13. Troubles bipolaires chez l’enfant et l’adolescent
F. Kochman, M. Desmet, G. Le Nouy, M. Verduyn and M. Dumont
Introduction
Premièrement, la notion de trouble bipolaire précoceTrouble(s) bipolaire(s)précoce(s) est aujourd’hui bien ancrée dans la nosographie anglo-saxonne, malgré de multiples interrogations en suspens quant à sa structure sémiologiqueSémiologie, ses particularités symptomatiques au regard du trouble bipolaire de l’adulte ou encore de son abord thérapeutique (Geller et coll., 2008). Nonobstant, sa catégorisation dans cette classe d’âge est loin de faire l’objet d’un consensus en Europe, plus particulièrement en France (Bailly, 2006 ; Kochman et coll., 2005).
Deuxièmement, les études d’évaluationÉtude(s)d’évaluation des thérapies non médicamenteuses chez l’enfant ou l’adolescent bipolaire n’existaient pas avant la fin de la dernière décennie. Ce fait est d’autant plus troublant que les thérapies psychosociales, notamment la psychothérapiePsychothérapie(s) (voir aussi thérapie(s)), ont de tout temps été considérées en pédopsychiatrie comme des traitementsTraitement(s) de référence, tant l’instauration précoce d’un traitementTraitement(s) psychotrope soulève des problèmes majeurs d’ordre éthique et déontologique dans cette classe d’âge.
À la lumière de la littérature médicale et de notre pratique quotidienne, force est de constater que les troubles bipolaires précoces sont fréquents et que leur évocation diagnostique est rarissime chez l’enfant et l’adolescent. Sa prévalencePrévalence est estimée à 1 % de la population juvénile (Geller et Luby, 1997). Par ailleurs, 65 % des patients bipolaires adultes ont présenté leurs premiers épisodes de décompensation thymique durant l’adolescence voire l’enfance (Perlis et coll., 2004). Les complications et conséquences de cette pathologie grave non traitée sont très lourdes : risque suicidaireSuicide(s)risque(s) de/risque(s) suicidaire(s) majeur, conduitesAddiction(s)conduite(s) addictives, déscolarisation et désocialisation (Gutierrez-Rojas et coll., 2008).
Une évaluation des stratégiesStratégies thérapeutiques non médicamenteuses dans ce cadre nous apparaît donc nécessaire et même d’une extrême importance en termes de santé publique.
Les thérapies non médicamenteuses peuvent être subdivisées en deux dimensions distinctes malgré leur complémentarité : les psychothérapiesPsychothérapie(s) (voir aussi thérapie(s)) et la psychoéducationPsychoéducation. L’abord psychoéducatif est défini par la formation d’une personne souffrant d’un trouble psychiatrique, afin de lui donner les moyens de gérer de la façon la plus autonome possible sa maladie et les conséquences sociales de celle-ci. On peut caractériser la psychoéducation selon trois dimensions (Fristad, 2006) :
1. une dimension pédagogique : donner des informations sur la maladie et les traitements ;
2. une dimension psychologique : soutenir émotionnellement la personne face aux difficultés d’accepter ou de vivre avec la maladie ;
3. une dimension comportementale : donner des outils à la personne pour qu’elle adopte les comportements qui lui conviennent le mieux pour gérer ses problèmes.
Les psychothérapies seront définies en tant que modes de traitementTraitement(s) des troublesTrouble(s) affectif(s) psychologiques et affectifsTrouble(s) affectif(s) de l’individu, fondés sur la communication verbale entre le patient et le thérapeute.
La psychoéducation n’est donc pas, en tant que telle, une psychothérapie, mais elle peut y être étroitement liée. Il existe une synergie claire entre ces deux modes de soins.
Dans la réalité, le distinguo entre psychothérapie et psychoéducation est de plus en plus complexe. À titre d’exemple, Miklowitz a mis au point avec son équipe de cliniciens et de chercheurs une nouvelle forme de thérapie centrée sur la familleThérapie(s)centrée(s) sur la famille (Family-Focused Therapy). Bien que dénommée « psychothérapie », son fonctionnement se révèle plus proche d’une approche psychoéducative (Miklowitz et Goldstein, 1990). De plus, une part psychoéducative bien codifiée fait partie intégrante de la thérapie interpersonnelleThérapie(s)interpersonnelle(s) au cours des premiers entretiens (Weissman, 2007).
