Comorbidité avec le trouble de la personnalité borderline

16. Comorbidité avec le trouble de la personnalité borderline

V. Dubuis




Introduction


Un certain nombre de patients souffrant de trouble bipolaire (TB) présentent également un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type impulsif ou « borderline ». On évalue à environ 10-15 % (Lenzenweger et coll., 2007) les patients bipolaires qui ont cette comorbiditéComorbidité(s). Une telle observation soulève plusieurs questions. Qu’est-ce qui distingue ces deux entités ? Comment établir le bon diagnosticDiagnostic ? Quelles sont les conséquences de l’association d’un tel trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur avec un trouble de la personnalité ? Existe-t-il des stratégiesStratégies thérapeutiques spécifiques pour aider plus efficacement ces patients ?


Concepts de personnalité borderline et de TB



Origine du concept de personnalité borderline


Dans le modèle psychanalytiqueApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychanalytique, pour définir des patients dont les symptômesSymptômes se manifestent de différentes manières selon les moments, tantôt d’apparence névrotique, tantôt d’apparence psychotique, on a proposé le concept d’une pathologie intermédiaire entre la névrose et la psychosePsychose(s), un état limite situé sur la ligne de démarcation, d’où le terme « borderline ».

Aujourd’hui, les classificationsClassification internationales dont la CIM-10CIM-10 (Organisation Mondiale de la Santé, 1993) et le DSM-IV-TRDSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2003) considèrent le trouble de la personnalité émotionnellement labile (ou borderline) comme un problème de gestion desÉmotion(s)gestion de l’/des émotions.


Comparaison entre le TB et la personnalité borderline


On peut, de manière schématique, considérer le TB comme un problème généralement intermittent de perturbation de l’humeur, alors que la personnalité borderline se définirait comme une difficulté à peu près constante de gestion desÉmotion(s)gestion de l’/des émotions. D’où l’intérêt d’examiner ce qui différencie l’humeurHumeur des émotions.


Caractéristiques de l’humeur


Le terme humeur évoque tout d’abord la tristesse, l’euphorieEuphorie ou l’irritabilitéIrritabilité, qui peuvent se manifester avec différentes intensités dans le TB. Cependant, les perturbations de l’humeur comportent également des changements inhabituels d’énergie, du degré de motivationMotivation, du besoin de sommeilSommeil et de l’appétit (American Psychiatric Association, 2003 ; Organisation mondiale de la santé, 1993). Ces diverses modifications doivent être également prises en compte pour poser un diagnosticDiagnostic de trouble de l’humeur.Trouble(s) de l’humeur Par ailleurs, la durée des symptômesSymptômes est importante pour indiquer qu’il s’agit bien d’un trouble de l’humeur et non d’une perturbation des émotions.


Caractéristiques des émotions


Le terme émotion évoque des états ou des ressentis divers (Damasio, 1994), dont on peut faire une énumération plus ou moins longue, sans parvenir à un consensus entre experts. Dans cette liste, sans prétendre à l’exhaustivité ni à un ordre particulier, nous trouvons l’étonnement, la peur, la jalousie, le dégoût, la haine, mais aussi la joie, la tristesse et la colèreColère. Ces trois dernières émotions peuvent être rapprochées des humeurs euphorie, tristesse et irritabilité. Et c’est bien cette similitude qui rend parfois ardue la différenciation entre émotion et humeur. Il est alors utile de se rappeler qu’une perturbation de l’humeur a tendance à se prolonger et se définit par tout un ensemble de symptômes. Par contre, une émotion survient de façon instantanée, résultant de l’interprétation d’une situation, ayant pour fonction de motiver à agir, à éviter ce qui est dangereux ou désagréable, d’encourager à persévérer vers ce qui semble bénéfique. Elle s’éteint plus ou moins vite selon le contexte, le plus souvent en quelques minutes, parfois en quelques heures. Elle peut être réactivée dans les jours qui suivent, selon les circonstances, mais en principe elle n’est pas constante.

Cependant une émotion, comme par exemple la tristesse, peut se transformer en humeur dépressive en fonction de l’importance des facteurs deStressfacteurs de stress initiaux, ainsi que de la manière de les gérer.


De l’utilité de différencier l’humeur des émotions


Lorsque le TB s’accompagne d’un trouble de la personnalité borderline, le patient va être confronté à des variations excessives de l’humeur et des émotions. Dans de telles situations, il est souvent difficile de faire la part entre ces deux entités et donc de déterminer correctement le diagnostic (Henry et coll., 2001 ; Wilson et coll., 2007) .

Il arrive souvent que le trouble de la personnalitéTrouble de la personnalité masque le trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur, avec pour conséquence une approche axée uniquement sur le premier.


Ces différentes erreurs sont problématiques car la détermination du diagnosticDiagnostic exact a une influence sur le choix du traitement.Traitement(s)


Inconvénients à traiter un TB comme un trouble de la personnalité émotionnellement labile


Pour le TB, il est recommandé d’utiliser un traitement médicamenteuxTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie) de fond, auquel s’ajoute la psychothérapiePsychothérapie(s) (voir aussi thérapie(s)).

En ce qui concerne le trouble borderline, le traitement de fond est plutôt constitué par une psychothérapie à laquelle est éventuellement ajouté un traitement médicamenteux (American Psychiatric Association, 2001 ; Oldham, 2005 ; Stone, 2006).

En cas de confusion de diagnostic, le traitement ne sera pas optimal si on propose de traiter le TB par psychothérapie exclusivement ou si on administre en première intention un antidépresseurThymorégulateurs pouvant aggraver les fluctuations thymiques.


