Chapitre 1 Réanimation
Gestion de l’équipe : préparation et contrôle de la réanimation du patient traumatisé sur le lieu de prise en charge 2
GESTION DE L’ÉQUIPE : PRÉPARATION ET CONTRÔLE DE LA RÉANIMATION DU PATIENT TRAUMATISÉ SUR LE LIEU DE PRISE EN CHARGE
DYNAMIQUE DE L’ÉQUIPE
• Capacités :
— chaque membre de l’équipe doit être totalement capable de mener à bien la mission qui lui est confiée
• Confiance :
— chaque membre de l’équipe doit être convaincu que les autres membres de l’équipe mèneront à bien la mission qui lui a été confiée et que le meneur de l’équipe prendra les bonnes décisions
LEADERSHIP
Se contrôler soi-même
• Être un leader/meneur :
— la voix : la présence du meneur est accentuée par le ton de sa voix ; assez forte pour être entendue, y compris si d’autres parlent, mais sans crier
— action : si l’équipe semble réticente ou confuse, s’approcher du lit pour l’assister et la guider constitue un exemple positif
— calme : plus la situation clinique est désespérée, plus le meneur doit être calme. Si l’équipe perçoit que le meneur ne se contrôle plus, le chaos s’ensuit
— connaître ses limites : un meneur est simplement un meneur, pas un surhomme. Une équipe respecte plus volontiers quelqu’un qui est capable d’admettre les limites de ses connaissances et ses incertitudes et qui est capable de demander l’avis d’un autre membre de l’équipe ou d’un collègue
— les meilleurs meneurs sont doués de multiples qualités particulières :
— dynamisme : un meneur qui paraît physiquement fatigué et/ou émotionnellement vidé ne peut pas, efficacement, motiver l’équipe pour prendre en charge un patient critique. Les dynamiques physique et émotionnelle sont capitales, comme la détermination, l’attitude positive et la force mentale
— empathie : un meneur efficace doit comprendre ce que chaque membre de l’équipe ressent, craintes, indécision, colère, griefs ou joie. En outre, un meneur efficace doit connaître les capacités de chacun des membres de l’équipe afin que les missions soient au mieux réparties. Il est important d’être attentif aux perceptions du patient, craintes, embarras, anxiété et douleur. Montrer de la sensibilité aux membres de l’équipe et au patient accroît la crédibilité
— décision : le meilleur meneur est préparé à prendre des décisions de vie ou de mort en quelques secondes, avec des informations parfois limitées et, tout aussi important, à endosser la responsabilité des conséquences de ses décisions. La réanimation d’un patient traumatisé n’est pas le lieu pour des décisions collégiales ; la zone de réanimation d’un patient traumatisé n’est pas le lieu idéal pour la pratique de la démocratie
— anticipation : l’équipe doit être préparée à l’arrivée du patient. Les informations obtenues avant l’arrivée du patient doivent être évaluées par le meneur de l’équipe pour s’assurer du fait que les rôles sont assignés au mieux des capacités de chacun, de façon à ce que la prise en charge se passe calmement
— crédibilité : le meneur qui se trompe trop fréquemment ou qui fait de piètres excuses pour de mauvaises décisions ne restera pas un meneur longtemps. Les bons membres d’une équipe ne suivent pas un mauvais décideur. Ils veulent que leur meneur puisse admettre s’être trompé, prenne ses responsabilités et aille de l’avant
— état d’esprit : lorsqu’il a l’occasion de critiquer un membre de l’équipe en raison d’une erreur commise, un bon meneur utilise cela comme une occasion d’apprendre et d’améliorer l’efficacité du membre de son équipe. Il se crée ainsi un allié loyal et un collaborateur meilleur et non un adversaire embarrassant et mécontent
Avoir un projet
• Le <C> de l’ABC (des Anglo-Saxons) constitue le cadre à partir duquel le meneur de l’équipe construit la prise en charge. Il convient d’être parfaitement prêt à affronter toute circonstance clinique. Il n’y a pas de temps pour consulter un livre alors que le patient est en train de mourir ! La complexité des lésions du patient plus que la disponibilité des moyens gouverne l’organisation des soins
• Il est essentiel de communiquer régulièrement les projets de soins aux membres de l’équipe et d’attribuer, clairement, une mission à chacun
