12. Traitement du reflux gastro-œsophagien
Chapitre révisé pour cette édition par:
Thierry Dine
Praticien hospitalier, centre hospitalier d’Haubourdin Professeur de pharmacie clinique, UFR pharmacie, Lille, France
Jean-François Claerbout
Gastro-entérologue, CHU Lille, France
Nos remerciements à
Maryline Rave
interne en pharmacie au département de pharmacie du CHU de Besançon, pour sa relecture et la révisondéfinitive de ce chapitre.
PLAN DU CHAPITRE
CE QU’IL FAUT RETENIR244
ÉTUDE DE CAS CLINIQUES245
Références bibliographiques246
GÉNÉRALITÉS
PHYSIOPATHOLOGIE
Les données actuelles montrent que la moitié de la population adulte souffre de ces symptômes de façon épisodique et que 10% environ nécessitent une prise en charge médicale en raison de la fréquence des symptômes qui deviennent quotidiens.
Ce n’est pas une maladie de la sécrétion acide, ses symptômes étant dus aux troubles de la motricité œsophagienne et cardiale. Sur le plan physiopathologique, plusieurs facteurs conditionnent l’apparition du RGO:
– une incompétence du sphincter inférieur de l’œsophage (SIO): le SIO constitue la barrière antireflux en fermant normalement la communication œsophage-estomac. Dans le RGO pathologique, il existe une hypotonie ou une atonie permanente de la pression de repos, des relâchements spontanés trop fréquents et/ou une augmentation du gradient de pression gastro-œsophagien. On peut également mettre en évidence des épisodes de relaxation inappropriée, transitoire et spontanée, non liés à la déglutition;
– une anomalie de la motricité œsophagienne, responsable d’un trouble de la clairance, entraîne, en particulier, une diminution de la clairance acide œsophagienne qui correspond à la capacité de l’œsophage à se débarrasser rapidement du contenu acide qu’il a reçu, par son péristaltisme. La motricité œsophagienne et les contractions péristaltiques secondaires permettent donc d’évacuer le contenu gastrique. Ainsi, en cas de troubles de la motricité (troubles du péristaltisme œsophagien) associés à une hypersensibilité de la muqueuse œsophagienne par diminution de la résistance épithéliale à l’acide, la clairance acide œsophagienne diminue et la durée d’exposition de la muqueuse à l’acide augmente, entraînant les douleurs et à terme la formation des lésions;
– la hernie hiatale intervient dans la constitution d’un RGO par altération de la clairance œsophagienne: une partie du liquide de reflux acide contenu dans le sac herniaire remonte dans l’œsophage au moment de sa contraction. On observe alors un va-et-vient de ce contenu entre l’œsophage et l’hernie hiatale;
– enfin, un retard de la vidange gastrique pourrait favoriser chez certains patients des épisodes de reflux postprandiaux.
SÉMIOLOGIE CLINIQUE
Le RGO sera évoqué devant des signes digestifs et extradigestifs.
► Signes digestifs
Les signes digestifs typiques sont caractérisés par:
– un pyrosis correspondant à une sensation de brûlure traçante ascendante, à point de départ épigastrique et remontant derrière le sternum;
– des régurgitations correspondant à la remontée dans l’œsophage, puis dans la gorge, sans effort de vomissement, du contenu gastrique acide ou alimentaire;
– un syndrome postural avec pyrosis et/ou régurgitations survenant lorsque le sujet se penche en avant (travaux ménagers, jardinage, prière musulmane) ou qu’il est en décubitus dorsal au cours de la nuit. Ce syndrome réveille brutalement le sujet, l’obligeant à s’asseoir, à prendre un topique antiacide, ou tout simplement un verre d’eau ou de lait.
D’autres signes digestifs moins typiques peuvent s’observer à titre de brûlures épigastriques simples, troubles dyspeptiques classiques avec flatulence, sensation de digestion lente et éructations.
En cas de RGO compliqué, d’autres signes d’alarme peuvent se manifester, en particulier une dysphagie, une odynophagie (douleur rétrosternale perçue au cours de la déglutition), une hémorragie digestive, une anémie, un amaigrissement. La présence de ces signes doit faire penser à l’existence d’une forme sévère de RGO ou d’une œsophagite ou encore d’une affection néoplasique.
► Signes extradigestifs
Ils peuvent s’observer à différents niveaux:
– respiratoire: épisodes de toux nocturnes, dyspnée paroxystique de type asthmatiforme;
– ORL: gêne pharyngée à type de sensation de corps étranger, maux de gorge répétés, dysphonie accompagnée d’enrouement, laryngite postérieure;
– cardiaque: douleurs thoraciques pseudo-angineuses, simulant une insuffisance coronarienne, survenant au repos ou en décubitus, parfois à l’effort.
