52. Traitement des infections digestives
(à l’exception de l’ulcère à Helicobacter pylori et des diarrhées infectieuses)
Chapitre révisé pour cette édition par: and Jean-Philippe Steinmetz
Praticien hospitalier, service de chirurgie digestive, hôpital de Clamecy, France
Chapitre initialement rédigé par: and Marie-Odile Decroix†
Maître de conférences, pharmacie clinique, faculté de pharmacie, Paris-V, France
Jean-Philippe Steinmetz
Praticien hospitalier, service de chirurgie digestive, hôpital de Clamecy, France
Nous remercions and Matthieu Roustit
Interne en pharmacie, CHU de Grenoble, pour la relecture de ce chapitre
PLAN DU CHAPITRE
Physiopathologie1030
CE QU’IL FAUT RETENIR1037
ÉTUDE DE CAS CLINIQUES1038
Références bibliographiques1040
INTRODUCTION
Dans ce chapitre, les infections digestives chirurgicales seront plus particulièrement décrites. Les pathologies infectieuses médicales spécifiques, telles que l’ulcère gastro-duodénal et l’ensemble des diarrhées infectieuses, sont traitées dans d’autres chapitres.
Par ailleurs, il ne sera abordé que les infections bactériennes et les candidoses fréquentes (et souvent méconnues), en excluant les infections virales ou parasitaires.
PHYSIOPATHOLOGIE
Il convient de distinguer les candidoses digestives qui peuvent siéger tout le long du tractus digestif, souvent méconnues chez le sujet âgé. Si elles sont fréquentes et bien connues sous le nom de «muguet» quand elles affectent la sphère buccale, elles peuvent revêtir des formes graves chez des patients fragiles, en réanimation et/ou sous antibiothérapie.
Il est plus simple de situer les lésions digestives de manière topographique, étage par étage, d’une extrémité à l’autre du tube digestif.
La figure 52.1. rend compte de la diversité possible des infections digestives médicales ou chirurgicales.
La figure 52.1 |
Médiastinites
Il s’agit d’un ensemencement septique grave du médiastin par des lésions heureusement rares, en rapport avec une perforation de l’œsophage thoracique soit sur des anomalies congénitales (diverticules), soit lors de perforations traumatiques (corps étrangers déglutis, plaies) ou encore postopératoires (lâchage d’anastomose).
Infections de l’étage abdominal sus-mésocolique
► Niveau gastro-duodénal
Il s’agit d’une complication évolutive des ulcères gastroduodénaux à savoir la perforation d’un ulcère le plus souvent pylorique, soit colmaté rapidement par les organes de voisinage (ulcère perforé bouché), soit en communication avec la grande cavité péritonéale aboutissant rapidement à une péritonite. Les perforations des cancers gastriques sont également en cause.
► Niveau hépato-bilio-pancréatique
• Foie
Cela peut être un abcès ou une périhépatite à Chlamydiae trachomatis (syndrome de Fitz-Hugh-Curtis) pouvant imposer pour une cholécystite aiguë un acte chirurgical en plus du traitement médicamenteux.
• Bile
L’infection se traduit par:
– une cholécystite aiguë qui est une inflammation de la vésicule sur un obstacle le plus souvent lithiasique;
– une angiocholite consécutive à un obstacle, à l’écoulement de la bile au niveau de l’extrémité inférieure de la voie biliaire principale en rapport le plus souvent avec une lithiase, un cancer du carrefour bilio-pancréatique ou encore un obstacle parasitaire (douve, ascaris) ou un obstacle cruorique (hémobilie traumatique, par exemple).
Dans tous les cas, le traitement antibiotique est un appoint au geste chirurgical ou instrumental de levée d’obstacle.
• Pancréas
L’infection se manifeste par:
– un kyste ou pseudo-kyste pancréatique infecté,
– une traînée de nécrose que l’on retrouve dans les pancréatites nécrotico-hémorragiques graves par ensemencement des foyers de nécrose par des germes coliques voisins.
Infections de l’étage sous-mésocolique
► Intestin grêle
L’infection peut se présenter de la façon suivante:
– toute occlusion mécanique (tumeurs, hernies étranglées, invaginations intestinales aiguës, etc.) ou toute souffrance ischémique prolongée de l’intestin grêle (infarctus mésentérique par embolie ou thrombose aiguë de l’artère mésentérique supérieure vascularisant l’ensemble de l’intestin grêle) peut entraîner au terme de son évolution des complications septiques;
– infection d’un diverticule de Meckel avec une symptomatologie identique à une appendicite aiguë, le diagnostic aboutissant à l’exérèse du diverticule;
– complications septiques (fistules) survenant lors de la maladie de Crohn.
