Comorbidité avec les addictions

15. Comorbidité avec les addictions

Y. Khazaal and D. Zullino




Contexte historique



De manière plus spécifique, la littérature scientifique a largement identifié, ces vingt dernières années, l’importance de l’association entre trouble bipolaire et les abus et dépendancesAddiction(s)dépendance(s) aux substancesAddiction(s)abus de substance(s). Malgré l’importance de cette association, très peu de recherches ont porté sur le traitementTraitement(s) de ces patients. De plus, ce sous-groupe de patients a le plus souvent été exclu des études.

En pratique clinique, les traitements des personnes à doubleDiagnosticdouble diagnostic, addictologique et psychiatrique, ont fréquemment été compartimentés, au vu d’une séparation plus ou moins marquée de ces spécialités. Dans cette optique, une logique séquentielleApproche(s) (voir aussi thérapie(s))séquentielle(s) des traitements (traiter un trouble, puis l’autre) a prévalu chez nombre de cliniciens. Les questions posées, dans une démarche séquentielle de la mise en œuvre du traitement, sont le plus souvent :




• Par quel trouble doit-on commencer le traitement ?


• Quel est le trouble primaire ?


• Quel est le trouble principal de ce patient ?

Dans certaines situations, ce questionnement a pu, parfois, se traduire par des tensions autour de la question phare : du ressort de quelle équipe ce patient est-il ?

Une conceptualisation bifocale du traitement a également été évoquée, amenant des unités différentes à coordonner, de manière plus ou moins réussie, leurs efforts autour du même patient et avec lui.


Ces approches séquentiellesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))séquentielle(s), bifocales ou unifocales, ont été appliquées plus en fonction de critères de choix internes ou de topographies locales de l’organisation des soins qu’en fonction de critères d’indication validés.

Plus récemment, des approches psychothérapeutiquesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychothérapique(s)/ psychothérapeutique(s) et psychosocialesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychosociale(s) intégréesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))intégrative(s)/intégrée(s) ont été développées et ont reçu un début de validation encourageant l’approche intégrée de la personne, non pas en tant que trouble bipolaire ou en tant qu’addictionAddiction(s), mais en tant que personne avec une spécificité, celle d’avoir un trouble bipolaire avec une addiction.

Depuis les années 1980, les approches communautaires intensivesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))intensive(s) communautaire(s) mobiles se sont développées, offrant de nouvelles perspectives au traitement de patients particulièrement peu accessibles aux soins ambulatoires. Ces approches sont de plus en plus souvent appliquées dans des populations avec des troubles psychotiquesPsychose(s) ou bipolaires, et commencent à se développer auprès de personnes présentant à la fois une addiction et un trouble bipolaire.

Le regain d’intérêt scientifique et clinique actuel pour ces personnes à doubleDiagnosticdouble diagnostic devrait conduire, dans les prochaines années, au développement et à la validation d’approches psychosociales intégrées adaptées aux besoins des patients avec trouble bipolaire et consommation de substances problématique.


Processus thérapeutique


Le fondement d’un processus thérapeutiqueProcessusthérapeutique va se construire dans la relation, et plus spécifiquement dans la relation thérapeutiqueRelationthérapeutique instaurée. Celle-ci débute dès les premiers instants de la rencontre et se construit ou se déconstruit au fil du temps. L’alliance thérapeutiqueAlliance thérapeutique, dans toute la complexité de ce processus, se construit probablement dans un modèle de compréhension partagée des objectifs, des ressources, des solutions et des obstacles. Ce processus va se construire autour de certaines particularités liées au double diagnostic :




• reconnaître le double diagnostic ;


• comprendre l’interaction des deux troubles ;


• identifier l’impact de chaque trouble sur l’autre ;


• investiguer les conduitesAddiction(s)conduite(s) addictives ;


• intégrer un traitement pharmacologiqueTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie) adapté ;


• mettre en œuvre une approche psychothérapeutique ou psychosociale plus spécifique.


