ou des chevilles biorésorbables. Si le fragment est de petite taille, il peut être excisé et l’os perforé. Dans les suites, l’immobilisation par plâtre pendant 6 semaines est recommandée.

22 (b) Ostéochondrite du talus : Elle peut survenir dans les suites d’une fracture par cisaillement non déplacée, bien que fréquemment aucune notion de traumatisme ne soit retrouvée. (Noter la lésion sur le versant médial de la surface articulaire supérieure.) Lorsque le fragment est important, associé à des douleurs et un œdème, il peut être ostéosynthésé par une vis de Herbert ou autres types de vis à double filetage, ou par une cheville biorésorbable. Sa base peut être avivée dans le but d’encourager sa revascularisation.
FRACTURES DU CORPS DU TALUS

23 (c) Fractures-avulsions : Les fracturesavulsions du talus de petites tailles peuvent résulter d’un traumatisme en inversion, éversion ou flexion plantaire et rarement de contraintes en dorsiflexion de la cheville – par arrachement d’une pastille osseuse au niveau des insertions ligamentaires ou capsulaires. Ces lésions ne nécessitent qu’un traitement symptomatique (par exemple 2 à 4 semaines dans une botte de marche).

24 (d) Fracture du processus latéral du talus : Ces lésions sont peu communes (révélées ici par TDM), mais en fréquence croissante suite aux accidents de surf des neiges. L’articulation subtalaire est impliquée, et leur traitement passe probablement par une réduction à foyer ouvert et une synthèse interne par vis verrouillées.

25 (e) Fractures du corps du talus : 1. La surface articulaire supérieure du talus peut être le siège de fractures causées par les mêmes mécanismes que ceux qui entraînent une fracture par compression de la cheville. Les séparations verticales sans perturbation notable des articulations de la cheville et de la subtalaire (illus.) peuvent être traitées comme des fractures du col du talus de groupe 1. 2. S’il existe un déplacement, une réduction précise et un vissage en croix doivent être effectués. La TDM est utile dans l’évaluation des fractures du dôme.

26 Fractures du corps (suite) : 3. Souvent, il existe une comminution importante. La convexité du corps peut être aplatie et le talus mis en compression lorsqu’il est écrasé entre le tibia et le calcanéus. De telles fractures peuvent également impliquer l’articulation subtalaire, et il existe constamment d’importants dégâts des surfaces cartilagineuses de la cheville. Une reconstruction chirurgicale est rarement possible.

27. Traitement : La ligne générale du traitement conservateur pourrait être la suivante. (1) Dans un premier temps, un bandage compressif et une surélévation. (2) Mobilisation active intensive dès que la douleur et l’œdème le permettent. (3) Décharge jusqu’à consolidation satisfaisante (environ 8 à 10 semaines). Des douleurs persistantes et une limitation fonctionnelle seraient une indication à une arthrodèse de cheville.

28 (f) Fractures compressions de la tête du talus : Ces fractures sont rares, mais sont généralement très comminutives et peu propices à une reconstruction. La mobilisation précoce du pied doit être une préoccupation, et un schéma similaire à celui décrit dans la figure précédente peut être entrepris.
FRACTURES DU CALCANÉUS – DIAGNOSTIC

29 Fracture du calcanéus : Mécanismes lésionnels (a) : La cause la plus fréquente de fracture du calcanéus est une chute d’une hauteur importante avec réception sur les talons. D’autres facteurs importants s’ajoutent à la chute, la nature du sol et le poids du patient. Cette lésion est fréquente chez les couvreurs, les laveurs de vitres et les ouvriers du bâtiment. Rarement, elle est causée par un impact provenant du dessous du pied (par exemple une explosion sous le pont inférieur d’un bateau).

30 Mécanismes lésionnels (b) : Compte tenu du mécanisme lésionnel, il est essentiel lors de l’examen d’une fracture supposée du calcanéus de rechercher : (1) une fracture similaire du côté opposé ; (2) une fracture cunéiforme du rachis (les fractures de la charnière thoracolombale sont présentes dans 5 % des fractures du calcanéus) ; (3) des lésions au niveau des membres supérieurs.

