La prothèse unicompartimentale du genou : indications et technique opératoire
Unicompartmental knee arthroplasty: indications and surgical technique
Introduction
- • l’UNI est, en 2010, un choix validé et recommandable, même si certains d’entre nous ne l’utilisent jamais ou de façon limitée. Les résultats publiés des UNI modernes montrent qu’à condition de respecter des règles scrupuleuses, leur taux de survie est proche de celui des prothèses totales du genou (PTG) à 10 ans [1,7,9,10,13,22,28,30,35,47,51,58,60] ;
- • au-delà de 10 ans de recul, les principes techniques des UNI, qui obligent au maintien de la déformation constitutionnelle du patient, exposent cette arthroplastie à une dégradation que nous pouvons qualifier d’inéluctable [3,8,12,15,21,24,38,45,62,63]. Nous devrons en tirer les conséquences au plan des indications et du contrat que nous prenons avec le patient. Ceci conduira également à des orientations particulières dans le matériel à poser, afin que la reprise éventuelle ne soit pas aggravée par nos choix initiaux ;
- • les échecs précoces d’UNI ont été, et sont encore, l’élément qui détourne certains chirurgiens de cette indication. Il nous semble que de nouvelles données sont aujourd’hui susceptibles de quasiment supprimer ces « impondérables » particulièrement pénalisants. Nous en indiquerons les principes, qui dépendent là encore de la technique chirurgicale elle-même et du choix du matériel prothétique.
Ces données, fruit de l’expérience convergente de nombreux opérateurs « spécialistes de l’UNI », permettent de proposer aujourd’hui une sorte de « mode d’emploi » de cette intervention dont l’intérêt provient surtout de la comparaison aux PTG. En la matière, l’avantage de l’UNI s’exprime non seulement dans le domaine des suites opératoires, plus faciles, mais aussi parce que la flexion et la fonction obtenues à terme sont plus avantageuses. Ces arguments, sur lesquels ont insisté récemment plusieurs auteurs [1,5,11,13,14,28,36,38,41,43,46], justifient l’intérêt renouvelé vis-à-vis de cette intervention, et une mise au point sur les règles modernes d’indication et d’utilisation nous est apparue tout à fait justifiée.
Place de l’UNI dans le traitement de l’arthrose unicompartimentale
Place de la prothèse unicompartimentale par rapport aux ostéotomies
Par le passé, nous proposions une ostéotomie, en particulier l’ostéotomie tibiale de valgisation (OTV), à des stades avancés d’arthrose (au-delà du grade 3 d’Ahlback) [2]. Un certain flou existait quant aux indications d’OTV dans l’arthrose fémorotibiale interne (AFTI) en l’absence de défaut d’axe (cas fréquent chez l’obèse).
- • de réserver les OTV aux arthroses fémorotibiales associées à un défaut d’axe osseux constitutionnel (tibia varum) ;
- • d’éliminer, ou de bien discuter, les cas où l’usure fémorotibiale est totale, très évoluée avec cupule d’usure. Dans ce cas, il convient alors d’exposer au patient les limites en matière de qualité du résultat. Seule une activité physique incompatible avec une arthroplastie du genou (activités comportant des sauts, des chocs, des torsions, le port de charges lourdes ou la pratique de la randonnée de haute ou moyenne montagne) est susceptible de justifier de pousser l’indication d’ostéotomie, en exposant au patient les raisons de ce choix défensif et imparfait ainsi que les réserves sur le plan de l’indolence à l’effort. Ce choix ne peut être proposé que pour des motifs de sécurité quant à la durée de vie des implants et non comme une alternative équivalente en termes de qualité de vie au quotidien.
Place de la prothèse unicompartimentale par rapport aux PTG
Dès qu’il existe une usure avec pincement complet de l’interligne fémorotibial en charge ou en schuss (figures 1a et 1b), l’indication d’arthroplastie doit se discuter si l’âge et/ou le niveau d’activité permettent de considérer cette indication. L’UNI peut alors être envisagée en priorité par rapport à la PTG :
- • si le patient désigne le compartiment interne comme le siège électif de la douleur [11]. C’est le « signe du doigt » (figure 2) ;
- • si le défaut d’axe est modéré ou en tout cas corrigible dans les limites que nous définirons plus loin ;
- • si le système ligamentaire est intact, en particulier le ligament croisé antérieur (LCA), ainsi que les formations périphériques de la convexité de la déformation. Ceci conduit à exclure les arthroses internes s’accompagnant d’une translation tibiale externe (figure 3) ou les bâillements internes dans les arthroses externes ;
- • si le patient accepte les restrictions d’activité physique. En particulier, il devra s’abstenir de toute activité comportant des sauts ou des chocs, des activités avec rotation brusque du genou et du port de charges élevées. En revanche, le désir de pouvoir s’accroupir ou se mettre à genoux est un argument très en faveur de l’UNI par rapport à la PTG [1,3,38,41,43,56,57]. C’est, chez les patients les plus jeunes, un des arguments qui peut faire pencher la balance en faveur de l’UNI en cas d’hésitation avec la PTG.