Reconnaître le double diagnostic




Dans une étude nord-américaine (Goldberg et coll., 1999), en dehors du tabac, les substances les plus fréquemment abusées, sur la vie entière, par les personnes souffrant d’un trouble bipolaire, sont par ordre de fréquence : l’alcool, la marijuana, les amphétamines, la cocaïne, le LSD, les hallucinogènes et, enfin, les opiacés. Ces observations pourraient varier en fonction des disponibilités des produits et des effets de mode. L’importance de la consommation des psychostimulants pourrait en partie s’expliquer par l’importance de la symptomatologie dépressiveSymptômesdépressifs dans les troubles bipolaires et par une tentative d’automédication.

Le trouble bipolaire est un des troubles psychiatriques pour lequel le retard de diagnosticDiagnostic est particulièrement fréquent et long. Ce diagnostic nécessite une attention et une rigueur accrues en cas d’abus de substances. En effet, les dépendancesAddiction(s)dépendance(s) peuvent se présenter de manière particulièrement bruyante et masquer les troubles associés et, plus précisément, un trouble bipolaire. Cela s’explique, d’une part, par l’effet direct des drogues et, d’autre part, par les perturbations qu’elles peuvent induire. À titre d’exemple, une consommation d’alcool peut entraîner des phénomènes tels qu’une désinhibition sociale, une euphorieEuphorie ou une irritabilitéIrritabilité. Une consommation de cocaïne peut, quant à elle, induire une irritabilité, une labilité de l’humeurHumeur et une altération du sommeilSommeil.

On recherchera notamment la chronologie d’apparition des troubles, de manière à déterminer la nature primaire ou secondaire du trouble bipolaire. Lorsque les symptômes thymiquesSymptômesthymiques sont présents avant l’abus de substance, ou s’ils persistent un mois après l’arrêt ou le sevrage d’une substance, on considère qu’ils sont attribuables au trouble de l’humeurTrouble(s) de l’humeur plutôt qu’à la substance. Cette distinction est très souvent difficile à établir, en particulier pour les épisodes dépressifsDépression(s) et d’autant plus que l’addictionAddiction(s) persiste. En effet, la consommation prolongée d’alcool ou d’héroïne peut, notamment, induire des épisodes dépressifs qui s’améliorent lors de l’arrêt de la consommation de ces substances. Une consommation d’alcool ou d’héroïne peut également modifier une symptomatologie maniaqueSymptômesmaniaques/hypomaniaques et compliquer le diagnostic.

Le caractère bruyant des manifestations du trouble bipolaire peut aussi conduire à minimiser les abus de substances observés, en les attribuant entièrement aux manifestations thymiques.


Comprendre l’interaction des deux troubles


Trois hypothèses sont couramment évoquées pour expliquer l’importante comorbiditéComorbidité(s) entre le trouble bipolaire et les abus de substances.



Des facteurs communs prédisposent aux deux troubles


Cette hypothèse évoque la possibilité de l’implication de facteursGénétique(s)facteurs génétiquesFacteursgénétiques, psychologiques ou sociauxFacteurspsychosociaux communs aux deux troubles. L’impulsivitéImpulsivité a, par exemple, été considérée comme un facteur commun pouvant prédisposer aux deux troubles (Swann et coll., 2004). Les aspects familiaux et génétiques ont été particulièrement bien étudiés. L’association entre alcoolisme et trouble bipolaire a pu être écartée par les études familialesGénétique(s)études familiales (Preisig et coll., 2001). Pour les autres toxicodépendances, les données actuelles sont trop insuffisantes pour permettre de conclure.


Le trouble bipolaire prédispose à l’abus de substances


Une des explications serait alors que la consommation de substances représenterait une forme d’automédication. Cette hypothèse vaut d’autant plus d’être prise en compte dans le processus thérapeutiqueProcessusthérapeutique que la majorité (plus de 90 %) des personnes rapporte recourir aux substances pour améliorer l’humeurHumeur (Weiss et coll., 2004). Une amélioration subjective de certains symptômes thymiquesSymptômesthymiques est clairement rapportée par environ la moitié d’entre elles (Weiss et coll., 2004). Cela est d’autant plus important à considérer que le recours aux substances diminue chez les personnes rapportant cette amélioration, lorsqu’elles sont traitées par une approche psychothérapeutiqueApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychothérapique(s)/ psychothérapeutique(s) intégrant l’interaction des deux troubles (Weiss et coll., 2004).

