La sénescence ou vieillissement est donc un âge de la vie, le troisième, après l’âge de la croissance et l’âge adulte. La sénescence, phénomène directement lié à la vie, aboutit, tôt ou tard, à l’ état sénile ou sénilité, état déficitaire qui par ses manifestations cliniques constitue une condition pathologique. S’il est probable qu’il existe une sénescence « physiologique » non pathologique du cerveau, il est difficile d’en saisir les conditions et les limites ; il y aurait lieu, peut-être, de la séparer le plus nettement possible de la pathologie mentale de la sénilité (Marchand). Cependant la distinction entre le vieillard « normal » et le vieillard « malade » paraît artificielle à Bourlière (1958) qui pense finalement que la sénilité pathologique n’est que la simple exagération ou l’accélération des processus normaux de sénescence.
Sénescence « normale »…
et sénilité « pathologique ».
La Sénescence ou Vieillissement
Comme aux autres périodes de la vie, on peut admettre une psychologie de la sénescence, conditionnée d’une part par l’état physiologique et d’autre part par l’état des relations et des possibilités d’adaptation sociale propres à cet âge, ou si l’on veut, par la « position existentielle » de l’homme dans la dernière partie de sa vie et devant la mort. Tel est en somme le terrain très spécial sur lequel évoluent les troubles que nous étudierons dans ce chapitre. La condition psychologique et physiologique du vieillard a, en effet, une double influence sur la pathologie mentale de la sénescence : 1° en favorisant l’éclosion de ces troubles par suite d’un abaissement du niveau d’intégration d’un grand nombre de fonctions intellectuelles et d’aptitudes; 2° en déterminant pour une part une certaine spécificité des troubles en fonction des modalités de l’existence de l’homme à son déclin. Aussi devons-nous commencer l’étude de la pathologie mentale de la sénilité par la psychologie de la sénescence.
A. — PSYCHOLOGIE DU VIEILLARD
On peut diviser la sénescence en deux époques qui correspondent à une distinction habituelle : 1° la présénescence ou période d’involution, qui peut se situer entre 45 et 65 ans et 2° la vieillesse proprement dite, au-delà de 65 ans. Il est inutile de dire combien il est arbitraire de fixer ainsi ces limites pour un individu donné. Aussi ne doit-on voir dans la référence à ces âges que de simples repères.
I. — PRÉSÉNESCENCE
La psychologie de l’âge involutif est demeurée, en psychiatrie, plus tardivement descriptive que celle de l’adulte et de l’enfant. Ce n’est que récemment que des efforts de compréhension phénoménologiques et dynamiques de sa personnalité ont été tentés, le faisant bénéficier à son tour d’une approche déjà largement utilisée en psychopathologie générale et, notamment, comme nous l’avons vu, en pédo-psychiatrie pour la personnalité dans ses difficultés du développement, retard, arrêts ou régressions. C’est donc dans une perspective de sémiologie structurale que nous aborderons le comportement du vieillard. A l’encontre des descriptions classiques basées sur les « traits de caractère », observés et ressentis « intellectuellement » par l’observateur adulte, nous considérerons les comportements du vieillard « en situation », ce qui nous mènera à en chercher une explication conformément à l’analyse structurale qui, encore une fois, est la caractéristique de la psychiatrie de notre temps. En procédant ainsi nous constaterons que la personnalité du vieillard n’est pas un simple « objet » d’étude, un état statique, mais une personnalité fragilisée par la détérioration physiologique de ses fonctions physiques et psychiques, sensible aux agressions somatiques ou affectives et cherchant, comme aux autres âges, à maintenir un équilibre toujours précaire avec son environnement. Les traits de caractère : égocentrisme, attachement excessif aux biens, réduction des intérêts, refuge dans le passé, évitement du changement, etc., deviennent dans cette perspective des tentatives de défense contre le milieu autant que des tentatives d’adaptation à ce même milieu devenu de plus en plus difficile et parfois hostile. On voit que cet « état » est encore à cet âge un « devenir » (Ageing processes).
La persective de la gérontopsychiatrie est en traint de se renouveler.
En fait, comme nous le verrons, ce mode d’abord du vieillard a des conséquences pratiques considérables. La description « objective » de la psychologie classique implique de l’observateur le rejet inconscient d’une relation interpersonnelle authentique et, comme le fait remarquer Cl. Balier (1965), c’est peut-être une répulsion naturelle de la vieillesse qui motive cette attitude descriptive qui conduit à classer les conduites des personnes âgées dans des inventaires de traits de caractère et de symptômes assortis forcément et surtout d’une valeur péjorative (1). Par contre, l’abord du vieillard, dans une attitude « relationnelle », comme nous l’avons déjà fait remarquer à propos de la relation avec les autres malades, contient déjà une attitude thérapeutique en soi. Pour parvenir à cette relation compréhensive du vieillard, nous devons bien entendu commencer par une estimation précise de son déficit puis analyser la transformation subie par sa personnalité, sa nouvelle façon de réagir devant son déficit, son effort pour s’adapter à la nouvelle situation créée par son vieillissement. En somme, nous chercherons à voir finalement ce qu’il y a de changé, de nouveau, en nous gardant bien de définir la personnalité du vieillard seulement en termes de déficit, par référence plus ou moins consciente à l’âge adulte.
1° Aspect déficitaire. — On sait depuis les travaux de G. Ehinger (1927), K. Weiss (1927), S. Pacaud (1948, 1953), W. R. Miles (1933), D. Price (1931), P. R. Bize (1945), A. J. Welford (1953, E. Birren (1954), que le vieillissement des capacités mentales et des aptitudes commence très tôt. En effet, les meilleures performances portant sur l’ensemble des aptitudes (mémoire d’évocation d’un récit, mémoire topographique, compréhension des problèmes techniques, temps de réaction auditif ou visuel, force et fatigabilité musculaires, habileté manuelle, cadence de travail, etc.) se situent autour de la trentaine (c’est déjà l’âge critique des sportifs). A partir de cet âge, les tests montrent une détérioration progressive, dite détérioration physiologique. Mais ce n’est que vers l’âge de la présénescence que les courbes s’infléchissent d’une manière èvidente et prennent une expression clinique. Notons que les performances se détériorent beaucoup moins vite, d’une manière générale chez les sujets bien doués et cultivés, d’autre part cette détérioration ne commence pas à des périodes chronologiques identiques pour chacune des capacités (notion de vieillissement différentiel).
