La prévention thrombo-embolique en chirurgie orthopédique et traumatologique majeure
Thromboembolism in orthopaedic and trauma surgery
Introduction
Le risque de thrombose de ces interventions est élevé et, en l’absence de prophylaxie, 50 % des patients feraient une thrombose veineuse profonde (TVP) phlébographique et 5 % une embolie pulmonaire (EP) fatale [12]. Ce risque d’ETE après chirurgie orthopédique majeure se prolonge sur une durée postopératoire bien connue de plusieurs semaines et il s’agit d’une complication dont le taux de mortalité n’est pas négligeable. La thromboprophylaxie, en particulier par les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) en Europe et par les AVK dans d’autres pays, a fait la preuve de son efficacité en réduisant ce risque de 70 à 80 % [12,21].
Héparines de bas poids moléculaire (HBPM)
Pourquoi choisir les HBPM ?
Par rapport aux antivitamines K (AVK)
La supériorité des HBPM sur les AVK ou les héparines non fractionnées (HNF) en thromboprophylaxie est certaine. Dès lors qu’une thromboprophylaxie prolongée a été jugée nécessaire dans les suites d’une arthroplastie totale de hanche, la question d’une substitution des HBPM, initiées durant l’hospitalisation, par des AVK a été posée. L’étude prospective SACRE a démontré que les HBPM prévenaient aussi efficacement les ETE que les AVK et exposaient moins à un risque hémorragique [22].
Inconvénients et avantages des HBPM
Inconvénients des HBPM
- • Les HBPM sont produites à partir d’intestins de porc et, à ce titre, ont un potentiel immunoallergène certes très modeste, mais réel. De surcroît, le risque de pénurie d’intestins de porc expose à des difficultés potentielles de production, voire à la fraude (contamination volontaire [?] par des chondroïtines sulfatées en 2007) et au défaut d’uniformisation des lots produits.
- • Par ailleurs, aujourd’hui, mais seulement en France, on continue de prescrire une surveillance des plaquettes deux fois par semaine pendant un mois après l’initialisation d’un traitement, car il existe un risque très modéré de thrombopénie induite par l’héparine (TIH), et l’autoadministration n’est pas habituelle, nécessitant le passage quotidien au domicile d’une infirmière pour l’injection sous-cutanée.
Avantages des HBPM
- • On les connaît depuis 25 ans et on sait les manipuler !
- • Les HBPM, plus faciles d’emploi, garantissent une meilleure prévention des ETE après chirurgie orthopédique, avec un risque hémorragique moindre que les HNF.
- • Les HBPM ont de multiples indications en prophylaxie tant en milieu chirurgical que médical ; elles peuvent même être prescrites chez les parturientes [21].
- • L’association avec les antiagrégants plaquettaires [4] n’augmenterait ni le saignement, ni la transfusion de façon significative.
- • Le relais par les AVK est bien connu.
- • En prophylaxie, les HBPM ne sont pas contre-indiquées chez l’insuffisant rénal sévère (il s’agit d’une contre-indication relative), alors que le fondaparinux, le dabigatran et le rivaroxaban le sont.
- • Les HBPM présentent enfin l’intérêt de se prescrire en une injection quotidienne à débuter en postopératoire dès le premier soir (J0) [21]. L’injection la veille de l’intervention n’est plus recommandée depuis les recommandations de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) de 2005.
- • Les HBPM, plus faciles d’emploi, garantissent une meilleure prévention des ETE après chirurgie orthopédique, avec un risque hémorragique moindre que les HNF.
Les nouveaux anticoagulants
L’intérêt d’une spécificité réside surtout en une activité plus indépendante des protéines circulantes ou du poids qui permet la prescription d’une dose unique entre 50 et 120 kg comme l’ont démontré les études [25]. