VI. Les Perversions Sexuelles

(Paraphilies)



On pourrait parler à leur sujet de « déséquilibre privé » plus ou moins toléré par le sujet et par la société. L’importance de l’étude des perversions ne résulte pas uniquement de leur place dans la pratique psychiatrique, mais plus encore de l’importance théorique que l’école psychanalytique lui a donnée pour la compréhension des névroses et des psychoses.



et revêt une grande importance théorique.

Le concept de normalité, inclus dans la définition des perversions, ne concerne pas la norme sociale, par rapport à quoi la place des perversions est variable selon les époques et les lieux, nous le dirons plus loin à propos de l’homosexualité, qui n’est pas, à proprement parler, une perversion (F. Pasche, 1969), et que nous décrirons à part. Il s’agit de la norme du développement personnel, c’est-à-dire de l’organisation progressive de la personne et de son unification, qui s’opèrent par la subordination des plaisirs partiels (infantiles) au plaisir génital pleinement élaboré (après l’acceptation de la différence des sexes qui accompagne la résolution du complexe d’Œdipe). Il faut nécessairement se référer ici à la psychanalyse qui, dans l’étude des perversions, nous a presque tout appris. C’est de cette vue dynamique des perversions, dans la durée du développement, que provient leur plus grand intérêt, car elles illustrent par des conduites manifestes la trajectoire qui va du besoin au désir, de l’organisme physiologique et de ses instincts à l’existence consciente, à travers l’élaboration des fantasmes et des conduites. Ce qui vient d’être exprimé dans le langage de la psychanalyse parce qu’il est concret et précis, répond bien à l’intuition ancienne des écrivains, des cliniciens, des théologiens, et des philosophes pour qui les concepts de normalité et de perversion ne peuvent être opposés, dans une antithèse, mais doivent se composer dans une structure hiérarchisée, qui est celle de la « nature humaine ».



De quel « normal » il s’agit.

Il est important d’ajouter dans ces généralités sur la perversion que ces conduites ne constituent pas de par elles-mêmes un diagnostic suffisant. Elles demandent un examen des structures de la personnalité, car elles peuvent faire partie d’un ensemble plus vaste, être incluses, par exemple, dans un diagnostic de névrose ou de psychose, ou dans celui d’une personnalité psychopathique.




A. — HISTORIQUE



La découverte de la sexualité infantile et du rôle qu’elle continue à jouer chez l’adulte dans les fantasmes inconscients permit à Freud d’approfondir le conditionnement psycho-social des perversions en les considérant comme des conduites infantiles anachroniquement fixées. On comprend le scandale soulevé par Freud au début du siècle lorsqu’il révéla la persistance chez l’adulte normal de la trace des perversions dans les préliminaires de l’acte sexuel, dans les fantasmes et les rêves, ce qui veut dire qu’elles sont immanentes ou virtuelles en chacun de nous. C’est de cette thèse que provient directement la conception de Freud, si souvent répétée et si importante, selon laquelle la névrose est le négatif de la perversion. Nous y reviendrons.



La conception de Freud.

Après Freud, les psychanalystes ont discuté sur l’origine des perversions, considérées par Mélanie Klein comme des moyens de défense contre l’angoisse, et non comme une pure et simple régression à un niveau ancien de la conduite et du désir, ce qui est la théorie classique, adoptée par la plupart des auteurs.

En réaction contre la psychanalyse accusée par eux de réduire la vie psychique à ses soubassements inconscients, certains auteurs (école phénoménologique, surtout de langue allemande), insistent sur les perturbations profondes de la personnalité et de l’existence du pervers ; ils mettent en valeur l’altération qui atteint, au-delà de la satisfaction du « plaisir partiel », les relations du sujet avec autrui et avec son « Monde » (von Gebsattel, Strauss, Binswanger, Kunz, 1942 ; Boss, 1947; H. Ey, 1950). Plusieurs de ces travaux fournissent sur certaines conduites perverses de véritables monographies d’un grand intérêt clinique. Mais ces auteurs ne semblent pas distinguer perversion et perversité. La perversion est une activité de nature auto-érotique qui a pour condition le déni du statut de sujet chez le partenaire (F. Pasche, 1983). La perversité au contraire est de nature destructrice et vise la réalité psychique de l’Autre qui est agressé.