Inconvénients à traiter un trouble de la personnalité émotionnellement labile comme un TB


Inversement, si on traite, par erreur de diagnostic, un trouble de la personnalité émotionnellement labile comme s’il s’agissait d’un TB, on risque de se focaliser beaucoup trop sur les médicaments, alors qu’une psychothérapie spécifique manifesterait un effet plus probant.


Comment poser le diagnostic


La complexité de certains tableaux cliniques, difficiles à catégoriser au premier abord au moyen des classificationsClassification internationales, amène au problème de la détermination du diagnostic. Toute nouvelle prise en charge devrait débuter par une évaluation détaillée, permettant un aperçu global du parcours du patient, incluant son contexte de vie actuel, ses antécédents familiaux, sa psychopathologie, ses problèmes somatiques, son traitement médicamenteux passé et présent.


Il est plus judicieux de commencer l’évaluation par l’anamnèseAnamnèse actuelle précisant l’impact de la maladie sur le contexte socioprofessionnel du moment. Après quoi, il faut s’intéresser à l’anamnèse familiale, à la recherche d’une éventuelle composante héréditaire du trouble actuel, ainsi qu’à l’influence du milieu familialEnvironnementfamilial. Les souvenirs d’enfance mettent parfois en évidence une origine précoce des troubles, notamment au travers du comportement à l’école et envers l’entourage. Les traumatismesTraumatisme(s) de l’enfance, comme les abus physiques et psychologiques, mais aussi un milieu trop rigide ne tenant pas compte des vulnérabilitésVulnérabilité(s) de l’enfant, peuvent être des facteurs favorisant le développement d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile, mais sont aussi des facteurs de risqueFacteursde risque pour un TB. La description du parcours scolaire, de la formation et des différents postes de travail offre des repères chronologiques au patient, permet de situer plus facilement dans le temps les différents épisodes thymiques, de faire la corrélation avec certains facteurs deStressfacteurs de stress et de mettre en évidence des dysfonctionnements dans les relations interpersonnellesRelationinterpersonnelle éventuellement en lien avec un trouble de la personnalité. Il est également important de détailler, le cas échéant, les différents suivis psychiatriques, les hospitalisationsHospitalisation(s) et leur contexte, les traitements avec leurs effets bénéfiques et secondaires. Les habitudes concernant la consommation de substancesAddiction(s), les allergies, les antécédents somatiques sont aussi à relever. Ce n’est qu’après le recueil détaillé de tous ces éléments qu’il est recommandé de faire passer les divers questionnaires permettant de préciser et de quantifier les symptômes pour affiner le diagnosticDiagnostic. Le patient est également mieux préparé, à ce stade, pour y répondre plus précisément.

Au terme d’une telle évaluation, qui prend en général entre deux et quatre séances, la synthèse de tous les éléments permet de faire comprendre au patient sur quelles bases est posé le diagnostic. Il réalise alors que certains de ses comportements, qu’il mettait sur le compte de son caractère ou simplement d’une réaction normale dans un contexte déterminé, représentent en fait les symptômes d’un trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur et/ou d’un trouble de la personnalité. Ce processusProcessus diagnostique comporte déjà en lui-même un effet thérapeutique, en offrant au patient une grille de lecture des événements différente de celle d’un entourage porté habituellement à la critique et à la culpabilisation. La détermination d’un diagnostic soulage également par la perspective d’un traitement.


Stratégies thérapeutiques


Avant de prendre en charge un patient qui présente le doubleDiagnosticdouble diagnostic de TB et trouble de la personnalité émotionnellement labile, il faut examiner les recommandations concernant chacun des deux troubles pris séparément.


Stratégies thérapeutiques pour le TB


Malgré la découverte du lithium et ultérieurement d’autres stabilisateurs de l’humeurThymorégulateurs, il a fallu se rendre à l’évidence qu’une solution uniquement pharmacologique ne pouvait suffire pour traiter efficacement le TB. Des approches psychoéducationnellesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychoéducative(s)/psychoéducative(s) groupale(s) et psychothérapeutiquesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychothérapique(s)/ psychothérapeutique(s), en individuel ou en groupe, se sont révélées des compléments indispensables pour fournir de l’information concernant la maladie, pour l’apprentissage des signes de rechuteRechute(s) et l’élaboration des stratégies pour y faire face, ainsi que pour lutter contre le sentiment de stigmatisationStigmatisation.

Lorsqu’un patient, souffrant de TB avec une comorbiditéComorbidité(s) de personnalité émotionnellement labile, est suivi selon ces modèles thérapeutiques, certaines difficultés ont tendance à se manifester, comme par exemple une moindre collaboration du patient, une moindre efficacitéEfficacité apparente des médicaments, une plus grande vulnérabilitéVulnérabilité(s) aux facteurs deStressfacteurs de stress. De tels constats incitent à penser qu’une prise en charge plus spécifique devrait être instaurée pour cette catégorie de patients.


Stratégies thérapeutiques pour le trouble de la personnalité borderline


Deux types de thérapie en particulier ont montré une utilité pour traiter la personnalité borderline dans des études randomiséesÉtude(s)randomisée(s) : les thérapies de type analytique (Kernberg, 1989) et la thérapie comportementale dialectiqueThérapie(s)comportementale dialectique (DBT) (Dialectical Behavior Therapy : DBT, Linehan, 1993). Ces deux types de thérapie partagent trois points importants au niveau de leur structure : elles comportent des consultations individuelles hebdomadaires avec le thérapeute principal, des séances de thérapie de groupeThérapie(s)de groupe/groupale(s)/groupale(s) intégrée(s), des séances de supervision ou d’intervision entre les thérapeutes. Pour obtenir un changement notable des symptômesSymptômes, une durée de traitementTraitement(s) d’un an ou plus est indiquée.

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Comorbidité avec le trouble de la personnalité borderline

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