11. Thérapie cognitive basée sur la pleine conscience
B. Weber, F. Jermann and J.-M. Aubry
Contexte historique
De nos jours, tant aux États-Unis qu’en Europe, la méditationMéditation fait l’objet de recherches et enseignements divers, avec le soutien d’organismes gouvernementaux et universitaires. Ainsi, une méta-analyse basée sur 20 études examinant l’efficacitéEfficacité clinique de la pratique méditative de la pleine consciencePleine conscience conclut qu’en moyenne « elle peut ramener les participants présentant des perturbations psychologiques légères à moyennes dans les limites ou proches des limites de la norme » (Baer, 2003, trad. des auteurs).
Rosenfeld (2007) décrit la pleine conscience comme la « clé de voûte de l’une des méthodes thérapeutiques les plus prometteuses du début du XXIe siècle », à savoir la réduction duStressréduction du/des stress basée sur la pleine conscience (Mindfulness Based Stress Reduction : MBSR) développée par Kabat-Zinn (2009). La clinique de réduction du stress, créée par ce dernier en 1979 au sein de l’hôpital médical universitaire du Massachusetts, a traité par cette méthode de nombreux patients souffrant de maux divers et notamment de douleurs physiques persistantes. En santé mentale, des applications ont été développées dans le contexte des troubles anxieuxTrouble(s) anxieux, abus de substancesAddiction(s)abus de substance(s), troubles alimentairesTrouble des conduites alimentaires, hyperactivitéHyperactivité, etc. avec des adaptations de la méthode et sa combinaison à d’autres ingrédients thérapeutiques. C’est le cas pour les troubles de la personnalitéTrouble de la personnalité émotionnellement labile avec le développement de la thérapie comportementale dialectiqueThérapie(s)comportementale dialectique (DBT) (Dialectical Behavior Therapy : DBT) de Linehan (1993) et pour les troubles de l’humeurTrouble(s) de l’humeurHumeur avec la thérapie cognitive basée sur la pleine conscienceThérapie(s)cognitive basée sur la pleine conscience (MBCT) (Mindfulness Based Cognitive Therapy : MBCT) de Segal et coll. (2002), présentée dans ce chapitre.
« Pleine conscience » signifie « diriger son attentionAttention d’une certaine manière, délibérément, au moment voulu et sans jugement de valeur » (Kabat-Zinn, 2004). La méditation basée sur la pleine conscience peut être décrite comme « la combinaison d’autorégulation de l’attention avec une attitude de curiosité, d’ouverture et d’acceptation de ses propres expériences » (Bishop et coll., 2004, trad. des auteurs).
Dans le cadre de la pleine consciencePleine conscience, l’expérience présente est surtout opérationnalisée par des données sensorielles immédiates : ce que l’individu goûte, sent, voit, entend, ou encore ses sensations corporelles. Mais l’expérience présente peut également consister en des penséesPensée(s) et des images mentales surgissant spontanément dans le champ de la conscience (Philippot, 2007). Les pensées et les émotionsÉmotion(s) sont donc observées au même niveau que le seraient des objets de la conscience sensorielle, sans y réagir de la manière automatique habituelle (Salmon et coll., 2004). La pleine conscience permet de répondre à des situations de façon réfléchie plutôt qu’impulsivement. Le but recherché est de prendre conscience le plus pleinement possible de toutes les facettes de notre état actuel, de les observer sans les juger et de noter ce qui se passe ensuite. On peut se demander pourquoi une telle attitude devrait se limiter aux seuls moments où l’on a choisi de méditer : « si la pleine conscience consiste à maintenir la conscience vivante dans la réalité présente, alors il faudrait la pratiquer tout de suite dans la vie quotidienne, et pas seulement pendant des séances de méditation » (Braza1, 2000).
Dans le domaine de la psychopathologie, la question initiale était de savoir si les techniques empruntées à la méditationMéditation pouvaient être bénéfiques pour traiter les troubles thymiques.Trouble(s) thymique(s) Trois thérapeutes cognitivistes, Segal, Williams et Teasdale (2002), unirent leurs efforts pour répondre à une interrogation encore plus spécifique : la méditation proposée à des patients dépressifs en rémissionRémission est-elle susceptible de les protéger d’uneRechute(s)prévention de la/des rechute future ? Le modèle de la vulnérabilité cognitive à la rechute dépressive est à l’origine de la création de la MBCT, combinant des techniques de psychothérapie cognitive avec des exercices de méditation. Ce modèle postule que la succession d’épisodes dépressifs se traduirait par une vulnérabilité cognitive et psychologiqueVulnérabilité(s)psychologique (s) accrue facilitant les rechutes successives. Lors de la survenue d’une humeurHumeur dysphorique transitoire, les patients, bien qu’en rémission de leur dépressionDépression(s) préalable, réactiveraient de manière facilitée (hypothèse d’activation différentielle de Teasdale, 1988) les schémasSchéma ou « patterns » cognitivo-affectifs présents pendant leurs épisodes dépressifs. Ces schémas auraient ensuite tendance à évoluer vers un nouvel épisode dépressif. Le fait que de petites fluctuations thymiques puissent réveiller un cortège de pensées négativesPensée(s)négatives chez les personnes en rémission dépressive méritait le développement de stratégiesStratégies pour réduire cette réactivité cognitive. La pleine conscience invite la personne qui la pratique à observer ses pensées comme des pensées, avec équanimité, quels que soient leur contenu et leur charge émotionnelle, sans mettre en place les réactions habituelles d’attachement ou d’évitement et sans chercher à les changer : « le simple fait de reconnaître vos pensées comme des pensées peut vous libérer de la réalité déformée qu’elles créent souvent et permettre une vue plus claire des choses et une plus grande sensation de pouvoir gérer votre vie2 » (Segal et coll., 2002).
Cette thérapie s’adresse initialement à des patients dépressifs unipolairesDépression(s)unipolaire(s) en rémissionRémission clinique. Manualisée (Segal et coll., 2002) et dispensée en groupe, elle permet aux patients d’être plus attentifs et conscients des sensations physiques, des émotionsÉmotion(s) et des penséesPensée(s) qui peuvent déclencher la réactivation de schémasSchéma cognitivo-affectifs menant à une rechuteRechute(s). Elle apprend à se désengager de ces « patterns », à couper à la racine le processusProcessus des ruminations avant que celles-ci ne deviennent trop envahissantes, prévenant ainsi la rechute. À ce sujet, dans leur ouvrage de 2002, Segal et coll. écrivent : « Nous ne pouvons contrôler ce qui nous vient à l’esprit, mais nous pouvons contrôler ce que nous faisons ensuite, pas après pas. Et tout ce programme concerne le fait d’être capable de se rendre à un endroit de la conscience duquel nous pouvons choisir le pas à faire ensuite, plutôt que de suivre les vieilles habitudes de l’esprit. »
Processus thérapeutique
Les ingrédients principaux de la MBCT sont, tout comme dans la MBSR, les pratiques formelles de méditation assiseMéditationassise, couchéeMéditationcouchée ( Body scan ) (body scanCognitif(s)Body scan) ou en mouvement (marche en pleine consciencePleine conscience et mouvements de yogaYoga) et les pratiques informelles (activités quotidiennes réalisées en pleine conscience). Au travers de ces pratiques, le patient apprend à se distancier du contenu de ses pensées, à identifier les moments où son humeur se péjore et, lors d’une rechute potentielle, il parvient mieux à reconnaître et à se dégager des ruminations négativesPensée(s)négatives.
Le programme MBCT se compose de 8 séances de 2 heures, à fréquence hebdomadaire, réunissant 8 à 12 participants et conduites par 1 ou 2 instructeurs. Chacune des séances comporte des moments de pratique et de discussion sur celle-ci (en séance comme à domicile), en lien avec des thèmes importants tels que « le pilote automatique », « les pensées ne sont pas des faits », etc. Des exercices tirés plus directement de la thérapie cognitiveThérapie(s)cognitive(s) et/ou comportementale(s) permettent d’aborder les relations entre situation, humeurHumeur et pensées, les symptômes dépressifsSymptômesdépressifs, les activités qui tirent l’humeur vers le haut et celles qui favorisent l’humeur dépressive.
