Syndromes Frontaux

3. Syndromes Frontaux



Les troubles moteurs qui surviennent lors de lésions de l’aire 4 (hémiplégie) ne seront pas traités dans cet ouvrage. Les troubles cognitifs qui surviennent lors de lésions prémotrices (aphasie et héminégligence) seront traités de manière plus détaillée dans des chapitres séparés. Le présent chapitre traite du «syndrome frontal», dans son acception générale. Celui-ci comprend une multitude de troubles du comportement et de la personnalité pouvant être observés suite à des lésions du lobe frontal [753].

Le lobe frontal est subdivisé en une partie dorsolatérale, une partie paramédiane (comprenant le cingulum et l’aire motrice supplémentaire) et une partie orbitofrontale. Des lésions de ces diverses régions entraînent des troubles spécifiques.

La partie antérieure du lobe frontal (rostrale au cortex moteur associatif; aire 1 dans la figure 1.4) correspond au cortex préfrontal. Ce chapitre traite en particulier du rôle et des troubles associés aux lésions de cette région. Le cortex préfrontal dans son ensemble reçoit des afférences du noyau dorsomédian du thalamus [280]. Un syndrome frontal peut de ce fait résulter d’une interruption de ces connexions [666]. Le cortex préfrontal est l’aire associative la plus complexe dans son organisation [280, 536]. Il est relié à toutes les autres aires associatives. Il peut paraître curieux que cette région – qui est fonctionnellement la plus complexe du cerveau – soit traitée en premier lieu dans cet ouvrage. Néanmoins, les lobes frontaux sous-tendent l’ensemble des fonctions cognitives de façon si essentielle que le clinicien doit rester conscient de leurs influences afin d’éviter de mal évaluer, fonctionnellement et en termes de localisation, les troubles des fonctions dites «instrumentales» (par exemple, le langage).


SYMPTÔMES


De nombreux termes ont été utilisés pour qualifier les fonctions et les troubles des lobes frontaux. Dans ce chapitre, seront décrites les différentes fonctions des lobes frontaux par rapport à leur influence sur la production de l’action volontaire.

Les lobes frontaux permettent de planifier une action dans une séquence cohérente ( planification de l’action), de commencer l’action (initiation), de se concentrer sur celle-ci (attention), de la cesser ou de se concentrer sur une autre lorsque le contexte le nécessite (flexibilité). Aucune de ces aptitudes n’a une base anatomique ou fonctionnelle stricte; chacune de ces aptitudes sous-tend les autres. Les processus liés à la réalisation de l’action sont rassemblés sous le terme de fonctions exécutives. Celles-ci sont influencées par les émotions qui peuvent être modifiées lors de lésions du lobe frontal. L’ensemble de ces aptitudes, visant à la production de l’action, constitue une partie essentielle de la personnalité d’un individu. Les aspects fonctionnels du lobe frontal et leurs dysfonctions sont discutés dans le texte qui suit.


PLANIFICATION DE L’ACTION










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Fig. 3-1
– Comportement désorganisé après lésion dorsolatérale frontale droiteCette patiente, âgée de 43 ans, a subi, 13 ans auparavant, un traumatisme craniocérébral sévère. Elle souffrait d’une incapacité à organiser son quotidien, manquait des rendez-vous et souffrait d’un isolement social. Afin de ne pas oublier d’amener ses radiographies à sa première consultation médicale, elle les déposa à l’accueil de la clinique 2 heures avant le rendez-vous mais, en revanche, ce même jour, elle oublia de se présenter à la consultation médicale.a : l’IRM montre une lésion unique du lobe frontal dorsolatéral droit (flèche, aire de Brodmann 46/9). b : l’agenda de cette patiente fait preuve d’une organisation chaotique. Bien qu’elle ait noté des rendez-vous sur son poignet, elle les manqua régulièrement. L’essai de réadaptation au moyen d’un système de bip [843] lui rappelant le moment des rendez-vous a échoué. Lorsque le système lui rappelait un rendez-vous, la patiente avait déjà perdu l’intérêt pour celui-ci.L’examen neuropsychologique structuré était pratiquement normal. Ce n’est que lors de l’examen testant la capacité à mémoriser différentes informations à haute interférence que la patiente échouait. Des séries de chiffres lui étaient énoncées (2-5-7-2-6-7…) et la patiente devait reconnaître lors de différents passages si le chiffre actuel correspondait au 2 e, 3 e ou 4 e chiffre à rebours de la série (tâche n-back), une tâche qui active chez les sujets sains l’aire 46 [163]. Il ne lui était donc pas possible de gérer simultanément le maintien en mémoire de travail des différentes informations pendant un intervalle défini et d’effectuer un rappel au moment opportun.

