Troubles du Traitement Spatial

5. Troubles du Traitement Spatial




TROUBLES CONSTRUCTIFS ET VISUOSPATIAUX



DÉFINITION


Les termes de trouble visuoconstructif et visuospatial sont associés à différentes lésions qui touchent, au sens large, le traitement de l’information spatiale et les capacités constructives. Les capacités à recopier une figure géométrique, à créer des constructions tridimensionnelles et à saisir l’orientation spatiale en font partie. La capacité à recopier une figure complexe n’est pas une aptitude purement spatiale, mais elle peut également entraîner un traitement langagier – l’interprétation de la signification d’une figure – et elle implique l’aptitude à différencier la droite de la gauche. Or, les troubles visuoconstructifs peuvent également être observés suite à des lésions hémisphériques gauches. Les atteintes sévères sont néanmoins nettement plus fréquentes suite à des lésions hémisphériques droites. Les troubles visuoconstructifs qui ne sont pas secondaires à une hémiparésie ou à des troubles sensitifs et qui n’affectent pas les capacités de motricité fine (par exemple l’écriture) sont désignés par le terme d’ apraxie constructive. Comme ce terme implique un trouble dans l’exécution de l’action – de la praxie – nous préférons le terme plus neutre de trouble visuoconstructif.


EXAMEN


Une des meilleures mesures des troubles des fonctions cognitives est celle de la copie de la figure complexe de Rey [641]. La figure 5.1 montre l’original de la figure de Rey et des exemples de copies illustrant différents degrés de difficulté à la recopier. Comme cette figure permet aussi l’examen de la mémoire non verbale, il est important de toujours la présenter avec la même orientation. De même, le patient doit être empêché de la tourner pour la copier. Généralement, les patients copient la figure en adaptant un concept et ainsi dessinent donc d’abord le grand rectangle. Une procédure plus «anarchique» met en évidence un trouble de la planification. Normalement, un patient a besoin de moins de 5 minutes pour copier la figure. Au moins 20 minutes plus tard, l’examinateur demande au patient de redessiner la figure de mémoire afin de tester le rappel mnésique différé. Pour cela, une page blanche est disposée dans la même orientation que lorsque le patient l’a copiée (voir page 135). Un rappel différé normal comprend au moins 9 des 18 éléments que comporte la figure (voir la description détaillée dans [459]).








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Fig. 5.1
– Troubles visuoconstructifs : copie de la figure complexe de Rey [641, 734].a : copie légèrement déficitaire d’un patient souffrant d’une contusion frontale bilatérale. Bien que cette copie ne soit que légèrement déficitaire selon l’évaluation formelle, elle constitue, chez ce patient d’un bon niveau scolaire, un trouble constructif significatif. b : troubles visuoconstructifs modérés chez un patient souffrant d’une hémorragie pariétale droite. c : copie très déficitaire d’un patient souffrant d’un infarctus frontopariétal droit étendu suite à des vasospasmes sur hémorragie par rupture d’un anévrysme de l’artère communicante postérieure droite.


Un patient peut être complètement dépassé par la difficulté de cette tâche, par exemple dans le cadre d’une démence. Si le sujet présente un niveau de scolarisation normal, cela constituera sans doute un résultat significatif. Néanmoins, le test n’est pas adapté à la quantification de la capacité constructive d’un tel patient, ni à son évaluation au cours du temps. Il est plus utile dans cette situation de faire copier des figures de difficulté croissante, telles qu’elles sont représentées dans la figure 5.2. Ces figures sont plus adaptées que la figure de Rey comme test de base, et en particulier pour l’examen de patients souffrant de troubles de l’attention. Le test de l’horloge a fait également ses preuves. On présente au patient une feuille sur laquelle est dessiné un cercle avec pour consigne d’y inscrire les chiffres (cadran) ainsi que d’y dessiner des aiguilles indiquant «11 heures 10». On peut ainsi documenter des troubles visuospatiaux, une héminégligence (voir figure 5.5 b) ou une tendance à la persévération. On peut également, en fonction des capacités du patient, lui demander des tâches plus difficiles, par exemple de dessiner un vélo. Cela permet parfois de suivre l’évolution d’un patient (figure 5.3). D’innombrables autres tests sont disponibles afin d’appréhender les troubles visuoconstructifs. Quelques autres exemples sont présentés dans le paragraphe suivant (héminégligence).








