Chapitre 14 Anomalies de la thyroïde fœtale. Prise en charge d’un goitre fœtal1
L’apparition d’un goitre fœtal est une pathologie rare et potentiellement grave. Elle résulte d’un déséquilibre hormonal chez le fœtus, potentiellement délétère pour son développement psychomoteur futur. Après un rappel sur la thyroïde fœtale, nous étudierons la technique de diagnostic du goitre fœtal et les différents moyens de déterminer son étiologie. Ensuite, nous présenterons les protocoles de prise en charge adaptés aux situations auxquelles les équipes obstétricales sont le plus souvent confrontées.
Rappels
Formation embryologique de la thyroïde
La formation embryologique de la thyroïde débute au premier trimestre de la grossesse. La glande thyroïde se développe à partir d’un épaississement du plancher pharyngé sur la ligne médiane et l’extension caudale et bilatérale de la quatrième poche pharyngobranchiale [1]. À sept semaines de développement, la thyroïde a migré dans sa localisation définitive à la face antérieure du cou. La synthèse de thyroglobuline débute dès douze semaines d’aménorrhée (SA), et la maturité structurale de la glande est complète à 18 SA. La production d’hormones thyroïdiennes devient significative à partir de 20–22 SA, avec une captation d’iode des cellules folliculaires thyroïdiennes qui augmente et la concentration sérique fœtale de T4 qui commence à s’accroître [2].
Rôle des hormones thyroïdiennes
Les hormones thyroïdiennes ont un rôle fondamental dans le développement cérébral fœtal, du point de vue structurel d’une part (organisation tissulaire, migration neuronale), et du point de vue fonctionnel d’autre part (acquisition de l’intelligence, capacité d’apprentissage) [3]. On comprend ainsi que l’équilibre thyroïdien fœtal et maternel est indispensable au bon développement fœtal. La thyroïde fœtale est soumise à l’environnement extérieur par l’intermédiaire du placenta, qui est perméable à l’iode, aux hormones thyroïdiennes d’une part, et aux anticorps antithyroperoxydase, aux anticorps antirécepteurs de la TSH (TRAK) et aux drogues antithyroïdiennes d’autre part. En revanche il est parfaitement imperméable à la TSH (fig. 14.1) [4, 5]. C’est ainsi que les dysthyroïdies maternelles et fœtales peuvent influencer la formation de goitres in utero.
Conséquences des dysthyroïdies fœtales
Les situations à risque de dysthyroïdies fœtales doivent être connues. Il faudra particulièrement rechercher :
L’hyperthyroïdie est associée à une augmentation de la prématurité, de l’insuffisance cardiaque, des avortements spontanés, de la pré-éclampsie (jusqu’à 14 % en cas de déséquilibre hormonal non corrigé) [7], de retard de croissance intra-utérin (RCIU), d’hyperthyroïdie fœtale et néonatale ainsi que de malformations congénitales comme la craniosténose. La principale étiologie de l’hyperthyroïdie maternelle est la maladie de Basedow (0,2 % des grossesses aux États-Unis) [2], qui expose le fœtus à deux types de complications thyroïdiennes in utero :
L’hypothyroïdie maternelle non traitée est quant à elle associée à une augmentation de la prévalence d’HTA gravidique, de pré-éclampsie et d’avortements. Le risque principal reste le retentissement éventuel sur les fonctions cognitives de l’enfant à naître [9].
Goitre fœtal
Techniques de mesure échographique
Devant une image cervicale fœtale, il faut avant tout éliminer les diagnostics différentiels tels que les tératomes, hémangiome ou neuroblastome. Le goitre est caractérisé échographiquement par une masse solide de la partie antérieure du cou, lobulée, limitée latéralement par les structures vasculaires et en arrière par la trachée [11]. Le goitre est défini par une mesure de la thyroïde supérieure à 2 MoM2 (> 95e percentile) [12].
La recherche et le suivi d’un goitre chez le fœtus passent d’abord par une bonne mesure des dimensions de la thyroïde. Cette mesure est effectuée lors de l’échographie de dépistage au deuxième trimestre de grossesse. La visualisation de la glande est facilitée par la présence d’un goitre, cependant elle reste difficile avant le terme de 18–20 SA. Afin de pouvoir utiliser les résultats de cette mesure, elle doit être réalisée de façon standardisée. Le choix du bon plan de coupe est primordial, il s’agit d’une coupe transversale du cou, réalisée à fort grossissement. Il faut s’attacher à respecter la symétrie de la coupe, on s’aide pour cela de la forme de la tranchée qui doit être ronde (et non pas ovalaire) et du repérage des carotides au Doppler couleur de chaque côté de la glande. La symétrie de la mâchoire et des clavicules est également une aide efficace pour identifier le bon plan [12].
Une fois la bonne coupe obtenue on mesure le périmètre de la glande que l’on reporte sur les courbes publiées par Ranzini et al., qui établissent le nomogramme du périmètre thyroïdien entre 16 et 37 SA [13]. La mesure du diamètre de la glande est également validée pour le suivi d’un goitre en raison de sa très bonne corrélation au périmètre thyroïdien (fig. 14.2).
Caractérisation (fig. 14.3 et 14.4)
Une fois la présence d’un goitre objectivée chez le fœtus, se pose la question de son étiologie. Le goitre pouvant être le témoin d’une hyperthyroïdie ou d’une hypothyroïdie, un faisceau d’argument peut aider à déterminer son origine. En cas de doute une cordocentèse peut être réalisée afin d’effectuer un dosage des hormones thyroïdiennes chez le fœtus mais son caractère iatrogène ne peut être négligé. En pratique, la cordocentèse est réalisée dans près de 50 % des cas [14].