Chapitre 1 La placentation humaine
La placentation humaine est caractérisée par le développement d’un placenta hémochorial et de façon concomitante par des modifications considérables de la vascularisation de l’utérus. La cellule trophoblastique est la cellule essentielle du placenta. Après la phase d’implantation, le trophoblaste se différencie d’une part en trophoblastes villeux qui assurent les échanges fœtomaternels et les fonctions endocrines du placenta, et d’autre part en cytotrophoblastes extravilleux invasifs, permettant l’ancrage du placenta au niveau utérin. Nous décrirons les différentes étapes de la morphogenèse placentaire ainsi que les mécanismes physiologiques responsables du remodelage vasculaire utérin.
Nous aborderons ensuite les principales fonctions du placenta humain.
Le développement placentaire
Développement morphologique du placenta humain
La placentation humaine est de type hémomonochorial. Son développement peut être divisé en trois stades : prélacunaire, lacunaire et villeux (figure 1.1).

Figure 1.1 Représentation schématique des principales étapes du développement placentaire humain.
A et B : stade prélacunaire ; C : stade lacunaire ; D : stade villeux et villosités primaires ; E : stade villeux et villosités secondaires ; F : stade villeux et villosités tertiaires.
BP : plaque basale ; CP : plaque choriale ; CT : cytotrophoblaste ; D : décidue ; E : épithélium endométrial ; EB : bouton embryonnaire ; EM : mésoderme embryonnaire ; EV : vaisseau endométrial ; G : cellules géantes ; J : zone jonctionnelle ; L : lacunes de sang maternel ; PB : lit placentaire ; RF et NF : fibrinoïde ;
ST : syncytiotrophoblaste ; TS : coque cytotrophoblastique ; X: trophoblaste extravilleux.
(d’après Berniscke et Kaufmann, 2000)
Stade prélacunaire
Six jours après la fécondation, le blastocyste limité par une assise cellulaire, le tropho-ectoderme, s’accole à l’épithélium utérin. Puis, à partir du trophectoderme se différencie une assise cellulaire interne, constituée de cytotrophoblastes. Ces cellules fusionnent pour former un vaste syncytium formant l’assise cellulaire externe appelée syncytiotrophoblaste. Ce dernier, très invasif à ce stade, pénètre l’épithélium utérin et envahit l’endomètre, grâce à son activité protéolytique ; il en résulte la nidation du blastocyste au sein de la muqueuse utérine.
Stade lacunaire
Vers le 8e jour suivant la fécondation, des vacuoles apparaissent dans cette masse syncytiale. Ces vacuoles vont progressivement former des lacunes entre les travées syncytiales. Ces lacunes forment un espace qui deviendra la chambre intervilleuse.
Stade villeux
Au 13e jour, les cytotrophoblastes, qui étaient encore limités à une assise interne, vont envahir les travées de syncytium formant ainsi les villosités choriales primaires. Après 2 semaines, ces villosités primaires sont envahies par le mésenchyme embryonnaire et constituent les villosités secondaires. Enfin, les capillaires fœtaux apparaissent dans l’axe mésenchymateux, cette vascularisation caractérise la formation de la villosité tertiaire. En parallèle, le réseau vasculaire fœtal de l’allantoïde atteint la plaque choriale et se connecte aux vaisseaux des troncs villositaires. La villosité choriale apparaît dans sa constitution définitive vers la 3e semaine après la fécondation. À terme, le placenta est un disque d’environ 20 cm de diamètre et de 3 cm d’épaisseur qui pèse approximativement 500 g. La face fœtale est appelée plaque choriale alors que la face maternelle est appelée plaque basale. Entre ces deux plaques, les villosités choriales flottent dans la chambre intervilleuse dans laquelle circule le sang maternel. L’arbre villositaire est également constitué de villosités crampons, situées à la plaque basale et ancrées dans l’endomètre.
Les voies de différenciation de la cellule trophoblastique
La cellule trophoblastique est la cellule essentielle du placenta. Elle se différencie d’une part en trophoblastes villeux qui assurent les échanges fœtomaternels et les fonctions endocrines du placenta, et d’autre part en cytotrophoblastes extravilleux invasifs, indispensables à l’implantation et au remodelage des vaisseaux utérins. La différenciation du cytotrophoblaste est résumée dans la figure 1.2.
