Prothèses totales de cheville
Total ankle replacement
Trente-cinq ans de resurfaçage de la cheville
L’histoire de la prothèse totale de cheville (PTC) a débuté en 1970 en France où Lord et Marotte [68], non satisfaits des résultats de l’arthrodèse, ont proposé un implant prothétique de la cheville (figure 1). Sa mise en place nécessitait une talectomie partielle et une pièce de polyéthylène était cimentée dans la région calcanéenne. Le pilon tibial était remplacé par un implant sphérique dérivé des prothèses totales de hanche. Les conclusions de Lord et Marotte [68] de 1973, toujours d’actualité, étaient les suivantes :
- • une prothèse de cheville peut procurer une marche indolore et une amplitude articulaire globale de 20 à 40° permettant un bon déroulement du pas ;
- • les contraintes mécaniques auxquelles elle est soumise sont élevées et inquiétantes pour l’avenir de la prothèse ;
- • certains problèmes techniques ne sont pas résolus :
- – la tendance au varus de l’arrière-pied dû au déséquilibre de la balance ligamentaire et tendineuse (muscles tibiaux et tricipital) ;
- – l’asymétrie de la pince bimalléolaire (butée de la malléole fibulaire), sur un arrière-pied physiologiquement en porte-à-faux.
- • en cas d’échec, la seule possibilité de reprise est la difficile arthrodèse tibiocalcanéenne raccourcissante.
- • les contraintes mécaniques auxquelles elle est soumise sont élevées et inquiétantes pour l’avenir de la prothèse ;
Enfin, les auteurs évoquaient la possibilité d’une fixation sans ciment des implants.
La prothèse de Lord et Marotte [68] fut rapidement abandonnée, mais elle nous a appris qu’il était nécessaire d’obtenir une bonne stabilité initiale des implants et que les implants de forme peu congruente avaient tendance à aggraver ou provoquer une instabilité ligamentaire.
Ces implants de deuxième génération se sont avérés insuffisants, ce qui a été clairement rapporté dans un article de Kitaoka [51], publié en 1996, qui montrait une courbe de survie globalement inférieure à 50 % à 10 ans de recul et déconseillait la poursuite de l’expérience. Les causes d’échec étaient probablement l’excès de contraintes auxquelles étaient soumis les implants, la forme sphéroïde des surfaces articulaires responsable d’une stabilité propre insuffisante, et la résorption osseuse due à la réaction macrophagique réactionnelle à la libération de particules de polyéthylène sous l’effet de contraintes excessives, responsable d’un descellement à court et à moyen terme (figure 2).
Les « temps modernes » remontent aux années 1980 avec les implants dits de troisième génération qui ont proposé un ménisque (patin) mobile entre les deux pièces de resurfaçage tibiale et talienne (figure 3). Les promoteurs de ce nouveau concept furent principalement Buechel et Pappas aux États-Unis (prothèse de Buechel Pappas™) et Kofoed au Danemark (prothèse STAR® : Scandinavian Total Ankle Replacement) [13,59]. Le patin mobile en polyéthylène de haute densité est la caractéristique essentielle de ces nouvelles PTC. Par sa surface supérieure plane et mobile par rapport à la pièce tibiale, il permet de modifier ou d’adapter le centre de rotation et d’absorber les micromouvements de cisaillement antéropostérieurs et rotatoires lors de la marche. Le système à deux composants ne procure pas cette adaptabilité. Les taux de survie de ces prothèses sont beaucoup plus encourageants avec, à plus de 7 ans, des taux de reprise compris entre 5 et 12 % [13].
Figure 3 Exemple de différentes prothèses à trois composants ayant été proposées sur les dernières années.
Depuis les années 2000, il y a à nouveau un regain d’intérêt pour la PTC, ce qui est sans aucun doute dû aux résultats à long terme de trois types d’implants : Agility® [2,78], BP™ [14], et STAR® [18]. Leurs meilleurs résultats ont initié la création de nouveaux modèles de prothèses de cheville à plateau mobile (Salto™) [11,103], Hintegra® [43], Mobility®, Box® [63], GAS® [81] et d’autres encore.
Néanmoins, la plupart des articles sur la PTC concernent essentiellement les résultats cliniques et parfois la biomécanique [54,73], et plus rarement la cinétique et le comportement biologique des implants [17,108].