Le déclin des aptitudes et fonctions sensorielles et psychiques.
Nous passerons maintenant en revue les divers aspects de ce déficit qui se manifeste par la détérioration des capacités mentales, sensorielles, motrices et de l’état physique.
La mémoire révèle aux tests des signes déficitaires, particulièrement en ce qui concerne la fixation et l’évocation des souvenirs récents. Il en est de même de l’attention. L’imagination également est moins vive. Le sujet est plus sensible à la fatigue, sa puissance de travail est plus ou moins réduite. L’effort est plus difficile à soutenir. Ces modifications s’expriment par une réduction de la curiosité intellectuelle, une baisse du dynamisme et de l’initiative, le sentiment d’une tristesse vague et parfois un état d’irritabilité et d’impatience.
Les fonctions sensorielles et motrices, comme les différentes fonctions organiques, présentent chez les sujets que nous étudions des modifications survenant en dehors de toute altération pathologique. Citons comme exemple très caractéristique la diminution du pouvoir accommodateur de l’œil qui devient nettement gênante vers 48 ans en moyenne. La sénescence auriculaire débute autour de la quarantaine. Après 45 ans, même dans les cas les plus favorisés, l’oreille a perdu sa finesse (M. Aubry).
De même les réactions psycho-motrices aux divers stimuli, leur adaptation à telle ou telle tâche, la fatigabilité musculaire sont nettement modifiées à partir de 45 ans (Pacaud).
L’aspect général reflète le vieillissement, la silhouette s’alourdit par un embonpoint qui prédomine dans certaines régions (ventre, hanches). La peau perd son hydratation et son élasticité, elle se ride, les varicosités s’accusent, les veines deviennent saillantes, les cheveux blanchissent et deviennent rares.
La capacité génésique décline parallèlement aux autres fonctions biologiques, mais la diminution de la libido serait accélérée par les stéréotypes sociaux.
L’apparition de ces manifestations cliniques de la sénescence entraîne un changement progressif et parfois brusque des relations sociales de l’homme ou de la femme qui vieillissent. Dans le milieu du travail, ce sont les difficultés pour le maintien de l’emploi (baisse de l’efficience de l’adaptation, détérioration de la tenue ou de la présentation, etc.) ou les difficultés dans la recherche d’un nouvel emploi, enfin et surtout les réactions à la retraite. Les relations avec le milieu familial et social sont modifiées par l’attitude des enfants et plus généralement de la génération suivante, qui paraissent à l’homme qui vieillit ne plus penser comme lui, ne plus lui témoigner assez de gratitude ou de respect. Les relations sexuelles, au sens large, sont complètement modifiées par le vieillissement physique et la diminution de l’attirance.
Modifications situationnelles.
2° Réactions de l’homme devant la situation créée par son vieillissement. — Les éléments déficitaires et négatifs que nous venons de voir entrainent donc aussi bien pour 1’homme que pour la femme une disparition plus ou moins complète de leurs objets habituels d’investissement énergétique et libidinal, d’où la fréquence des réactions de désadaptation ou de crise, tant que l’un comme l’autre n’auront pas établi un équilibre propre à leur âge à la mesure des capacités qu’ils conservent. De sorte que la physiologie de la sénescence doit tenir compte aussi d’une part positive qui, dans les meilleurs cas, peut utiliser encore des énergies créatrices. C’est dans cette perspective que la vieillesse a pu apparaître paradoxalement comme un véritable épanouissement de l’âge critique (Dublineau, 1948). Toutes ces marques sont déjà devenues des lieux communs. Aussi, doivent-elles être assorties d’une observation importante car nous ne devons tout de même pas oublier le mouvement de déclin que représente la vieillesse. A rencontre de l’enfant ou de l’adulte, le sénescent doit, non seulement s’adapter au milieu mais, en outre, à sa propre vieillesse. Normalement l’enfant n’a pas à s’adapter à son enfance ni l’adulte normal à sa maturité, toutes les virtualités de l’être en développement ou en épanouissement le dirigent, sauf agénésie ou régression, vers l’adaptation au monde et à la conquête de celui-ci. C’est précisément cette modification de la relation énergétique avec le milieu qui survient au cours de la sénescence qui est la caractéristique essentielle de la crise existentielle de cet âge. En termes psychanalytiques c’est, comme nous l’avons dit plus haut, une modification de la relation objectale. Or si l’on se représente « les relations objectales comme un écoulement d’énergie instinctuelle, mouvements contrôlés et aménagés par le « Moi » vers les objets extérieurs » (Bouvet, 1956) et que l’on en rapproche le décalage banal, et observé de tout temps, du vieillissement moins rapide du « Moi » que celui des aptitudes (autre manifestation du vieillissement différentiel), on en déduit toutes les manifestations critiques du « climaterium ».
La situation existentielle du vieillissement.
Il faut donc situer le stade de la vieillesse dans l’évolution de la personnalité non plus en terme d’aptitudes mais se la représenter, comme on se représente l’enfance, l’adolescence ou la maturité, comme une expérience humaine nouvelle qui intègre les expériences des stades précédents dans un effort d’adaptation au milieu.
L’adaptation à la vieillesse est donc chose délicate et dépend beaucoup de la personnalité antérieure comme nous aurons l’occasion de le revoir à plusieurs reprises. « On vieillit comme on a vécu ». On doit ainsi définir le bien vieillir, but de l’hygiène mentale propre à cet âge. Après avoir surmonté la crise du « climaterium », le sujet doit accepter son âge, quitter sans amertume son champ de travail ou d’action mais rester actif. Il regroupera ses forces jusque-là étalées, les mettra au service d’une activité, parfois d’une nouvelle tâche, proportionnée à ses moyens. Il s’adaptera à son nouveau genre de vie en tenant compte de son état organique, de ses capacités mentales, de l’attitude de son entourage (modifiée par son vieillissement). Il s’efforcera de collaborer avec les générations nouvelles. Il paraît certain que l’homme âgé et le vieillard ont leur place dans tous les groupes humains et doivent participer encore activement pour le profit de tout le groupe à cette collaboration de la tradition et du progrès qui doit unir les trois générations. La réduction du désir érotique, qui n’est pas éteint, doit être acceptée. L’énergie libidinale peut se sublimer dans un autre système de valeurs propres à cet âge. On tend toutefois à admettre maintenant que la fonction sexuelle, comme les autres, peut être maintenue en activité. Cependant l’affaiblissement des pulsions libidinales et peut-être d’une manière plus générale le retrait de la compétition sont susceptibles d’entraîner une certaine sérénité, une plus grande pondération du jugement, une plus grande finesse intellectuelle.
