Pharmacoépidémiologie et pédopsychiatrie

2. Pharmacoépidémiologie et pédopsychiatrie

Éric Acquaviva



La recherche en psychopharmacologie pédiatrique s’est largement développée ces dernières années. On a vu notamment le nombre et la taille des essais cliniques contrôlés testant les bénéfices et risques thérapeutiques des psychotropes augmenter [1, 2]. Le domaine de la pharmacoépidémiologie a joué un rôle important dans ce développement. En étudiant le taux de prescription des psychotropes chez les enfants en population générale, et notamment l’augmentation de l’utilisation des traitements prescrits hors autorisation de mise sur le marché (AMM) sans réelle preuve d’efficacité ni de tolérance, les données des études de pharmacoépidémiologie ont constitué un constat initial sur la nécessité de mener et de financer des études cliniques visant à mieux évaluer les traitements psychotropes chez l’enfant.

Récemment, au-delà d’un simple recensement du taux de prévalence des traitements médicamenteux, la pharmacoépidémiologie s’est attachée à étudier le contexte d’utilisation et de prescription des psychotropes en population. Ainsi, des inadéquations ont été notées entre les traitements prescrits et les diagnostics posés [1]. Dans certaines enquêtes, l’étude des diagnostics associés à l’utilisation des antipsychotiques a révélé un fort accroissement de la consommation des antipsychotiques de nouvelle génération pour des diagnostics n’appartenant pas au registre de la psychose, essentiellement des problèmes de comportement [1].

Étant donné les connaissances actuelles sur la prise de poids et les troubles métaboliques associés à ces traitements, ces résultats fournissent des données importantes pour la réalisation d’études supplémentaires visant à préciser le cadre de la prescription des nouveaux antipsychotiques chez l’enfant, et, dans ce contexte, le rapport bénéfices-risques de ces traitements.

Un autre domaine dans lequel la pharmacoépidémiologie a récemment montré son intérêt en pédopsychiatrie est celui de la polyprescription. Certaines études rapportent en effet une utilisation de plus en plus fréquente de deux psychotropes ou plus chez les enfants. Cette pratique peut d’ailleurs être considérée actuellement comme relativement commune, alors qu’il n’existe aucune preuve de l’efficacité et de la tolérance de ces associations médicamenteuses. Des recherches sur les bénéfices et les risques thérapeutiques de ces polymédications paraissent donc indispensables. Par ailleurs, la connaissance des caractéristiques des médecins et patients à l’origine de ces prescriptions est un point important.

En l’absence de données dans ce domaine, nous ne pouvons que spéculer sur les différents facteurs pouvant conduire à la polymédication de psychotropes. La nonréponse à une monothérapie médicamenteuse peut constituer une de ces raisons. Ainsi, les essais cliniques dans le domaine de la pédopsychiatrie nous rappellent que les taux de réponse des traitements même les plus efficaces n’excèdent pas 70%. Par conséquent, au moins un tiers des patients ne connaissent pas de réelle amélioration. De plus, il se peut que ce chiffre soit mal estimé du fait que la plupart des essais thérapeutiques incluent des patients n’ayant pas de comorbidité. Or, les comorbidités sont fréquentes en pédopsychiatrie et contribuent fréquemment à la résistance au traitement médicamenteux.

On peut donc espérer que des études thérapeutiques plus proches de la population de patients et de la réalité de la prescription pourraient apporter des informations complémentaires aux essais thérapeutiques contrôlés randomisés, pouvant ainsi participer à une meilleure connaissance et à une meilleure évaluation du rapport bénéfices-risques des thérapeutiques médicamenteuses en pédopsychiatrie, telles qu’elles sont prescrites en population générale.


ENJEUX DE LA PHARMACOÉPIDÉMIOLOGIE EN PÉDOPSYCHIATRIE


QU’EST-CE QUE LA PHARMACOÉPIDÉMIOLOGIE?

La pharmacoépidémiologie se situe à la croisée de la pharmacologie clinique et de l’épidémiologie.

La pharmacologie clinique concerne notamment l’étude du rapport efficacitérisque d’un traitement pour un groupe de patients.

L’épidémiologie est quant à elle définie par l’étude de la distribution et des déterminants des maladies en population générale.

Ainsi, la pharmacoépidémiologie est l’étude du rapport bénéfices-risques des traitements en population générale associée à d’autres paramètres liés à l’utilisation des traitements.

Cette discipline présente donc un intérêt direct dans le domaine de la santé publique, les données du rapport bénéfices-risques en population fournissant des informations précieuses quant aux décisions de santé publique concernant un traitement. Ces données peuvent être médicales (efficacité, effets indésirables), sociologiques (description de l’utilisation et de la population à qui est prescrite le traitement), mais également économiques avec l’étude du rapport coût – efficacité par exemple.

Les données de pharmacoépidémiologie jouent donc un rôle dans les décisions de santé publique mais aussi, pour le prescripteur, dans sa décision individuelle de prescription.

Elles constituent en effet une source de données sur le rapport bénéfices-risques, complémentaire des données émanant des essais contrôlés randomisés. La différence de méthodologie utilisée permet une approche différente, les études étant réalisées dans des populations différentes et des contextes de prescription différents se rapprochant plus des conditions de prescription en «milieu naturel».


