La responsabilité médicale en psychiatrie
La responsabilité est le corollaire de la liberté et de la capacité de chacun à décider ce qu’il fait ou ne fait pas. Elle est également la traduction et la conséquence des règles de tous ordres qui organisent le fonctionnement social dans une société de droit comme la nôtre. Elle n’est pas l’apanage de la psychiatrie ni même de l’exercice d’une activité professionnelle. Le risque de son engagement ne devrait pas orienter les pratiques mais la connaissance de ses fondements est utile pour agir correctement et dans l’intérêt de ses patients dans chaque type d’acte que le psychiatre peut être conduit à réaliser. Lorsqu’on s’intéresse aux statistiques judiciaires ou à celles des compagnies d’assurances, on se rend compte que la psychiatrie est loin d’être la spécialité la plus exposée. Les risques de procès sont finalement minimes mais paradoxalement l’activité du psychiatre, parce qu’elle est en permanence en prise avec la vie sociale et relationnelle, croise fréquemment des interrogations juridiques qui peuvent faire craindre une mise en cause : risque suicidaire pour le patient, potentielle hétéroagressivité de certains, rédaction de certificats dans des situations familiales complexes et conflictuelles (divorce ou maltraitance à enfant par exemple) et depuis peu rédaction de plus en plus complexe des certificats conduisant à des soins sans consentement. Dans le court chapitre d’un ouvrage général, il n’est pas possible d’aborder chaque problème de façon approfondie et dans les situations les plus complexes, il est utile de se référer à des ouvrages complets (Jonas, 1997 ; Jonas, 1990). Néanmoins, on peut faire un panorama des principales situations à risque en précisant tout d’abord quels sont les principes et les juridictions compétentes.
Principes et juridictions
À côté de cette responsabilité vis-à-vis du fonctionnement social, chaque individu doit également répondre de ses actes en fonction des conséquences qu’ils ont pu avoir sur un individu donné. Il est en effet différent de condamner quelqu’un à une sanction parce qu’il n’a pas respecté une règle et de permettre à sa victime d’obtenir une réparation du fait de la faute de l’auteur. Ce deuxième type de responsabilité ne cherche donc pas à punir mais à réparer. En droit français, il est subdivisé en deux catégories selon que l’acte a été réalisé dans un cadre administratif ou non. En effet, l’administration en général bénéficie de juridictions spécifiques et de règles qui ne sont pas exactement les mêmes que pour les autres activités. Ainsi en médecine doit-on clairement différencier les activités qui sont réalisées dans un cadre hospitalier, peu importe d’ailleurs de savoir s’il s’agit d’une hospitalisation complète ou d’une activité extrahospitalière rattachée au secteur, et celle qui revêtent un caractère libéral, soit du fait de l’exercice du médecin, soit parce qu’un médecin hospitalier a un secteur libéral.
Globalement les principes qui régissent l’engagement d’une responsabilité-réparation sont relativement simples. Il est nécessaire de démontrer la faute de l’auteur, le préjudice de la victime et un lien de causalité entre les deux. La faute se définit en fonction des connaissances professionnelles acquises (arrêt Mercier), le préjudice est le plus souvent déterminé par une expertise. Quant au lien de causalité, il s’agit d’un concept complexe mais sans doute logiquement compréhensible.
La responsabilité pénale
Non-assistance à personne en péril (NAPP)
Elle est définie à l’article 223-6 alinéa 2 du Code pénal « sera puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ». Il s’agit au départ de demander à chaque citoyen de ne pas rester indifférent devant un danger auquel autrui est exposé. Pour le médecin, la situation est toujours plus complexe car il est censé avoir une connaissance de ce danger, même lorsqu’il n’est pas directement face au patient. Il n’en reste pas moins que la définition contenue dans cet article est particulièrement précise et ne permet pas l’incrimination si toutes les conditions indiquées ne sont pas réunies. L’analyse de l’article conduit à retenir quatre conditions qui sont cumulatives, c’est-à-dire qu’elles doivent toutes être présentes pour permettre que les poursuites soient couronnées de succès contre le médecin. Avant de les examiner, il faut retenir qu’il s’agit d’une infraction intentionnelle, ce qui explique la lourdeur de la peine d’emprisonnement encourue.
• l’existence d’un péril. Il doit s’agir d’une menace imminente pour la santé ou pour la vie du sujet. Il en est certainement ainsi du risque suicidaire à condition qu’il apparaisse immédiatement. Le délai entre la consultation avec le médecin et le suicide éventuel peut faire tomber l’existence de l’imminence et ne pas permettre l’incrimination ;
• une possibilité d’assistance. En règle générale, on estime que le médecin a cette possibilité. La loi prévoit que l’assistance peut se faire personnellement ou en provoquant un secours mais la jurisprudence estime que le médecin ayant des compétences spécifiques doit avoir une action personnelle ;
• une abstention. L’infraction suppose qu’il y ait eu inaction totale. Dès l’instant où le médecin tente d’intervenir, même de manière maladroite, il n’y a plus abstention. Le délit ne peut pas être constitué. En revanche, comme on le verra ci-après, celui d’homicide involontaire reste ouvert et c’est souvent cette qualification que retiendront les magistrats, faute de pouvoir caractériser la non-assistance à personne en péril dans ses quatre composantes ;
• le refus d’agir. Infraction intentionnelle, la non-assistance à personne en péril suppose que l’on démontre que le médecin a décidé de ne pas agir. L’interprétation de cette partie du texte est souvent complexe pour les magistrats. Un refus de se déplacer ou de prendre en compte les propos alarmants d’une famille peut parfois être suffisant. En revanche, le « refus obstiné et même agressif » du patient est exonératoire (chambre criminelle de la Cour de cassation, 3 janvier 1973). Il n’en demeure pas moins que les condamnations de psychiatres de ce chef sont particulièrement rares.