Le cytotrophoblaste villeux fusionne et forme le syncytiotrophoblaste. Le cytotrophoblaste extravilleux (CTEV) prolifère puis devient invasif et migre dans la décidue et le myomètre (CTEV interstitiel). Il colonise les vaisseaux maternels (CTEV vasculaire) ou se différencie en cellules géantes plurinucléées.
Trophoblaste villeux
L’unité structurale et fonctionnelle du placenta humain est la villosité choriale. Les villosités sont de deux types : villosités flottantes ou villosités crampons. Les premières baignent librement dans la chambre intervilleuse alors que les secondes sont ancrées dans l’endomètre maternel. Elles sont délimitées par une double assise de cellules épithéliales : le cytotrophoblaste villeux, mononucléé, et le syncytiotrophoblaste multinucléé, entourant un axe mésenchymateux, contenant des vaisseaux fœtaux et des cellules immunitaires (macrophages : cellules de Hofbauer).
Le syncytiotrophoblaste naît de la fusion des cytotrophoblastes villeux. Une fois formé, ce syncytiotrophoblaste évolue vers une mort cellulaire par apoptose, aboutissant à la formation de débris syncytiaux polynucléés libérés dans la circulation maternelle (Syncytial Knots des Anglo-Saxons). De fait, le renouvellement du syncytiotrophoblaste à partir du cytotrophoblaste est un phénomène continu tout au long de la grossesse. Ces débris syncytiaux, plus importants lors de nombreuses pathologies d’origine placentaire (pré-éclampsie, trisomie 21, etc.), sont en grande partie à l’origine de l’ADN (acide désoxyribonucléique) et l’ARN (acide ribonucléique) fœtal circulant dans le sang maternel.
Le syncytiotrophoblaste borde la chambre intervilleuse et est en contact direct avec le sang maternel dès la fin du premier trimestre de la gestation. Il constitue la première couche de la barrière placentaire séparant la circulation maternelle et la circulation fœtale. Il remplit des fonctions métaboliques, sécrétrices, endocrines, d’échange et d’hémostase. De plus le syncytiotrophoblaste n’exprime pas les antigènes HLA (Human Leukocyte Antigen) classiques (A, B et C) [1, 2].
La compréhension des mécanismes impliqués dans la différenciation du cytotrophoblaste villeux en syncytiotrophoblaste a largement bénéficié de la possibilité d’isoler, de purifier et de maintenir ces cellules en culture [3–5]. La fusion des cytotrophoblastes est modulée in vitro par divers facteurs solubles, d’origine placentaire ou déciduale tels que l’hCG (hormone chorionique gonadotrope), des facteurs de croissance (EGF : Epidermal Growth Factor, CSF : Colony-Stimulating Factor) [6] et des cytokines (TGF-β : Transforming Growth Factor _, LI F : Leukocyte migration Inhibition Factor) [7, 8], l’œstradiol [9], la pression partielle en oxygène [10] et l’expression d’une protéine rétrovirale, la syncytine [11, 12], ou de jonctions communicantes dont la connexine 43 [13, 14].
La différenciation morphologique par fusion des cytotrophoblastes villeux s’accompagne d’une différenciation fonctionnelle. Le syncytiotrophoblaste devient l’unité endocrine du placenta, secrétant de nombreuses hormones polypetidiques et stéroïdiennes (hCG, hormone lactogène placentaire (human Placental Lactogen, hPL), hormone de croissance placentaire (PGH), leptine, progestérone, œstrogènes, ainsi qu’une grande variété de facteurs de croissance, cytokines et autres peptides impliqués dans la physiologie de la gestation) [15–17]. Il développe les fonctions d’échange, et exprime les protéines vectrices permettant le transport actif des acides aminés, les molécules porteuses autorisant la diffusion facilitée du glucose. En contact direct avec le sang maternel, il exprime des facteurs impliqués dans la régulation de l’hémostase tels que la thrombomoduline et l’annexine V [18–22].
