12. Programme de soins intégrés et programme d’objectifs personnels
J.-M. Aubry
Introduction
Suite aux nombreux développements dans le domaine des thérapies psychologiques et pharmacologiques des troubles bipolaires, ainsi que pour faire face aux multiples difficultés liées à cette maladie, l’idée d’organiser les soins sous la forme d’un programme spécialisé s’est développée il y a une quinzaine d’années, tout d’abord dans les pays anglo-saxons puis dans les pays francophones. Basé sur une approche biopsychosocialeModèlebiopsychosocial, le Programme BipolaireProgrammeBipolaire de Genève a été créé en 1998, sous forme d’un projet pilote. Ce programme ambulatoire multidisciplinaire, qui s’est considérablement développé au fils des ans (voir figure 12.1), fait partie du service de psychiatrie adulte du département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (Dubuis et Lech-Kowalski, 2004).
Figure 12.1 |
La participation au Programme Bipolaire requiert certains critères et la durée de prise en charge est variable, mais limitée dans le temps. Les patients doivent présenter un trouble du spectre bipolaireSpectre bipolaire, éventuellement un trouble schizo-affectif. Un degré de motivationMotivation suffisant pour participer aux groupes de psychoéducationPsychoéducation, afin de développer leurs compétences de gestion de la maladie, est également requis.
Les patients sont adressés au programme par différentes voies, en premier lieu par les consultations de psychiatrie générale et les psychiatres en pratique privée de la ville et du canton de Genève. D’autres consultations spécialisées du département de psychiatrie peuvent aussi adresser des patients avec des comorbiditésComorbidité(s) multiples, pour compléter une prise en charge complexe grâce à une approche spécialisée dans le domaine des troubles de l’humeur.Trouble(s) de l’humeur Il est également de plus en plus fréquent que des patients ou leur familleFamille s’adressent directement au Programme Bipolaire, dont ils ont entendu parler par des connaissances, des associations ou les médiasAssociations de patients/d’usagers. Une partie des demandes est formulée par l’hôpital psychiatrique, après une hospitalisationHospitalisation(s) pour un épisode maniaqueManie(s) ou dépressifDépression(s), ou à partir d’autres structures ambulatoires.
Évaluation diagnostique
L’entrée dans le programme débute par une évaluation médicale et se déroule sur une à trois séances, selon la complexité de la situation. Le bilan d’évaluation commence généralement par l’anamnèseAnamnèse actuelle du patient, décrivant ses symptômes présents, son fonctionnement professionnelFonctionnementprofessionnel, son réseau social et familial. L’anamnèse familiale va donner des indications par rapport au terrain génétiqueGénétique(s) et au milieu familial dans lequel le patient a grandi. Une étape fondamentale du bilan est celle de la reconstitution chronologique des symptômes psychiatriquesSymptômespsychotiques/psychiatriques, depuis l’enfance et tout au long de la vie du patient, parallèlement aux étapes importantes de sa vie sociale, scolaire et professionnelle, ainsi qu’à d’éventuelles maladies somatiques. Une attention particulière est portée sur d’éventuels traitementsTraitement(s), prises en soins et hospitalisationsHospitalisation(s).
En plus de l’entretien cliniqueEntretien clinique, des questionnairesQuestionnaire(s) de dépistage des troubles bipolaires (TB) sont utilisés (Angst et coll., 2005 ; Weber Rouget et coll., 2005 ; Weber Rouget et Aubry, in press), notamment lorsque le diagnostic de TB n’est pas encore clairement établi. L’usage de questionnaires, évaluant les symptômes de la cyclothymieCyclothymie (Hantouche et Akiskal, 1997), du trouble de la personnalité émotionnellement labile type borderlineTrouble de la personnalitéborderline, de la dépressionDépression(s) (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale : MADRS, Montgomery et Asberg, 1979), permet d’identifier et de quantifier le nombre et l’intensité des symptômesSymptômes. Un questionnaireQuestionnaire(s) structuré comme le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI) peut également être utilisé pour améliorer la détection d’autres comorbidités psychiatriquesComorbidité(s)psychiatrique(s). Finalement, un questionnaire d’évaluation du sommeilSommeil (voir annexe 5) peut également permettre de dépister des troubles du sommeil qui ont un impact sur l’humeurHumeur.
