3. Principes de pharmacologie pédiatrique
Problèmes particuliers posés par les médicaments psychotropes
Évelyne Jacqz-Aigrain
La prescription d’un traitement médicamenteux doit tenir compte des données pharmacocinétiques et pharmacodynamiques, qui permettent d’augmenter l’efficacité des traitements et de réduire les effets indésirables. Les données sont insuffisantes pour la plupart des médicaments administrés en pédiatrie et il est habituel d’extrapoler à l’enfant un schéma thérapeutique utilisé chez l’adulte, ou d’extrapoler des résultats d’une classe d’âge à une autre. Des progrès importants ont été réalisés ces dernières années dans de nombreux domaines – développement des techniques d’évaluation des médicaments, dosages pharmacologiques et analyses pharmacocinétiques – qui permettent de mieux utiliser les médicaments chez l’enfant. L’impact de la maturation sur les paramètres pharmacocinétiques des médicaments et certains aspects pharmacologiques particuliers des médicaments psychotropes chez l’enfant sont présentés ici.
PHARMACOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT: ASPECTS PHARMACOCINÉTIQUES
Les paramètres pharmacocinétiques d’un médicament dépendent d’une part des propriétés physicochimiques des molécules et d’autre part des caractéristiques du patient qui les reçoit.
En raison des différences dans les étapes gouvernant le devenir des médicaments, la maturation pharmacocinétique chez l’enfant et l’adolescent doit être analysée molécule par molécule. Ceci rend difficile la définition a priori de tranches d’âge prédéfinies, identiques pour l’étude de tous les médicaments [1, 2].
PROPRIÉTÉS PHYSICOCHIMIQUES DES MÉDICAMENTS
La plupart des médicaments ont un poids moléculaire inférieur à 1 000 et traversent les différentes barrières endothéliales, tissulaires… Les autres facteurs sont la liposolubilité et le degré d’ionisation du pH sanguin.
Le transfert transmembranaire de la plupart des médicaments s’effectue par diffusion passive simple, suivant le gradient des concentrations de part et d’autre des membranes. Seule la fraction libre et non ionisée du médicament traverse les membranes. L’intensité et la rapidité du transfert transplacentaire sont conditionnées par les caractéristiques physicochimiques fixes du médicament, et par de nombreux facteurs maternels. Les liaisons protéiques et/ou tissulaires de part et d’autre d’une membrane sont un facteur limitant du transfert transmembranaire.
ÉTAPES PHARMACOCINÉTIQUES
Le nouveau-né est caractérisé par une relative immaturité des fonctions de métabolisme et d’élimination rénale des médicaments, responsable de différences pharmacocinétiques majeures par rapport à l’enfant plus grand et à l’adulte. Les diverses étapes pharmacocinétiques se modifient progressivement au cours du développement, de manière indépendante et continue.
Absorption
Voie d’administration orale
Après administration orale, les principaux facteurs qui influencent l’absorption gastro-intestinale des médicaments sont la motricité gastro-intestinale, le pH gastrique et duodénal, la présence et la maturation du mucus intestinal et l’alimentation.
À la naissance, le pH gastrique est compris entre 6 et 8. Il chute brutalement pendant les premières heures de vie puis redevient neutre. Cette achlorhydrie gastrique persiste pendant 10 à 15 j en moyenne. Cependant, l’acidité gastrique n’est comparable à celle de l’adulte qu’à partir de l’âge de 2 ans.
La vitesse de vidange gastrique est très irrégulière et allongée. Elle est influencée à la naissance par l’âge gestationnel et le type de l’alimentation. Ses caractéristiques correspondent à celles de l’adulte vers l’âge de 6-8 mois. Le transit intestinal est lui aussi très irrégulier, influencé par l’alimentation.
La composition et la vitesse de colonisation bactérienne du tube influencent la motricité intestinale ainsi que le métabolisme des sels biliaires et des médicaments dans la lumière intestinale. Habituellement, le tube digestif est colonisé par la flore anaérobie dès la 1re semaine de vie.
D’autres facteurs modifient l’absorption des médicaments chez le nouveau-né, tels que l’immaturité du mucus intestinal et des fonctions biliaires.
