19. Traitement de la goutte
Michel Brazier
Pharmacien, médecin, professeur de pharmacie clinique, doyen de la faculté de pharmacie d’Amiens, attaché-consultant au laboratoire de biologie endocrinienne et osseuse du Groupe hospitalier Amiens-Sud, Amiens, France
Patrice Fardellone
Professeur de rhumatologie, service de rhumatologie, CHU Amiens, France
N.B. Il n’y a pas d’évolution notable dans la prise en charge thérapeutique de cette pathologie.
PLAN DU CHAPITRE
ÉTUDE D’UN CAS CLINIQUE395
Références bibliographiques395
GÉNÉRALITÉS
PHYSIOPATHOLOGIE
► Étiologie
L’hyperuricémie peut être consécutive à un excès de production d’acide urique ou à un défaut d’élimination. Les entrées d’acide urique sont représentées par le catabolisme des purines synthétisées de novo, des nucléoprotéines cellulaires ou alimentaires. En revanche, les sorties sont la conséquence de l’élimination urinaire et de l’uricolyse intestinale (figure 19.1).
Figure 19.1 |
L’hyperuricémie primitive responsable de la goutte idiopathique est liée à un excès de la purinosynthèse, en raison probablement d’un trouble enzymatique.
L’hyperuricémie secondaire, à l’origine de la goutte secondaire, peut être liée à un excès de catabolisme des nucléoprotéines endogènes (hémopathies) ou à un défaut d’élimination rénale de l’acide urique (insuffisance rénale). Dans le premier cas, au cours des leucémies, l’acide urique issu du catabolisme des purines voit son excrétion augmentée de deux à trois fois par rapport à la normale, l’uraturie est encore plus élevée avec risque de précipitation d’urate dans les tubules rénaux. La lyse cellulaire massive par le traitement antitumoral, la déshydratation, le pH urinaire acide sont responsables du degré de l’hyperuricémie. Un traitement préventif de l’hyperuricémie avant le traitement antitumoral doit être envisagé.
Les excès alimentaires ont été mis en cause, en particulier des aliments très riches en purines.
► Clinique
L’accès goutteux réalise une arthrite aiguë consécutive à la précipitation de microcristaux d’acide urique dans la cavité articulaire. Les causes de la précipitation ne sont pas encore précisées.
Cependant deux facteurs semblent intervenir:
– les variations brutales de l’uricémie, soit en plus au cours des excès alimentaires, soit en moins au cours du traitement hypo-uricémiant, par exemple;
– les facteurs locaux sous la forme de microtraumatismes.
Les microcristaux entraînent une réaction inflammatoire aiguë non spécifique avec phagocytose des cristaux par les polynucléaires et libération d’enzymes lysosomiales. L’articulation la plus fréquemment concernée est le métatarse phalangien du gros orteil. Le début de la crise est brutal, nocturne. Les signes inflammatoires sont intenses avec gonflement, rougeur des téguments, élévation de la température cutanée et douleurs vives à l’origine d’une impotence fonctionnelle.
La température peut atteindre 39°C. Une hyperleucocytose est constante. Le liquide articulaire, lorsqu’il peut être prélevé, montre de nombreuses cellules constituées en majorité de polynucléaires et la présence de cristaux d’acide urique.
L’accès régresse en quelques jours avec desquamation cutanée. La guérison se fait sans séquelle, la radiographie étant normale. Au cours de l’évolution de la maladie, les accès ont tendance à être moins aigus mais plus prolongés. De surcroît, d’autres articulations peuvent être touchées. Entre les crises, les articulations restent déformées et douloureuses; c’est le stade des arthropathies chroniques. Des dépôts sous-cutanés d’acide urique ou «tophus» sont retrouvés au voisinage des articulations, au niveau du pavillon de l’oreille ou du tendon d’Achille.
MÉDICAMENTS UTILISABLES
Classification des médicaments
Les médicaments utilisés et actuellement commercialisés en France (Vidal, 2002) sont classés dans le tableau 19.1. Nous distinguerons les médicaments de l’accès goutteux et ceux de la maladie hyperuricémiante.
Principes actifs | Noms commerciaux | Formes galéniques | Dosages |
---|---|---|---|
Médicaments de l’accès goutteux | |||
colchicine | Colchicine Houde | Comprimé | 1mg |
+ tiémonium 50mg/cp. opium pdre 12,5mg/cp. | Colchimax | Comprimé | 1mg |
phénylbutazone | Butazolidine | Comprimé Suppositoires | 100mg 250mg |
indométacine | Indocid | Gélules Suppositoires | 25mg 50mg/100mg |
Médicaments de l’hyperuricémie | |||
inhibiteur de l’uricosynthèse: | |||
allopurinol | Zyloric | Comprimé | 100/200/300mg |
Allopurinol MSD | Capsule | 100/200/300mg | |
uricosurique: | |||
benzbromarone | Désuric | Comprimé sécable | 100mg |
dégradation de l’acide urique: | |||
urate-oxydase | Uricozyme | Ampoule injectable (lyophilisat) | 1 000U/mL |
Mécanisme d’action, relation structure-activité
► Médicaments de l’accès goutteux
Colchicine
Elle est très efficace contre l’inflammation goutteuse puisqu’elle empêche indirectement la phagocytose des cristaux d’urate monosodique par les polynucléaires. Cette action est obtenue par la diminution de la mobilité des polynucléaires et par l’altération des microtubules du cytosquelette. En effet, la colchicine a une forte capacité à se lier à la tubuline (Phelps, 1970), ce qui en fait en outre un poison du fuseau cellulaire lors de la mitose. La colchicine diminue encore l’activité métabolique des polynucléaires lors de la phagocytose ainsi que leur pouvoir d’adhésion et la lyse de leur lysosome.