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Fig. 5.2
– Copies de figures simples de degrés de difficultés différents (modèles du Pr D. F. Benson).a : patiente souffrant d’une hémorragie hypertensive frontopariétale droite. b : patient souffrant d’une maladie d’Alzheimer avec un score de 22 au Mini Mental Test [274]. c : patiente souffrant d’un infarctus temporopariétal droit étendu.









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Fig. 5.5
Héminégligence spatiale gauche.a : essai d’un patient souffrant d’un infarctus temporopariétal droit (vasospasmes sur hémorragie par rupture d’un anévrysme de l’artère communicante postérieure) de dessiner une fleur ; il néglige aussi bien la partie gauche de la feuille que la fleur. b : essai d’une patiente souffrant d’une lésion hémisphérique droite étendue postinfarctus ischémique de placer les chiffres dans un cercle prévu à cet effet, afin de reconstituer une montre et de placer les aiguilles de l’horloge à « 11 h 10 ». Elle remarque d’elle-même que l’ordre des chiffres n’est pas correct et essaie à maintes reprises de se corriger.









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Fig. 5.3
– Dessins de bicyclettes servant de paramètres comparatifs de l’évolution chez un ingénieur âgé de 56 ans ayant souffert d’une hémorragie temporopariétale droite.Date des dessins : a : au 5 e jour, b : après 2 semaines, c : après 4 semaines, d : après 8 semaines ; à ce moment, le patient souffrait toujours d’une hémiplégie et d’une hémianopsie gauche.











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Fig. 5.4
– Examen de la capacité spatiale à évaluer l’inclinaison de lignes au moyen de la lecture de montres analogues.



ANATOMIE



Différentes études ont évalué les différences qualitatives des troubles constructifs suite à des lésions hémisphériques unilatérales. Elles ont pu montrer que des lésions hémisphériques droites menaient plus fréquemment à un déficit de la reproduction de la structure globale, mais avec une préservation de la copie des détails, alors que les lésions hémisphériques gauches n’altèrent pas la reproduction de la structure globale de la figure; la copie reste correcte dans son ensemble, mais les détails sont négligés [503, 599, 821]. Même si ces différences se révèlent hautement significatives sur des grands groupes de patients, elles ne présentent pas de relation anatomoclinique stricte. Cela peut s’expliquer par le fait que les tâches constructives sont tributaires tant de capacités de planification – expliquant les troubles observés sur des lésions du lobe frontal – que de capacités spatiales – d’où les troubles observés suite à des lésions du lobe pariétal [209, 478]. Notre expérience nous démontre que la présence de fortes distorsions des proportions dans la copie d’une figure ou l’incapacité à dessiner une figure simple mais spatialement complexe (un cube, par exemple) sont particulièrement typiques de lésions pariétales, en particulier droites, alors que la copie d’une figure complexe effectuée détail par détail (en ne commençant pas par l’armature centrale) parle plutôt en faveur d’une atteinte frontale. L’absence d’une relation anatomoclinique spécifique concernant les troubles constructifs, observés suite à des lésions de localisation diverses, explique que ces derniers sont souvent observés dans le cadre de démences et que les capacités constructives sont très sensibles à de nombreux troubles des fonctions cérébrales.

Un trouble de la réalisation d’une tâche spatiale purement perceptive, telle l’évaluation de l’orientation de lignes, est plus spécifiquement lié à un trouble des fonctions cérébrales pariétales droites que les troubles constructifs [86]. De même, nous avons observé des patients incapables de lire l’heure sur une montre à aiguilles, sans aphasie associée, qui présentaient des lésions hémisphériques droites.