(d’après Ptak R, Schnider A. : Disorganised memory after right dorsolateral prefrontal damage. Neurocase 2004 ; 10 : 52-59).

Une pensée anticipatoire et socialement responsable nécessite également qu’un individu soit conscient de ses propres capacités cognitives et de l’attente de celui qui lui fait face. La première de ces capacités a été décrite sous le terme de métacognition ou self-monitoring [753]. La capacité d’identifier les intentions et les attentes d’autres individus a été décrite sous le terme de théorie de l’esprit (theory-of-mind) [657, 754]. Finalement, la planification de l’action suppose également que les exigences spécifiques de la tâche (le concept) soient reconnues. Cela est décrit sous le terme de reconnaissance des concepts. Cette capacité nécessite, entre autres, que la capacité d’ abstraction soit intacte.

La planification d’actions, dans ces diverses composantes, peut être perturbée à la suite d’une lésion frontale. Ce trouble de la planification sera manifeste, au cours de l’examen neuropsychologique, lorsqu’un patient entame une épreuve sans concept. Dans la vie de tous les jours, ces patients se comportent de façon maladroite et agissent de manière improductive. Les patients souffrant de lésions frontales n’ont fréquemment pas conscience de leurs difficultés et surestiment leurs propres capacités [380]. Occasionnellement, le comportement d’un patient souffrant d’une lésion frontale peut se présenter sous la forme d’une manie [741]. Le manque d’anticipation peut se manifester par des troubles comportementaux encore plus complexes: les patients ne sont pas fiables, ne se tiennent pas aux accords passés, développent un absentéisme au travail et sont confrontés à des échecs relationnels [29, 196, 250, 617]. La signification de ces troubles est souvent sous-estimée; ils peuvent ruiner la vie sociale d’un patient et de ses proches (voir figure 3-7). Ils constituent, dans des cas isolés, les seules manifestations d’une lésion frontale séquellaire [250]. Si l’examinateur n’en est pas conscient, ces troubles risquent d’être considérés, à tort, comme liés à un phénomène réactionnel d’adaptation du patient.


INITIATION







ATTENTION


Une action spécifique ne peut être réalisée de manière optimale que lorsqu’une personne parvient pleinement à se concentrer sur celle-ci, sans se laisser distraire. La distractibilité induite par des stimuli extérieurs à la tâche donnée (ouverture de porte, téléphone) est décrite par le terme de sensibilité à l’interférence. Celle-ci constitue un des symptômes les plus fréquents et les plus marquants d’une lésion du lobe frontal [280]. Une distractibilité sévère peut déjà être détectée lors de l’anamnèse. Parfois, les patients peuvent être distraits par les consignes mêmes d’une tâche comportant une restriction ou une interdiction, à tel point qu’ils finissent par réaliser l’action précisément défendue. Lors de l’examen, cela conduit au non-respect des règles établies (voir tableau 3.II). La sensibilité aux interférences influence toutes les fonctions cognitives. Ainsi la capacité mnésique peut être fortement entravée: des patients souffrant de troubles frontaux oublient très facilement une information, si celle-ci est suivie immédiatement d’autres informations. Les troubles de l’attention peuvent devenir si importants que même des actions motrices simples ne peuvent être effectuées correctement. Les patients peuvent ne plus être en mesure de maintenir une certaine position (bras levés, yeux fermés, etc.) sur un laps de temps donné, situation décrite par le terme d’ impersistance motrice. Ce trouble peut également être manifeste dans le cadre du syndrome d’héminégligence, qui sera discuté plus loin [413].




















































Tableau 3-II – Exemples de fluence verbale (production de noms communs commençant par une lettre donnée, à l’exception des noms de lieu ou des noms propres, ici en 3 minutes).
a. Normale b. center c. center
Faire France (nr, C) Faire
Farce François (nr) Fin
Fin Ferme
Fiche
Finition Florian (nr) Faire (pers, C)
Fameux Françoise (nr) Fin (pers)
Faux Frais
Fameux
Faucon