Les différentes formes de psychoéducation et leur efficacité chez les adolescents bipolaires
Les premiers modèles de structuration et d’évaluation de la psychoéducation dans les troubles bipolaires ont véritablement pris forme au cours de la décennie précédente. Elles sont aujourd’hui de plus en plus pratiquées par de nombreuses équipes soignantes et s’adressent, en règle générale, au patient mais également à son entourage. Leur développement a surtout été spectaculaire au cours de ces dernières années pour deux raisons évidentes : les nombreuses publications faisant suite à leur évaluation standardisée, qui ont démontré leur grande efficacitéEfficacité dans l’amélioration de la qualité de vieQualité de vie et surtout la baisse de fréquence et d’intensité des rechutes thymiquesRechute(s)thymique(s) (Vieta et Colom, 2004), mais également le fait que ces rencontres entres équipes soignantes, patients et famillesFamille sont unanimement appréciées, renforçant le soutien familial et un meilleur abord de la maladie. Un livreManuel(s) consacré à ce sujet et distribué gratuitement en France (Le trouble bipolaire : livret à l’usage du patient et de sa famille) représente, avec plus de 150 000 exemplaires publiés en 2006, le plus gros tirage de thérapeutique psychiatrique francophone (Kochman et Meynard, 2006).
L’approche psychoéducative intègre la notion extrêmement importante d’observanceObservance/non-observance thérapeutique. Une étude sud-africaine récente a ainsi démontré que des patients adolescents déprimés, inclus dans un groupe psychoéducatif, présentaient une observance médicamenteuse bien meilleure qu’un groupe témoinGroupecontrôle, avec en corollaire un moindre risque de récidives et rechutes dépressivesRechute(s)dépressive(s) (Seedat et coll., 2008). La psychoéducationPsychoéducation est le plus souvent familiale et incorpore les parents, et parfois la fratrie. Un programme psychoéducatif auprès de 41 adolescents dépressifs, âgés de 13 à 18 ans, et de leur famille a mis en exergue un effet direct sur le fonctionnement socialFonctionnementsocial et l’amélioration des relations patient-parents (Sanford et coll., 2006).
La psychoéducation auprès de jeunes patients bipolaires et de leur famille a vu le jour au cours de cette décennie ; la première revue de littérature à ce sujet date de 2003 et souligne d’emblée l’efficacitéEfficacité de ces soins et la forte implication des familles (Fristad et coll., 2003). L’instauration d’un traitementTraitement(s) psychotrope à long terme est a fortiori une épine irritative. L’investissement de ce point au cours d’un programme psychoéducatif permet d’améliorer de manière drastique l’observance médicamenteuse du jeune patient bipolaire, grâce à une bien meilleure implication de l’intéressé et de sa famille (Keller, 2004). Malgré tout, les études d’impact de l’approche psychoéducative auprès de jeunes patients bipolaires restent peu nombreuses. En règle générale, la psychoéducation se déroule en petits groupes incluant le patient ainsi que ses parents, et est largement appréciée. De même, 80 % des médecins participant à ces groupesGroupe sont satisfaits de leur impact clinique (Seedat et coll., 2008). De nouvelles investigations d’efficacité sont donc hautement souhaitables, avec évaluation de leur impact sur la fréquence et l’intensité des rechutes thymiquesRechute(s)thymique(s), le risque suicidaireSuicide(s)risque(s) de/risque(s) suicidaire(s), les conduitesAddiction(s)conduite(s) addictives associées et le fonctionnement social, scolaire et familialFonctionnementfamilial.
L’efficacité des psychothérapies chez l’adolescent bipolaire
Dans la grande majorité des cas, les jeunes patients bipolaires bénéficient d’une psychothérapiePsychothérapie(s) (voir aussi thérapie(s)) en adjonction avec un traitement psychotropeTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie), composé au moins d’un thymorégulateur.Thymorégulateurs Trois psychothérapies sortent du lot en termes d’efficacité : la thérapie cognitivo-comportementale (voir chapitre 9), la thérapie centrée sur la famille (voir chapitre 8), ainsi que la thérapie interpersonnelle et du rythme social (voir chapitre 10).