Le retentissement sur la vitesse d’absorption et la biodisponibilité est variable en fonction des médicaments. Ainsi, le pH gastrique plus élevé rend-il compte de l’augmentation de l’absorption des pénicillines chez le nouveau-né par rapport à l’adulte.
Chez le nourrisson, la biodisponibilité et la vitesse d’absorption des médicaments sont plus rapides, liées notamment à une augmentation de la motricité gastrointestinale.
Indépendamment de l’âge, la biodisponibilité est aussi fortement influencée par les transporteurs PgP, localisée au pôle apical des entérocytes et rejetant dans la lumière intestinale leurs substrats médicamenteux. Ainsi, le transporteur PgP joue un rôle central dans l’absorption de la digoxine. Un polymorphisme pharmacogénétique de la PgP a été mis en évidence, qui a un impact sur la biodisponibilité et les concentrations plasmatiques de digoxine après administration d’une dose identique: ces concentrations sont plus élevées chez les patients déficitaires homozygotes en cette activité de transport. Les données récentes ont caractérisé le profil de maturation du système PgP dans l’entérocyte chez l’enfant normal de 1 mois à 15 ans, mettant en évidence une activité plus importante chez les enfants les plus jeunes [3].
Autres voies d’administration
La voie d’administration rectale évite l’effet de premier passage hépatique, résulte en d’importantes variations individuelles de résorption, liées notamment aux particularités du drainage veineux. Elle peut être très efficace chez le nouveau-né et chez l’enfant, donc utilisée pour les administrations d’urgence. C’est le cas, par exemple, du diazépam.
L’administration intramusculaire est influencée par le type de médicament (et notamment ses caractères hydroet liposolubles) et le flux sanguin musculaire.
L’absorption par voie transcutanée dépend surtout de l’état d’hydratation de la peau. Ceci a pu être responsable d’intoxication grave à l’acide acétylsalicylique ou à l’iode, par exemple.
Distribution
La distribution d’un médicament dans l’organisme est principalement influencée par la composition corporelle, les capacités de liaison aux protéines plasmatiques et tissulaires, les flux sanguins régionaux et le pH des différents milieux. Les liaisons aux protéines plasmatiques et tissulaires réalisent un équilibre dynamique réversible. Dans le plasma, les médicaments acides se lient préférentiellement à l’albumine, alors que les médicaments basiques se lient principalement aux globulines, aux lipoprotéines et à l’α-1-glycoprotéine acide.
Les modifications dans les volumes liquidiens et dans les capacités de liaisons plasmatiques et tissulaires rendent compte des différences de distribution observées au cours du développement. L’effet pharmacologique est lié à la fraction non liée de médicament, disponible pour la diffusion vers les effecteurs. Toute réduction des liaisons protéiques tend à augmenter le volume de distribution. Les conséquences sont surtout importantes pour les médicaments fortement liés.
En dehors de la période néonatale, la composition corporelle de l’enfant est proche de celle de l’adulte et les modifications sont limitées au cours de la croissance.
Chez le nourrisson et l’enfant, la taille du secteur extracellulaire diminue progressivement avec l’âge, atteignant les valeurs de l’adulte vers l’âge de 2 ans. À l’inverse, l’eau intracellulaire augmente progressivement.
Les liaisons aux protéines plasmatiques sont identiques chez l’enfant plus grand et l’adulte, en particulier les concentrations en protéines totales, en albumine et en α-1-glycoprotéine acide. La distribution des médicaments est proche de celle de l’adulte pour les médicaments acides se liant à l’albumine. Des différences peuvent être notables pour les médicaments basiques, en raison des concentrations plus basses en globuline.
Métabolisme
Le métabolisme est une étape essentielle de l’élimination des médicaments liposolubles, transformés ainsi en molécules plus hydrosolubles, ce qui favorise leur élimination par voie rénale (figure 3.1).
Figure 3.1 |
Les enzymes du métabolisme des médicaments sont principalement de localisation hépatique. Elles sont classées en réactions de phase 1 et en réactions de phase 2. Les réactions de phase 1 incluent les réactions d’oxydation principalement cytochromes P450-dépendantes, de réduction et d’hydrolyse. Elles inactivent parfois le médicament, mais permettent aussi l’activation d’une prodrogue ou la synthèse de métabolites intermédiaires réactifs très toxiques. Les réactions de phase 2 regroupent les réactions de conjugaison.