- • si le système ligamentaire est intact, en particulier le ligament croisé antérieur (LCA), ainsi que les formations périphériques de la convexité de la déformation. Ceci conduit à exclure les arthroses internes s’accompagnant d’une translation tibiale externe (figure 3) ou les bâillements internes dans les arthroses externes ;
Faut-il réserver l’UNI aux très âgés, ou peut-on la considérer comme une solution temporaire en attendant la PTG [26,40,49,50,55] ? La réponse à cette question est complexe, car elle dépend de deux facteurs :
- • l’acceptation par le patient d’une reprise éventuelle au-delà de 10 ans pour changement d’une pièce de l’UNI en cas d’usure du polyéthylène (PE) [en cas de plateau « métal-back »], ou changement pour une PTG, ce qui est un geste plus lourd. Ce risque ne peut se justifier que si l’estimation de la dégradation en termes de temps amène le patient à la reprise éventuelle à un âge où il apparaît « acceptable » de réaliser cette chirurgie. Ainsi, un patient opéré d’une UNI à 65 ans et repris après 12 ans sera âgé de 77 ans lors de cette réintervention, ce qui paraît acceptable si son état de santé est correct. En revanche, une UNI faite à 78 ans dont la dégradation survient après 12 ans nous confrontera à une reprise problématique chez un sujet de 90 ans. L’état général de ces patients, l’ostéoporose, des géodes d’ostéolyse liées à l’usure du PE sont en effet des conditions générales et locales défavorables. Il n’est pas exceptionnel de voir de tels patients, qui ont toléré pendant de longues années l’ostéolyse due à l’usure du PE de leur UNI. C’est particulièrement vrai en cas de plateau « métal-back », avec une métallose, et parfois d’importantes géodes osseuses nécessitant des techniques de comblement lourdes à cet âge ;
- • ceci nous conduit à la seconde condition pour que la proposition soit acceptable : la nécessité, voire l’obligation, d’un suivi régulier des patients pour éviter des reprises difficiles. Quant à l’implant, si on considère la reprise tardive comme quasi inéluctable, il doit être facilement « révisable ». En la matière, les surcoupes tibiales, les plots métalliques ou de ciment massifs, les prothèses non cimentées dont l’ablation peut conduire à des pertes de substance osseuse délicates à réparer, sont des options qu’il faut soigneusement évaluer. Nous avons ainsi fini par considérer que les UNI avec plateau tout PE étaient vraisemblablement un choix logique même si certaines publications ont curieusement fait état de résultats aléatoires [53] que notre expérience personnelle ne confirme pas [19,42].
Devant une arthrose unicompartimentale, quels arguments vont conduire à donner la préférence à la PTG ?