Pourquoi l’articulation de la cheville est-elle si différente de l’articulation de hanche et de genou ?
Il existe plusieurs éléments de réponse à cette question. L’articulation talocrurale est en relation étroite avec les articulations voisines, le talus a une vascularisation particulière [23], les importantes contraintes passant par cette petite articulation doivent être capables de porter jusqu’à six fois le poids du corps [49], la fibula joue un rôle particulier [41], et enfin les insertions ligamentaires limitent la mobilité articulaire [65].
Que reprocher à l’arthrodèse ?
« L’arthrodèse garde une place de choix, mais Lord et Marotte [68] pensaient déjà qu’en méconnaissant trop délibérément ses inconvénients, on lui faisait une part un peu trop belle. »
Comme Mazur [71] l’a rapporté, l’arthrodèse réduit la vitesse de marche de 16 %, augmente la consommation d’oxygène de 10 %, réduit les possibilités de marche de 10 % et nécessite des compromis dans la vie quotidienne principalement pour monter et descendre les escaliers, se lever d’une chaise, conduire une voiture… L’arthrodèse est une intervention techniquement exigeante imposant un positionnement parfait et son taux de pseudarthrose est compris entre 8 et 48 % dans la littérature [88]. Les problèmes septiques ne sont pas rares (2 à 12 %) [88] et enfin, l’enraidissement de cette articulation majeure de l’arrière-pied est responsable d’un excès de contraintes sur les articulations sus- et sous-jacentes, d’autant plus qu’il existe déjà à ce niveau une pathologie post-traumatique ou inflammatoire.
Il existe différentes analyses biomécaniques et de la marche après arthrodèse pour arthrose. Beyart et al. [9] ont décrit un appui talonnier trop précoce de la cheville fusionnée lors de la marche pieds nus, avec une amélioration lorsque le patient est bien chaussé. La vitesse de marche est diminuée. Wu et al. [106], à l’aide de l’analyse tridimensionnelle, ont mis en évidence des troubles de rotation du membre inférieur sus-jacents à une arthrodèse. Valderrabano [101] a retrouvé les mêmes anomalies en étudiant des chevilles arthrosiques. Les analyses de détection électromyographique ont objectivé des cocontractions anormales des muscles antagonistes dans les chevilles douloureuses, ce qui traduit probablement une tentative de soulager les douleurs par une « ankylose dynamique » de l’articulation.
D’un point de vue clinique, Trichard et al. [96] ont rapporté les résultats d’une même cohorte de 25 arthrodèses revues à 7 ans puis à 23 ans, avec des résultats fonctionnels stables dans le temps, même si les radiographies montrent des altérations sous-taliennes. Néanmoins, Fuschs [32], dans une analyse de 18 arthrodèses revue à 20 ans, a rapporté une altération des résultats dans le temps, avec une altération de la qualité de vie (SF36) et une dégradation articulaire.
La prothèse totale de cheville tient-elle ses promesses ?
La nouvelle génération de prothèses procure de meilleurs résultats cliniques [13,104]. Des études cadavériques ont montré que la cinématique après PTC est normale [98–100]. Komistek et al. [60] ont objectivé en radiocinéma un mouvement normal de la cheville lors de la marche, dans une étude de 10 patients, chacun d’eux ayant d’un côté une cheville normale et de l’autre une arthroplastie totale de cheville indolore et mobile (prothèse de type Buechel-Pappas™). Le but de cette étude était d’évaluer les mouvements de translation et de rotation de la partie distale du tibia par rapport au talus dans le plan sagittal et frontal. Doets et al. [30] ont comparé le schéma de marche de patients ayant une PTC à celui de sujets sains. Ils ont montré que la vitesse de marche était inférieure et la flexion dorsale de la cheville réduite chez les patients ayant une PTC. Récemment, Houdijk et al. [47] n’ont rapporté aucune différence significative entre le travail mécanique de la cheville après PTC et celui de la cheville de témoins normaux.
