VII. Troubles Mentaux des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST) Syphilis et Sida


La terreur que la syphilis inspira fut progressivement atténuée par les traitements classiques, aujourd’hui abandonnés (arséno-mercuro-bismuthiques) par l’arrivée de la pénicillothérapie, plus efficace et plus rapide qui a rendu exceptionnelles les complications psychiatriques de la syphilis cérébrale, Les recrudescences actuelles ne surgissent, maintenant, que par la faute de malades négligents ou de conditions sociales défavorables.

Mais en cette fin du xxe siècle, la terreur que répandait la syphilis a trouvé un relais non moins effrayant par l’explosion, depuis une dizaine d’années, des MST dominées par le fléau du SIDA auquel le psychiatre, comme nous le verrons, se trouve confronté en première ligne.



I La Syphilis


La pénétration du tréponème de la syphilis dans les centres nerveux engendre des manifestations variées. On distingue classiquement des accidents primosecondaires, expression d’une flambée inflammatoire méningo-encéphalique —, des accidents du tertiarisme constitués par des lésions vasculaires (artérite) —, et enfin soit une atteinte des cordons postérieurs de la moelle (tabès), soit une méningo-encéphalite réalisant le tableau clinique de la « paralysie générale ».



Aspect varié des troubles mentaux de la neurosyphilis. Importance et relative rareté actuelle de la P. G.



A. LES PSYCHOSES SYPHILITIQUES DE LA PÉRIODE PRIMO-SECONDAIRE




PÉRIODES PRIMAIRE ET SECONDAIRE


1° Examen physique. — Il faut rechercher systématiquement les signes neurologiques et généraux qui peuvent traduire le processus de la neurosyphilis.

On peut ainsi mettre en évidence un syndrome méningé plus ou moins fruste (céphalées, vomissements, raideur, signe de Kernig, etc.) et fugace.

L’examen neurologique peut encore révéler la paralysie d’un nerf crânien.

2° Examens biologiques. — Ils sont évidemment fondamentaux et permettent le diagnostic étiologique.

L’examen du sang est d’un intérêt relatif car la positivité des diverses réactions (réactions de détection des anticorps fluorescents, de Démanché, de Debains —, réactions de floculation de Kline, de Rein-Bossak, d’Eagle et V. D. L. R. —, test d’immobilisation des tréponèmes ou test de Nelson positif après le 45e jour) est habituelle dans ces cas. Elle constitue seulement un test d’infection syphilitique mais non de syphilis nerveuse.



Importance pratique des examens sérologiques (sang et L. C.-R.).

L’étude du liquide céphalo-rachidien est par contre capitale. Elle montre une réaction méningée souvent très précoce (Ravaut), apparaissant 3 semaines à I mois après le chancre. Le L. C.-R. montre une hypercytose légère, une hyper-albuminose discrète (0,40 à 0,60g) ; la réaction de Bordet-Wassermann et le test de Nelson y sont en général positifs.

Rappelons que cette réaction méningée biologique peut être complètement latente au point de vue clinique (syphilis humorale ou infra-clinique de Ravaut et Targowla, etc.).

Il s’agit d’un processus méningé pur par lepto-méningo-vascularite résolutive, intéressant exclusivement la pie-mère et l’arachnoïde dont l’aspect est congestif et dépoli. L’examen histologique précise l’existence d’une infiltration cellulaire et des signes de panvascularite syphilitique.



Atteinte inflammatoire des méninges molles et de ieurs vaisseaux.


B. — LES PSYCHOSES DE LA PÉRIODE TERTIAIRE




I. LA SYPHILIS CÉRÉBRALE


La syphilis cérébrale se distinguerait de la paralysie générale par la localisation et la nature vasculaire des lésions, et surtout par sa curabilité. On tend à considérer actuellement, ces formes dites de syphilis cérébrale comme des modes de début ou des stades évolutifs de la paralysie générale.

1° Étude clinique. — Rappelons qu’au cours de la période tertiaire, on peut observer les psychoses toxi-infectieuses que nous venons de décrire : états confusionnels à types onirique, stuporeux, anxieux, etc., états mélancoliques et, plus rarement, maniaques, épilepsie, psychoses délirantes et hallucinatoires aiguës ou subaiguës.

Mais ce sont les formes chroniques avec affaiblissement intellectuel qui sont les plus caractéristiques de la syphilis cérébrale.


Cet état confuso-démentiel peut prendre une allure aiguë avec délire onirique, agitation ou stupeur profonde. Cela arrive surtout à la suite d’un ictus, accident congestif fréquent dans cette forme caractérisée, comme nous le verrons plus loin, par l’artérite cérébrale.

