15: Thrombophilie Génétique

Chapitre 15 Thrombophilie Génétique 1



La découverte du déficit en antithrombine en 1965 a ouvert la voie au concept de prédisposition génétique à la thrombose. Des facteurs biologiques de risque, encore appelés « thrombophilies biologiques » ont ainsi été décrits, et retrouvés chez près de 40 % des familles présentant des thromboses veineuses. Parmi ces facteurs biologiques de risque, les anomalies constitutionnelles « génétiques » sont représentées par les déficits en antithrombine, protéine C, protéine S, mais également des polymorphismes génétiques « gain de fonction » telle que le facteur V Leiden (FVL) ou le polymorphisme G20210A du gène de la prothrombine (FII 20210 G > A). Ces facteurs biologiques de risque constitutionnels sont associés à la survenue de thromboses presque exclusivement veineuses. Leur expression phénotypique s’exprime le plus souvent lorsque des facteurs favorisants environnementaux sont présents, chirurgie, traitement hormonal, etc.



DÉFICITS HÉRÉDITAIRES EN INHIBITEURS DE LA COAGULATION



Antithrombine




FONCTION DE L’ANTITHROMBINE


L’AT appartient à la famille des inhibiteurs de sérine-protéase ou serpines. Elle est le principal inhibiteur plasmatique irréversible de protéases, notamment la thrombine et le facteur Xa. Le site actif de l’AT joue un rôle de pseudosubstrat pour la protéase. En effet, celle-ci clive la liaison Arg393 – Ser394 induisant un changement de conformation de l’AT qui peut alors former un complexe équimolaire stable avec la protéase. Le complexe ainsi formé, irréversible et inactif, est rapidement éliminé de la circulation. Le FXa est protégé de l’action de l’AT lorsqu’il est fixé à la surface des plaquettes activées. De même, l’AT n’a pas d’action sur la thrombine fixée à la fibrine.


L’interaction entre l’AT et les sérines protéases cibles est lente. L’héparine, ou les sulfates d’héparane de la paroi vasculaire, augmente d’environ 2 000 fois la vitesse d’inhibition de la thrombine. La fixation de l’héparine à l’AT se fait par l’interaction de groupements sulfates avec des AA (acides aminés) basiques de la région N-terminale de l’AT. L’inhibition du FXa requiert uniquement la séquence pentasaccharidique minimale de l’héparine, qui induit une modification confor- mationnelle de l’AT nécessaire et permet l’interaction avec le FXa. Au contraire, l’inhibition de la thrombine nécessite la formation d’un complexe ternaire AT-héparine-thrombine, dans lequel une molécule d’héparine fixe à la fois une molécule de thrombine et une molécule d’AT, favorisant leur interaction. Ceci explique les propriétés antithrombine ou anti- Xa différentes pour les différentes héparines de bas poids moléculaire et du fondaparinux, en fonction de la longueur des chaînes de ces molécules (fig. 15-2).




DÉFICITS CONSTITUTIONNELS EN ANTITHROMBINE


Le déficit constitutionnel en AT est de transmission autosomale dominante. Sa pénétrance est variable.


La classification des déficits en AT, quantitatifs (type I), qualitatifs (type II), repose sur les caractéristiques des dosages fonctionnels et immunologiques de la molécule. Les déficits quantitatifs sont le fait de la synthèse réduite d’une protéine normale. Ils sont ainsi caractérisés par une diminution à la fois de la concentration de la protéine et de son activité. Ces déficits sont les plus fréquents. Ils résultent dans 70 % à 80 % des cas, de mutations ponctuelles, micro-insertions ou microdélétions. Ces anomalies sont responsables du déficit de type I par décalage du cadre de lecture, codon stop, défaut d’expression de l’allèle muté, ou production d’une molécule instable non exportée dans le compartiment sanguin circulant ou de demi-vie raccourcie. Les déficits qualitatifs sont le fait de la synthèse d’une protéine anormale. Ils sont ainsi caractérisés par une concentration normale de la protéine, mais une incapacité de celle-ci à inactiver les protéases cibles comme la thrombine ou le FXa (type II Reactive Site, II RS) ou à fixer l’héparine (type II Heparin Binding Site, II HBS). Un cas particulier est représenté par le type II PE, qui correspondait initialement à des mutations des AA 402–407, responsable d’une protéine non fonctionnelle présente en quantité réduite (fig. 15-3). La distinction est importante car le type de déficit conditionne le risque thrombotique. En effet, le déficit de type II HBS engendre un risque beaucoup plus faible, proche de celui des sujets non déficitaires, lorsqu’il est présent à l’état hétérozygote.