Faire (pers)


a : production verbale normale (32 mots). b : patiente présentant une démence frontotemporale (non seulement la production est insuffisante mais la patiente présente également un non-respect des consignes). Bien qu’elle remarque elle-même qu’elle ne devrait pas utiliser des noms propres, elle n’arrive pas à s’y conformer (même patiente que dans la figure 9.4). c : patient présentant un épisode amnésique ; sa production verbale est insuffisante en raison de la répétition des mêmes mots (persévérations, en revanche pas de non-respects des consignes).
nr : non-respect des consignes ; pers : persévération ; C : correction par l’examinateur.

La résistance à l’interférence est un aspect essentiel de l’attention dirigée, c’est-à-dire de la capacité à se concentrer de façon dirigée sur une tâche. En comparaison avec les patients souffrant d’une lésion du système activateur réticulaire ascendant (SARA, voir page 15) à l’origine d’un trouble attentionnel, ceux souffrant d’une lésion frontale au stade chronique n’ont généralement pas de trouble de vigilance.


FLEXIBILITÉ


L’action dirigée nécessite non seulement une attention orientée sur une séquence particulière d’actes et une résistance aux interférences, mais également la capacité d’intégrer de nouvelles informations (attention divisée, voir page 13), ainsi que la flexibilité d’adapter le plan de l’action à de nouveaux besoins. Les patients souffrant de lésions du cerveau préfrontal peuvent perdre cette flexibilité, si bien qu’ils persévèrent dans un schéma d’actions. Des persévérations peuvent intervenir dans le contexte d’une tâche donnée (par exemple, lors de production de mots selon un critère précis) et peuvent également être révélées par l’utilisation persistante des consignes données lors d’une tâche précédente (voir figure 3-6). Les persévérations touchent les performances cognitives (persévérations cognitives, voir figure 3-6) ou les actions motrices (persévérations motrices, voir figure 3-7). La dépendance à l’environnement (environmental dependency) constitue une forme particulièrement grave de ce manque de flexibilité cognitive: le comportement des patients n’est plus dirigé sur un but mais est dépendant des stimuli environnementaux [460, 715]. Le patient a tendance à prendre des objets et à les utiliser même si ce comportement n’a en lui-même pas de but. C’est pourquoi ce comportement a été décrit comme comportement d’utilisation (utilisation behavior) [461, 464]. Si le patient voit une poignée de porte, il l’ouvre, s’il voit un stylo, il le prend dans la main. Le réflexe de préhension pathologique (grasping) chez les patients qui ne peuvent s’empêcher de saisir un objet en contact avec la paume de leur main peut également être interprété comme une perte de flexibilité motrice; il manque à ces patients le contrôle inhibiteur normalement exercé par le cortex préfrontal sur l’activation de réponse comportementale automatique, déclenché par des stimuli environnementaux. Ce réflexe révèle la présence d’une lésion du lobe frontal médial ou dorsolatéral [211].


PERSONNALITÉ


Les fonctions du cerveau frontal jusqu’ici décrites et leurs troubles rendent compte d’une grande partie de la personnalité d’un individu. Des patients souffrant de troubles frontaux peuvent présenter une personnalité irréfléchie, distraite, apathique, désinhibée ou importune. Les lésions frontales peuvent également conduire à des troubles émotionnels: des lésions frontales gauches sont fréquemment associées à une dépression et des lésions frontales droites à une manie [742]. L’expression d’un comportement de type maniaque peut être très subtile et ne s’exprimer que par une augmentation du débit de la parole (hyperverbalisation, logorrhée) (figure 3-2). Les patients commentent alors tout ce qu’ils observent [424]. Dans l’entretien, la tendance à commenter tout n’est parfois pas évidente; le patient peut juste donner l’impression d’être un peu trop direct.








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Fig. 3-2
– Hyperverbalisation sur le dessin d’un artiste qui a subi un infarctus hémisphérique droit de grande taille associé à une héminégligence gauche.Ce patient présentait en phase aiguë également des signes d’atteinte frontale droite. Bien qu’il n’ait auparavant jamais inséré des textes dans ses dessins, il ressentait alors un besoin irrépressible d’y intégrer du texte (autres exemples dans [702]).