Trophoblaste extravilleux [23, 24]
Les cytotrophoblastes extravilleux situés à la base de la villosité crampon (figure 1.3) apparaissent comme des colonnes de cellules polarisées, agrégées les unes aux autres, reposant sur une lame basale. Elles sont à ce stade prolifératives puis elles perdent leur caractère prolifératif et se différencient en cytotrophoblastes invasifs, à la partie distale de la colonne. Ces cellules, extrêmement invasives, colonisent l’endomètre et le myomètre superficiel. Cette invasion définie comme interstitielle se termine en profondeur par la formation de cellules géantes multinucléées. Les trophoblastes invasifs colonisent de plus les artères spiralées maternelles. On observe alors des bouchons de cellules trophoblastiques obstruant la lumière de ces artères spiralées. De ce fait, les éléments figurés maternels (notamment les hématies) ne sont pas observés dans la chambre intervilleuse durant les 8 premières semaines de gestation. Il en résulte un environnement placentaire pauvre en oxygène (pO2 ou pression partielle en oxygène à 20 mmHg à 8 SA ou semaines d’aménorrhée). Ces bouchons disparaissent progressivement à partir de 10 SA, ce qui permet l’entrée progressive du sang maternel artériel dans la chambre intervilleuse (pO2 à 55 mmHg à 12 SA). Cette invasion de la paroi artérielle par la cellule trophoblastique extravilleuse conduit à une disparition totale de la tunique musculaire lisse artérielle et des cellules endothéliales maternelles qui sont remplacées par le trophoblaste extravilleux. La tunique de l’artère devient atone, insensible aux éléments vasoactifs.
Ces cellules trophoblastiques extravilleuses endovasulaires sont au contact du sang maternel. Leur sécrétion peut alors agir de manière endocrine ou paracrine sur l’organisme maternel et de plus ces cellules peuvent être entraînées dans la circulation systémique maternelle (cellules trophoblastiques circulant dans le sang maternel).
Il faut noter que ce trophoblaste invasif interstitiel, endo et périvasculaire est en contact direct avec les cellules immunocompétentes maternelles notamment de la décidue. Il exprime des molécules HLA spécifiques, notamment l’HLA G non reconnue par le système immunitaire maternel [25, 26]. De plus par la sécrétion de diverses cytokines, il est un acteur majeur du non-rejet de l’unité fœtoplacentaire par la mère [27–30].
Anatomie placentaire
Le placenta humain est un organe transitoire ayant l’aspect d’une galette. À terme il mesure environ 25 cm de diamètre et 4 cm d’épaisseur. La figure 1.4 (voir cahier couleur en fin d’ouvrage) illustre le placenta humain à terme vu par sa face fœtale ou plaque choriale (A) et par sa face maternelle ou plaque basale (B). Le cordon ombilical s’insère sur la plaque choriale le plus souvent en région centrale ou paracentrale. Au niveau de cette insertion cordonale, les deux artères et la veine se divisent en de nombreux vaisseaux qui cheminent le long de la plaque choriale avant de plonger en profondeur dans l’arbre villositaire. La plaque basale est constituée d’un fin liseré de décidue mesurant environ 2 mm d’épaisseur. Elle correspond donc à du tissu d’origine maternelle.
La circulation utéroplacentaire
Physiologie de la circulation utéroplacentaire [31]
Le sang maternel entre dans l’utérus via les artères utérines et les artères ovariennes. La proportion du débit cardiaque maternel qui va perfuser l’utérus et la chambre intervilleuse augmente progressivement pouvant atteindre en fin de grossesse 20 à 25 % du débit cardiaque maternel. La croissance fœtale est dépendante de la perfusion de la chambre intervilleuse par le sang maternel. En début de grossesse, le rendement placentaire est faible mais le volume embryonnaire étant 6 fois inférieur au volume placentaire, le développement et la croissance de l’embryon sont possibles. Le débit utérin est estimé à 50 mL/min vers 10 SA. Au fur et à mesure que la grossesse évolue, les besoins nutritionnels du fœtus augmentent. Le rendement fonctionnel du placenta s’accroît puisque le rapport du volume fœtal sur le volume placentaire passe à 6/1 en fin de grossesse. Le débit utérin est alors estimé à 600 mL/min [31]. Cette augmentation considérable du débit utéroplacentaire est en partie liée à l’élévation du débit cardiaque maternel global, mais surtout au remodelage de la paroi des artères utéroplacentaires. En fin de grossesse, la chambre intervilleuse contient environ 150 mL de sang maternel, volume qui est totalement renouvelé 3 à 4 fois par minute. Il faut noter que lors des contractions utérines, le débit utéroplacentaire diminue mais le volume total de placenta reste constant, ce qui suggère que le volume total de sang maternel demeure stable (le sang maternel n’est pas chassé hors de la chambre intervilleuse lors des contractions utérines). De ce fait, les transferts en oxygène de la mère au fœtus sont maintenus. Les modes circulatoires du sang maternel au sein de la chambre intervilleuse sont mal connus. Le sang maternel entre dans la chambre intervilleuse sous forme d’un jet produit par la pression artérielle maternelle. Le sang maternel circule ensuite autour des villosités placentaires permettant les échanges entre la mère et le fœtus. Le drainage vers la circulation maternelle systémique se fait via des plexus veineux myométriaux organisés en un système anastomotique. Mais la répartition des flux au sein de la chambre intervilleuse et les mécanismes responsables du brassage du sang maternel ne sont pas connus. Ces phénomènes jouent cependant un rôle capital dans les échanges entre la mère et le fœtus.
