Psychothérapies d’inspiration psychanalytique

7. Psychothérapies d’inspiration psychanalytique

F. Ferrero and D. Knauer




Contexte historique


La psychanalysePsychanalyse est avant tout une approche compréhensive du psychisme humain qui repose sur un mode de communication particulier (Widlöcher et coll., 2006). L’agent actif susceptible d’induire un changement thérapeutique est la connaissance de soi que l’on pourra acquérir dans un cadre bien défini et au cours d’un long cheminement.

La psychanalyse partage de nombreux « ingrédients » de base avec d’autres approches thérapeutiques, telles que l’alliance thérapeutiqueAlliance thérapeutique, le climat d’empathieEmpathie ou le désir de changement.

Elle possède, par contre, certains facteurs spécifiques qui, comme l’écrivent Widlöcher et coll., « tiennent à la capacité par le patient de percevoir, grâce aux interprétations du psychanalyste, les chaînes intimes de pensée qui assurent un regard plus pénétrant et plus tolérant vis-à-vis des mouvements de pensée, des états affectifs et des réactions émotionnelles qui occupent l’esprit humain dans la quotidienneté de sa vie mentale ».

La littérature psychanalytique est d’une telle richesse qu’il paraît bien hasardeux d’en présenter un résumé, ne serait-ce que des principaux concepts théoriques tels qu’inconscient, conflit intrapsychique, pulsions, association libre, transfert et contre-transfertContre-transfert, qui sont largement utilisés en dehors du milieu psychanalytique.

Les multiples thérapies d’inspiration psychanalytique qualifiées parfois de thérapies « psychodynamiquesThérapie(s)psychodynamique(s) » ont chacune leur propre histoire et entretiennent des liens plus ou moins étroits avec la psychanalyse. Celles qui en sont les plus proches impliquent un cadre strict des séances, tant en ce qui concerne la durée, la fréquence que la régularité et en retiennent également l’utilisation de l’interprétation et l’attention portée à la réalité subjective.Réalitésubjective D’autres, tout en maintenant une place centrale à l’interprétation, s’intéressent à en réduire la durée en proposant de travailler sur un problème précis (voir les différentes approches dites des « thérapies psychanalytiquesThérapie(s)psychanalytique(s)/analytique(s) brèves », chez Davanloo, 1978 ; Gilliéron, 1983a, Gilliéron, 1983b and Gilliéron, 2004 ; Malan, 1963 ; Mann, 1973 ; Sifneos, 1972 ; Strupp et Binder, 1984, parmi d’autres.).

Depuis les années 1920, la psychanalysePsychanalyse a également été appliquée en groupeGroupe et l’une des formes les plus anciennes est sans doute celle de Burrow (1927), un psychanalyste américain. Par la suite, deux psychanalystes vont particulièrement s’attacher à développer les approches groupales : Foulkes (1948) et Bion (1965). Le premier décrira certains processusProcessus groupaux et ses idées auront une profonde influence sur de nombreux disciples. Quant à Bion, il influencera plusieurs générations de psychanalystes au travers d’écrits qui auront un grand retentissement grâce à une créativité exceptionnelle, en particulier au niveau des concepts.

Parmi les successeurs qui poursuivront l’œuvre de ces pionniers, mentionnons Yalom (1975) et, en France, Lebovici et coll. (1958), Widlöcher (1962), Anzieu (1975), Kaës (1979), Kestemberg et Jeammet (1987).


Approche psychanalytique des troubles bipolaires


De façon générale, les psychanalystes se sont, à la suite de Freud, plus intéressés à la dépressionDépression(s) et à la mélancolieMélancolie(s) qu’à la manieManie(s). Si les travaux de Freud restent incontournables pour notre compréhension de la mélancolie, voir par exemple « Deuil et mélancolie » (Freud, 1917) ou les « Nouvelles conférences sur la psychanalyse » (Freud, 1933), il n’existe aucun texte de sa plume susceptible d’éclairer son approche de la manie ou du trouble bipolaire. On retiendra toutefois son hypothèse de l’existence d’une tension entre Moi et Idéal du Moi qui serait à l’origine des variations d’humeurHumeur (« Psychologie collective et analyse du moi », Freud, 1921).