Parmi ces formes confuso-démentielles, il faut signaler encore certains syndromes de Korsakov syphilitiques, certaines formes amnésiques plus ou moins pures (Giscard, 1932) ; et surtout l’importance des syndromes focaux (ictus hémiplégique, aphasie, hémianopsie, crises d’épilepsie jacksonienne, etc.).

Il y a lieu d’insister aussi sur les formes délirantes paranoïdes et hallucinatoires qui évoluent parfois comme des schizophrénies (Serin, Targowla).



… avec troubles focaux…

L’examen neurologique revêt une importance essentielle pour le diagnostic. On devra rechercher le signe d’Argyll Robertson qui a une valeur pathogno- monique et on accordera beaucoup d’importance diagnostique à la recherche minutieuse d’une crise d’épilepsie généralisée ou localisée, d’une monoplégie, d’une aphasie discrète, d’une anarthrie transitoire, d’une paralysie oculaire (surtout des 3e et 6e paires crâniennes).


2° Anatomie pathologique. — Les lésions de la période tertiaire sont constituées par des lésions méningées ou encéphalitiques et surtout par des lésions d’artérite.


II. LES TROUBLES MENTAUX DU TABÈS


Les troubles mentaux dans le tabès ont perdu beaucoup de leur importance soit en raison de la rareté croissante du tabès, plus rare encore que les autres manifestations de la syphilis nerveuse, soit en raison également de la conception unitaire actuelle de la syphilis nerveuse, qui rend quelque peu caduques les discussions sur la pathogénie et l’autonomie des psychoses tabétiques.



Rareté en dehors des formes taboparalytiques


C. LA PARALYSIE GÉNÉRALE


C’est ce tableau clinique qui fut le plus fréquent et le plus important mais il est devenu très rare.


I. GÉNÉRALITÉS


La paralysie générale est la manifestation clinique de la méningo-encépha- lite spécifique caractérisée par une évolution démentielle progressive souvent accompagnée d’euphorie et d’idées de grandeur et associée à un syndrome parétique généralisé. Cette affection, d’abord confondue avec d’autres états terminaux de certaines formes d’aliénation mentale (Esquirol), a été individualisée pour la première fois par Bayle (1822) comme une maladie paraissant relever d’une cause unique : l’inflammation chronique de l’arachnoïde (arachnitis chronique).



Isolée par Bayle (1822)…

La nature syphilitique de l’affection reconnue par Bayle fut l’objet de nombreuses discussions. C’est Fournier (1879) qui, le premier, rattacha la paralysie générale à son étiologie syphilitique. Mais sa nature syphilitique ne fut démontrée formellement qu’en 1913 par Noguchi qui découvrit le tréponème dans le cerveau des paralytiques généraux.



… et rattachée à la syphilis par Fournier (1879).




Nature spécifique démontrée par Noguchi (1913).

Par la suite, la paralysie générale, jusque-là forme incurable de la neurosyphilis, franchit la dernière étape de son histoire par les découvertes thérapeutiques qui permettent sa guérison comme de toute autre forme de la syphilis nerveuse et en ont fait un syndrome qui se raréfie tous les jours davantage. En 1917, Wagner von Jauregg mit au point en effet la malaria-thérapie. Un peu plus tard, Sézary et Barbé montrèrent l’efficacité du Stovarsol sodique. En 1943, enfin, Mahoney introduisit la pénécilline dans le traitement de l’affection.



Traitement par la malaria (Wagner von Jauregg, 1917).


II. ANATOMIE PATHOLOGIQUE


Les altérations anatomiques sont diffuses et intenses (cf. Guiraud, Psychiatrie clinique, 3e éd., p. 585 à 589), elles sont de nature à la fois inflammatoire, dégénérative et elles intéressent aussi bien les éléments mésodermiques (méninges et tissus conjonctivo-vasculaires) que les éléments ectodermiques (cellules nerveuses et névroglie).

Macroscopiquement, à l’ouverture du crâne, on constate que les méninges sont épaissies et enflammées, congestionnées ou d’aspect laiteux, surtout à la base. Le volume général du cerveau est réduit et les ventricules latéraux sont dilatés en raison de l’atrophie cérébrale.

Microscopiquement, les caractéristiques histopathologiques de la paralysie générale sont (cf. figure p. 655) :


a) la topographie diffuse des lésions du névraxe (cerveau, noyau gris, cervelet, moelle, méninges, etc.) ;


b) la présence du tréponème dans les lésions ;


c) la présence de pigments ferriques dans le cortex et la substance blanche.