Les principaux renseignements recueillis par rapport à l’histoire du patient sont résumés à l’aide d’un graphique de l’humeurInstrument(s) d’auto-apprentissagegraphique de l’humeur sur la vie. Ce graphique est reconstitué avec le patient qui, grâce à cette représentation visuelle, va pouvoir quantifier l’intensité des différents épisodes de l’humeur, les uns par rapport aux autres, préciser leur durée et souvent ajouter des informations omises précédemment (voir figure 12.2). C’est le moment au cours duquel les hypothèses diagnostiques sont expliquées et les propositions thérapeutiques présentées. C’est l’occasion aussi de nouer une alliance thérapeutiqueAlliance thérapeutique, la majorité des patients exprimant être satisfaits d’une évaluation pratiquée au moyen d’une approche structurée qui leur montre de manière transparente sur quels critères sont basés les diagnosticsDiagnostic proposés.
Figure 12.2 |
Un autre cas de figure concerne des patients suivis en pratique privée et qui viennent uniquement participer aux groupes de psychoéducationPsychoéducation.
Les groupes psychoéducatifs selon le modèle Bauer-McBride
Lorsque nous avons élaboré notre structure de soins spécialisés, nous avons choisi d’introduire une approche psychoéducative groupaleApproche(s) (voir aussi thérapie(s))psychoéducative(s)/psychoéducative(s) groupale(s) élaborée par le psychiatre Bauer and McBride, 1996 and Bauer and McBride, 2003. En effet, leur programme d’objectifs personnelsProgrammed’objectifs personnels (POP) (POP) était décrit de manière détaillée dans un manuelManuel(s) structuré (Bauer and McBride, 1996 and Bauer and McBride, 2003). De plus, l’utilisation et la fidélité de transmission de ce programme entre différents thérapeutes et sites de soins venaient d’être démontrées (Bauer et coll., 1998). Finalement, l’approche groupale représentait certains avantages, en termes notamment de bénéfices de la dynamique de groupe et d’aspect économique. Pour faciliter l’introduction de cette approche avec nos équipes francophones, nous avons traduit la première édition du manuel (Bauer et McBride, 1996, traduction française, 2001).
Le POP a été conçu sur la base de 2 idées principales. Premièrement, les auteurs voulaient aider les personnes souffrant de trouble bipolaire à prendre en charge leur maladie plus efficacement. Deuxièmement, ils avaient constaté que la morbidité sociale et occupationnelle causée par la maladie bipolaire ne s’améliorait pas nécessairement une fois que les symptômes avaient disparu. Leur souhait était donc de développer un traitementTraitement(s) axé sur l’impact fonctionnel de la maladie.
Quatre thèmes majeurs se rapportant à la qualité de vieQualité de vie des personnes souffrant de maladie bipolaire ont ensuite orienté l’élaboration de l’approche groupale selon Bauer et McBride :
1. la qualité de vie est mauvaise si la maladie n’est pas gérée efficacement ;
2. l’observanceObservance/non-observance médicamenteuse est loin d’être optimale ;
3. la plupart des patients se trouvent limités dans le domaine socioprofessionnelFonctionnementsocioprofessionnel ;
4. la réalisation d’objectifsObjectif(s) importants pour la personne est rarement abordée avec les patients.
Au vu de ces besoins, Bauer et McBride ont développé une thérapie groupaleThérapie(s)de groupe/groupale(s)/groupale(s) intégrée(s) structurée avec une orientation psychoéducative très importante. Cette approche groupale est divisée en deux étapes.
Phase 1
La phase 1 du POP est un module psychoéducatif hautement structuré, mis au point pour améliorer la capacité de la personne à gérer sa santé de manière active en améliorant ses compétences. Ce travail est basé sur des concepts issus des thérapies cognitives et comportementales associés à des techniques de résolution de problèmesRésolution de problèmes.