Si l’importance des manifestations du trouble bipolaire sur les abus de substancesAddiction(s)abus de substance(s) est établie, il n’en demeure pas moins que les consommations de substances chez les personnes avec un trouble bipolaire ne sont pas purement thymie-dépendantes (Strakowski et DelBello, 2000). Celles-ci répondent aux processus habituels de conditionnement, de renforcement, et aux automatismes qui sous-tendent le développement et le maintien d’une addictionAddiction(s) (Zullino et Khazaal, 2008). Le terrain sur lequel surviennent ces processus sera, cependant, celui d’une personne souffrant de manifestations thymiques particulières. Les processus de l’addiction seront donc intriqués avec ce vécu. À titre d’exemple, une expérience d’amélioration, même transitoire, de l’humeur sous substances sera un puissant renforcement d’une consommation ultérieure. Les phénomènes liés aux deux troubles vont s’entremêler étroitement. Il sera donc essentiel de rechercher minutieusement les facteurs d’entretien de la comorbiditéComorbidité(s). Ceux-ci peuvent se situer à différents niveaux :




• au niveau des caractéristiques du trouble bipolaire : les épisodes, maniaquesManie(s) ou mixtesÉtats mixtes, ainsi que les cyclesCyclesrapides rapides (plus de quatre épisodes thymiques par an), (Cassidy et coll., 2001 ; Regier et coll., 1990) sont plus fortement associés aux toxicodépendances ; les femmes atteintes de trouble bipolaire IITrouble(s) bipolaire(s)type II sont à plus haut risque d’abus d’alcool que celles avec un trouble bipolaire IITrouble(s) bipolaire(s)type I ;


• au niveau d’un troisième trouble : un trouble anxieuxTrouble(s) anxieux (Goodwin et coll., 2002), une impulsivitéImpulsivité persistante en dehors des épisodes thymiques (Swann et coll., 2004) sont associés aux dépendances ;


• au niveau des styles de coping : un style de coping (stratégiesStratégies pour « faire face » aux événements) centré sur l’émotionÉmotion(s) pourrait favoriser le recours aux substances lors d’émotions négatives, elles-mêmes associées à des perturbations de l’humeur ;


• au niveau des facteurs deStressfacteurs de stress psychosociauxFacteurspsychosociaux, environnementauxFacteursenvironnementaux, familiaux qui peuvent favoriser le maintien des troubles.

Tenir compte de ces différents paramètres permet de construire une compréhension du terrain et des facteurs de renforcement intervenant dans les conduitesAddiction(s)conduite(s) addictives ou l’instabilité de l’humeur.


Considérer l’impact de chaque trouble sur l’autre



Sur les symptômes du trouble bipolaire et son évolution


L’abus de substancesAddiction(s)abus de substance(s) est associé à des rémissionsRémission plus lentes lors des épisodes maniaques (Goldberg et coll., 1999), à des formes plus sévères de trouble bipolaire (épisodes mixtesÉtats mixtes, cycles rapides), à des hospitalisationsHospitalisation(s) plus fréquentes (Cassidy et coll., 2001 ; Goldberg et coll., 1999 ; Levin et Hennessy, 2004), à une plus grande manifestation de violence, ainsi qu’à des difficultés sociales, légales et professionnelles (Quanbeck et coll., 2005 ; Salloum et Thase, 2000 ; Tohen et coll., 2000), et surtout à un risque accru de tentatives deSuicide(s)tentative(s) de suicide (Dalton et coll., 2003 ; Winokur et coll., 1995).

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Comorbidité avec les addictions

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