Mais cette acceptation du « bien vieillir » ne va pas toujours de soi et l’homme ou la femme qui vieillit peut présenter des attitudes réactionnelles moins bien réussies. Ces réactions dépendent, d’une manière générale, de l’intensité et de la rapidité avec laquelle surviennent les manifestations de détérioration somatique et surtout de la structure de la personnalité antérieure. Il est d’observation banale de retrouver amplifiées dans le caractère du vieillard des tendances caractérielles antérieures et une immaturité de la personnalité que l’on retrouve facilement par l’anamnèse. Rappelons que les réactions que nous envisageons dans ce paragraphe ne sont pas pathologiques en soi. Il serait plus exact de dire que le « Moi » du sujet sénescent, dans ses fonctions d’adaptation et d’investissement, bute contre la réalité qui l’entoure et ne parvient plus à investir dans le monde extérieur les énergies qui émanent des appétits et des pulsions, encore vives et parfois exacerbées.
La réaction la plus banale chez l’homme comme chez la femme semble être une régression narcissique, le sujet ayant moins à attendre sur le plan libidinal, revient en quelque sorte à un stade prégénital. On a pu voir dans les recherches de prestige social, d’honneurs, l’émergence des thèmes de grandeur et de puissance qui accompagnent ce stade prégénital. Chez la femme on a remarqué que la renonciation à la vie génitale est beaucoup plus facile lorsqu’elle se trouve bien intégrée dans une activité professionnelle ou sociale. On peut utiliser les ressources de bon aloi à présent offertes à la femme pour prolonger la présentation de sa féminité.
Régression narcissique.
Dans d’autres cas, n’ayant pu liquider des désillusions antérieures et ne pouvant plus espérer un rattrapage, le sujet se replie sur lui-même dans une solitude misanthropique plus ou moins amère avec refus de toute aide morale qui pourrait lui être offerte.
Le défaut d’acceptation des nouvelles conditions d’existence créées par la sénescence peut se traduire par une réaction globale de refus : refus d’admettre le vieillissement des capacités intellectuelles, le vieillissement physique et la baisse de la sexualité. On dirait que ces sujets cherchent toujours « à atteindre ce que névrotiquement ils n’ont jamais atteint ». Le sujet ne sait se retirer à temps d’un travail ou de responsabilités qu’il ne peut plus assumer. Il se surmène et doit se doper pour ne pas abdiquer, ou encore il cherche satisfactions et des succès réservés à un autre âge.
Réaction de refus.
La frustration libidinale et des biens de la jeunesse peut entraîner une réaction de révolte et d’agressivité à l’égard de la génération suivante avec les traits bien connus du vieillard impatient, autoritaire, hargneux et ayant une propension à critiquer « la jeunesse actuelle ».
La vieillesse peut servir de refuge à certains sujets un peu comme à un autre âge la névrose, en exagérant certaines précautions, en fuyant des responsabilités qui pourraient encore être normalement assumées, en accusant sa situation de dépendance, le vieillard peut tirer quelque bénéfice secondaire de son âge.
Ou encore refuge.
Enfin, il peut réagir par une attitude dépressive. Cette régression dépressive mineure peut s’expliquer par le retrait des investissements dont nous avons parlé plus haut et qui s’exprimeront d’une manière évidente dans les états mélancoliques par la perte de l’objet. Le sujet éprouve plus ou moins péniblement son amoindrissement. Il ne se résigne pas à mener une vie moins active. Déçu de ne pas être parvenu à la situation qui avait été l’objet des rêves de sa jeunesse, sa dépression peut être aggravée par la conscience d’erreurs antérieures qu’il peut maintenant mesurer. A l’incertitude matérielle et à la charge qu’il craint d’imposer aux siens ou encore à la perspective d’avoir à recourir à l’un des modes si souvent dérisoires de l’assistance « aux vieux », l’homme vieillissant peut réagir par une angoisse somme toute légitime.
et dépression.
Les réactions psychologiques au déclin.
II. — LA VIEILLESSE
Nous ne reviendrons pas sur la détérioration des capacités opératoires de l’intelligence (attention, mémoire…) ni sur celle des aptitudes qui, nous le savons, a débuté parfois bien avant 65 ans, elles deviennent seulement plus accusées ou plus évidentes.
Nous insisterons seulement sur un groupement de petits traits psychologiques que r on peut dénommer l’inertie psychique, sorte de « psychosclérose » caractérisée par :
1° La perte de la liquidité mentale. — Cette caractéristique décrite par Ziehen (1911) consiste dans la difficulté qu’éprouve le vieillard à mobiliser facilement ses souvenirs et d’une manière générale ses opérations intellectuelles. L’activité psychique est frappée d’une sorte d’inertie. Il en résulte un manque de spontanéité et de rapidité dans les processus de la pensée (stagnation, persévération).
La « sclérose psychique » du vieillard.
2° La difficulté d’acquisitions intellectuelles nouvelles. — Elle est très typique. Le vieillard peu évolué au point de vue intellectuel ne sait pas par exemple profiter des loisirs de la vieillesse pour acquérir de nouvelles notions, tandis que chez les sujets intelligents et cultivés on observe une fixation de l’intérêt qui se limite aux problèmes qui les ont antérieurement intéressés. Mais l’absence d’acquisitions nouvelles ne signifie pas forcément, comme le fait remarquer P. Castaigne (1955), l’arrêt de toute évolution; le perfectionnement des connaissances anciennes, l’approfondissement de leur signification ou de leur valeur relative et enfin leur synthèse peuvent encore permettre un travail intellectuel valable.