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
La phénylbutazone en particulier, mais aussi l’indométacine, présentent une activité anti-inflammatoire puissante dans l’accès goutteux (Wallace, 1975).
► Médicaments de l’hyperuricémie
Uricosuriques
Ils agissent en augmentant l’uraturie. La clairance rénale de l’acide urique est augmentée, sans modification de la filtration glomérulaire, grâce à une diminution de la réabsorption tubulaire. Cependant il semble que le mécanisme d’action rénale des uricosuriques soit plus complexe. La benziodarone a été initialement utilisée puis retirée du commerce. Elle a été remplacée par la benzbromarone dans laquelle les atomes d’iode ont été substitués par des atomes de brome (Jaun, 1974). Le probénécide a été utilisé mais son efficacité n’était pas suffisante. À fortes doses (4g/j), l’aspirine est uricosurique tandis qu’à doses plus faibles (0,5 à 1,5g/L), elle est hyperuricémiante.
Inhibiteurs de l’uricosynthèse
Ils sont représentés par deux médicaments qui diminuent l’uricémie et l’uricurie mais dont les mécanismes d’action sont sensiblement différents. Le plus puissant, l’allopurinol ou 4-hydroxypyrazolo-(3,4-d)pyrimidine, analogue chimique de l’hypoxanthine et son dérivé l’oxipurinol inhibent la xanthine-oxydase, enzyme qui assure la transformation de l’hypoxanthine en xanthine et de la xanthine en acide urique. Cette inhibition est à l’origine de concentrations sanguines élevées en hypoxanthine et xanthine qui sont éliminées par le rein, évitant ainsi la formation de dépôts tissulaires de ces deux produits. L’action hypo-uricémiante de l’allopurinol provient encore de la diminution de la purinosynthèse puisque l’oxypurinurie totale est plus basse.
Cette action sur la purino-synthèse a été observée in vitro à partir de fibroblastes en culture (Kelley, 1970).
La tisopurine ou mercapto-4-pyrazolo(3,4-d)pyrimidine, dérivé soufré de l’allopurinol inhiberait peu ou pas la xanthine-oxydase. Son action tiendrait essentiellement à ce qu’elle freine la purino-synthèse de novo en entrant in vivo dans la constitution d’un nucléotide ce qui diminue l’activité de la première réaction de cette synthèse. Son mécanisme d’action reste toutefois assez mystérieux. La spécialité correspondante Thiopurinol n’est plus commercialisée en France.
Urate-oxydase
Enzyme peptidique extraite de cultures d’Aspergillus flavus, il dégrade l’acide urique en allantoïne, composé facilement éliminé par voie rénale.
Pharmacocinétique
► Médicaments de l’accès goutteux
La colchicine est presque totalement absorbée après une prise orale. Le pic de concentration est atteint en 30 à 120min. Elle s’accumule dans les leucocytes circulants, 10% seulement étant excrétés dans les urines au cours des 24 premières heures. La concentration plasmatique est stable après 8 jours de traitement à la posologie de 1mg/jour. Après administration par voie orale ou rectale, la phénylbutazone est rapidement et complètement absorbée. Le pic est atteint dès la 2e heure après administration orale; 63% circulent dans le plasma sous forme inchangée, 23% sous forme d’oxyphenbutazone et le reste circule sous la forme de métabolites hydroxylés. Quatre-vingt-dix-huit à 99% sont liés aux protéines plasmatiques. La distribution s’effectue dans tous les compartiments de l’organisme y compris le liquide synovial. La demi-vie est d’environ 75 heures. Elle peut atteindre plus de 100 heures chez les personnes âgées. La phénylbutazone est essentiellement excrétée par voie rénale (75%) et fécale (25%) sous forme de métabolites d’origine hépatique.
L’indométacine est fortement absorbée par voie orale ou rectale et le pic plasmatique est atteint en deux heures. Cependant, les aliments diminuent légèrement le pourcentage de médicament absorbé, le pic plasmatique étant alors moindre et retardé. La demi-vie d’élimination varie entre 3 et 11 heures. La liaison aux protéines plasmatiques est d’environ 90%. L’excrétion est rénale (60%) et fécale (30%). Une diffusion importante dans le liquide synovial est retrouvée.
► Médicaments de l’hyperuricémie
La benzbromarone, médicament uricosurique, est moyennement absorbée (50% environ) après administration orale. Le pic est atteint en 2 à 4 heures environ. La demivie d’élimination est d’environ 2,5 heures. Les métabolites déshalogénés sont actifs; le benzarone est le métabolite principal avec un pic sérique atteint en 6 heures et une demi-vie d’environ 13 heures. La liaison aux protéines plasmatiques est forte. L’excrétion est essentiellement hépatique et biliaire.
L’allopurinol est rapidement mais incomplètement absorbé après administration par voie orale. Il est métabolisé en oxypurinol, également actif. Les demi-vies des deux produits sont respectivement d’une et 20 heures. L’élimination est essentiellement rénale.