VI. Psychoses Alcooliques

Nous avons vu (cf. p. 408) que Ton pouvait distinguer les psychoses alcooliques produites par l’effet toxique de Falcool sur l’organisme de l’alcoolomanie conduite d’alcoolisation dépendante d’une organisation névrotique de la personnalité. Mais nous avons bien précisé combien il serait arbitraire de séparer complètement les deux syndromes si souvent intriqués dans la pratique. Aussi le lecteur devra-t-il avant d’entreprendre la lecture de ce chapitre relire les considérations historiques, étiologiques, génétiques, etc. qui ont précédées l’étude de l’alcoolomanie, toutes applicables aux psychoses alcooliques aiguës, subaiguës et chroniques dont nous n’envisagerons ici que la description clinique.



A L’INTOXICATION ALCOOLIQUE AIGUË (LES IVRESSES)





I. L’IVRESSE BANALE


Chez un sujet normal, le syndrome de l’intoxication alcoolique aiguë ou ivresse présente classiquement trois stades cliniques auxquels il convient d’ajouter maintenant un stade infraclinique de grande importance pratique.

Les premières manifestations cliniques sont caractérisées par l’excitation intellectuelle et motrice, une sensation d’euphorie, d’optimisme, de facilité, mais, en même temps, il existe une diminution du contrôle de soi et de la vigilance, une anormale loquacité, des propos inconsidérés, parfois une certaine irritabilité agressive. Ce stade représente assez bien un tableau d’hypomanie. Aussi n’est-il pas surprenant de constater chez certains sujets l’autre aspect du dérèglement thymique, celui de la dépression.



Étude clinique de l’ivresse.

Après ce stade initial, les propos tendent à devenir incohérents. La critique est très affaiblie ou nulle. Les perturbations motrices sont évidentes (maladresse des mouvements, titubation, incoordination). Les troubles de l’humeur sont plus accusés. Le sujet s’exalte, chante, crie. Il existe une hypoesthésie générale et sensorielle.

Finalement le sujet s’effondre. Souvent il vomit, la respiration est stertoreuse, l’haleine a une odeur aromatique très caractéristique rappelant l’odeur de l’acétone, les réflexes sont diminués, l’anesthésie s’accroît et on peut observer l’incontinence des sphincters.


La connaissance de ces stades revêt une importance considérable dans la prévention des accidents de la circulation et du travail, dans le rendement au travail, etc.

Jusqu’à un certain degré d’alcoolémie (environ 0,80g par litre — mais la tolérance psychique individuelle rend difficile l’application automatique de ce chiffre, toutefois, taux légal limite en France), la majorité des individus ne présentent pas de symptômes cliniquement apparents : c’est la phase infra-clinique de l’intoxication. Cependant les épreuves psychométriques nécessitant un fonctionnement normal des centres nerveux supérieurs et dont nous parlerons plus loin, montrent que la plupart des sujets ne possèdent déjà plus, à ce stade, toutes leurs capacités.


II. LES IVRESSES PATHOLOGIQUES


Si, comme dit Legrain, l’ivresse donne un aperçu des étages inférieurs du Psychisme, elle permet aux couches profondes d’une personnalité psychopathique de se découvrir dans une véritable « rencontre hérédotoxique » et par là se révèlent les formes d’ivresse pathologique.



Les trois types d’ivresse pathologique :

Ces formes ont fait l’objet des descriptions classiques de Garnier (1890) qui les classait en trois types : excito-motrices, hallucinatoires et délirantes.

1° L’ivresse excito-motrice.— C’est un raptus impulsif, furieux, à peine annoncé par quelques prodromes : malaises mal définis, céphalées, angoisse. Le sujet est d’emblée au paroxysme de la fureur, il brise, il hurle, il frappe aveuglément. La durée de l’accès peut atteindre plusieurs heures. Puis il tombe dans le coma. Les diverses formes sont l’ivresse furieuse, épileptoïde, convulsive, pseudo-rabique ; elles ont toutes un caractère de violence impulsive qui les apparente aux accidents de la comitialité.



— forme excito-motrice,

2° L’ivresse hallucinatoire.— Cette forme se caractérise par le caractère dramatique des hallucinations visuelles ou auditives qui l’accompagnent. Le sujet se trouve plongé dans des scènes souvent tragiques mélangées intimement à la réalité : hallucinations du flagrant délit d’infidélité, de carnage, de bandes menaçantes ou injurieuses avec possibilité de réactions meurtrières impulsives.