Valderrabano et al. [101] ont effectué une analyse cinématique (analyse du mouvement) et cinétique (analyse de la cause des mouvements : forces et forces de réaction) chez 15 patients ayant une PTC. Ils ont démontré qu’il n’existait aucune différence temporospatiale entre des sujets sains et des sujets ayant une PTC, à 12 mois de l’intervention et après rééducation. En revanche, ils ont observé de moins bons résultats durant les 6 premiers mois. Benedetti et al. [6], avec les mêmes outils d’analyse, ont montré une bonne restauration des amplitudes articulaires à 3 ans de recul. Il est donc important d’attendre un minimum de 6 mois pour obtenir le résultat.
Néanmoins, ces études ne portent que sur les anomalies segmentaires et ne donnent que peu d’informations sur les anomalies globales de la marche L’invalidité globale a été mieux analysée par les mesures mécaniques et énergétiques considérées comme indicateurs de synthèse de la marche [28]. Cette approche permet une meilleure compréhension du mécanisme d’une marche pathologique. Detrembleur [26] a ainsi évalué l’effet de la PTC sur les anomalies de la marche chez 20 patients étudiés avant et environ 7 mois après l’intervention. Le score AOFAS a été amélioré 1,5 fois. La vitesse a également été très sensiblement améliorée. Afin de limiter l’influence de la vitesse et de mettre en évidence l’effet de la seule chirurgie, toutes les variables ont été normalisées à l’aide du Z-score. Tous les paramètres temporospatiaux et l’amplitude de la cheville étaient sensiblement améliorés. Le déplacement du centre de masse était significativement amélioré, avec une courbe de marche moins plate, et une diminution de la dépense énergétique. Ces résultats démontrent l’effet bénéfique de la PTC sur la fonction locomotrice.
Quels sont les résultats des prothèses totales de cheville en 2010 ?
Stengel [91], en 2005, a réalisé une méta-analyse des études des résultats des PTC à trois composants. Une échelle de qualité sur huit points évaluait la méthodologie et les résultats étaient modélisés. Dix-huit articles sur 1830 citations, incluant 1086 patients, répondaient aux critères de sélection. Il a été possible d’évaluer les résultats à l’aide de l’AOFAS pour 10 études (n = 497), avec une amélioration moyenne de 45,2 points (intervalle de confiance [IC] à 95 % : 39,3–51,1). Les amplitudes globales de mobilité étaient légèrement améliorées (de 6,3° ; IC 95 % : 2,2–10,5°). Les taux de complications allaient de 1,6 % pour les infections profondes à 14,7 % pour les « impingement ». Une réintervention avait été pratiquée dans 12,5 % des cas, et une arthrodèse secondaire dans 6,3 % avec un taux global de révision de 18,8 %. Selon Stengel et al., les taux pondérés de « prothèses/année de survie moyenne » étaient de 90,6 %. Il utilise ce mode de calcul car il n’a pu qu’estimer « approximativement » le taux pondéré de survie par le fait qu’il n’était pas possible d’extraire des études et des données individuelles des patients repris dans les articles référents. Stengel a conclu que l’arthroplastie de cheville soulageait la douleur et améliorait la mobilité chez les patients présentant une arthrose évoluée de la cheville. Stengel estime que la supériorité de la PTC sur l’arthrodèse doit néanmoins être démontrée dans un essai randomisé de qualité.
SooHoo et al. [89] ont étudié le taux de réinterventions de 480 PTC comparé à celui de 4705 arthrodèses et ont constaté 9 % de réinterventions à 1 an et 23 % à 5 ans pour les PTC contre 5 et 11 % respectivement pour les arthrodèses, en excluant la dégénérescence de l’articulation sous-talienne [89]. Celle-ci était de 0,7 % pour les prothèses et de 2,8 % pour les arthrodèses à 5 ans de recul.
Haddad [37] a fait une méta-analyse comparative portant sur 49 articles sélectionnés, avec 852 prothèses contre 1262 arthrodèses, à l’aide d’items comme le score de l’AOFAS (78,2 contre 75,6) : 38 % des PTC avaient un très bon résultat, 30,5 % un bon résultat, 5,5 % un résultat acceptable et 24 % un mauvais résultat. Pour les arthrodèses, ces pourcentages étaient de 31 %, 37 %, 13 % et 13 % respectivement. Ils étaient donc comparables. À 5 ans, le taux de survie des PTC était de 78 % (IC 95 % : 69–90,8 %) et leur taux de reprise de 7 %, principalement pour descellement. Dans le groupe arthrodèse, le taux de reprise était de 9 %, sans que la cause des reprises soit précisée. Un pour cent des patients ayant eu une PTC avaient été amputés contre 5 % dans le groupe arthrodèse. Cette étude a le mérite d’exister, mais elle n’est ni prospective ni randomisée et incluait et comparait des groupes d’indications très différents.