• Combattre l’inertie. Il existe une tendance naturelle à ralentir le rythme de l’évaluation et de la réanimation sur la base de la perception du sérieux des lésions du patient. Ceci peut causer retards diagnostiques et thérapeutiques
Contrôler l’environnement
• Le patient :
— un patient non contrôlé conduit à une équipe non contrôlée. Ne pas laisser le patient prendre le rôle du meneur de l’équipe, suggérer et choisir le diagnostic et les modalités thérapeutiques
— il est extrêmement difficile de savoir si un patient non coopérant est simplement désagréable, a les fonctions supérieures altérées par des lésions, une intoxication ou est en train de mourir (ou une combinaison de cela !). Parler au patient et tenter une courte période de négociation peut être utile. Toutefois, des entraves physiques ou chimiques doivent être envisagées
• La foule :
— la réanimation des lésions les plus dramatiques (par exemple, un empalement) ou une situation sociale fascinante (par exemple, l’agression d’un officier de police) attirent les foules et les curieux. Leur présence peut gêner les mouvements et la communication et peut distraire les membres de l’équipe. Le meneur doit avoir la liberté d’éloigner de la zone de réanimation toutes les personnes dont la présence n’est pas essentielle
• Le bruit : de nombreux facteurs peuvent contribuer à élever le niveau sonore dans la zone de réanimation. Les membres de l’équipe élèvent leur voix au-dessus du vacarme, dans un cercle vicieux accroissant le volume sonore et l’anxiété
— bruit de fond : les chuchotements de la foule qui fait des commentaires peuvent créer un niveau sonore vraiment élevé
— co-meneur (co-leader) : certains membres de l’équipe peuvent chercher à gérer eux-mêmes certaines phases de la réanimation. Une telle liberté doit être découragée, car elle ajoute au bruit et peut conduire à une mésentente entre les membres de l’équipe
— conversations non pertinentes : c’est une tendance naturelle que de vouloir discuter. Pourtant, les conversations pas essentielles entre les membres de l’équipe doivent être réduites au minimum
— le patient : le patient lui-même peut contribuer au bruit ambiant en posant des questions, crier pour être entendu, hurler ou gémir à cause de sa douleur. Le meneur de l’équipe doit désigner quelqu’un pour communiquer avec le patient, le rassurer et s’assurer que l’analgésie est adéquate. Un patient ingérable peut justifier une intubation
ÉQUIPE DE RÉANIMATION DE TRAUMATOLOGIE
Contexte
• Le traditionnel ABC des Anglo-Saxons recommande une approche verticale, basée sur la présence d’un seul opérateur (figure 1.1)
• L’équipe de réanimation utilise une approche horizontale basée sur la présence de plusieurs opérateurs travaillant en parallèle (figure 1.2)

Figure 1.1 Réanimation verticale : les tâches sont effectuées successivement par un intervenant unique
Organisation
• Le rôle du meneur est fondamental pour assurer l’efficacité de l’équipe (voir le chapitre sur le meneur de l’équipe)
Préparation
• S’assurer que chacun porte le matériel de sécurité requis : masque facial, lunettes/visière, gants, tablier de plomb, blouse résistant à l’eau, marque de sa fonction
Rôle de l’équipe de réanimation traumatologique
• Premier examen :
— réalise le premier examen : de la respiration (<B> des Anglo-Saxons) à l’exposition (<E> des Anglo-Saxons)
— les constatations cliniques sont clairement énoncées par le meneur de l’équipe afin d’être entendues et notées
Activation de l’équipe de réanimation de traumatologie
• Les critères conduisant à l’activation de l’équipe de réanimation de traumatologie peuvent être liés à la nature des lésions, aux signes vitaux ou au mécanisme lésionnel (tableau 1.1)
• L’activation par excès (jusqu’à 50 %) de l’équipe est acceptable pour éviter que l’équipe ne soit pas activée lorsque cela est nécessaire
TABLEAU 1.1 Critères de l’activation de l’équipe traumatologie
Voies aériennes compromises |
Signes de pneumothorax |
Saturation en oxygène < 90 % |
Pouls > 120/min ou pression artérielle systolique < 90 mm Hg |
Perte de connaissance > 5 min |
Accident avec 5 personnes blessées (ou plus) |
Accident mortel de même localisation |
Accident de voiture avec vitesse excessive |
Patient éjecté d’un véhicule |
Blessure par arme blanche au niveau de l’aine ou dans le périmètre |