- • une douleur qui apparaît plus diffuse avec une composante fémoropatellaire, voire bi- ou tricompartimentale conduira à préférer la PTG. Il en est de même d’une composante inflammatoire avec épanchement abondant ;
- • toute atteinte radiologique des autres compartiments, à l’exception de l’arthrose fémoropatellaire asymptomatique ou de la fausse chondrocalcinose sans retentissement clinique, doit faire préférer la PTG. Il en va de même des arthroses au-delà du grade 4 d’Ahlback, avec aspect de subluxation transversale du tibia sous le fémur (figure 3), des déformations non ou peu réductibles, des arthroses secondaires à une laxité ou à un cal vicieux extra-articulaire. En règle générale, comme nous le verrons plus loin, dès que le défaut d’axe résiduel en correction dépasse 7 à 8° en varus ou en valgus, la PTG doit être préférée [9,10,35]. Il en est de même quand le défaut d’axe mesuré sur le pangonogramme correspond à un défaut osseux qui, à lui seul, dépasse les limites fixées (figure 4). En effet, comme nous le verrons plus loin, l’UNI ne corrige que la composante d’usure de la déformation. Si le défaut osseux dépasse les limites d’angle définies comme acceptables, ce défaut, qui va persister après la mise en place de l’UNI, compromet sa longévité et est, en lui-même, une contre-indication ;
- • concernant l’absence du LCA que nous avons décrite dès 1987 comme cause d’échec potentielle des UNI [17], le débat semblait définitivement clos après la publication convergente de Goodfellow et al. [31]. La discussion concernant ce sujet a néanmoins été relancée par Engh et al. [27]. Ces auteurs, se basant sur des résultats favorables, malgré la rupture du LCA, avec certains modèles d’UNI à plateau fixe [14,36], ont proposé d’utiliser cette technique en cas de découverte fortuite d’un LCA défaillant s’il s’agit d’une arthrose primitive, exclusivement fémorotibiale interne. L’argument développé par les auteurs est qu’en l’absence de défaillance associée des formations postéro-internes, l’absence du LCA n’est pas aussi préjudiciable que dans les arthroses internes sur laxité chronique antérieure. Notre expérience personnelle est très différente. En effet, dans ces arthroses primitives, l’ostéophyte postérieur empêche la subluxation antérieure du tibia sous le fémur. De ce fait, la cupule d’usure est centrée sur le profil en charge car l’ostéophyte postérieur, préexistant à la rupture du LCA, évite la subluxation antérieure. Mais, lors de la mise en place de l’UNI, cet ostéophyte stabilisateur est réséqué par la coupe tibiale. Dans les rares cas de ce type où nous avons transgressé la règle de contre-indication, car il s’agissait de surprises opératoires et que les conditions générales du patient ne nous permettaient pas de changer à la dernière minute d’indication, l’échec et la dégradation par usure progressive du plateau UNI ont fini par se produire (figure 5). Cette usure est beaucoup plus lente et tardive que dans les arthroses sur laxité chronique antérieure avec subluxation préopératoire mesurable sur le cliché de profil en charge (figure 6), mais l’échec n’en reste pas moins inéluctable au recul de 5 à 7 ans. Ce délai nous semble trop bref pour accepter cette indication chez un patient relativement peu âgé. Quant aux indications de réparation du LCA associées à l’UNI [16,48,54], nous n’en avons pas l’expérience. L’important nous paraît surtout de bien analyser ce risque, et il peut être justifié de s’aider d’une imagerie par résonance magnétique (IRM) en cas de doute sur l’intégrité du LCA alors que l’indication est par ailleurs parfaite.
- • toute atteinte radiologique des autres compartiments, à l’exception de l’arthrose fémoropatellaire asymptomatique ou de la fausse chondrocalcinose sans retentissement clinique, doit faire préférer la PTG. Il en va de même des arthroses au-delà du grade 4 d’Ahlback, avec aspect de subluxation transversale du tibia sous le fémur (figure 3), des déformations non ou peu réductibles, des arthroses secondaires à une laxité ou à un cal vicieux extra-articulaire. En règle générale, comme nous le verrons plus loin, dès que le défaut d’axe résiduel en correction dépasse 7 à 8° en varus ou en valgus, la PTG doit être préférée [9,10,35]. Il en est de même quand le défaut d’axe mesuré sur le pangonogramme correspond à un défaut osseux qui, à lui seul, dépasse les limites fixées (figure 4). En effet, comme nous le verrons plus loin, l’UNI ne corrige que la composante d’usure de la déformation. Si le défaut osseux dépasse les limites d’angle définies comme acceptables, ce défaut, qui va persister après la mise en place de l’UNI, compromet sa longévité et est, en lui-même, une contre-indication ;
En résumé, on peut considérer que le nombre de patients candidats à une prothèse UNI du genou est limité. La plupart des études qui ont pris en compte le taux de patients éligibles à l’indication d’UNI par rapport aux PTG montrent qu’il ne dépasse pas 10 à 15 %, même pour des équipes spécialisées [28,30,33,39,59]. Il nous paraît essentiel de scrupuleusement respecter les indications idéales que nous venons de définir. En effet, outrepasser ces règles d’indication reviendrait à exposer le patient au risque d’échec.
Ces échecs, dont nous avons répertorié les causes, reflètent les deux types de cassure de la courbe de survie des UNI, bien analysée par Deschmuck et Scott [21] :
- • les échecs précoces sont liés aux problèmes ligamentaires et à des erreurs techniques ;
- • les échecs plus tardifs sont liés au matériel et au respect des impératifs techniques d’implantation de l’UNI qui exposent ces implants au risque d’usure ou de descellement (correction d’axe limitée à la restitution de l’axe constitutionnel du patient).