Ces signes extradigestifs évoquent une pathologie pulmonaire, ORL ou cardiaque et font pratiquer des examens parfois poussés tels que scanner thoracique, épreuve d’effort ou coronarographie.
Complications
La principale complication du RGO est l’œsophagite qui apparaît lorsque les défenses de la muqueuse ne peuvent plus lutter contre les effets agressifs de la pepsine, de l’acide ou de la bile qui refluent dans l’œsophage. L’œsophagite évolue suivant quatre stades (classification de Savary et Miller): de l’érosion superficielle isolée vers l’ulcération profonde voire la sténose en passant par une érosion confluente et une ulcération. Les risques d’œsophagite sévère et de lésions néoplasiques sont faibles avant 50ans mais augmentent significativement au-delà de 60ans. La sténose peptique et l’endobrachyœsophage constituent également deux complications importantes du RGO et nécessitent une surveillance étroite.
Facteurs favorisants
Face à une symptomatologie compatible avec un RGO, il convient de rechercher des facteurs prédisposants: hyperpression abdominale, grossesse, consommation régulière d’alcool, tabagisme, médicaments capables de diminuer la pression du SIO (œstrogènes, théophylline, etc.).
Moyens de diagnostic
Le diagnostic de RGO et de ses complications fait appel à des examens complémentaires reposant sur des explorations morphologiques (endoscopie ou radiographie) et fonctionnelles (pH-métrie œsophagienne, manométrie œsophagienne). La fibroscopie précisera le niveau du cardia, recherchera l’existence d’une hernie hiatale. Elle permet surtout d’étudier la muqueuse du bas-œsophage, de reconnaître une œsophagite, d’en préciser le stade et d’apporter des renseignements indispensables à la conduite thérapeutique. L’endoscopie digestive rend le plus souvent inutile toute autre exploration. La pH-métrie œsophagienne de 24 heures, gold standard actuel, sensible et spécifique, permet d’évaluer le pourcentage de temps passé en dessous de pH 4 (inférieur à 5% chez les sujets normaux). Elle est utile chez des patients ayant des symptômes atypiques et une muqueuse œsophagienne normale en endoscopie. La manométrie œsophagienne, notamment dans les œsophagites sévères, peut mettre en évidence un abaissement de la pression basale du SIO et/ou des troubles de la motricité œsophagienne. Elle n’a pas sa place dans la stratégie diagnostique initiale du RGO.
MÉDICAMENTS UTILISÉS
Les médicaments utilisés dans le RGO et l’œsophagite par RGO peuvent être classés schématiquement en trois groupes: les antisécrétoires, les médicaments prokinétiques et les antiacides.
Classification des médicaments
Les principaux médicaments employés dans le traitement du RGO sans ou avec œsophagite et commercialisés en France sont répertoriés dans le tableau 12.1.
*Le cisapride (Prépulsid enfants et nourrissons) est désormais soumis à prescription hospitalière réservée aux spécialistes en pédiatrie et nécessite une surveillance particulière pendant le traitement. Prépulsid enfants et nourrissons est inscrit sur la liste des médicaments rétrocédables par les PUI. | |||
Principes actifs | Noms de spécialité | Formes galéniques | Dosages |
---|---|---|---|
Antisécrétoires antihistaminiques H2 | |||
ranitidine | Azantac | Comprimés, comprimés effervescents | 75, 150 ou 300mg |
150 et 300mg | |||
Raniplex | Comprimés, comprimés effervescents | 75, 150 ou 300mg | |
150 et 300mg | |||
Ranitidine génériques | Comprimés | 150 et 300mg | |
nizatidine | Nizaxid | Gélules | 150 et 300mg |
famotidine | Pepdine Famotidine génériques | Comprimés lyophilisats | 20 et 40mg |
Pepcidac | Comprimés | 10mg | |
cimétidine | Cimétidine génériques | Comprimés | 400 et 800mg |
Comprimés sécables, comprimés effervescents | 800mg | ||
Tagamet | Comprimés, comprimés effervescents | 200mg | |
Comprimés | 400mg | ||
Comprimés effervescents | 800mg | ||
Stomédine | Comprimés effervescents | 200mg | |
famotidine + antiacides | Pepciduo | Comprimés à 10mg | |
Antisécrétoires inhibiteurs de la pompe à protons | |||
lansoprazole | Lanzor, Ogast | Gélules | 15 et 30mg |