31 Tableau clinique : Dans les fractures importantes, le talon en vue postérieure apparaît : (1) plus large, (2) plus court et aplati, et (3) basculé en valgus. Il existe souvent un œdème tendu du talon, une sensibilité locale importante, et des ecchymoses postérieures (4), qui peuvent s’étendre sur le versant médial de la plante du pied et de façon proximale au mollet. L’appui est généralement, mais pas toujours, impossible.

32 Radiographies (a) : L’incidence la plus importante est un profil bien centré et bien exposé (1). Une incidence axiale (2) est utile pour la visualisation de la colonne du talon (3), du sustentaculum tali (4), de l’articulation talocalcanéenne antérieure (5), et de l’articulation talocalcanéenne postérieure (6). Ce cliché est réalisé avec un rayon incliné à 40° par rapport à la verticale (7), de préférence avec le pied en dorsiflexion, mais la douleur peut rendre irréalisable ce cliché. Un cliché du pied de face permet de visualiser l’articulation calcanéocuboïdienne.

33 Radiographies (b) : Des clichés obliques peuvent être utiles s’il persiste un doute, ou pour mieux visualiser la surface postérieure du calcanéus. Les quatre incidences décrites par Brodén sont particulièrement intéressantes pour analyser cette dernière. (Le pied est placé en rotation médiale de 30 à 40°, avec la cheville en position neutre. Quatre clichés, avec des rayons inclinés à 10, 20, 30 et 40°, et centrés sur la malléole latérale sont réalisés).
FRACTURES DU CALCANÉUS – RADIOGRAPHIES

35 Radiographies (d) : Un scanner peut être utile dans l’évaluation de la nature et du degré de comminution de la fracture du calcanéus, et d’une éventuelle atteinte de l’articulation subtalaire ou calcanéocuboïdienne. Les incidences coronale, transversale et sagittale sont utilisées. L’incidence coronale considérée comme la référence pour permettre les comparaisons est réalisée en passant par la partie la plus large du talus. Sur ce scanner, la comminution du calcanéus et l’atteinte de l’articulation subtalaire sont évidentes.

36 Radiographies (e) : Sur cette coupe sagittale correspondant au cas précédent, on peut clairement voir le processus latéral du talus saillant vers le bas telle une hache, et ayant entraîné une comminution importante du calcanéus sous-jacent. Elles mettent également en évidence la perturbation des angles de Bohler et Gissane.

37 Radiographies (f) : Dans l’interprétation des fractures du calcanéus, deux mesures sont généralement utilisées. (i) Angle aigu de Bohler : formé par l’intersection de deux droites, chacune débutant de la surface articulaire postérieure du calcanéus, avec l’une passant par le processus articulaire antérieur du calcanéus et l’autre par le sommet de la tubérosité du calcanéus (grosse tubérosité). Sa valeur normale se situe entre 20 et 40°, et l’angle diminue dans toute fracture impactant le talon, qu’elle soit extra- ou intraarticulaire.

38 Radiographies (g) : (ii) Angle de Gissane : Il s’agit de l’angle compris entre deux repères osseux, chacun étant évident sur les clichés de profil ; l’un longe le bord latéral du processus articulaire postérieur du calcanéus, et le second prolonge le bec calcanéen vers la partie supérieure de l’articulation calcanéocuboïdienne. Une diminution de cet angle indique une atteinte importante de l’articulation subtalaire, souvent associée à un déplacement proximal de la tubérosité du calcanéus.

39 Les différents types de fractures du calcanéus : Le facteur clé dans l’évaluation d’une fracture du calcanéus est l’atteinte ou non de l’articulation subtalaire. Ici, les différents types de fractures ont été schématisés par ordre de complexité, les plus complexes, les fractures intra-articulaires, étant à la fin.
A. Fractures verticales de la tubérosité du calcanéus : L’articulation subtalaire n’est pas touchée (1), et le pronostic est excellent. Cependant, l’œdème peut être important, et doit être traité par un bandage de contention et par surélévation du membre (2).

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