Dans le domaine du traitementTraitement(s) des troubles bipolaires, les sources sont rares et, à ce jour, il n’existe encore aucune étude contrôlée permettant d’évaluer l’efficacitéEfficacité des traitements psychanalytiques dans cette indication.

De façon schématique, on peut distinguer trois périodes dans l’histoire tissée entre les approches psychanalytiques et les troubles bipolaires : la première s’étend des travaux Abraham, 1912 and Abraham, 1924 et de quelques autres auteurs et se termine à la fin des années 1960, dès lors que s’imposent progressivement les traitements par le lithiumLithium.

La seconde période, qui s’étend sur plus d’une vingtaine d’années, est caractérisée par une domination pratiquement sans partage des approches biologiquesApproche(s) (voir aussi thérapie(s))biologique(s) et par l’adoption d’une position très en retrait des psychanalystes comme des psychothérapeutes en général sur ce sujet.



Première période : 1911–1970


À une seule occasion, Freud évoque brièvement un traitement avec une patiente maniaco-dépressive, dans l’article « De la psychothérapie » (1905) : « Je me souviens d’avoir un jour tenté une psychothérapie avec une femme dont une bonne part de l’existence s’était écoulée dans une alternance de manie et de mélancolie. Je la pris en charge à la fin d’une mélancolie ; deux semaines durant cela sembla bien aller ; la troisième semaine nous nous trouvions déjà au début de la nouvelle phase de manie. ».

Par la suite, on sait que Freud a encouragé Abraham dans ses recherches et qu’il lui a parlé de deux patients dont il estimait qu’ils avaient tiré un grand profit de la psychanalyse.

Dans son travail publié en 1912, Abraham cite en note trois travaux de psychanalystes rapportant chacun un traitement psychanalytique avec un patient maniaco-dépressif : Maeder (1910), Brill (1910) et Jones (1909). Lui-même évoque son expérience avec six patients dont deux qu’il qualifie de maniaco-dépressifs légers. Il remarque certains parallèles entre la « psychose dépressive » et la névrose obsessionnelle en suivant la description donnée par Freud dans ses « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle ». Après avoir noté que l’anamnèseAnamnèse de l’un de ses patients concordait en tout point avec celle qu’apportent les obsédés, si ce n’est qu’à la place des manifestations obsessionnelles se trouvent des « variations circulaires », il écrit par exemple : « Le malade, dont la libido s’était exprimée précocement et avec énergie, a perdu pour une grande part la capacité de manifester son amour et sa haine […] de tels sujets ne peuvent être heureux que dans un monde absolument clos. Tout être vivant, tout objet inanimé est éprouvé comme perturbateur. »

Un peu plus loin dans ce même travail : « par son aspect extérieur, la phase maniaque de la maladie circulaire semble être à l’opposé de la phase dépressive » et « La manie survient lorsque le refoulement ne parvient plus à endiguer le flot des pulsions refoulées. En cas d’excitation maniaque grave, le patient est comme vertigineusement emporté par ses pulsions. » Ou encore : « le sommet de la manie est comme une ivresse de liberté ».

Les trois dernières pages sont consacrées aux effets thérapeutiques de la psychanalysePsychanalyse. Si Abraham évoque quelques succès qui lui paraissent indéniables, il souligne toutefois le côté inachevé des résultats scientifiques et pratiques de ses psychanalyses de psychoses maniaco-dépressivesPsychose(s)maniaco-dépressive(s). Cette première étude comporte cependant, par deux fois, une affirmation pleine d’espoir selon laquelle la psychanalyse délivrera « la psychiatrie du poids du nihilisme thérapeutique » et elle lui « apparaît comme la seule thérapie rationnelle des psychoses maniaco-dépressives ».

Abraham consacrera deux autres essais théoriques à l’étude de ces troubles dans son « Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux » (1924).