3° La difficulté croissante de l’adaptation à des situations nouvelles — Cette difficulté découle directement du vieillissement des aptitudes qui met le sujet âgé en état d’infériorité devant toute situation imprévue. Mais nous verrons plus loin qu’il s’agit très souvent aussi d’une attitude réactionnelle, d’un refus découlant d’un sentiment d’infériorité et non pas forcément d’une impossibilité absolue d’adaptation.
4° Le radotage et le rabâchage. — La fixation de l’activité mentale s’exprime cliniquement par un trait spécifique du vieillard qui le porte à toujours parler des mêmes choses, à ramener la conversation écrite ou parlée sur les mêmes sujets.
5° Les modifications de l’affectivité. — La modification affective la plus importante est la diminution du contrôle des réactions émotives.
— Réactions de compensation du vieillard. — Sa moindre faculté d’adaptation, la réduction de ses moyens physiques et psychiques engendrent chez le vieillard les traits de sa psychologie propre que les syndromes psychopathologiques séniles ne feront que grossir plus ou moins démesurément. Ce sera par exemple une résistance aux changements (misonéisme) avec tendance au conservatisme, besoin de réaffirmation de sa personnalité morale et sociale, autoritarisme, crainte du manque d’égards, récriminations, dilection spéciale à revivre ou à louer le passé, etc. Ce sera aussi l’attachement excessif à la propriété pour satisfaire son besoin de sécurité matérielle, souvent précaire à cet âge, d’où pour reprendre le vocabulaire traditionnel : l’égoïsme, l’avarice et la méfiance.
B. — BIOLOGIE DE LA SÉNESCENCE NORMALE
Après avoir étudié les phénomènes de la sénescence au niveau supérieur d’intégration de la personnalité, voyons-les maintenant aux niveaux des organes, des tissus, des cellules et des molécules.
I. — L’INVOLUTION DU CERVEAU
Le processus d’involution — cérébrale notamment — est très complexe. Les mécanismes fondamentaux de ce processus nous échappent encore. Tous les êtres vivants à reproduction sexuée vieillissent, c’est-à-dire se modifient avec le temps dans le sens d’une diminution de leur performance, de leur potentiel reproducteur et de leur adaptabilité (F. Bourlière, 1983). Le phénomène du vieillissement est, globalement, une évolution régressive du métabolisme : rapport entre l’anabolisme et le catabolisme. L’organisme va être altéré plus ou moins tôt dans certains organes par hypertrophie du tissu conjonctif, et dans certaines fonctions de clairance et d’épuration plasmatique principalement, et aussi par tendance au tarissement de certaines sécrétions hormonales, et réduction des défenses immunitaires.
Le vieillissement cérébral.
Rappelons que les tissus des organes des vertébrés sont schématiquement composés de deux types de cellules, les unes renouvelables, elles sont la majorité, les autres non renouvelables, ces dernières comprennent les cellules ou neurones du cerveau qui sont incapables de division et de reproduction. Ainsi le cerveau humain possède à la naissance un capital de plusieurs milliards (environ 100 milliards, d’après David Hubel, prix Nobel de physiologie, 1983) qu’il va « dépenser » tout au long de son existence sans pouvoir les remplacer. Ce dépeuplement du cerveau en neurones s’accentue à la période d’involution hormonale, 50 à 60 ans, où la perte est d’environ 100 000 neurones par jour ou davantage, comme nous le verrons au cours des états démentiels.
L’organisme humain est une intégration des fonctions neuro-physiopsy chiques…
Nous retrouverons plus loin les travaux des biologistes cellulaires à l’occasion des études des états déficitaires dont la frontière qui les sépare des états de vieillissement normal est parfois difficile à définir. D’autre part, comme le souligne F. Bourlière, on ne saurait sous-estimer le danger de la tendance de trop de biologistes moléculaires à considérer un organisme vivant comme une simple collection de clones de fibroplastes ou de cellules intermitotiques (celles qui ne se reproduisent pas). Une telle approche intraréductionniste sur laquelle peuvent s’élever des hypothèses et des théories innombrables peut être contraire à la réalité. Gar un organisme vivant est une structure, c’est-à-dire un système intégré dont les propriétés ne se résument pas à la somme de celles de ses constituants (ibid).
… Son vieillissement ne peut se réduire aux phénomènes neurochimiques.
II. — SÉNESCENCE TISSULAIRE, CELLULAIRE ET MOLÉCULAIRE
D’une manière générale le vieillissement cellulaire n’est pas un processus homogène. Ainsi le système nerveux central peut vieillir plus précocement et de façon isolée comme pourrait le faire un autre appareil, cardio-vasculaire, par exemple. Théoriquement, rappelons-le, la vieillesse n’est pas une maladie mais une étape de l’existence, partant fragile et exposée à de nombreuses affections. La plupart des auteurs sont d’accord pour caractériser cette étape par les processus que nous énumérerons en suivant le plan de S. Scheidegger (1983).
Le vieillissement cérébral, étape de l’existence.
Action conjuguée de plusieurs processus :
Appauvrissement en méta- boliseurs et organisateurs du cytoplasme ;
Réduction de l’activité enzymatique…
Le métabolisme général diminue et partant les émonctoires deviennent insuffisants dans leur fonction d’épuration. Cet appauvrissement du métabolisme résulte de la diminution de l’activité des systèmes enzymatiques sur les chaînes de dégradation ou de synthèse métabolique à tel point que cette réduction d’activité est un test de vieillissement.
La teneur en eau de la cellule — et particulièrement du neurone — se réduit avec l’âge. Les éléments de soutien prolifèrent. Au ralentissement des méta- bolismes s’associe un processus de solidification des albumines cellulaires, les solutions colloïdales se rétractent entraînant un ralentissement des échanges chimiques et partant une accumulation des scories, notamment la substance para-amyloïde proche de la substance amyloïde très riche en protéines que nous retrouverons dans les cerveaux séniles. La capacité de régénération des cellules qui, on le sait, ne concerne pas les neurones, diminue pour l’ensemble du tissu sénescent (tissu osseux, par ex.). Par contre, le poids des organes, y compris du cerveau, est diminué, en partie par la perte en eau.
… et de la teneur en eau de la cellule.
En ce qui concerne le vieillissement du système nerveux central qui nous intéresse plus particulièrement, il s’agit essentiellement d’une diminution de la substance grise, le cortex cérébral s’amincit, les sillons qui séparent les circonvolutions s’élargissent, les ventricules apparaissent agrandis et contiennent davantage de liquide céphalo-rachidien, on parle souvent d’hydrocéphalie interne a vacuo. Au cours du vieillissement peut se produire une prolifération gliale diffuse.