III. ÉTUDE CLINIQUE


On décrit à l’affection (Ravaut) uné phase préclinique : c’est la phase séro- logique caractérisée par une hypercytose rachidienne modérée, une hyperalbu- minose ne dépassant guère 0,60g. Cette période préclinique s’accompagne parfois cependant de céphalées profondes et tenaces.



Importance de la phase préclinique.

1° Formes de début. — Les manifestations cliniques initiales de la paralysie générale sont très importantes à connaître mais, en raison de leur extrême polymorphisme, leur nature ne sera le plus souvent que suspectée et ne trouvera sa confirmation que par les examens biologiques.



Début polymorphe :

Il peut s’agir d’une simple excitation intellectuelle qui se manifeste par une exaltation fonctionnelle de l’activité intellectuelle, une hyperproduction idéique, une hypermnésie, une exaltation affective et une exaltation génésique. Il peut s’agir d’ailleurs d’un véritable accès d’excitation maniaque avec agitation motrice, désordre des actes, générosité, prodigalité, érotisme. L’accès maniaque du début de la P. G. est particulièrement mégalomaniaque et absurde. On y trouve déjà les traits de l’euphorie paralytique que va teinter l’évolution de la forme expansive typique.



— excitation psychique,

Mais on peut avoir affaire à un accès dépressif qui ne présente en lui-même aucun signe évident de son origine « pégétique ». Toutes les formes de la dépression mélancolique peuvent être observées ; toutefois les idées hypocondriaques seraient particulièrement fréquentes. La forme neurasthénique (Gilbert-Ballet) constitue une forme très fréquente : le travail devient difficile, l’humeur s’altère, le malade se plaint de troubles cénesthésiques, de tiraillements, de brûlures, il prétend que son cerveau est vide, que son sang est pourri, etc.



— états dépressifs,

Les états confusionnels peuvent se rencontrer également au début de la paralysie générale comme au cours de son évolution ultérieure. Ils se traduisent par une obtusion et de la torpeur intellectuelle. L’association du processus syphilitique à une intoxication éthylique (P. G. arrosée) peut faire égarer le diagnostic, surtout actuellement depuis que l’on pense de moins en moins à la P. G. et que l’on rencontre de plus en plus d’éthyliques. On peut voir plus rarement des accès de délire subaigu avec automatisme mental ou des épisodes de délire onirique rappelant les psychoses syphilitiques de la phase secondaire.



— bouffées confusionnelles,

— On peut opposer à ces débuts par accès aigus un début progressif par affaiblissement intellectuel simple (dysmnésie, apathie psychique, fatigabilité, difficultés de l’attention, diminution du sens moral et du jugement). En même temps s’installe généralement un état de satisfaction et d’euphorie niaise que nous retrouverons plus accusé à la période d’état.



— affaiblissement progressif.

— Enfin la paralysie générale peut se manifester par un acte médico-légal (vol, exhibitionnisme, attentat aux mœurs, scandales, émission de chèques sans provision, etc.). Il s’agit de ce que l’on appelle la forme médico-légale de la P. G. incipiens. Le comportement délictueux de ces malades dépend déjà de leur déficit intellectuel et en porte l’empreinte. Aussi ces actes présentent-ils des traits communs et caractéristiques : ils témoignent toujours de la grande confiance du malade en lui-même et sont marqués souvent du sceau mégalo-maniaque ; ils sont absurdes et accomplis avec maladresse, sans souci de leurs conséquences.



Phase médicolégale.

L’affection, plus rarement, peut débuter par des ictus apoplectiformes résolutifs, très évocateurs de la maladie —, des crises épileptiformes —, ou encore par des parésies des nerfs crâniens (surtout de la 3° et de la 6e paire). Parfois, ce sont les signes de la série tabétique qui ouvrent la scène, mais cette éventualité est exceptionnelle.

2° Période d’état. — Nous prenons pour type de description la classique forme expansive avec idées de grandeur.

a) Syndrome parétique La méningo-encéphalite diffuse entraîne un ensemble de troubles qui s’insèrent dans un relâchement général de la motri- caractérisé cité et que souligne la notion même de paralysie générale.



Syndrome neurologique caractéristique.

Le faciès peut quelquefois à lui seul évoquer le diagnostic. Le visage est atone et quelque peu hébété, brouillé comme le visage au réveil. On note les fibrillations péri-buccales ; parfois d’autres spasmes faciaux et surtout le « mâchonnement », mouvements dystoniques et qui sont bien caractéristiques.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on VII. Troubles Mentaux des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST) Syphilis et Sida

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