—forme hallucinatoire,

3° L’ivresse délirante.— La fabulation est ici prédominante. Garnier a décrit quatre thèmes essentiels :


Les thèmes mégalomaniaques : le sujet se présente à l’Élysée, etc.

Les thèmes de jalousie : le sujet voit et entend les amants de sa femme et peut présenter des réactions homicides.

Les thèmes de persécution : l’ivrogne se croit menacé, poursuivi par une bande, d’où réactions multiples : demande de protection au commissariat, réactions défensives et agressives, etc.

Parfois l’ivresse délirante est vécue comme une transformation de la personnalité décrite par de Clérambault. L’ivrogne durant son ivresse se croit le personnage de haut rang dont il rêve et il se comporte comme tel tant qu’il n’est pas dégrisé, d’où des actes absurdes et parfois délictueux.

A côté de cette classification, établie par les maîtres de l’Infirmerie du Dépôt, et désormais classique, nous devons mentionner le travail de H. Binder (1935), le plus documenté de ceux qui ont paru depuis quelques années sur le problème des ivresses pathologiques. Cet auteur rappelle l’opinion des auteurs allemands (Kraepelin, Heil- bronner, Gaupp, etc.) pour qui il n’y a, entre l’ivresse normale (l’ivresse se produisant chez les sujets normaux et affectant une forme statistiquement moyenne) et l’ivresse pathologique, qu’une différence d’intensité, donc quantitative. Pour lui il y a lieu de distinguer, à côté de l’ivresse normale, une ivresse compliquée (qui n’en constitue qu’un aspect plus accusé) et des ivresses pathologiques qui, elles, sont qualitativement différentes. Il en distingue deux formes spéciales : l’ivresse pathologique à type d’états crépusculaires (type épileptoïde) et l’ivresse pathologique à type de delirium. Il appuie son étude d’une analyse très approfondie des troubles de la conscience. Il distingue à cet égard les états de « benommenheit » (obscurcissement de la conscience admettant tous les degrés jusqu’au sommeil et au coma) et les états de troubles de la conscience avec invasion progressive de la pensée du rêve, états qui se présentent en clinique comme des accidents beaucoup plus graves dont la description rejoint celle que l’école française (Magnan, Garnier et l’École de l’Infirmerie spéciale) a faite des ivresses hallucinatoires et délirantes.



Les troubles de la conscience dans l’ivresse pathologique.

Caractères généraux des ivresses pathologiques.— Les ivresses pathologiques ont une évolution plus prolongée que les ivresses banales (elles peuvent parfois se prolonger vingt-quatre heures). Elles se terminent habituellement par un coma. L’amnésie consécutive est fréquente. Il y a lieu de noter un signe capital, la tendance à la récidive, sous une forme identique. Elles doivent être traitées comme des urgences.


III. BIOCHIMIE DE L’INTOXICATION ALCOOLIQUE AIGUË


Après ingestion, l’alcool est absorbé au niveau de l’estomac mais aussi surtout plus rapidement au niveau du duodénum et du jéjunum. Il diffuse ensuite dans le sang et les liquides extra-cellulaires en moins d’une heure et demie. La répartition dans les organes est variable. En ce qui concerne les viscères, le foie et les reins, qui brûlent l’alcool dans leurs tissus, en contiennent peu, par contre le cerveau qui ne le brûle pas en contient une quantité plus importante ainsi que le liquide céphalo-rachidien. L’élimination est plus lente : après douze heures, 70 % et après vingt-quatre heures, 100 % de l’alcool sont éliminés. Cette évolution est illustrée par la courbe théorique de l’alcoolémie après ingestion d’une seule dose (ascension rapide jusqu’à un maximum de concentration d’alcool dans le sang, puis descente beaucoup plus lente jusqu’à élimination complète de l’alcool).



Effets physiologiques de l’intoxication aiguë.