L’altération de la capacité à anticiper les conséquences des actes projetés, chez certains patients souffrant de lésions orbitofrontales, a déjà été mentionnée à la page 20 (trouble des «marqueurs somatiques») [196]. Ces patients peuvent se mettre en échec dans leur vie personnelle et professionnelle (rupture de la vie de couple, perte de poste, investissements à risque) sans que l’examen neuropsychologique ne soit pathologique [250] (voir figure 3-9). Des études expérimentales ont mis en évidence des difficultés dans le traitement de signaux sociaux et émotionnels (expressions faciales, intonation de la voix) ainsi qu’une diminution de la capacité à l’empathie après de telles lésions [365]. Ces patients présentent donc un trouble de l’«intelligence sociale», alors que leur «intelligence cognitive» est préservée [46]. Des lésions orbitofrontales survenues dans la petite enfance peuvent conduire à des troubles du développement de la personnalité marqués par une sociopathie; l’intelligence cognitive, en revanche, peut être là aussi parfaitement normale [29, 617].


EXAMEN



Il arrive aussi qu’un trouble frontal suspecté à l’anamnèse ne puisse être mis en évidence ni par les «tests frontaux» les plus sensibles, ni par l’observation attentive du patient. Il n’existe, en particulier, aucun examen permettant d’évaluer l’anticipation à long terme, nécessaire à la planification des actions futures et à l’établissement des relations sociales. Néanmoins, de tels troubles peuvent mener à une incompétence sociale, en dépit d’un examen neuropsychologique parfaitement normal (voir figure 3-9) [249, 250]. En effet, le déroulement même d’un examen clinique dirigé comprenant plusieurs tâches réalisées l’une après l’autre fait que le patient n’a pas à se décider sur la marche à suivre ni sur les stratégies nécessaires pour passer d’une tâche à la suivante, la structure de l’examen elle-même remplaçant d’une certaine façon le lobe frontal lésé.

Dans de tels cas, l’anamnèse livre des informations plus importantes que l’examen formel. L’utilisation de questionnaires peut aider à mieux détecter les modifications dans le comportement social secondaires à une lésion cérébrale [46, 365].

Le tableau 3.I présente les composantes de l’évaluation clinique des fonctions frontales. Ce tableau tient compte du fait que l’examen clinique doit en général être réalisé sans matériel de test préparé, ni de support informatique. Les procédures sophistiquées de l’examen neuropsychologique standardisé ne sont pas présentées ici: elles sont décrites dans des manuels spécialisés [459, 734]. L’anamnèse, l’observation du comportement et des tests ciblés contribuent de façon équivalente à l’évaluation clinique des troubles frontaux.























Tableau 3-I – Évaluation clinique des fonctions frontales : celles-ci reposent sur l’information obtenue lors de l’anamnèse (A), de l’observation du comportement du patient (O) ainsi que de certains tests* (T).
*Pour les tests notés entre crochets, un matériel d’examen est nécessaire. Les autres tests peuvent être effectués au moyen de papier et crayon sans avoir besoin de matériel supplémentaire.
Composante cognitive Anamnèse (A), observation (O), test (T)
Planification
Mémoire du futur
Métacognition
Séquençage, reconnaissance de
concepts
Abstraction

A
A
O
T
T

Manque de fiabilité, perte de poste, etc.
Surestimation de soi-même, endettement, etc.
Approche non méthodique des tâches
Coin-test
Séquences logiques, interprétation de proverbes
Initiation
Motrice et cognitive
Initiation verbale
Initiation figurale

A, O
T
T

Akinésie, ralentissement psychomoteur
Production de mots
[Test des 5 points]
Attention
Attention dirigée

Sensibilité à l’interférence

O
T
O
T

Distractibilité
Empan en avant et à l’envers, séries de 7, épeler un mot à l’envers, [test d2], etc.
Distractibilité
[Test de Stroop]
Flexibilité cognitive
Persévération motrice
Persévération cognitive
Comportement d’utilisation

T
O
O

Frises de Luria, séquences alternées
Persévération sur des instructions antérieures
Toucher, manipuler des objets

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May 13, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Syndromes Frontaux

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