oméprazole | Mopral, Zoltum, génériques | Gélules | 10 et 20mg |
pantoprazole | Eupantol, Inipomp | Comprimés | 20 et 40mg |
rabéprazole | Pariet | Comprimés | 10 et 20mg |
ésoméprazole | Inexium | Comprimés | 20 et 40mg |
Prokinétiques | |||
dompéridone | Motilium, Motilyo, génériques | Comprimés, sachets granulés effervescents | 10mg |
Suspension buvable 200mL | 1mg/mL | ||
Péridys | Comprimés, sachets granulés effervescents | 10mg | |
Suspension buvable 200mL | 1mg/mL | ||
métoclopramide | Primpéran, Anausin, Prokinyl, génériques | Comprimés | 10mg |
Solution buvable 0,1%, gouttes buvables 0,1mL/goutte | |||
Suppositoires | 10 et 20mg | ||
cisapride* | Prépulsid enfant et nourrisson | Suspension buvable 100mL | 1mg/mL |
Antiacides alginates (voir aussi le chapitre sur l’ulcère gastro-duodénal, tableau 11.1antiacides, liste non exhaustive) | |||
alginates | Gaviscon | Comprimés, suspension buvable 250mL, sachets | |
Gaviscon nourrisson | Suspension buvable 150mL | ||
Topaa, Topalkan | Comprimés, suspension buvable 210mL |
Mécanisme d’action
► Prokinétiques
Ils possèdent des mécanismes pharmacologiques différents dont les conséquences sont équivalentes. Ils stimulent le péristaltisme œsophagien, augmentent le tonus et la pression du sphincter inférieur de l’œsophage et accélèrent la motricité œso-gastro-duodénale ainsi que la vidange gastrique.
Dompéridone
C’est un antagoniste des récepteurs dopaminergiques périphériques sans effet anticholinergique
Métoclopramide
C’est un antagoniste à la dopamine sans effet anticholinergique.
La dompéridone et le métoclopramide antagonisent les effets inhibiteurs de la dopamine sur la motricité digestive.
Cisapride
C’est un cholinomimétique indirect puisqu’il stimule la libération d’acétylcholine par les fibres cholinergiques au niveau des terminaisons nerveuses des plexus myentériques. Il activerait également les récepteurs sérotoninergiques 5-HT4 du tube digestif. Il n’a pas d’effet direct sur les récepteurs muscariniques ou nicotiniques, ni d’effet antagoniste sur les récepteurs dopaminergiques.
► Antiacides à base d’alginates
Les alginates forment en milieu acide un gel visqueux neutre, qui en gonflant surnage à la surface du contenu intragastrique. Ce gel s’oppose mécaniquement au reflux en formant une barrière physique à la partie supérieure de l’estomac et réduit le nombre ainsi que la durée moyenne des épisodes de RGO. Lors du reflux, ce gel régurgite en premier et exerce un effet protecteur sur la muqueuse œsophagienne contre l’effet irritant et agressif des remontées acides.
Relation structure-activité
La relation structure-activité des antiacides à base d’aluminium et des antisécrétoires (IPP, anti-H2) a été développée dans le chapitre sur le traitement de l’ulcère gastroduodénal.
► Prokinétiques
La dompéridone est une butyrophénone. Le métoclopramide est un benzamide. Ils possèdent donc une analogie structurale avec les neuroleptiques expliquant leur affinité pour les récepteurs dopaminergiques. Ils ne traversent pas ou peu la barrière hémato-encéphalique et agissent aux doses antireflux, surtout sur les récepteurs dopaminergiques périphériques.
Le cisapride est un dérivé des benzamides sans effet antidopaminergique.
► Antiacides à base d’alginates
Les alginates sont des polysaccharides, non absorbables de par leur taille importante, qui précipitent en gel visqueux sous l’effet de l’acide. Les caractéristiques physico-chimiques des alginates leur confèrent:
– une légèreté qui leur permet de flotter au-dessus du contenu gastrique et de régurgiter en premier lors des reflux;
– une viscosité qui s’oppose au reflux;
– un pH alcalin.
Pharmacocinétique
Les données pharmacocinétiques des antiacides à base d’aluminium et des antisécrétoires (IPP, anti-H2) ont été développées dans le chapitre sur le traitement de l’ulcère gastro-duodénal.
► Prokinétiques
Dompéridone
Pic plasmatique de 30min; métabolisation hépatique importante; élimination rénale; temps de demi-vie plasmatique de 7 heures. Elle possède l’avantage de ne passer que très faiblement la BHE.