La désintégration de l’alcool dans l’organisme se fait par oxydation dans les tissus, l’élimination urinaire et respiratoire restant inférieure à 5 % de la prise totale. C’est dans le foie principalement que l’alcool est transformé en acétaldéhyde grâce à diverses enzymes dont l’alcool-déshydrogénase (ADH). Citons encore les travaux de Jacobsen (1952) qui fit une étude classique des connaissances sur le métabolisme de l’alcool éthylique, les travaux de Casier (1937), de Sund et Theorell (1963) sur la biochimie des alcool-déshy-drogénases et ceux de Lundquist (1970) qui regroupa les études sur les différentes voies enzymatiques. En résumé, la métabolisation, c’est-à-dire l’oxydation de l’alcool comporte deux phases : une phase propre à l’alcool avec oxydation de l’alcool en acétaldéhyde puis en acide acétique, sous forme d’acétyl coenzyme A et à partir de ce dernier une phase commune aux acides gras. La réaction utilise comme fixateur d’hydrogène le diphosphopiridine nucléotide (DPN). Le rôle du foie est donc capital et sa richesse tant en ADH qu’en DPN est un facteur essentiel de l’oxydation de l’alcool. On consultera utilement les nos 2 et 3 (1972). t. XVIII de la Revue de l’Alcoolisme consacrés aux rapports sur le métabolisme de l’alcool présentés au Colloque du 14 avril 1972 (Hakim et Boivin ; Lieber; Masquelier; von Wartburg; Neuril; Caquet; Dorf ; Lundquist ; Papenberg ; Weill ; Guy-Grand et Bour ; Lowy et Griffa- ton Bode ; Soulairac ; Codaccioni et Monges).

Rappelons enfin qu’à faible dose l’alcool est un excitant de la cellule nerveuse et un vaso-constricteur ; à forte dose, il est un anesthésique et un vasodilatateur.


IV. DIAGNOSTIC BIOCHIMIQUE DE L’ALCOOLISME AIGU


La recherche de l’alcool dans le sang a été rendue obligatoire (décret du 18 juin 1955) dans certains cas d’accidents de la circulation chez l’auteur de l’accident et même, si besoin est, chez la victime. Deux arrêtés (21 novembre 1955) déterminent les conditions de la prise de sang.



Intérêt de l’alcoolémie.


Méthodes indirectes : l’alcootest de Draeger. Les méthodes indirectes sont fondées sur le fait que 100ml d’air expiré à 33° renferment autant d’alcool que 1ml de sang. Pour le dépistage systématique (Sécurité routière) on utilise des appareils simplifiés tel que l’alcootest de Draeger : le sujet souffle dans un sac en matière plastique au travers d’un tube contenant du bichromate de potassium en grains, du gel de silice et de l’acide sulfurique. L’alcool réduit les sels de chrome qui passe du jaune au vert selon la teneur. L’intensité est mesurée par la longueur de la colonne qui a viré au vert. Un anneau fixe une limite qui, dépassée, correspond à une alcoolémie au moins égale à 0,80g/litre (taux légal limite en France). Des éthylomètres plus performants ont été récemment mis au point.







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Fig. 28.
Courbes d’alcoolémie.


1) Courbe théorique après ingestion d’alcool pur à jeun.


2) Courbe après ingestion de la même quantité d’alcool majs dilué (bière).


3) Courbe après ingestion de la même quantité d’alcool que dans les cas 1 et 2, mais au cours d’un repas.


4) Mêmes conditions que dans le cas 3, mais après repas riche en glucides.


Corrélation entre l’alcoolémie et l’état Clinique. — La corrélation entre le taux de l’alcoolémie et le syndrome clinique ne peut être établie d’une manière exacte et on en connaît déjà les raisons. Aussi les chiffres varient suivant les auteurs (Kohn-Abrest, Simonin, etc.).


Goldberg (1943) a étudié avec beaucoup de soin le seuil d’apparition des troubles sensoriels, moteurs et intellectuels en fonction de l’alcoolémie, à l’aide de divers tests : fusion des images sur la rétine, réflexes de clignotement, test de stabilité, test de doigt à doigt, opérations de calcul, test de Bourdon. A ces diverses épreuves, les troubles apparaissent toujours bien avant une alcoolémie de 1g par litre.



On peut être ivre sans être alcoolique et alcoolique sans guère être ivre.

L’accoutumance élève le seuil d’apparition des troubles. La tolérance des individus à l’alcool est très variable et certains abstinents sont aussi résistants que certains buveurs et inversement. On ne saurait donc trop souligner qu’il existe un écart entre l’ivresse clinique et les perturbations mises en évidence par les tests (ivresse infra-clinique).