Cette année, Gougouglias [35] a présenté une méta-analyse de 13 articles référents de la littérature et revu les résultats de la PTC à partir de séries répondant aux critères de Coleman [21] : 1105 prothèses ont été analysées. Les douleurs résiduelles étaient fréquentes (27 à 60 %). La fonction de la cheville (le plus souvent évaluée à l’aide du score AOFAS) était améliorée. Les critères d’évaluation basés sur la clinique, le score fonctionnel et les radiographies étaient cependant insuffisants, car ils ne comportaient aucune évaluation dynamique. Les mobilités articulaires étaient documentées dans neuf études. L’amplitude de mobilité était inchangée ou améliorée de 4 à 14°. Les difficultés de cicatrisation allaient de 0 à 14,7 % et les infections profondes de 0 à 4,6 %, Les échecs repris (changement de prothèse, arthrodèse, amputation) représentaient 10 % des cas à 5 ans avec des extrêmes de 0 % et 32 % selon les centres.
Dans six études [4,14,48,53,85,105], il existait une courbe de survie selon Kaplan-Meier avec un IC à 95 % et des taux de survie allant de 67 % à 6 ans (Hurowitz [48]) à 95,4 % à 12 ans (Kofoed [59] et San Giovanni [85]). Aucune prothèse n’avait fait la preuve de sa supériorité.
Les études radiologiques sont des plus préoccupantes. Différents critères peuvent être pris en compte : liserés, géodes, migration. Ces critères sont eux aussi très hétérogènes, car ils ne sont pas définis de la même manière et sont donc évalués différemment. La position et l’alignement ne sont précisés que dans l’étude de Wood [105]. L’évaluation des articulations voisines est faite dans les études de Knecht [53] et de Wood [105]. On retrouve entre 15 et 20 % de dégénérescence progressive des articulations adjacentes.
Il est important de pondérer ces études pour différentes raisons :
- • le niveau d’expérience variable des chirurgiens ;
- • l’hétérogénéicité des indications et des implants ;
- • l’insuffisance du recul de ces séries ;
- • le nombre insuffisant d’études indépendantes des groupes de concepteurs ;
- • l’insuffisance des critères d’étude des résultats fonctionnels et du degré de satisfaction ;
- • l’absence de critères radiologiques bien définis.
- • l’hétérogénéicité des indications et des implants ;
Ces considérations sont essentielles et expliquent les résultats discordants de certaines études. Le taux de survie de la prothèse Agility™ passe ainsi de 95 % à 6 ans pour le concepteur à 67 % dans une série indépendante (Hurowitz [48]). Celui de la prothèse STAR® passe de 95 % à 10 ans pour le concepteur (Kofoed [59]) à 80 % (Chou [20]), et il semble en être de même pour la quasi-totalité des prothèses.
On peut faire les mêmes constatations pour le recul. Bonnin et al. [11], dans leur article princeps sur la prothèse Salto™, ont rapporté seulement 2 % de complications (révision par arthrodèse) à 2,9 ans de recul. Alors qu’à 8,5 ans, dans une étude du 25e congrès de l’AOFAS 2010, le taux de complications était de 25 % : 8 % de reprise par fusion, 8 % de reprise pour raideur ou descellement, 5 % de greffes osseuses de géodes, 2 % de changements de l’insert en polyéthylène, 2 % de reprise pour infection. Ce taux est cohérent avec l’important recul de cette série, dont les cas les plus anciens avaient été opérés il y a plus de 10 ans.
Le registre suédois [42], probablement plus objectif et moins critiquable, fait état d’un taux de survie de 77 % à 5 ans et de 62 % à 10 ans, et il insiste sur le fait que les résultats sont meilleurs lorsque le chirurgien a implanté plus de 30 prothèses (figure 4).