La première moitié du programme (séances 1 à 4) est dévolue à la prise de conscience du flot incessant de notre esprit et à apprendre comment poser l’esprit sur un seul objet d’attentionAttention (notamment la respiration). La seconde (séances 5 à 8) conduit les participants à considérer comment mieux gérer les fluctuations d’humeurHumeur, dans l’immédiat comme à l’avenir.
Entre chacune des séances, les participants sont amenés à poursuivre la pratique (45 minutes 6 jours sur 7), pratique complétée par divers exercices et lecture de fiches distribuées en lien avec les thématiques abordées en séance. Ce gros investissement, encouragé de manière répétée lors du programme (« plus vous pratiquez, plus vous bénéficierez du programme »), va de pair avec la nécessité pour l’instructeur de s’engager également dans une pratique personnelle régulière sans laquelle le succès du programme se verrait compromis : « Une partie essentielle de ce que les instructeurs MBSR transmettaient était leur propre intégration de la pleine consciencePleine conscience dans les interactions avec la classe […] Comme en escalade, ceux qui apprennent doivent sentir que l’instructeur a l’habileté et l’expérience pour aborder les situations difficiles qui vont se présenter. » (Segal et coll., 2002).
Évaluation des effets de la pleine conscience
Outre les étudesÉtude(s) de neuroimagerieNeuroimagerie montrant des modifications structurelles ou fonctionnelles du cerveau consécutives à la méditationMéditation (pour une revue, voir Rubia, 2009), les effets de la pratique de la pleine conscience peuvent être observés notamment au niveau de certains symptômesSymptômes, de la qualité de vieQualité de vie, ainsi que d’aspects plus cognitifs (ruminations, attentionAttention, mémoireMémoire autobiographique, etc.). Une diminution de la tendance à la rumination a été constatée chez des personnes avec une histoire de troubles thymiquesTrouble(s) thymique(s) (Ramel et coll., 2004) après la participation au programme MBSR. Cela a également été constaté suite à une période de pratique intensive (10 jours) de méditation effectuée par un petit groupe de sujets novices issus d’une population non clinique (Chambers et coll., 2008).
Plusieurs études ont mesuré l’impact de la pleine conscience sur le fonctionnementCognitif(s)fonctionnement cognitifFonctionnementcognitif et plus spécifiquement sur les capacités attentionnelles, la pratique de la pleine conscience mettant précisément en jeu ce type de processusProcessus. En effet, pour maintenir son attention sur le moment présent durant une longue période, la personne met en œuvre des processus d’attention soutenueAttentionsoutenue. De plus, pour faire face aux inévitables vagabondages de la penséePensée(s) et ramener l’attention sur le moment présent, la personne doit disposer de capacités de flexibilité (déplacer l’attention d’un objet à un autre) et d’inhibition (ne pas s’engager dans l’élaboration d’un contenu).
Deux études ont évalué si la pratique de la méditation permettait d’améliorer les capacités d’attention soutenue, de flexibilité et de mémoire de travailMémoirede travail (système qui s’occupe à la fois de maintenir en mémoire et de traiter des informations pendant une courte période) de participants tout-venant. L’une d’elles, de Chambers et coll. (2008), a évalué si une retraite de méditationMéditation pouvait modifier les capacités de mémoire de travailMémoirede travail (tâche d’empan verbal à l’envers : après avoir entendu une série de chiffres, il s’agit de répéter cette même série à l’envers, c’est-à-dire en commençant par le dernier chiffre), d’attention soutenue et de flexibilité (tâche de flexibilité interne : compter mentalement combien de mots présentés un à un sur un écran appartiennent respectivement à la catégorie « mots positifs » et « mots négatifs »). Les résultats suggèrent qu’un entraînement intensif basé sur la pleine consciencePleine conscience a un effet bénéfique sur les capacités de mémoire de travail et d’attention soutenue mais pas sur les capacités de flexibilité mentale.