Le concept UNI et ses conséquences techniques
Les limites d’indication
Les limites d’indication en matière de déformation sont définies par l’angle de varus ou de valgus résiduel que peut supporter le PE de l’UNI une fois l’usure corrigée. Les limites ont été fixées par plusieurs publications récentes, aux déformations ne dépassant pas 7° d’angle fémorotibial mécanique (AFTM) résiduel en postopératoire [10,15,19,20,32,35,52]. Pour apprécier ces valeurs avant le geste chirurgical, le pangonogramme en correction nous était bien utile [18].
Ceci nous permet d’insister sur une notion souvent confuse dans la littérature, qui fait référence à la notion d’hypocorrection et de valeurs d’angle préopératoire limites pour définir les indications [39,44]. En particulier, le terme « hypocorrection » nous paraît abusif et source d’erreur d’interprétation. L’objectif radiologique est en fait une correction individuelle, personnalisée, dont la valeur correspond à la restitution de l’axe mécanique constitutionnel de l’individu concerné tel qu’il était avant l’usure arthrosique. Il ne peut être question de conseiller une hypocorrection d’une valeur arbitraire préétablie comme nous le faisons pour l’hypercorrection d’une ostéotomie. La correction idéale est celle obtenue après compensation de l’usure. Seules les limites de l’indication sont définissables, en fonction de nos revues de patients à long terme [35]. L’AFTM du patient sera déterminé sur les clichés préopératoires en stress. Quant à la correction peropératoire, elle ne sera pas jugée sur des radios de contrôle peropératoires mais, comme nous le verrons au chapitre technique, par la remise en tension sans excès des ligaments de la concavité.
Les limites techniques
Il est donc crucial de ne faire aucun geste de détente ligamentaire, contrairement à ce que nous réalisons dans la PTG [32]. Les ligaments de la concavité sont la seule référence pour éviter l’hypercorrection (figure 7). Nous avons pour habitude de conseiller de laisser 1 à 2 mm de laxité en extension entre les deux pièces fémorale et tibiale. Un certain nombre d’ancillaires (Zimmer, Tornier) ont même prévu un instrument spécifique pour apprécier cette laxité dite « de sécurité » [28].
Il est également essentiel de comprendre que l’« hyperremplissage » du genou ne concerne pas que le plan frontal en extension. Le respect de l’isométrie ligamentaire en flexion doit aussi permettre de ne pas créer une hypertension de l’espace en flexion (figure 8). Ceci impose deux règles complémentaires :
- • réséquer le condyle postérieur de l’épaisseur nécessaire pour loger le patin prothétique fémoral postérieur. Ceci est indispensable dans la mesure où il n’y a jamais d’usure postérieure du condyle fémoral dans l’arthrose, en tout cas pas aux stades auxquels s’adresse l’UNI. L’absence de coupe conduirait donc forcément à une superstructure condylienne postérieure en flexion ;
- • le respect de la pente tibiale osseuse « du patient » (et non pas une pente moyenne qui ne correspondrait pas à la tension physiologique des ligaments) apparaît tout aussi essentiel pour éviter une hyperpression postérieure et un risque de descellement prématuré [11]. Nous décrirons notre technique spécifique pour respecter la pente du patient, de même que l’orientation frontale de la coupe tibiale qui doit s’aligner parallèlement à l’interligne tibial et non pas être réalisée à 90° par rapport à l’axe tibial mécanique (figure 9).
L’interligne prothétique dans l’UNI
S’assurer, comme nous l’avons montré précédemment, qu’il n’y a pas d’hyperremplissage ne suffit pas. Un sous-décalage de la coupe tibiale pour « tolérer » une superstructure de la pièce fémorale peut, en lui-même, conduire à des échecs (figure 10). Ainsi, en cas d’usure incomplète de la surface distale du fémur (ONA ou simple pincement postérieur n’apparaissant que sur les clichés en schuss), une prothèse fémorale de resurfaçage risque de créer une superstructure fémorale qui va conduire à surcouper le tibia pour « faire la place » du condyle fémoral dans le compartiment interne. L’excès de coupe tibiale, outre qu’il fait reposer la fixation du PE tibial sur une zone spongieuse plus fragile [37], entraîne aussi, du fait de la forme en entonnoir du plateau, un déport du point de contact du patin fémoral en périphérie du plateau tibial. Ceci peut être à l’origine, comme nous l’avons montré, d’un taux élevé de liserés [11,19]. Certains auteurs ont même décrit des descellements tibiaux qui pourraient être en relation avec cet excès de coupe tibiale (figure 10) [11].