Il est important de souligner que les examens macroscopiques ou microscopiques de ces lésions morphologiques ne permettent pas d’établir une corrélation anatomoclinique évidente. Nous retrouverons ce flou des frontières entre le vieillissement normal et la détérioration pathologique en étudiant les démences.
Rôle des neuromédiateurs…
Par ailleurs, l’involution cérébrale est en partie due à la perturbation des systèmes neurotransmetteurs. Certains deviennent plus actifs, d’autres moins. Il est très difficile jusqu’à ce jour de mesurer directement le taux des neurotransmetteurs dans un tissu humain. Nous en reparlerons à propos des maladies démentielles qui ont fait l’objet d’un plus grand nombre de recherches dans ce sens.
Enfin, on peut ajouter qu’il existe (P. Berthaux, 1983) un prédéterminisme et un code génétique de l’involution cérébrale probablement lié à la longévité humaine. Il est possible aussi que le gène responsable, bien que jamais identifié, agisse par un dérèglement du système immunitaire.
… d’un facteur génétique…
…ou par un dérèglement immunitaire.
On sait que les molécules qui constituent les cellules et leurs noyaux de nos tissus, sont toutes en perpétuel mouvement et en perpétuel renouvellement ; or le taux de renouvellement (rate of turn over) se ralentit avec l’âge. La synthèse des protéines par exemple est beaucoup plus intense dans les tissus jeunes que dans les tissus séniles. L’étude des processus de cicatrisation et la culture des tissus ont permis de mettre en évidence les modifications de l’énergie cellulaire en rapport avec le vieillissement moléculaire.
Sénescence moléculaire.
En conclusion, « en dépit de la somme de connaissances déjà accumulées il n’est pas possible actuellement de connaître l’origine de la sénescence cérébrale », processus qui résulte probablement de l’action conjuguée des multiples facteurs dont nous venons de parler.
III. VITESSE DU PROCESSUS DE VIEILLISSEMENT. LA LONGÉVITÉ
On peut se demander quels sont les facteurs qui influencent la vitesse des divers processus d’involution. Ce sont d’abord des facteurs génétiques ainsi que nous l’avons vu. On a remarqué depuis longtemps que la longévité des ascendants avait une influence très nette sur celles des descendants. Mais le facteur génétique peut agir par l’intermédiaire d’une disposition héréditaire affectant un appareil tout autre que le système nerveux, comme on peut le constater en comparant les performances psychométriques de deux groupes de personnes âgées en bonne santé mentale et de même niveau socio-culturel et économique, dans l’un desquels on trouve de nombreuses affections cardio- vasculaires et l’autre paraissant indemne de manifestations athéromateuses dans les antécédents. La détérioration physiologique est nettement en avance dans le premier échantillon par rapport au second.
L’inégalité devane le vieillissement est en partie génétique,
Une certaine accélération du vieillissement de la personnalité s’observeaussi chez des sujets constitutionnellement fragiles aux diverses agressions vitales. C’est ainsi que l’on constaterait chez les porteurs d’affections psychosomatiques, les ulcères gastro-duodénaux, par exemple, un vieillissement plus rapide que chez les sujets normaux. Il est probable que les stress ressentis par le système nerveux ou l’appareil cardio-vasculaire, les deux systèmes les plus sensibles, sont à l’origine de beaucoup de phénomènes dits « de vieillissement prématuré » (École de Gérontologie du Centre Claude-Bernard).
… en partie anquise.
Rôle de l’environnement.
Nous ne reviendrons pas sur certaines conditions du vieillissement différentiel provenant du milieu (alimentation, intoxication, climat, etc.), de la culture du sujet (niveau des études, formation professionnelle, etc.) et du maintien en activité des différentes fonctions.
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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Évaluation Psychométrique
Les méthodes psychométriques peuvent jouer un rôle appréciable en association avec l’examen clinique. En effet, chez un sujet normal âgé, le déclin inhérent à son âge est souvent difficile à distinguer d’un déficit psycho-organique incipiens qui évolue vers un état démentiel. Pourtant, « les méthodes de la psychologie quantitative ne permettent que rarement d’établir à elles seules le diagnostic de démence dans la mesure où ce dernier implique l’existence d’une détérioration organique progressive et irréversible des fonctions cogni- tives » (J. Poitrenaud, 1985).
Psychométrie du vieillissement normal et pathologique
En revanche, ces méthodes peuvent aider le clinicien sur les points suivants : 1) Les troubles psychiques constatés sont-ils dus seimplement à l’âge ou sont-ils dus à une évolution organique démentielle? 2) S’agit-il d’un état aigu ou chronique ? 3) S’agit-il d’un état dépressif ou d’un état déficitaire organique ? 4) Enfin, certaines échelles d’appréciation peuvent permettre d’évaluer l’évolution d’une détérioration et de suivre les résultats d’une thérapeutique.
Nous ne ferons ici que citer les principaux instruments de mesure utilisés en géronto-psychiatrie.
1) Les tests psychométriques classiques : échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (1955), la batterie d”Halstead-Reiton (1974).
2) Les « Questionnaires de statut mental », qui sont des minitests où le sujet est invité à répondre seulement à des questions simples au lieu d’être soumis à des taches et des épreuves comme dans les tests précédents. Citons les questionnaires suivants les plus récents : le Short Portable Mental Status Questionnaire (S. P. M. S. Q.) de Pfeifîer (1975) et le Mini Mental State de Folstein et coll. (1975 et 1985).
INDEX BIBLIOGRAPHIQUE
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Les Troubles Mentaux de la Sénescence et de la Sénilité
Dans l’étude de la pathologie mentale de la sénilité, il est possible sinon facile de distinguer, au moins par l’évolution, les troubles mentaux qui ressortissent à de simples altérations fonctionnelles et à des comportements réactionnels, de ceux qui dépendent d’une déchéance lésionnelle progressive des cellules cérébrales.
Deux groupes:
a) psychoses et nevroses,
b) démences.
A) Le premier groupe sera constitué par les névroses, les états maniaco-dépressifs et les états délirants d’involution, tous ces états évoluent sans affaiblissement démentiel notable.