Les déficits homozygotes sont extrêmement rares (car probablement le plus souvent létaux avant la naissance) et ne sont rencontrés que pour des anomalies de type II HBS ou quelques variants instables modérément ou peu délétères.



DOSAGE


Le dépistage des déficits en AT repose sur la mesure de l’activité cofacteur de l’héparine, altérée dans tous les types de déficit. Celle-ci évalue la capacité inhibitrice de l’AT sur la thrombine ou le FXa ajouté en quantité fixe et en excès en présence d’une forte concentration d’héparine. L’activité enzymatique résiduelle est évaluée par sa capacité à cliver un substrat chromogène spécifique La présence d’héparine dans un prélèvement n’interfère pas dans les mesures. La caractérisation du type nécessite ensuite la réalisation d’un dosage immunologique, réalisé par méthode ELISA ou par immunoturbidimétrie. La différenciation des types II HBS (activité progressive normale) et RS (activité progressive basse) repose sur une mesure de l’activité en l’absence d’héparine (activité « progressive »).


À la naissance, le taux d’antithrombine moyen est de l’ordre de 60 % Les valeurs « normales » de l’adulte (80–120 %) sont atteintes à partir de 1 an (tableaux 15-1 et 15-2). Une diminution très modérée de la concentration d’AT (de l’ordre de 10 à 20 %) peut s’observer de manière inconstante au cours de la grossesse.




Enfin, un certain nombre de situations cliniques s’accompagnent de déficits acquis : insuffisance hépatocellulaire (par diminution de la synthèse), syndrome néphrotique (par fuite urinaire imparfaitement compensée), thromboses étendues et coagulation intravasculaire disséminée ou CIVD (par consommation). Les héparines non fractionnées et héparines de bas poids moléculaire comportant un fort pourcentage de chaînes longues, administrées à doses « curatives », peuvent entraîner une diminution moyenne de 20 % de l’AT circulante, de même que certaines thérapeutiques, œstrogènes, L-asparaginase, etc.



Système protéine C – protéine S


Le système protéine C – protéine S constitue un système anticoagulant physiologique majeur, tout particulièrement au niveau de la microcirculation où la surface endothéliale est très importante. La Protéine C activée, en association avec son cofacteur la PS, dégrade les FVa et FVIIIa.



STRUCTURE DE LA PC


La protéine C est une glycoprotéine vitamino-K-dépendante, synthétisée par l’hépatocyte. La concentration plasmatique est de 3 à 5 mg/L. Sa demi-vie est courte, de 6 à 8 heures [8]. La forme mature de la molécule, de 461 acides aminés, est formée de 2 chaînes. L’extrémité N-terminale de la chaîne légère contient 9 résidus d’acide gammacarboxyglutamique (GLA) indispensables à sa fixation par le calcium aux phospholipides, ainsi que deux domaines EGF. La chaîne lourde contient un site de clivage Arg169-Leu170 pour la thrombine et un site catalytique, His211, Asp257 et Ser260.


Le gène de la PC, situé sur le chromosome 2, s’étend sur 11,6 kb et comprend 9 exons, chacune des régions codantes (sauf l’exon I) correspondant à un domaine fonctionnel.




DÉFICITS EN PROTÉINE C


Les déficits sont de transmission autosomale dominante. Leur pénétrance est variable. Deux grands types de déficit en PC sont décrits. Les déficits quantitatifs (type I), les plus fréquents (90 %) sont caractérisés par une réduction équivalente de l’activité et de la concentration, secondaire à une réduction de synthèse ou de stabilité d’une protéine fonctionnellement normale. Les déficits qualitatifs (type II) sont la conséquence de la synthèse d’une PC dont l’activité est réduite alors que sa concentration plasmatique est normale. Ils peuvent affecter le site actif (type IIAM (amidolytique) ou d’autres régions de la protéine qui sont impliquées dans le fonctionnement du système de la PC (interactions PC/phospholipide, /PS, /FVa, / FVIIIa) (type IIAC (anticoagulant)). Les bases moléculaires des déficits ont été établies; les mutations délétères identifiées sont nombreuses. La majorité des mutations responsables de type I sont des mutations ponctuelles faux sens, entraînant un défaut d’expression du gène plus ou moins complet. Les mutations responsables de type II affectent soit le domaine GLA, le site de clivage par la thrombine ou le site actif (fig. 15-5).



Les sujets homozygotes ou hétérozygotes composites ont une concentration circulante basse (0–30 %). Ils peuvent présenter dès la naissance, des complications thrombotiques gravissime à type de purpura fulminans ou des complications thrombotiques sévères. Les manifestations cliniques observées chez les hétérozygotes sont à rapprocher de celles qui sont observées en cas de déficit en AT.