Abraham s’est efforcé de construire une théorie du développement biologique et a tenté de déterminer à quelles étapes du développement de la libido pouvaient se rattacher les maladies mentales en soulignant, chez les patients bipolaires, l’importance des fixations prégénitales à la phase orale ambivalente. Il considère que l’objectif d’une cure psychanalytique avec un patient maniaco-dépressif consiste à éviter de nouvelles régressions libidinales et à œuvrer à une progression dans le sens de l’amour objectal achevé et de l’organisation génitale. Son décès l’année suivante mit malheureusement un terme brutal à ses recherches et l’empêcha de publier les travaux annoncés.


Par la suite, Rado (1927) a développé la théorie de l’identification d’Abraham et Freud en postulant que l’incorporation de l’objet perdu correspondait au clivageClivage ambivalent entre un bon objet gratifiant et un mauvais objet frustrant. Pour lui, l’épisode maniaque correspond à une tentative de réconciliation instable construite sur la base du déniDéni et de la culpabilité en réaction à la rébellion du Moi contre un Surmoi cruel.

Deutsch (1933) considère la manie comme une tentative de défenseDéfense contre le danger encouru par le Moi opprimé par la mélancolieMélancolie(s) et insiste sur l’importance du déni en tant que stratégieStratégies pathologique de coping. Cette hypothèse sera reprise par Lewin (1950), qui voit dans la manieManie(s) une défense par le déni contre la dépression et soutient l’idée que le Moi maniaque ne cherche pas à séparer le vrai du faux mais le bon du mauvais. Par analogie avec ce qui se passe dans le sommeil, il propose que, dans la manie, le Surmoi disparaît, alors que dans le rêve, c’est le Moi qui disparaît.

Klein (1934) rattache les psychoses maniaco-dépressivesPsychose(s)maniaco-dépressive(s) à la « position dépressive centrale » faisant suite à la « position schizo-paranoïde ». Cette phase dépressive est caractérisée par l’unification de l’objet, objet total venant remplacer de multiples objets partiels, et va permettre les investissements des pulsions d’amour et de haine, pour donner accès à l’ambivalenceAmbivalence. L’ambivalence a le pouvoir, entre autres, de mettre l’objet en danger. La fixation à la phase orale ambivalente et la persistance de problèmes propres à la position dépressive favorisent les mouvements régressifs correspondant aux épisodes maniaque et mélancolique. Pour Klein, l’état maniaque donne le sentiment de dominer l’objet, de triompher sur lui tout en le méprisant de façon absolue. La manieManie(s) implique également une négation de la réalité, aussi bien intérieure qu’extérieure.

D’autres auteurs vont également considérer la manie comme une défenseDéfense contre la dépressionDépression(s) (par exemple Dooley, 1921), voire comme le « négatif de la mélancolie » (Dujarier, 1972). Au lieu du dramatique conflit Moi-Surmoi, le maniaque semble vivre l’unification ou, mieux, la réunification de ces deux instances.

Fenichel (1945) considère la manie comme une forme de réponse à la dépression. Il écrit par exemple : « le caractère triomphant de la manie est lié à la décharge d’une énergie jusque-là mobilisée dans la lutte contre la dépression. Cette énergie cherche maintenant à se décharger ». Évoquant l’aspect cyclique des troubles bipolaires, il relève qu’« il est impossible de se débarrasser de l’impression que des facteurs purement biologiques sont aussi impliqués ».


Deuxième période : 1970–1990


Cette période représente une sorte de latence au cours de laquelle les psychanalystes vont montrer peu d’intérêt pour le traitement des patients bipolaires. Ils partagent alors une même timidité avec les autres psychothérapeutes et considèrent que le traitement de choix est désormais représenté par la psychopharmacologiePsychopharmacologie. Cette période n’est toutefois pas sans intérêt puisqu’elle a suscité la publication de quelques travaux originaux permettant à des thérapeutes d’orientation psychodynamique d’affirmer que la psychothérapiePsychothérapie(s) (voir aussi thérapie(s)) a une place à côté des approches pharmacologiques. Mentionnons par exemple le travail de Benson (1975) intitulé « La psychothérapie : une modalité thérapeutique oubliée dans la maladie bipolaire », un article régulièrement cité depuis plus de trente ans qui présente encore, à notre connaissance, la plus importante série de patients bipolaires traités par une thérapie psychanalytique.Thérapie(s)psychanalytique(s)/analytique(s)

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Psychothérapies d’inspiration psychanalytique

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