V. SUBSTANCES PSYCHOTROPES INGÉRÉES SIMULTANÉMENT


L’usage sans cesse croissant de médicaments psychotropes doit nous faire signaler les principales synergies et potentialisations réciproques de ces médicaments par l’alcool (Forney et Hugues, 1970) :



Les poly-toxicomanies.

Barbituriques. — L’intoxication alcoolique aiguë augmente la profondeur de l’anesthésie barbiturique et sa durée. L’intoxication chronique complique toujours les anesthésies. Les barbituriques à action brève augmentent plus la durée du sommeil et la toxicité léthale que les barbituriques à action prolongée.

Autres hypnotiques. — La mécloqualone (Nubarène*) et la métaqualone (Mandrax*) sont considérablement potentialisées par l’alcool. Ils sont recherchés par certains toxicomanes pour la production d’hallucinations.

Dérivés morphiniques. — La morphine aggrave la dépression produite par l’alcool.

Neuroleptiques et tranquillisants. — Ces médicaments sont potentialisés par l’alcool.

Antidépresseurs. — Rappelons les accidents hypertensifs provoqués par l’association d’alcool et des I. M. A. O.

On observe fréquemment aujourd’hui chez les polytoxicomanes l’absorption simultanée de ces substances avec l’alcool et en cas d’arrêt de l’usage des toxiques on voit un alcoolisme s’installer.


B. LES TROUBLES MENTAUX AIGUS ET SUBAIGUS DE L’ALCOOLISME CHRONIQUE



Les accès aigus ou suraigus (delirium tremens) doivent être distingués des accidents subaigus caractéristiques du classique delire onirique alcoolique (Michaux et Buge, Rev. Neurol, 1956).



Les accidents typiques subaigus et aigus de l’alcoolisme chronique.

Ces troubles apparaissent toujours sur un fond d’intoxication chronique.

Sous leur forme suraiguë ou subaiguë, ces accès sont souvent déclenchés soit par des excès de boisson, soit au contraire par la suspension de l’ingestion d’alcool (a potu suspenso). Ce dernier point de pratique courante a cependant été mis en doute (Stoba, 1941 ; Cline et Colerman, 1936 ; Sheps, 1942). Souvent aussi ces crises de délire sont, en relation avec des émotions, le surmenage, les traumatismes crâniens, les interventions chirurgicales. Parfois cependant ils surviennent inopinément sans cause décelable.



I. LE DÉLIRE ALCOOLIQUE SUBAIGU


Cette forme, encore appelée délire alcoolique subaigu de Lasègue (1869) ou délire alcoolique simple de Magnan (1874) ou plus récemment encéphalose alcoolique subaiguë, est beaucoup plus fréquente que la forme aiguë (ou delirium tremens). Il se rencontre surtout après l’âge de 40 ans, mais il peut survenir chez des sujets beaucoup plus jeunes, de 25 à 30 ans, lorsqu’il s’agit de descendants d’alcooliques, de prédisposés, de traumatisés cranio-cérébraux.

1° Début.— Le début du délire, précédé par les prodromes que nous connaissons, se produit habituellement la nuit sous forme d’accès confuso-oni- rique agité continuant les cauchemars habituels qui entrecoupaient depuis quelque temps le sommeil du buveur. L’accès peut ne durer que quelques heures pour disparaître au matin et cela plusieurs nuits de suite, mais au bout de quelques jours le délire devient continu. En général, le malade est adressé dans le service spécialisé directement par la famille ou par un hôpital général, mais il n’est pas rare qu’il soit amené par la police intervenue pour des raisons diverses : le malade a appelé « au secours » en pleine nuit, il a menacé ou frappé sa femme au cours d’une scène de jalousie, il a essayé de se barricader en déplaçant les meubles, parfois il a fui en chemise dans la rue ou a attaqué des ennemis imaginaires en tirant des coups de feu. Parfois encore il s’est présenté au commissariat de police pour s’accuser d’un crime imaginaire.



Prodromes.

2° Présentation. — C’est un malade au faciès pâle ou vultueux. Il transpire abondamment, sa sueur dégage une « odeur podalique » caractéristique (de Clérambault). Il est agité, vivant son rêve et entièrement occupé par lui.