Blessure par balle, mine ou explosion |
Chute d’une hauteur > 5 m |
Enfant avec conscience altérée et/ou temps de recoloration cutanée > 3 s et/ou pouls > 130/min |
Enfant, piéton ou cycliste heurté par un véhicule |
Brûlures > 10 % pour un enfant ou > 15 % chez un adulte |
CATASTROPHE HÉMORRAGIQUE
Contexte
• La prise en charge de victimes de blasts ou de plaies par armes à feu lors des récents conflits militaires (Afghanistan, Irak) a justifié une prise en charge préhospitalière plus agressive avec utilisation de garrots et d’agents hémostatiques locaux
<C>
• Le contrôle rapide d’une hémorragie extériorisée catastrophique est la première priorité dans la prise en charge d’un patient traumatisé :
• Ce contrôle de l’hémorragie doit être obtenu rapidement, pour permettre au médecin de prendre en charge les autres détresses du patient :
• L’hémorragie extériorisée non contrôlée est une cause fréquente de décès « évitable » du patient traumatisé
Contrôle d’une hémorragie extériorisée
• En cas de catastrophe, envisager d’utiliser un garrot. Un autre moyen de contrôle de l’hémorragie doit être envisagé au plus vite
• Les agents hémostatiques locaux dérivés de pierres volcaniques ou d’extraits de chitosane obtenus à partir de carapaces de crevettes sont utilisés en médecine de guerre pour tarir une hémorragie non contrôlable, en particulier inguinale et axillaire, difficilement accessible à un garrot. Le mécanisme d’action des extraits de chitosane et des pierres volcaniques est incertain, mais leur efficacité est étayée par des études animales et des observations humaines
VOIES AÉRIENNES
Contexte
• La prise en charge des voies aériennes est une priorité (rappelée dans le <ABC> des Anglo-Saxons) pour prévenir des décès hypoxiques précoces
• Perméabilité des voies aériennes et supplémentation en oxygène sont fondamentales dans la réanimation d’un patient traumatisé, quel que soit le mécanisme du traumatisme
Prise en charge basique des voies aériennes
• Un patient conscient mais avec un traumatisme facial (fracture de LeFort, destruction de mâchoire) risque de mal tolérer le décubitus dorsal. En l’absence de traumatisme cervical, il peut être transporté assis voire en décubitus ventral afin que les tissus lésés n’obstruent pas les voies aériennes
Un pas supplémentaire peut être franchi avec :
Intubation trachéale
• La rectitude du rachis cervical doit être maintenue par un assistant pendant toute la procédure s’il existe un risque de lésion du rachis cervical
• Un assistant exerce une pression sur le cricoïde (manœuvre de Sellick) pour limiter le risque d’inhalation du contenu gastrique
• Le maximum doit être fait pour que l’intubation soit réalisée dès la première tentative, par exemple en utilisant d’emblée un mandrin rigide
En cas d’intubation trachéale difficile
Certains outils sont un recours précieux en cas d’intubation difficile.
• Mandrin « d’Eschmann » : il s’agit d’un mandrin long dont l’extrémité distale est recourbée. Il permet une intubation trachéale à l’aveugle sous laryngoscopie directe en cas de difficulté de visualisation de l’orifice glottique. La sonde d’intubation étant, dans un second temps, introduite dans la trachée à l’aide du mandrin, selon la technique de Seldinger. Certains de ces mandrins sont creux, permettant une oxygénation pendant la procédure
• Le Fastrach™ : il s’agit d’un masque laryngé spécial permettant de ventiler un patient et de l’intuber. L’insertion du Fastrach™ est rapide et facile, mais requiert un apprentissage. Le Fastrach™ permet la ventilation du patient, mais ne le protège pas d’une inhalation. L’intubation est possible, une sonde d’intubation armée pouvant être insérée au travers du masque. Il s’agit de la technique alternative d’intubation de choix, en particulier en préhospitalier, en cas d’intubation difficile
Abord chirurgical des voies aériennes
• Cricothyroïdotomie. Lorsque l’accès immédiat aux voies aériennes est requis et l’intubation orotrachéale par laryngoscopie directe impossible, une cricothyroïdotomie peut être envisagée. La procédure est la suivante :
Voies aériennes et traumatisme du rachis cervical
Si un traumatisme du rachis cervical est avéré ou suspecté, aucune des techniques d’abord des voies aériennes n’est absolument proscrite.