Perversion et perversité.


B. — LES PRINCIPALES PERVERSIONS


On peut les classer en anomalies du choix de l’objet (le partenaire) et en anomalies du but (érotisation substitutive d’une partie du corps, d’une situation réelle ou fantasmée). Nous ne saurions décrire toutes ces conduites, variables presque à l’infini par leurs combinaisons.



Choix d’objet et anomalie du but.

Voici une liste des principales perversions :


1) par anomalie du choix de l’objet : auto-érotisme (onanisme), pedophilie, gérontophilie, inceste, zoophilie, fétichisme, nécrophilie, vampirisme, travestisme, trans-sexualisme, etc. ;


2) par anomalie du but ou de l’acte : voyeurisme, exhibitionnisme, viol, attaques substitutives (les « piqueurs », les « frotteurs », cas historique des « coupeurs de nattes » ; l’érotisation peut porter sur une zone du corps — orale, anale, uréthrale, ou autre — ; elle peut se rapporter aux excrétions (ondinisme, coprophagie). Le sadisme et le masochisme méritent une place à part : ce sont les satisfactions liées à la souffrance infligée ou subie. Enfin toutes sortes de pratiques associées peuvent constituer la perversion élue : les « partouses » combinent hétéro et homosexualité, voyeurisme et exhibitionnisme. Le Donjuanisme, et d’autres conduites appartiennent au domaine des perversions en tant que recherches d’une situation particulière pour atteindre l’orgasme. Nous avons cité plus haut les perversions incluses dans des conduites agressives particulières (pyromanie, escroquerie, kleptomanie) ou associées aux diverses toxicomanies (l’alcool est un support assez souvent utilisé pour faciliter le passage à l’acte pervers). La toxicomanie elle-même, nous le verrons, constitue une perversion sexuelle, en tant que conduite régressive substituée à la satisfaction sexuelle normale, et, dans ce sens, d’autres conduites encore pourraient être citées, d’ordre alimentaire (certaines anorexies et boulimies) ou excrétoire.


I. — SADISME ET MASOCHISME


Ces deux perversions ne peuvent être tout à fait séparées, puisqu’elles constituent deux pôles complémentaires, ainsi que Freud l’a bien montré : « Un sadique est, en même temps, toujours un masochiste » (1905). On devrait donc étudier le comportement sado-masochique si important dans l’étude des névroses et aussi pour la compréhension de la sexualité normale. C’est dire que, ici encore, l’intérêt du sujet déborde le cadre strict de la perversion sexuelle auquel nous nous limitons autant que possible, dans ce chapitre. Pour la clarté de l’exposé nous étudierons séparément les manifestations du sadisme et du masochisme, comme conduites prévalentes, même si elles se renvoient l’une à l’autre, mais nous interpréterons ensemble les deux conduites.



Deux perversions complémentaires qui jouent un rôle essentiel dans toute l’économie des perversions.

Le sadisme consiste dans la recherche et la provocation de la douleur chez le partenaire pour obtenir la satisfaction sexuelle. Bien des degrés peuvent en être décrits, depuis le crime (Barbe-Bleue, Jack l’Éventreur, le vampire de Düsseldorf), jusqu’au plaisir furtif des « piqueurs » de seins ou de fesses, en passant par les flagellations, tortures, enchaînements, brûlures, morsures, etc. Le sadisme peut se dégrader en conduites symboliques, dont la composante sexuelle n’apparaît pas à l’esprit du sujet : c’est le « sadisme moral », que l’on retrouve dans nombre de comportements personnels, éducatifs ou sociaux (violences, châtiments corporels, abus de puissance, etc.). La guerre correspond au déchaînement organisé du sadisme, approuvé par le groupe, car le sadisme peut être collectif (un autre exemple en est fourni par les supplices publics). Si loin que soient la plupart de ces conduites de celle des criminels cités en premier, il est juste de dire avec Steckel que le meurtre est en puissance dans le sadisme.


May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on VI. Les Perversions Sexuelles

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