3° Le délire onirique. — Cette brève description du malade doit être complétée par la lecture des célèbres et merveilleuses descriptions cliniques que Lasègue («Le délire alcoolique est un rêve ») puis Garnier et Magnan ont faites de ces formes subaiguës de l’alcoolisme chronique. On lira dans L’Assomoir de Zola la description du délire de Coupeau.



Délire d’action.

Le délire est en effet vécu, exprimé non seulement par le langage, mais par le corps tout entier : le malade s’y donne entièrement.

Il revit des scènes de son travail qui ont la plupart du temps un caractère pénible et laborieux. Il interpelle ses camarades, leur demande de l’aider, les encourage, les stimule, vitupère contre leur lenteur (onirisme professionnel).

Les visions d’animaux ou zoopsies constituent aussi des images oniriques très fréquentes. Le malade voit des bêtes généralement repoussantes, dégoûtantes ou dangereuses : rats, serpents, araignées, crapauds qu’il cherche à fuir ou à attraper.



Le délire subaigu alcoolique est un rêve (Lasègue).

L’onirisme peut avoir pour thème des scènes de terreur, d’exécution capitale, d’attaque à main armée (armes blanches), de visions macabres ou d’incendie. Parfois, mais plus rarement, il s’agit de thèmes érotiques ou de jalousie.

On voit que le délire onirique est une imagerie essentiellement hallucinatoire avec hallucinations visuelles prédominantes comme dans le rêve (visages menaçants, personnages inquiétants, sang, bagarres, bêtes, monstres, réseaux de fils inextricables, etc.), avec hallucinations auditives et syndrome d’automatisme mental, hallucinations olfactives (odeurs de gaz, de soufre), hallucinations gustatives (goût de poison), hallucinations de la sensibilité générale (piqûres, griffes d’animaux dans la peau, sensations de bêtes gluantes ou de vers rampant sur le corps).

Les caractères essentiels de l’onirisme alcoolique sont les suivants :


C’est un état hallucinatoire vécu, c’est-à-dire que le malade participe entièrement à son rêve et en donne, non seulement une expression verbale mais hyperkinétique.


2° De plus, l’onirisme est mobile, les perceptions hallucinatoires ou illusoires du malade se déplacent, se meuvent en un tourbillon vertigineux et non seulement les scènes sont changeantes comme dans un rêve, mais le malade peut, comme un dormeur qu’on éveille par une stimulation ou un appel, recouvrer sa lucidité et critiquer pour un instant son état morbide.


3° L’onirisme est généralement chargé d’anxiété. Les hallucinations ont un caractère pénible. Le malade sent constamment peser sur lui l’imminence d’un danger menaçant ; il est plongé dans une atmosphère de drame, on le poursuit ou il se hâte fébrilement à un travail qui est toujours saboté par des malveillances et sans cesse à refaire.

Ce délire onirique est naturellement vécu dans une atmosphère de confusion mentale. Le malade est plus ou moins obnubilé, égaré, perplexe, occupé par son délire (« délire d’occupation » des auteurs allemands). Son attention est difficile à fixer, il est complètement désorienté dans le temps et dans l’espace. La plupart du temps l’accès ne laisse aucune trace mnésique en dehors, comme nous le verrons, des idées fixes post-oniriques.


5° Formes cliniques..— Telle est la forme habituelle confuso-onirique de l’alcoolisme subaigu. On peut voir exceptionnellement des formes hallucinatoires, non oniriques ou sans confusion (Marchand) et des formes se limitant aux manifestations de l’automatisme mental (écho de la pensée, commentaire des actes, etc.) ; ce dernier tableau clinique correspond électivement, comme nous le verrons, à l’hallucinose des buveurs de Wernicke.

Fouquet (1971) a décrit l’alcoolepsie : survenue, chez un abstinent temporaire (somalcoloses, alcoolisme ε) d’un accès brusque, imprévisible, sans prodromes ni motif déclenchant évident; le sujet, très.rapidement, cherche, absorbe et subit l’effet de n’importe quel alcool accessible, parfois à très faible dose et c’est le « black-out », confusion profonde confinant au coma avec incoordination motrice, désordres des actes ; après quelques heures c’est le retour à la normale dans l’amnésie, l’inquiétude réelle, sans « rationalisation » de l’événement ; les accès se répètent (1 à 6 fois par an), irrégulièrement ; l’accident n’est pas de nature comitiale.