DEFICITS EN PROTEINE S


Les déficits constitutionnels en PS sont de trois types (fig. 15-6). Les types quantitatifs (I et III) affectent la quantité de protéine circulante. Le type I est caractérisé par une diminution équivalente des taux de PS totale (PST) et PS libre (PSL). Le type III est caractérisé par la seule diminution de PSL. Les déficits qualitatifs de type II, associant un taux de PSL normal et une activité diminuée, sont plus rares. Un nombre important de mutations délétères décrites sont la plupart du temps des mutations « privées ». Des sujets porteurs d’une même mutation au sein d’une même famille peuvent être porteurs d’un déficit de type I ou III. La cause de cette hétérogénéité n’est pas totalement élucidée. Le déficit en type I pourrait être une maladie monogénique impliquant le gène codant pour la PS, alors que le déficit de type III serait une pathologie hétérogène sur le plan moléculaire faisant intervenir plusieurs facteurs, génétiques ou environnementaux [17]. Très récemment, la relevance clinique du déficit en PS libre a été analysée chez 1 143 membres de familles de déficitaires en PS. Les résultats ne montrent un risque de thrombose significativement augmenté que pour des taux de PS libre franchement bas (PS libre < 40 %), bien inférieurs à la limite inférieure des valeurs usuelles déterminée chez les sujets sains.





RÉSISTANCE À LA PROTÉINE C ACTIVÉE ET FV LEIDEN


La PCa, associée à son cofacteur PS, exerce son activité anticoagulante en inactivant les cofacteurs Va et VlIIa. L’inactivation du FVa est due au clivage protéolytique de ce facteur en position Arg506 (prépondérant), puis secondairement Arg306, 679 et 994 (fig. 15-7).



Le FVa exerce également un effet cofacteur de la PCA vis-àvis de la dégradation du FVIIIa. Ce rôle cofacteur de la PCa pour la dégradation du FVIIIa nécessite le clivage préalable du FV en position 506.


Le facteur V Leiden (FVL) est une mutation ponctuelle caractérisée par le remplacement du nucléotide G par un A en position 1 691 de l’exon X du gène du FV, à l’origine du remplacement de l’Arg 506 par une glutamine (fig. 15-8). Ce polymorphisme modifie ainsi le site prépondérant de clivage du FVa par la PCa, à l’origine du phénomène de « résistance plasmatique à l’action de la PCa ».



La RPCA se traduit par l’absence d’allongement du temps de céphaline activée en présence de PCa. Ce test phénotypique ne permet pas d’affirmer la présence d’une anomalie génétique ni le statut d’hétérozygotie ou d’homozygotie. La recherche de la substitution G/A 1 691 est réalisée aisément sur l’ADN à l’aide de techniques classiques de biologie moléculaire (amplification par technique PCR et digestion enzymatique; fig. 15-9).





AUTRES CAUSES DE PRÉDISPOSITION HÉRÉDITAIRE AU RISQUE THROMBOTIQUE



Dysfibrinogénémies


Le fibrinogène est composé de 3 chaînes polypeptidiques différentes, α,et γ, organisées en dimères. Les chaînes α et β sont clivées par la thrombine, permettant l’exposition des sites de polymérisation nécessaires à la formation de fibrine. Les dysfibrinogénémies sont des anomalies qualitatives constitutionnelles du fibrinogène rares (200 cas environ); certaines d’entre elles sont des facteurs de risque de thrombose. Elles sont transmises selon le mode autosomal dominant. Au niveau moléculaire, les mutations mises en évidence affectent des sites fonctionnels qui conditionnent la formation ou la stabilité du caillot. Les dysfibrinogénémies sont retrouvées chez moins de 1 % des sujets qui présentent une maladie thromboembolique veineuse. Le risque thrombotique a principalement été observé dans les anomalies touchant soit l’extrémité C terminale de la chaîne α, soit l’extrémité N-terminale de la chaîne β. Différents mécanismes physiopathologiques expliquent le risque thrombotique de ces anomalies. Ainsi, des défauts de liaison de la thrombine à la fibrine anormale, ou des défauts de polymérisation du caillot ont été rapportés, la thrombine restant ainsi disponible pour coaguler d’autres molécules de fibrinogène ou activer les plaquettes. Les anomalies structurales du caillot, responsables d’un défaut de fixation sur la fibrine soit du plasminogène, soit de l’activateur tissulaire du plasminogène tPA, peuvent également être responsables d’une diminution de la fibrinolyse.



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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 15: Thrombophilie Génétique

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