B) le Second groupe comprendra : a) les démences par atrophie cérébrale primitive comprenant : la démence sénile dégénérative et les démences atrophiques de la présinilité ; b) les démences artériopathiques.
A. — PSYCHOSES ET NÉVROSES D’INVOLUTION
Ces troubles se définissent par leur caractère non démentiel ou à faible potentialité démentielle ; ils se produisent soit dans le grand âge, soit le plus souvent à l’âge critique.
Étiologie générale. — Quelle que soit la perturbation organique décelable, rappelons au préalable en quoi la sénescence joue un rôle pathogène ou au moins de précipitation dans la psychopathologie de cet âge.
Nous avons vu que l’on pouvait soupçonner dans beaucoup de cas le rôle de la personnalité antérieure chez laquelle l’anamnèse permettait de retrouver l’immaturité et parfois des caractères prémorbides. Il faut cependant ajouter que de telles constatations n’ont pas encore fait l’objet d’études suffisamment vastes et suffisamment rigoureuses. Il est certain également que la régression capacitaire des fonctions mentales et l’affaiblissement des fonctions de contrôle doivent jouer un rôle en réduisant la marge d’adaptation en vertu d’un phénomène général, nous l’avons vu, appartenant à l’involution. Cependant, comme le fait remarquer Rouart (1963) il semble que la phase de présénescence psychogène que la phase avancée de vieillesse où l’on rencontre pourtant un affaiblissement global beaucoup plus manifeste. Cette remarque doit nous laisser supposer le rôle très important de certaines périodes d’âge plus pathogènes et aussi le rôle du milieu. Il est probable que l’âge adulte, tout dirigé vers une activité efficace et plus gratifiante, investit toutes les énergies vers des réalisations professionnelles, sexuelles, sociales satisfaisantes. Par contre, à la période de déclin, la réduction et même la suppression de l’activité professionnelle, chez la femme la vacance de la fonction maternelle par le départ des enfants, etc., placent les sujets dans une situation de caractère régressif par suite du retrait des investissements affectifs. Il semble, en somme, que la penode d involution soit un âge « moins intégrant » que celui qui le précède et que ce retrait d’un groupe intégré actif soit pathogène en soi. En contrepartie une bonne intégration à un groupe bien structuré peut prévenir les décompensations de cet âge. C’est ainsi que Postel et coll. (1962) ont trouvé une prédominance d’isolés, de veufs ou de divorcés, chez 100 vieillards internés pour « défaillance psychique » et que bien que la statistique ait été faite dans un hôpital recueillant électivement des religieuses atteintes d’affection mentale, aucune de celles-ci ne fut retrouvée dans la statistique, probablement en raison de la structuration sociale rigide des milieux conventuels auxquels elles appartiennent.
La phase la plus pathogéne pour la vie mentale est celle de la présénescence,
c’est-á-dire de la « retraite »,
ou, chez la femme, de la ménopause.
Nous ouvrirons ce chapitre par l’étude des psychoses de la ménopause qui permettra en quelque sorte de prendre une vue d’ensemble de la plupart des psychoses et des névroses d’évolution et de leur circonstances d’apparition.
I. — LES TROUBLES MENTAUX DE LA MÉNOPAUSE
L’éclosion fréquente des troubles mentaux à la période de la ménopause qui n’est pas encore celle de la vieillesse et encore moins celle de la sénilité est une constatation clinique très ancienne. Pourtant certains auteurs (autrefois Chaslin, plus récemment Hoven, 1932-1936) pensent que la ménopause ne peut être la cause de troubles mentaux. Toutefois, la plupart des classiques (Régis, Maranon, Runge, etc.) ou des auteurs récents acceptent, avec des réserves, dont nous reparlerons à propos des facteurs constitutionnels et réactionnels, la notion de troubles mentaux « climatériques ».
La ménopause constitue une étape inéluctable de la vie génitale de la femme liée au vieillissement progressif de l’ovaire et à la disparition du capital folliculaire (P. Mauvais-Jarvis). Le nombre des follivules ovariens est d’environ 5 millions chez l’embryon, de 300 000 à la naissance, de 30 000 à la puberté et de 0 après la ménopause.
L’involution des gonades…
… et le processus biologique de la ménopause.
Physiologiquement la ménopause confirmée se situe en France entre 50 et 55 ans, les ovaires ne répondent plus à la stimulation des gonadostimulines hypophysaires (FSH et LH) dont le taux plasmatique augmente par le mécanisme de servo-régulation hypophyso-ovarien.
On distingue généralement trois phases successives au cours de cette période d’involution ovarienne.
La préménopause. — Par suite de la fibrose qui l’envahit progressivement, l’ovaire perd peu à peu sa sensibilité aux stimulations des gonadotrophines hypophysaires, mais la persistance des follicules ovariens kystiques avec sécrétion de folliculine en excès et lutéinisation déficiente entraine un état de déséquilibre entre la folliculine et la progestérone au profit de la folliculine. Il en résulte cliniquement des perturbations du rythme menstruel; tantôt avance, tantôt retard des règles ou périodes d‘aménorrhée peuvent alterner avec des phases d‘hémorragie utérine. L’hyperfolliculinémie entraîne des troubles neuro-végétatifs : palpitations cardiaques, tachycardie, nausées, céphalées, vertiges, tension mammaire. Les dosages hormonaux montrent une augmentation des gonadotrophines et des œstrogènes et une diminution de la progestérone.
La ménopause proprement dite. — Cette phase est caractérisée par l’arrêt définitif de la menstruation dû à l’absence de sécrétion ovarienne (folliculine, lutéine). Mais l’hypophyse entre dans une phase d’hypersécrétion de gonadotrophines par manque de frénation et entraîne les troubles vaso-moteurs classiques de la ménopause (bouffées de chaleurs, sueurs profuses, palpitations, céphalées, vertiges, etc.). Nous savons que l’hyperfonctionnement hypophysaire peut ne pas se limiter aux secteurs gonadotropes mais déborder dans les secteurs corticotrope et thyréotrope, ainsi que dans le domaine diencéphalique (hypertension artérielle, hyperthyroïdie, obésité, etc.). Les dosages hormonaux montrent cette augmentation des gonadotrophines et la diminution des œstrogènes et de la progestérone.