Faut-il ajouter à ces formes cliniques une autre description de Fouquet : l’apsychognosie dont nous avons parlé, p. 419? Cet état d’« obnubilation générale, avec baisse de la vigilance, perte de la capacité de se voir, se juger, s’apprécier vis-à-vis des autres, de soi », est rapporté par Fouquet à une éthylémie permanente. Ne serait-il pas plutôt, chez l’alcoolique grave, un mode de fonctionnement psychique caractéristique?



Se reporter au chapitre Alcoolomaniep. 408à429.


Pourtant il faut signaler comme beaucoup plus rares deux autres évolutions qui feront l’objet des chapitres suivants : 1° évolution vers la forme aiguë ou delirium iremens ; 2° la persistance de séquelles, soit transitoires (idées fixes post-oniriques), soit chroniques (psychoses alcooliques chroniques).

7° Diagnostic. — Le diagnostic du délire alcoolique subaigu est généralement facile. En présence d’un sujet atteint de délire onirique, de confusion mentale aiguë, on devra toujours rechercher les symptômes de l’alcoolisme chronique. On pensera, cependant, à éliminer les autres intoxications en particulier par la cocaïne, le choral, l’éther, le haschich, le plomb, le sulfure de carbone, l’oxyde de carbone et surtout les états toxi-infectieux.


II. LE DÉLIRE ALCOOLIQUE AIGU OU « DELIRIUM TREMENS »


1° Historique. — Le syndrome clinique a été individualisé par un médecin anglais, Sutton (1813). Il ne remarquera pourtant pas son origine alcoolique. C’est Rayer (1819) qui donna une nouvelle et excellente description de ce délire et insista sur son étiologie alcoolique. En 1826, Dupuytren étudia avec soin le delirium tremens chirurgical auquel il donna le nom de « délire nerveux traumatique » mais, comme Sutton, il méconnut complètement la nature alcoolique de ces accès. — Plus tard, il fit l’objet des admirables descriptions cliniques de Garnier, Lasègue, Magnan, Bail, Lancereaux, Régis, etc.



Le « delirium tremens » ou forme maligne est devenu rare aujourd’hui.

Actuellement, l’intérêt se porte vers les recherches biologiques et patho- géniques. Depuis les travaux de Toulouse, Courtois et Marchand (1933-1937), de L. Bruel et Lecoq (1941) de Coirault et Laborit (1956), etc., on s’efforce de délimiter ces grands délires aigus des délires subaigus par des critères biologiques précis.

En effet, si cliniquement il n’existe pas de frontière nette entre les délires subaigus graves et les delirium tremens légers, il semble qu’une démarcation faite sur des critères biologiques puisse permettre de séparer ces formes de pronostic grave, des cas subaigus qui, comme nous le savons déjà, évoluent habituellement vers la guérison.

Mais les efforts des auteurs contemporains (Lereboullet, 1956 ; Boudin, 1960), portent surtout sur l’emploi précoce des thérapeutiques sédatives et tranquillisantes en injection IM (Méprobamate*, Largactil*, Tranxène*, etc.) qui a modifié sensiblement le tableau sémiologique classique rappelé ci-dessous. Le pronostic s’est aussi amélioré à court terme mais le pronostic lointain reste encore très défavorable : près de 50 °/o de décès dans les années suivantes (thèse de Salomon, 1968) par coma hépatique notamment.



Le traitement du D. T. est une urgence.




Description clinique.

2° Étude Clinique. — Les circonstances d’apparition et les prodromes sont les mêmes pour l’accès subaigu. Signalons cependant que le début du delirium tremens comporte moins de prodromes et peut même débuter brusquement.


Le délire est celui de l’accès subaigu mais considérablement plus marqué. Le malade manifeste un état intensément hallucinatoire : gestes professionnels interminablement répétés, recherche incessante d’objets, illusion de petites bêtes aux quatre coins de sa chambre, attitudes effrayées. Complètement désorienté dans le temps et dans l’espace, il peut, quand on l’interpelle brusquement, donner deux ou trois réponses lucides, particulièrement sur sa propre identité, mais bientôt il repart dans son épuisante agitation et retombe dans son monde hallucinatoire. La plus grande profondeur de la désintégration de la conscience (confusion) dans le delirium tremens entraîne la libération des mouvements anormaux qui n’existaient pas dans l’accès subaigu.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on VI. Psychoses Alcooliques

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