Rappel anatomique, cinématique et modélisation de la cheville
Rappel anatomique
La cheville ou articulation talocrurale est une structure complexe très sollicitée sur le plan mécanique, contrairement à ce que l’on pourrait déduire d’une analyse sommaire de son mouvement. De nature trochléenne et monoaxiale, elle est avant tout le siège des mouvements de flexion et d’extension du pied. Le talus est la pièce mécanique maîtresse qui permet l’emboîtement des articulations de l’arrière-pied avec l’extrémité distale de la jambe (pilon tibial), à la manière d’un tenon dans une mortaise. Il ne possède aucune insertion tendineuse directe, mais il est entouré de toutes parts de ligaments et de tendons. Plus large en avant qu’en arrière, sa surface articulaire supérieure encroûtée d’un épais cartilage répond à la surface articulaire du pilon tibial. La face médiale du corps du talus répond à la malléole médiale. La face latérale du corps du talus s’articule avec la malléole fibulaire par l’intermédiaire de la surface malléolaire latérale, beaucoup plus développée que du côté médial [86].
Pour Close, cité par Bonnel [10], la trochlée talienne a la forme d’un cône tronqué. Inman [50], dans son analyse, a assimilé la trochlée talienne à un segment de cône tronqué dont l’angle au sommet est en moyenne de 24 ± 11°. L’axe de rotation serait orienté selon une double obliquité :
- • dans le plan frontal : en bas et en dehors, passant sous la pointe des deux malléoles en faisant un angle de 82 ± 3,6° avec l’axe de tibia ;
- • dans le plan transversal : en arrière et en dehors, faisant un angle de 20 à 30° avec l’axe transversal du genou (figure 5).
Bonnel et Mabit [10] ont constaté que les trois courbures taliennes appartiennent à des cercles (malléolaire médial, taliens latéral et médial) situés dans différents plans de l’espace. L’espace situé entre les deux cercles taliens est asymétrique : large à sa partie moyenne, il se rétrécit en avant et en arrière. Le mouvement du talus dans le plan transversal peut être comparé à la manœuvre que réalise un véhicule automobile pour se garer en marche arrière au cours d’un créneau [5]. Bonnel a aussi montré, fait essentiel, qu’il existe des variations individuelles du rayon de courbure des parties médiale et latérale du talus. Il a mesuré 40 talus de sujets de laboratoire et a mis en évidence trois types de talus [5]. Dans le type 1 (86 %), le rayon médial a un rayon de courbure de 18,9 mm et le rayon latéral un rayon de courbure de 22,3 mm. Dans le type 2 (11 %), le rayon médial a un rayon de courbure de 22 mm et le rayon latéral un rayon de courbure de 22 mm. Dans le type 3 (3 %), le rayon médial a un rayon de courbure de 18 mm et le rayon latéral un rayon de courbure de 22 mm. Ces variations, et aussi la forme intrinsèque des surfaces articulaires, mettent en tension le ligament talofibulaire antérieur de manière variable au cours du mouvement de flexion-extension [5].
Pour s’articuler avec la surface articulaire asymétrique, qui s’étend sur les faces supérieure, médiale et latérale du corps du talus, l’extrémité distale du squelette jambier présente elle aussi trois surfaces articulaires jointives mais séparées par des interlignes mobiles qui confèrent à la mortaise tibiofibulaire son caractère dynamique original (figure 6).
Les caractéristiques biomécaniques de la structure osseuse de l’extrémité distale du tibia ont été étudiées et peuvent avoir des implications pour la mise en place de l’implant tibial. Lowery [69] a montré que l’os sous-chondral a un module élastique de l’ordre de 300 à 450 MPa. Après résection de la lame sous-chondrale, la résistance à la compression diminue d’environ 30 à 50 % et après une résection de 70 à 90 %. D’autre part, Hvid et al. [49] ont démontré que l’os talien est de 40 % plus résistant que l’os tibial. Calderale et al. [16] ont montré qu’il existe des contraintes importantes au niveau de la corticale du col talien et que lorsque cette corticale est altérée, les contraintes sur le spongieux talien résiduel sont augmentées.
Les éléments squelettiques de la pince articulaire tibiofibulaire sont stabilisés par les faisceaux fibreux denses des ligaments talofibulaires antérieur et postérieur. Il faut y ajouter le ligament tibiofibulaire interosseux, dont la partie distale entre en rapport avec le cul-de-sac synovial de l’articulation talocrurale et dont la partie proximale est en continuité avec la membrane interosseuse de la jambe. Sur un plan mécanique, la stabilité de la syndesmose complexe, qui réunit ainsi les extrémités distales du tibia et de la fibula, dépend de cet ensemble fonctionnel qu’elle forme avec la membrane interosseuse sus-jacente [70].