La post-ménopause. — L’involution ovarienne est terminée, l’hypophyse involue à son tour et un nouvel état d’équilibre s’établit.
Mais n’oublions pas qu’en pathologie mentale, nous ne pouvons considérer la période de la ménopause sous le seul angle de l’involution ovarienne. Celle-ci, par l’arrêt définitif de la menstruation, doit être considérée seulement comme la manifestation la plus évidente de la crise qui ouvre la période d’involution et « une localisation parmi beaucoup d’autres des phénomènes de vieillissement » (Bricaire, 1963). C’est dire que la ménopause est inséparable non seulement des autres perturbations endocriniennes (diabète, hyperthyroïdie), organiques (hypertension, arthrose, ostéoporose, etc.) et morphologiques (décrépitude physique) qui peuvent apparaître à cet âge mais aussi, comme nous l’avons vu, de tous les facteurs affectifs psychologiques et situationnels, de toute l’attitude réactionnelle de la femme devant son vieillissement. Marañon (1956) fait remarquer que la femme moderne par sa plus grande intégration sociale aurait une conscience bien moins pénible de sa crise climatérique que ses devancières.
On peut considérer quatre facteurs importants dans le déterminisme des troubles de la ménopause : le déséquilibre endocrinien, l’involution générale de l’organisme et du psychisme, le mode de réaction psychique propre à chaque femme à sa nouvelle situation et enfin le terrain. C’est l’importance respective de chacun de ces quatre facteurs qui est en discussion. Certains auteurs ont pu dire que, en raison de cette complexité étiopathogénique, les psychoses de la ménopause n’existaient pas. En fait, il est certain que le déséquilibre endocrinien physiologique n’est pas une condition suffisante pour amener des perturbations psychiques, celles-ci exigent l’intervention des autres facteurs et c’est en définitive de leur sommation, en proportion variable pour chaque cas, que dépendent les troubles mentaux de la ménopause.
1° Les états névrotiques de la ménopause. — Ils sont moins fréquents qu’ils ne l’étaient lors de la première rédaction de ce manuel (1960). Ce qui prouve, entre parenthèses, l’incidence des conditions et des images sociales sur les conduites pathologiques. Cependant ces troubles n’ont pas disparu et méritent une mention. Ils réalisent selon la réactivité propre à chaque malade les troubles les plus divers. Ils sont contemporains du syndrome végétatif bien connu (céphalées, bouffées de chaleur, vertiges, bourdonnements, etc.). Les formes frustes sont presque aussi banales que le syndrome végétatif. Elles sont caractérisées, avant tout, par l’hyperémotivité allant de la simple instabilité de l’humeur avec réactions émotives disproportionnées à leurs causes, jusqu’à une irratibilité permanente avec paroxysmes névropathiques plus ou moins dramatiques et survenant à la moindre contrariété. Cet éréthisme émotionnel s’accompagne toujours d’une asthénie physique et psychique. Les malades se plaignent en même temps de leurs céphalées et de leurs vertiges, de troubles de la mémoire, etc. Elles peuvent rester inoccupées de longues heures, elles manquent d’intérêt pour les petits événements quotidiens, ce qui leur fait dire : « J’ai perdu le goût de vivre. » Elles se sentent surtout diminuées, tristes et angoissées. Il existe toujours de l’insomnie.
Névroses de la ménopaues.
Les troubles de la sexualité et de l’affectivité sont toujours importants. On peut assister soit à une diminution lente, soit à l’abolition du désir sexuel, soit même à l’aversion de l’homme. Cette frigidité peut entraîner des conflits avec le partenaire et devenir secondairement la source de troubles névrotiques plus ou moins graves. A l’inverse, on peut observer (mais moins fréquemment) un accroissement de la libido. — On peut voir se constituer des attitudes passionnelles et des tendances « paranoïaques » particulièrement sous forme de sentiments de jalousie. Il s’agit d’une jalousie facilement agressive ou revendicante ; pour Maranon, elle aurait une « signification viriloïde » et serait sous la dépendance des tendances virilisantes de la ménopause.
On sait, en effet, qu’il n’est pas rare d’observer au cours de la ménopause l’apparition de signes viriloïdes : développement du système pileux, modification de la voix, etc., qui relèvent d’une rupture de l’équilibre androgénes-œstrogènes dont la cause est une hyperactivité de la cortico-surrénale (augmentation de l’excrétion des 17-cétostéroïdes). En dehors de ces transformations morphologiques, cette virilisation peut s’accompagner de troubles du comportement, hyperactivité, autoritarisme, agressivité, et parfois orienter anormalement le comportement sexuel vers une attitude qui rappelle l’attitude de l’homme : rôle presque actif dans l’aventure sexuelle ; recherche d’adolescents encore peu virils, enfin penchant plus ou moins net pour l’homosexualité. Tous ces troubles s’intègrent dans un syndrome d’hyperémotivité (instabilité de l’humeur, anxiété, sensiblerie, exaltation affective, éréthisme émotionnel, etc.). Ces anomalies sont souvent sublimées sous forme de sentiments mystiques excessifs, de passions frénétiques, de romantisme tardif, plutôt que manifestées dans des conduites de dévergondage.
Les manifestations hystériques s’observent souvent à la période de la ménopause et l’on en trouve de nombreux traits à travers les divers syndromes de cette période : bizarreries, extravagance, surenchère des symptômes, théâtralisme, chantage sentimental, mensonges, fabulations, etc.
Le processus de la ménopause peut actualiser des tendances latentes à l’obsession. Il arrive en effet que ces malades aient déjà présenté antérieurement (notamment aux autres étapes de la vie génitale) des manifestations de la névrose obsessionnelle. On voit alors apparaître sur la toile de fond de l’hyperémotivité propre à cette période des crises de scrupules, les obsessions les plus variées, des phobies et des obsessions-impulsions plus ou moins irrésistibles allant parfois jusqu’à la coprolalie, la dipsomanie, le vol et même l’homicide (Régis).
