6. Une simple surveillance monitorée1
C’est la fin d’une longue journée en salle d’opération. Vous êtes requis pour la surveillance monitorée de la pose en urgence d’un cathéter de Broviac. Le requérant vous promet qu’il s’agit de votre dernière intervention de la journée. La patiente est âgée de 83 ans, hospitalisée depuis trois jours pour bilan de son rétrécissement aortique serré en vue d’un éventuel remplacement valvulaire. Une insuffisance rénale aiguë s’est développée durant ce bilan, justifiant la pose du cathéter de Broviac. La patiente passe directement de l’unité de soins intensifs (USI) en salle d’opération, son consentement ayant été signé par son fils. Ni lui ni aucun autre proche de la patiente n’est disponible avant l’intervention. Vous la rencontrez en dehors de la salle d’opération, en présence du chirurgien qui est pressé de procéder. Vous faites valoir la nécessité de parler avec la patiente et de l’examiner. Elle est partiellement orientée dans le temps et dans l’espace. Elle dit comprendre la nécessité de la pose du cathéter de Broviac en raison d’un problème avec ses reins. Il s’agit d’une petite femme de 59kg pour 165cm. Elle présente un œdème des jambes et du sacrum. Sa fréquence cardiaque est régulière à 110bpm et sa pression artérielle est 130/90. Sa saturation artérielle en oxygène à l’air ambiant est à 91 %. Elle reçoit 10l/min d’oxygène par un masque facial. L’auscultation pulmonaire retrouve une diminution du murmure vésiculaire aux deux bases, ainsi que des râles et des crépitants diffus. Sa respiration est superficielle à 34 cycles/min. Ses veines cervicales sont dilatées. Vous diagnostiquez une insuffisance cardiaque congestive et le chirurgien est d’accord mais souhaite procéder. Vous choisissez de n’administrer aucun sédatif ni morphinique, mais de lui injecter 40mg de furosémide intraveineux supplémentaires. Elle est installée sur la table d’opération et vous la rassurez en mettant en place les éléments de la surveillance non invasive. Huit litres d’oxygène par minute lui sont apportés par un masque facial. Le chirurgien injecte 20ml de lidocaïne à 1 % dans la zone opératoire et l’interne junior fait plusieurs tenta tives pour trouver la veine sous-clavière gauche. Soudain se produit une baisse importante du CO2 de fin d’expiration, de 38 à 15mmHg, et la saturation en oxygène chute à 83 %. Vous pratiquez une ventilation au masque avec 100 % d’oxygène et la saturation de la patiente remonte à 94 %, la valeur la plus élevée depuis votre prise en charge. Vous êtes sur le point de l’intuber lorsque l’infirmière circulante vous informe que la patiente est DNR/DNI (ne pas réanimer/ne pas intuber). Vous décidez de ne pas pratiquer l’intubation mais de continuer à surveiller la ventilation. Un rapide examen thoracique révèle la présence d’un pneumothorax . Vous pratiquez un drainage d’urgence, le drain étant assemblé en moins d’une minute avec l’aide de l’infirmière [1, 2]. Pour plus d’information sur la réalisation rapide d’un dispositif de drainage aspiratif, se rapporter à l’appendice en fin d’ouvrage. Avec le drain fonctionnel et du furosémide supplémentaire, la patiente revient presque à son état antérieur au bout de 10–20min. Le chirurgien abandonne la pose de cathéter et elle est reconduite en USI. Malheureusement elle décède deux heures plus tard, sans tentative héroïque de réanimation en raison de son statut DNR/DNI.
Peu de temps après son décès, vous rencontrez les trois enfants de la patiente : un fils qui est médecin et deux filles avocates spécialistes des mauvaises pratiques. Vous expliquez le déroulement des évènements, qu’ils écoutent poliment. À la fin vous leur demandez s’ils ont des questions et l’une des filles dit : « Merci d’avoir pris le temps de nous expliquer tout cela. Nous sommes également reconnaissants du fait qu’elle ne semble pas avoir trop souffert. J’ai néanmoins une question à vous poser ». Quelle était la question d’après vous ?