Surfaces de contact
La plus grande surface de contact possible est de 11 à 13 cm2. Le talus est en contact permanent avec les malléoles et le plafond tibial, mais de façon variable selon la charge et le secteur de mobilité considéré. La surface de contact maximale correspond à 50 % du cycle de marche, à la fin de la phase portante juste avant le double appui ; c’est à ce moment que le sujet peut accélérer et adapter la longueur de son pas grâce, en particulier, à l’action concentrique du triceps sural. Le tibial postérieur, les fibulaires et les fléchisseurs des orteils entrent en action et réalisent ensemble un haubanage actif de la cheville et de l’arrière-pied. Après le premier pivot qu’est l’appui talonnier (« heel rocker »), la cheville est en charge (2e pivot) à son maximum de flexion dorsale (position de verrouillage articulaire), soit environ 10°, et le poids est transféré vers le 3e pivot qui correspond aux articulations métatarsophalangiennes. La surface de contact est alors estimée à 5,23 ± 0,6 cm2 (figure 7). La charge diminuerait la rotation talienne. La flexion plantaire diminue la surface de contact articulaire et augmente l’espace entre talus et malléole médiale, avec plus de laxité et plus d’instabilité potentielle [62]. Sous la charge, la stabilité de la cheville dépend plus de la géométrie des surfaces articulaires qui assurent la congruence que de l’action des ligaments en tant que coapteurs passifs. Ramsey a rappelé que 1 mm de déplacement latéral du talus, dû par exemple à un défaut de réduction d’une fracture, diminue la surface de contact de 42 % [79]. En position debout et durant la marche, la cheville est potentiellement instable, sauf lorsque la charge est maximale, ce qui augmente la congruence articulaire entre le talus et le toit de la mortaise et diminue la rotation dans l’articulation [92].
Mouvements de la cheville
Les principales fonctions de la cheville sont la locomotion et la transmission. La cheville est le deuxième pivot de la marche qui assure le mouvement de flexion-extension du pied dans le plan sagittal, auquel s’associent les mouvements de l’articulation sous-talienne. Elle transmet par ailleurs les mouvements de rotation de la jambe au pied [70].
Modélisation de la cheville
Chaque modèle d’articulation est souvent inspiré de l’ingénierie, avec une analogie mécanique (charnière, cardan…) entre ce modèle et l’articulation anatomique. Depuis presque 100 ans, des recherches biomécaniques sur le complexe articulaire de la cheville ont été menées. Les chercheurs les plus importants ont été Fick, Manter, Barnett et Napier, Hicks, Isman et Inman. Tous ces auteurs se sont concentrés sur la description anatomique et fonctionnelle de la cheville. Les deux modèles de cheville qui se rapprochent le plus de la réalité sont le « four-bar linkage », modèle de Leardini et al. [64], et le modèle cinématique de Franci et al. [31].
Leardini et al. [64] ont proposé un modèle en deux dimensions appelé « four-bar linkage », modèle qui décrit les mouvements de flexion dorsale et de flexion plantaire de la cheville en décharge. Ce modèle est composé de quatre barres de liaison. La barre entre le tibia et la fibula et la barre entre le talus et le calcanéus représentent les segments osseux rigides du modèle. Le ligament calcanéofibulaire et le ligament tibiocalcanéen représentent chacun une barre de liaison supposée inextensible et isométrique. Ce modèle permet de prédire en deux dimensions le mouvement du calcanéus, l’orientation des ligaments, l’axe de rotation instantané et la surface de contact entre le talus et la pince bimalléolaire. Il montre également l’importance de la géométrie des ligaments et de leur reconstruction lors de la mise en place d’une prothèse de cheville.
Récemment, Franci et al. [31] ont proposé un modèle en trois dimensions des mouvements passifs du complexe articulaire de la cheville. Ce modèle est inspiré du premier modèle de cheville en trois dimensions de Di Gregorio et al. [28]. Il assimile le contact entre chacune des trois faces articulaires du talus et les trois parties de la pince bimalléolaire à un contact entre deux sphères (figure 8). À ces trois connexions sphère à sphère, deux ligaments (fibulocalcanéen et tibiocalcanéen) repris du modèle de Leardini et al. [64] sont ajoutés. Ce modèle est celui qui simule le mieux les mouvements passifs de la cheville.