► Appendicite aiguë
Elle peut être de gravité variable suivant l’évolution et le terrain sur lequel elle se présente: appendicite catarrhale simple, phlegmoneuse, perforée avec un stercolyte bouchant la lumière appendiculaire et empêchant le drainage vers le cæcum ou encore abcès périappendiculaire avec plastron, voire péritonite localisée ou généralisée.
► Gros intestin (côlon, rectum)
Sigmoïdite diverticulaire: il s’agit au départ de l’inflammation, puis de l’infection d’un diverticule sigmoïdien, véritable saccule herniaire dû à l’hyperpression intraluminale de ce segment colique, avec formation de microabcès dans le méso-sigmoïde.
Son expression clinique est classiquement décrite comme une «appendicite à gauche».
Péritonites
On distingue:
– les péritonites primitives dites encore primaires ou spontanées ou idiopathiques relativement rares (1 à 2%) à Gram négatif ou à Streptococcus pneumoniae chez l’enfant;
– les péritonites secondaires:
• à un foyer infectieux intra-abdominal (ulcère perforé, appendicite, sigmoïdite perforée, etc.),
• à un traumatisme ouvert ou fermé d’un organe digestif ou du péritoine,
• à une complication chirurgicale (désunion anastomotique), une perforation instrumentale (coloscopie) ou une contamination per- ou postopératoire.
Traumatismes
Ils représentent une entité à part de source potentielle d’infection digestive.
Il peut s’agir de traumatismes ouverts ou fermés, touchant un ou plusieurs viscères digestifs creux.
– Le traumatisme peut être ouvert: pénétration d’un objet quelconque (couteau, balle, etc.) avec le danger d’ensemencement à partir de germes extérieurs à l’organisme (ne pas oublier le tétanos).
L’exemple le plus fréquent est la rupture du jéjunum au niveau de l’angle de Treitz lors d’un accident de voiture avec choc frontal et port d’une ceinture de sécurité.
STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE
En pratique chirurgicale, la prise en charge des infections digestives se présente sous deux modalités très différentes: l’antibioprophylaxie et l’antibiothérapie curative.
ANTIBIOPROPHYLAXIE
Elle a pour but de prévenir les infections potentielles sur des actes chirurgicaux programmés. Il s’agit alors d’une antibioprophylaxie dite de sécurité couvrant à la fois les possibles effractions d’un segment du tube digestif et aussi les fautes septiques peropératoires mettant en cause des germes extérieurs (tableau 52.1).
Classes | Définitions | Taux d’infection Sans ou avec antiobioprophylaxie | |
---|---|---|---|
Sans | Avec | ||
Propre I | Pas de traumatisme Pas d’ouverture des viscères creux Pas de rupture d’asepsie Pas d’inflammation constatée dans le site opératoire | 1 à 2% (6%) | 0 |
Propre Contaminée II | Ouverture d’un viscère creux avec contamination minime Rupture minime d’asepsie | 10 à 20% | 7% |
Contaminée III, | Plaie traumatique datant de moins de 4 heures Contamination importante avec le contenu intestinal Rupture d’asepsie | 20 à 25% | 10 à 15% |
Sale ou infectée IV | Inflammation Pus Plaie traumatique datant de plus de 4 heures et/ou avec tissus dévitalisés ou corps étranger Viscère perforé avant l’intervention | 25 à 50% | 15 à 35% |
ANTIBIOTHÉRAPIE CURATIVE
Dans ce cas, ce sont les infections avérées où l’antibiothérapie est à visée curative. Les germes pathogènes sont d’autant plus nombreux que l’on se rapproche de l’extrémité distale du tube digestif (1012 bactéries/g dans le côlon gauche).
Il s’agit alors d’adapter en qualité et en quantité, le traitement à l’infection en cause.