SYNDROME D’HÉMINÉGLIGENCE


Le syndrome d’héminégligence est un des troubles des fonctions cérébrales supérieures les plus impressionnants et il est aussi parmi les mieux documentés. L’héminégligence désigne la perte d’attention sur l’hémi-espace ou l’hémicorps controlatéral à une lésion hémisphérique, sans qu’une dysfonction sensorielle ou motrice primaire en soit à l’origine [122]. L’héminégligence peut s’exprimer par une élévation du seuil de réponse à des stimuli appliqués sur le côté négligé ou par une propension diminuée à agir dans l’espace négligé. Une particularité de ce syndrome réside dans le fait que beaucoup de patients n’ont pas conscience du déficit, ce qui est désigné par le terme d’anosognosie [39, 102]. L’héminégligence se présente nettement plus fréquemment suite à des lésions hémisphériques droites que gauches et touche normalement l’hémicorps ou l’hémi-espace gauche [10, 55]. L’héminégligence droite sur lésion hémisphérique gauche est en général moins marquée, souvent associée à des troubles de la vigilance et pratiquement toujours passagère [64, 748].


SYMPTÔMES




Phénomène d’extinction


Le phénomène d’extinction désigne l’héminégligence, c’est-à-dire la non-attention, à un stimulus sensitif ou sensoriel, lorsque deux stimuli sont appliqués simultanément, comme, par exemple, lorsqu’une personne est touchée à deux endroits du corps différents. Certains phénomènes d’extinction sont également présents chez le sujet sain: lorsqu’un sujet sain est touché simultanément, avec la même intensité, au visage et à la jambe, il aura tendance à ne pas prendre conscience du toucher à la jambe. Les sujets sains remarquent cependant des stimuli simultanés de localisation homologue sur les deux hémicorps [67]. Cela est différent chez les patients souffrant d’héminégligence: lorsqu’un patient est touché simultanément des deux côtés du visage, sur les deux bras ou les deux jambes (phénomène d’ extinction tactile), ou lorsqu’il doit reconnaître de fins mouvements simultanés dans les deux champs visuels homologues (phénomène d ‘extinction visuelle), ou lorsque des bruits similaires sont produits simultanément dans les deux oreilles (phénomène d’ extinction acoustique ou auditive), il ne reconnaît pas le stimulus appliqué sur le côté gauche; ce dernier est alors «éteint» par le stimulus appliqué du côté droit [176, 349, 709]. Hormis ces phénomènes d’extinction sensorielle, il existe également un phénomène d ‘extinction motrice [788], observé par exemple lors de l’épreuve des bras tendus par une chute du bras gauche chez un patient disposant de la même force dans les deux bras.

Le phénomène d’extinction n’est pas spécifique d’un syndrome d’héminégligence. Lors de troubles sensoriels légers, on peut également observer un phénomène d’extinction du territoire sensitif correspondant. De même, l’abaissement d’un des bras à l’épreuve des bras tendus à la suite d’une parésie motrice pure ne peut être différencié, phénoménologiquement, d’une extinction motrice. Le fait que l’extinction dans le cadre d’un syndrome d’héminégligence corresponde à un trouble de l’attention et non à une altération perceptive, sensitive ou sensorielle, est illustré par le phénomène d’ extinction olfactive. Dans ce cas, les stimuli olfactifs présentés simultanément dans les deux narines sont négligés du côté gauche, bien que les fibres olfactives ne croisent pas dans le cerveau [65]. Un phénomène d’extinction peut être valorisé en tant qu’indice d’un syndrome d’héminégligence quand des troubles sensoriels ou moteurs ne l’expliquent pas, c’est-à-dire lorsque des stimuli simultanés, dont l’intensité d’application se situe au-dessus de la valeur seuil, sont suivis de la non-reconnaissance latéralisée de l’un des stimuli, alors que la stimulation unilatérale est reconnue.

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Troubles du Traitement Spatial

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