• L’intubation est rendue plus difficile par cette immobilisation. De façon réaliste, il est illusoire de tenter d’intuber dans ces conditions
• Il convient de retirer ou de desserrer les éléments de contention et de les remplacer par un maintien manuel de la rectitude du rachis cervical
Règles de prise en charge des voies aériennes
1 Les voies aériennes priment sur le traumatisme cervical (les Anglo-Saxons disent : grand A et petit c : A-c).
2 Aucun patient ne doit être curarisé avant de s’être assuré que les conditions de gestion d’un scénario « intubation impossible, ventilation impossible » sont prêtes
3 Les tentatives successives d’intubation ne doivent pas se faire aux dépens du maintien de l’oxygénation. Un patient ne doit pas mourir d’hypoxie (à cause des tentatives et des échecs d’intubation) alors qu’il pourrait être ventilé au masque ! Si une aide extérieure est requise, ne pas attendre pour la demander !
4 La bonne position de la sonde doit être confirmée par capnographie. En cas de doute, la sonde doit être retirée
5 Être souple dans le choix de la taille des sondes d’intubation. La bonne taille est celle qui permet de ventiler ! Se préparer, en situation difficile, à utiliser des sondes de plus petit calibre
TRAUMATISME DES VOIES AÉRIENNES
Les voies aériennes peuvent être directement affectées par le traumatisme. Les trois situations les plus fréquentes sont :
• obstruction des voies aériennes par un œdème secondaire à des brûlures ou une inhalation de fumées d’incendie
• Une lésion vasculaire du cou nécessite généralement le recours au scanner pour identifier le vaisseau concerné
• Ces patients doivent être transférés vers un centre d’imagerie dès que les voies aériennes sont prises en charge. La compression des voies aériennes risque de s’aggraver et de rendre une intubation plus tardive plus délicate
• Au moindre doute sur l’intégrité des voies aériennes, un avis d’expert doit être rapidement demandé
• Le patient doit demeurer en ventilation spontanée et l’utilisation d’un myorelaxant doit être évitée
Équipement
L’inspection régulière du matériel par un individu donné est indispensable. Ce matériel inclut :
RESPIRATION
Contexte
• 90 % des lésions peuvent être, initialement, prises en charge avec une supplémentation en oxygène, une analgésie de qualité et une intubation si besoin
Suspecter fortement un traumatisme thoracique si…
• Le patient a des lésions de la tête et du pelvis ou des membres inférieurs (penser : qu’est-ce qui a été lésé « entre » ?)
• Le patient présente des lésions par coups de couteau dans le cou, la partie haute de l’abdomen ou des blessures par arme à feu quelle que soit la région du cou et du torse
• La cavité pleurale culmine 2,5 cm au-dessus du tiers médian de la clavicule et atteint la 8e côte sur la ligne médioclaviculaire antérieure et la 12e côte sur la paroi postérieure (figure 1.3)
Évaluation
• L’oxygène est administré avec un masque à haute concentration et la saturation capillaire en oxygène (SpO2) est monitorée
• une tamponnade cardiaque doit aussi être envisagée. elle est considérée comme un problème circulatoire plus que thoracique
• Inspection :
— le patient est-il calme ou au contraire confus, agité, opposant (toujours exclure une hypoxie ou un choc avant de l’attribuer à une intoxication) ?
— rechercher une distension des veines jugulaires (si le cou n’est pas caché par un collier cervical) qui indiquerait un pneumothorax sous tension ou une tamponnade
— évaluer rapidement la fréquence respiratoire et la mobilité du thorax (amplitude, symétrie de la respiratoire, mouvement paradoxal). Cette analyse est, au mieux, faite en se plaçant au pied du patient, surtout si le patient est intubé et ventilé, ce qui rend les mouvements paradoxaux moins visibles)
— en cas de lésion fermée, noter les hématomes, les contusions et traces (ceinture de sécurité, colonne de direction, traces de pneu…)
• Palpation :
— thorax : rechercher attentivement un emphysème, des crépitants, des zones douloureuses et déformations devant, sur les côtés et aussi loin que possible en arrière. Commencer avec les mains de chaque côté du sternum et réaliser un examen systématique
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