2° Les états maniaco-dépressifs. — Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur, à ce que nous dirons plus loin de la mélancolie d’involution et de ses formes cliniques (cf. p. 845). Quant aux états d‘excitations maniaques, ce sont également les mêmes que ceux qui apparaissent à n’importe quel moment de l’involution, c’est-à-dire qu’ils affectent toutes les formes cliniques, depuis la simple excitation hypomaniaque jusqu’à l’accès de manie aiguë. Dans tous ces états maniaco-dépressifs, comme dans tous les syndromes de la ménopause, l’érotisme est particulièrement fréquent.
États maniaques et dépressions (cf. mélancolie d involution, p. 845.
Cf. aussi p.848.
3° Les réactions délirantes de la ménopause. — Les délires qui apparaissent à la ménopause peuvent être transitoires ou s’organiser de façon durable.
a) Les psychoses délirantes aiguës de la ménopause. — Ce sont des crises de mysticisme, d’excitation érotique ou de jalousie, qui ont généralement la structure et l’évolution des bouffées délirantes, c’est-à-dire qu’elles éclatent brusquement et qu’on y observe toujours une certaine obnubilation de la conscience, une anxiété ou une exaltation plus ou moins intenses, souvent un syndrome d’automatisme mental, des hallucinations auditives et visuelles, parfois de l’onirisme. L’évolution normale de ces bouffées se fait rapidement vers la guérison surtout lorsqu’elle est accélérée par l’hormonothérapie et par les thérapeutiques de chocs.
Psychoses délirantes aiguäs
b) Les délires à évolution chronique. — Des délires plus ou moins durables peuvent s’organiser à l’époque de la ménopause. Celle-ci n’agit, dans ces cas, il faut le dire, que comme élément prédisposant, parfois même simplement comme élément aggravant d’un état antérieur. C’est ainsi que le Délire de relation des sensitifs (Beziehungswahn) de Kretschmer se manifeste souvent à cette époque du cycle vital. C’est le cas également de la paranoïa d’involution de Kleist qui considérait lui-même que cette psychose présente un rapport étroit avec la ménopause. Parfois des « réactions paranoïaques » s’installent sans s’organiser de façon durable sous forme de « paranoïa abortive », de délire d’interprétation ou de délires passionnels d’assez bon pronostic.
Délires chroniques.
4° L’épilepsie. — Nous devons signaler les rapports de l’épilepsie et de la ménopause. Si l’épilepsie à renforcement cataménial est fréquente, l’épilepsie climatérique demeure une notion discutable. Cependant, il arrive parfois que les crises apparaissent seulement au moment de l’involution des gonades.
Épilepsie.
5° Pronostic général des troubles mentaux de la ménopause. — Comme on le voit, parmi les troubles observés à l’âge critique il existe des faits très disparates. Pour chacun, le pronostic doit être établi en tenant compte du syndrome lui-même, de sa structure, de sa pathogénie, de sa curabilité par les médications hormonales. Dans tous les cas la notion d’une prédisposition antérieure est d’une extrême importance pour établir le pronostic puisque la ménopause semble n’agir en fin de compte qu’en tant que facteur déclenchant. En gros on peut dire que les réactions névrotiques et délirantes, quand elles sont prises dans le contexte d’une crise ménopausique très caractérisée, ont plutôt un pronostic favorable. Mais on ne perdra pas de vue que les psychoses graves de l’involution et de la sénilité peuvent débuter aussi à l’âge critique.
Pronostic généralement et relativement favorable.
6° Traitement. — Le traitement rationnel des troubles psychiques de la ménopause découle de ce que nous avons dit des circonstances étiologiques de leur apparition. Nous savons que ces circonstances sont celles de l’involution psychosomatique en général et du vécu existentiel en particulier auxquelles s’ajoute un déséquilibre endocrinien particulier (cf. Thérapeutique générale de la sénescence, p. 874).
Thérapeutique.
Le traitement comportera donc un plan d’action qui mettra l’accent, selon les cas, sur le versant biologique ou sur le versant psychosocial des troubles. Au plan biologique, les correctifs psychiatriques habituels sont tous valables. Mais on tiendra compte, pour l’emploi des médicaments antidépressifs ou neuroleptiques, d’un état général assez souvent fragile qui peut demander une diminution des doses communes. C’est à cet âge que les médicaments sont souvent mal tolérés et que l’on observe les complications, incidents ou accidents (tendances aux collapsus, aux thromboses vasculaires, aux accès d’hypotension orthostatique due aux inhibiteurs de la mono-amino-oxydase). L’état général peut commander des indications particulières : thérapeutiques des troubles vasculaires ou de la sénescence (cf. p. 875). Le traitement hormonal éventuel sera détaillé plus loin.
Mais il n’est pas moins important de souligner le rôle des actions psychothérapiques. Comme il a été dit, la ménopause et le présénium soulèvent des problèmes d’adaptation auxquels il faut proposer des solutions, qu’il s’agisse d’une névrose remaniée par la ménopause ou de la réadaptation après un accident dépressif ou délirant. Il s’agit moins dans ces cas d’une psychothérapie qui viserait comme chez le jeune à abaisser les barrières névrotiques que d’un aménagement des possibilités devant une vie qui change de perspectives : l’acceptation des conditions nouvelles de la vie conjugale, familiale, professionnelle, sociale (solitude, retraite, changement de silhouette, etc.) peut être favorisée par quelques séances de psychothérapie qui, même pratiquées par des analystes entraînés, revêtent le plus souvent un aspect de soutien pragmatique (G. Dedieu-Anglade). Complétons ce schéma par les éléments du traitement hormonal.
a) A la période de la préménopause, la thérapeutique consiste à rétablir le déséquilibre entre la folliculine (en excès) et la progestérone, en administrant de la progestérone, si possible dans la deuxième moitié du cycle présumé et d’adjoindre de l’hormone mâle pour exercer une action antagoniste à celle des œstrogènes.
Traitement hormonal.
Le traitement de l’insuffisance œstrogénique propre à la ménopause confirmée n’est à envisager que lorsque celle-ci devient manifeste : aménorrhée ne cédant pas à la prise de progestomimétiques, importants symptômes neurovégétatifs. Il semble souhaitable d’apprécier la réalité de cette insuffisance œstrogénique par un dosage d’œstradiol ou de gonadotropines plasmatiques. De toute façon, il est logique d’associer à cette thérapeutique œstrogénique une administration séquentielle de progestatifs dans le but de conserver l’alternance hormonale physiologique (Mauvais-Jarvis, 1980).
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