Conséquences pour les arthroplasties de cheville
Le modèle biomécanique « charnière » de la cheville est totalement abandonné. La reproduction de l’anatomie est très complexe et doit intégrer des rayons de courbure asymétriques : le cylindre est loin de la réalité, le tronc de cône s’en rapproche dans 80 % des cas. Les contraintes sont importantes et s’appliquent sur une structure osseuse de résistance variable en fonction du niveau de résection osseuse. La dynamique et la cinétique ligamentaires dépendent de la géométrie des implants. Ces multiples variables expliquent les différents modèles proposés, de la prothèse Agility™ (figure 9) qui supprime la mobilité de la syndesmose pour valider un système charnière à la cinétique ligamentaire imparfaite, aux prothèses asymétriques à patin mobile qui se rapprochent souvent de l’anatomie et respectent l’appareil ligamentaire et sa physiologie. On peut également opposer les défenseurs des résections osseuses importantes, qui nécessitent une quille volumineuse (Inbone™) à ceux des résections économiques qui procurent une meilleure qualité osseuse, plus propice à l’implantation prothétique (Hintegra®).
Types d’implants, évolutions
Classifications
Les classifications se réfèrent à différents critères comme le mode de fixation, le nombre de composants, le degré de contrainte et de congruence entre les composants [45].
À l’heure actuelle, la plupart des prothèses de cheville sont faites d’un alliage de chrome-cobalt avec différents types de recouvrement pour l’intégration secondaire (plasma spray de titane et hydroxyapatite [HAP] pour optimiser la fixation secondaire, revêtement de titane poreux et d’HAP…) avec un ménisque mobile en polyéthylène. Les différences entre les modèles sont minimes. Certaines pièces taliennes ne recouvrent que le dôme, d’autres s’étendent latéralement et recouvrent les facettes latérale et médiale du talus, permettant de corriger les désaxations et procurant une plus large surface de contact, bénéfique pour la stabilité intrinsèque et l’ostéo-intégration. Les implants ne sont plus cimentés car le taux de migration et de descellement était semble-t-il plus élevé. Takakura [94], Zerhan et Kofoed [107] ont rapporté une augmentation de la densité minérale osseuse au contact des implants revêtus d’HAP. Il semble que le sans-ciment permette de limiter l’importance de la résection osseuse, et Saltzman a donc recommandé un revêtement irrégulier et recouvert d’HAP [84]. En effet, Takakura et al. ont observé des migrations et des descellements dus à une résorption osseuse au niveau de l’interface os-ciment. De plus, au niveau talien, la résection minimale de l’os, propre au sans-ciment, limiterait le taux de nécrose. Hintermann [44] a rapporté les résultats à court et moyen terme de 50 prothèses STAR® sans ciment avec des implants jugés stables d’après les radiographies.
La fixation est assurée soit par une surface poreuse en titane [15] soit par une telle surface recouverte d’HAP [56], ou encore de calcium β-phosphate qui stimule la repousse osseuse et favorise la formation de ponts osseux avec l’implant. Ceci implique que l’os du patient puisse réagir favorablement à de tels revêtements et les reconnaisse « comme étant de l’os » en lançant le processus de consolidation comme pour la guérison d’une fracture. Cela implique également une bonne vascularisation de l’os. Les zones d’os nécrotique ne peuvent pas participer à ce processus de « consolidation ». Le manque de pureté du matériel, une stabilité insuffisante ou une mauvaise répartition des charges au niveau de l’interface os-implant peuvent perturber ce processus, avec apparition d’une ostéolyse périprothétique [46]. L’implant peut ainsi libérer des particules d’usure qui s’ajoutent à celles du polyéthylène.
L’usure du polyéthylène a été calculée pour être du même ordre de grandeur que celle des prothèses totales du genou [55]. Seule une prothèse de cheville japonaise, la prothèse TNK®, utilise un couple céramique-céramique depuis plusieurs années, mais elle n’a pas fait la preuve de sa supériorité [93].