Métoclopramide
Résorption rapide; biodisponibilité de 80% (effet de premier passage hépatique); fixation aux protéines plasmatiques et métabolisation faible; élimination urinaire; temps de demi-vie plasmatique de 6 heures.
Cisapride
Résorption rapide et complète; biodisponibilité de 40% (effet de premier passage hépatique); pic sérique obtenu entre 1 et 2 heures; métabolisation à 90%; élimination dans les selles et les urines; temps de demivie d’élimination de 10 heures.
► Antiacides à base d’alginates
Pas de résorption, action rapide (6 à 14min) et durable (2 à 4 heures). Les antiacides à base d’alginates sont éliminés dans les selles.
CRITÈRES DE CHOIX THÉRAPEUTIQUE
La mise en place du traitement antireflux repose en premier lieu sur des critères cliniques révélateurs (symptomatologie typique ou atypique, fréquence et répétition des reflux) et sur le contexte médical (âge, facteurs de risque). Si le diagnostic du RGO peut être porté avec quasi-certitude par l’interrogatoire sans l’aide d’examen complémentaire en cas de symptomatologie typique, le recours aux investigations paracliniques est indispensable en cas:
– de symptômes atypiques;
– de symptômes invalidants ou résistants au traitement symptomatique ou récidivant à l’arrêt du traitement;
– de signes d’alarme (dysphagie, hémorragie digestive, anémie ferriprive, amaigrissement);
– d’âge supérieur à 50ans.
La qualité du diagnostic représente un élément essentiel du bon usage des médications antireflux. Le traitement du RGO simple ne justifie pas d’examen complémentaire préalable. Par contre, seule l’endoscopie permettra le diagnostic et le staging d’une œsophagite.
Quelle que soit la situation, la prise en charge médicale du RGO et la réussite du traitement passent inéluctablement par une information précise du patient sur l’observance de son traitement et sur des règles hygiéno-diététiques et posturales fondamentales.
Les objectifs thérapeutiques sont:
– le soulagement des symptômes, accompagné d’un retour à une qualité de vie normale;
– la cicatrisation des lésions dans les œsophagites sévères ou compliquées;
– la prévention des récidives dans les formes symptomatiques à rechutes fréquentes et les œsophagites sévères ou compliquées.
Cependant, bien que les médicaments utilisés contre le RGO soient très efficaces, aucun n’est capable de guérir définitivement la maladie et donc de prévenir les récidives après l’arrêt du traitement.
TRAITEMENT D’ATTAQUE DU REFLUX
Le traitement d’attaque du RGO sans œsophagite reste symptomatique et ne demande pas d’examen complémentaire devant une symptomatologie typique (pyrosis, régurgitations acides) chez un patient de moins de 50ans. Ainsi, selon les recommandations de la conférence de consensus de janvier 1999 sur la prise en charge du RGO, les experts proposent une stratégie graduée par palier de prise en charge.
Devant des reflux peu sévères et/ou sans lésion muqueuse, il conviendra dans un premier temps de respecter les règles hygiéno-diététiques et posturales, fondamentales dans la prise en charge du RGO et garants de la réussite du traitement.
Devant des symptômes typiques espacés et en l’absence de symptômes d’alarme, ils seront traités à la demande. En première intention, il est possible d’avoir recours aux topiques antiacides, avec ou sans alginates, dont l’efficacité sur la douleur est équivalente. Les topiques antiacides alginates ont l’avantage de réduire l’acidité des reflux tout en protégeant la muqueuse œsophagienne. En première intention, les antiacides alginates peuvent être utilisés seuls. De même, dans cette situation, l’emploi des anti-H2 faiblement dosés est possible tels que la ranitidine à 75mg (Raniplex, Azantac, etc.), la cimétidine à 200mg (Tagamet, Stomédine, etc.) ou la famotidine à 10mg (Pepcidac). Les formes d’action rapide (comprimés effervescents, formes sublinguales, gommes à mâcher) sont bien adaptées au traitement à la demande.
Devant des symptômes typiques rapprochés, à savoir une fois par semaine ou plus, sans signe d’alarme, chez des patients de moins de 50ans, les anti-H2 à dose standard ou les IPP à demi-dose constituent le traitement de référence pendant environ 4 semaines. Les inhibiteurs de la pompe à protons utilisables sont l’oméprazole à 10mg (Mopral), le lansoprazole à 15mg (Lanzor), le pantoprazole à 20mg (Inipomp), le rabéprazole à 10mg (Pariet) ou l’ésoméprazole à 20mg (Inexium). Ce traitement sera toujours associé aux règles hygiéno-diététiques et posturales.