Remodelage des artères utérines
Le remodelage des vaisseaux utérins est un processus physiologique crucial pour le bon développement et la bonne croissance du fœtus. À la lueur des travaux actuels, les modifications de la vascularisation de l’utérus gravide peuvent être schématiquement divisées en trois étapes :
Remodelage indépendant de l’invasion trophoblastique
Il semblerait qu’une partie des modifications vasculaires des artères spiralées au cours de la grossesse soit totalement indépendante des effets trophoblastiques.
Les modifications initiales des artères utéroplacentaires comportent une désorganisation généralisée de ces artères avec une vacuolisation endothéliale, une désorganisation des cellules musculaires lisses et une dilatation luminale [32, 33]. Ces modifications structurelles surviennent très précocement, dès 5 SA, avant le processus d’invasion trophoblastique et surviennent aussi bien dans la zone d’implantation que dans la portion déciduale non concernée par la placentation [32]. Par ailleurs, ces modifications sont également retrouvées en cas d’implantation extrautérine [33]. Les molécules possiblement impliquées dans ce remodelage de la vascularisation utéroplacentaire sont des facteurs angiogéniques produits par le trophoblaste villeux et résumés dans l’encadré 1.1.
Encadré 1.1
Facteurs angiogéniques produits par le trophoblaste humain
VEGF-A, B, C [38] (Vascular Endothelial Growth Factor A, B, C)
PlGF [38] (Placental Growth Factor)
FGF [42] (Fibroblast Growth Factor)
hCG [41] (hormone chorionique gonadotophique)
PDGF [45] (Platelet-Derived Growth Factor)
EGF [46] (Epidermal Growth Factor)
Remodelage vasculaire induit par des facteurs diffusibles issus du trophoblaste extravilleux interstitiel
Comme nous l’avons mentionné précédemment, la dilatation artérielle commence chez la femme avant l’invasion des artères par les trophoblastes [32, 34]. Ce remodelage associe un amincissement de la média et des dépôts fibrinoïdes au sein de la paroi artérielle [33]. Ainsi, certaines études ont suggéré la synthèse et la sécrétion de vasodilatateurs tels que l’oxyde nitrique (NO) et le monoxyde ce carbone (CO) par les cellules avoisinant les artères utérines. Par ailleurs, le cytotrophoblaste extravilleux sécrète des facteurs angiogéniques qui pourraient être impliqués dans le remodelage vasculaire (encadré 1.1). Le plus connu parmi eux est le VEGF-A (Vascular Endothelial Growth Factor A) [35–37]. Le VEGF-A est sécrété par les cellules trophoblastiques de la villosité ainsi que par les cytotrophoblastes extravilleux tout au long de sa voie de différenciation dans l’utérus [38]. Il pourrait donc être responsable de l’angiogenèse utéroplacentaire soit par un mode paracrine (VEGF sécrété par le trophoblaste extravilleux) soit par un mode endocrine (VEGF secrété par les trophoblastes de la villosité). La cellule trophoblastique sécrète également du PlGF (Placental Growth Factor), du VEGF-C, facteurs stimulant la survie endothéliale et le remodelage vasculaire [38, 39]. Enfin, il a récemment été montré que l’hCG produite par les cytotrophoblastes villeux et extravilleux possède des propriétés angiogéniques similaires à celles du VEGF et que le récepteur de l’hCG (récepteur hCG/LH [Luteinizing Hormone]) est présent à la surface des cellules endothéliales des vaisseaux utérins [40, 41]. Tous ces éléments suggèrent que des facteurs trophoblastiques sont directement impliqués dans des processus d’angiogenèse utérine et de remodelage des vaisseaux utérins indépendamment de l’invasion de la paroi des vaisseaux par les cellules trophoblastiques.

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