OBJECTIFS ET INTÉRÊTS DE LA PHARMACOÉPIDÉMIOLOGIE EN PÉDOPSYCHIATRIE

Nous venons de voir que la pharmacoépidémiologie se situe à la croisée de l’épidémiologie et de la pharmacologie clinique.

L’étude de ces champs d’application peut donc être rapprochée de ceux de l’épidémiologie appliquée au domaine de la pharmacologie.

On distingue trois grands types d’approche qui sont: l’épidémiologie descriptive, l’épidémiologie analytique et l’épidémiologie évaluative.

L’épidémiologie descriptive s’applique à la description des phénomènes de santé. En l’occurrence, il s’agit, dans le domaine de la pharmacoépidémiologie, de la description des taux de prévalence et incidence des traitements médicamenteux, de leur évolution dans le temps. Nous verrons que ces constats «descriptifs» sont à l’origine d’un certain nombre de questionnements sur les déterminants, notamment des pratiques de prescription. Nous pouvons prendre comme exemple en pédopsychiatrie l’augmentation des prescriptions multiples, constat de la pharmacoépidémiologie descriptive.

L’étude des déterminants de cette augmentation des polyprescriptions s’intègre, quant à elle, au domaine de la pharmacoépidémiologie analytique qui s’attache à l’analyse des déterminants ou encore des facteurs de risque liés à un phénomène de santé et, dans le domaine de la pharmacoépidémiologie, à des problématiques associées à la prescription médicamenteuse.

Pharmacoépidémiologie descriptive et pharmacoépidémiologie analytique ne sauraient se réduire aux descriptions de la prescription médicamenteuse et de ses déterminants. Voyons quels sont leurs autres champs d’application.


Pharmacovigilance

C’est la discipline qui consiste à noter, enregistrer et évaluer systématiquement les réactions indésirables aux médicaments, survenant dans des conditions normales d’utilisation, à des fins prophylactiques, diagnostiques ou thérapeutiques. Ce recueil peut se faire soit par le biais de déclarations spontanées, soit par la réalisation d’études ad hoc. Nous citerons ici comme exemple le rôle joué par la pharmacoépidémiologie dans l’étude des effets indésirables des nouveaux antipsychotiques et notamment de la prise de poids et des effets indésirables métaboliques.


Analyse de l’utilisation des médicaments

Il s’agit de l’étude et de la description des populations consommatrices d’un traitement médicamenteux que l’on peut comparer aux populations cibles. Cela concerne également l’analyse des facteurs liés à l’usage d’un traitement et à son impact. On peut citer comme exemple en pédopsychiatrie le constat concernant les nouveaux antipsychotiques dont la population consommatrice est beaucoup plus large que la population cible. Ces traitements sont donc largement prescrits pour des indications ne correspondant pas au spectre de la psychose.


Analyse de l’utilité d’un traitement

Cela peut être, bien sûr, l’étude du bénéfice thérapeutique direct d’un traitement, mais pas uniquement. On peut aussi classer dans cette catégorie les études concernant le rapport entre le coût économique d’un traitement et son efficacité, son bénéfice, son utilité. D’autres critères de jugement d’un traitement peuvent être également étudiés: l’observance, les prescriptions associées, l’opinion du patient, la qualité de vie, l’interruption du traitement. On peut utiliser des études plus expérimentales dans ce domaine, notamment des essais pragmatiques. Les essais pragmatiques peuvent avoir des protocoles différents. Leur principe est d’étudier les facteurs associés à un traitement et notamment les bénéfices thérapeutiques en se rapprochant le plus possible des conditions habituelles de prescription, c’est-à-dire en milieu naturel avec des conditions larges d’inclusion tout en respectant le principe de randomisation. Dans ce type d’essai, le médicament reste le plus souvent connu du prescripteur et du patient. On peut citer en exemple, dans ce domaine, les études récentes visant à évaluer les bénéfices des nouveaux antipsychotiques dans la schizophrénie à travers l’étude du taux d’interruption des traitements.

Enfin, il existe un troisième domaine d’application de l’épidémiologie et de la pharmacoépidémiologie, en plus des aspects descriptifs et analytiques. Il s’agit de l’épidémiologie ou de la pharmacoépidémiologie évaluative. Elle concerne la mesure de l’effet des interventions, des techniques médicales et d’organisation de la santé publique. Il peut s’agir, par exemple, de l’évaluation de l’impact de certaines recommandations de prescription en santé publique.


TYPES D’ENQUÊTES UTILISÉS

La méthodologie utilisée pour répondre aux différents objectifs cités ci-dessus est empruntée au domaine de l’épidémiologie. Il existe plusieurs façons de classer les enquêtes réalisées en épidémiologie et en pharmacoépidémiologie. On peut ainsi les définir selon la sélection des populations étudiées. On distingue alors les études de cohorte, les enquêtes cas-témoin et les enquêtes transversales.


— Les études de cohorte: les sujets sont sélectionnés en fonction d’une ou plusieurs caractéristiques et suivis dans le temps pour mieux quantifier ou connaître un phénomène. Ce sont, pour la plupart, des études prospectives de type longitudinal. Les études de cohorte s’utilisent pour des événements de fréquence élevée.

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Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Pharmacoépidémiologie et pédopsychiatrie

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