FLORE MICROBIENNE RENCONTRÉE AU NIVEAU DU SITE ET CARACTÈRE DE L’INFECTION
La flore microbienne évolue en fonction du site sus- ou sous-mésocolique et du caractère de l’infection communautaire ou nosocomiale:
– étage sus-mésocolique:
• bactéries aérobies: Escherichia coli, streptocoque, staphylocoque,
• bactéries anaérobies: rares,
• candidas (sur les pourtours d’un ulcère);
– étage sous-mésocolique:
• bacilles à Gram négatif (klebsielle, etc.),
• bactéries à Gram positif (streptocoque, etc.).
Par définition, l’antibioprophylaxie ne concerne que les classes I et II. Les classes III et IV relèvent plutôt d’une antibiothérapie curative. Néanmoins, lorsque l’on agit précocement (ex: plaies pénétrantes de membres < 4 heures), ce traitement curatif précoce s’apparente alors à une prophylaxie.
En résumé, au fur et à mesure que l’on approche de l’extrémité distale du tube digestif, les bactéries à Gram négatif de même que les anaérobies (Bacteroides, etc.) sont de plus en plus nombreux.
Les germes retrouvés dans une péritonite secondaire sont présentés dans le tableau 52.2.
Bactéries aérobies | Bactéries anaérobies | ||
---|---|---|---|
Bacilles à Gram négatif | Bactéries à Gram positif | ||
Entérobactéries | |||
Escherichia coli | 60% | Enterococcus | 10-30% |
Klebsiella | 15-25% | Staphylococcus | 10% |
Proteus | 15-25% | Streptococcus | 15% |
Enterobacter | 5-10% | Clostridium | 20% |
Morganella | 3% | Peptococcus | 20-30% |
Lactobacillus | < 5% | ||
Autres bacilles à Gram négatif | Autres | 10% | |
Bacteroides fragilis | 50% | ||
Autres Bacteroides | 40% | Levures (ulcères chroniques et péritonites nosocomiales) | |
Fusobacterium | 5% | ||
Pseudomonas aeruginosa | 5-15% |
Dans l’escalade de cette gravité, il faut mentionner les infections nosocomiales avec identification en plus des germes cités, du pyocyanique, des bacilles à Gram négatif, des Candida et autres levures.
QUELS ANTIBIOTIQUES POUR QUELS GERMES?
Les différents antibiotiques utilisés dans les infections digestives (communautaires et nosocomiales) appartiennent aux classes suivantes:
– les β-lactamines (pénicillines seules ou associées aux inhibiteurs des β-lactamases, céphalosporines de 3e génération, monobactames et carbapénèmes);
– les aminosides;
– les fluoroquinolones de 2e génération;
– les imidazolés (métronidazole);
– la tigécycline.
Aucune description de ces antibiotiques ne sera faite dans ce chapitre (voir chapitre 44«Généralités sur les antibiotiques»).
PRISE EN CHARGE DU PATIENT
SYMPTOMATOLOGIE CLINIQUE ET PARACLINIQUE EN FONCTION DU TERRAIN
Le tableau sémiologique complet d’un syndrome infectieux n’est pas toujours présent: douleurs, fièvre, bactériémie (frissons), signes inflammatoires, examens paracliniques: augmentation de la leucocytose à polyneutrophiles et augmentation de la vitesse de sédimentation et de la protéine C réactive.
Le tableau clinique est parfois tronqué notamment chez: le diabétique, l’immunodéprimé, la personne âgée (exemple de la péritonite «asthénique» où la gravité de la péritonite contraste avec le peu de signes cliniques), le patient en réanimation sous alimentation parentérale exclusive risquant de faire une cholécystite alithiasique.
Ceci montre l’intérêt des examens cliniques répétés, des investigations paracliniques à la recherche d’une lésion infectée profonde (échographie, scanner, etc.), des hémocultures et des fenêtres thérapeutiques antibiotiques.
Parfois, le tableau est masqué par des thérapeutiques intempestives telles que des antalgiques majeurs administrés sans diagnostic, une antibiothérapie aveugle ou d’autres traitements symptomatiques.
TRAITEMENTS AUTRES QU’ANTIBIOTIQUES
Préparation du malade
Une préparation locale est nécessaire pour une désinfection cutanée du champ opératoire (rasage, badigeonnage à la Bétadine ou à la chlorhexidine). La préparation intestinale a pour but d’opérer un intestin plat et vide et surtout un intestin décontaminé avec baisse sensible de la concentration en germes. Les moyens utilisés sont: la diète pour le tractus digestif haut et la purge (X Prep, Colopeg PEG) ou le lavement bétadiné pour le côlon.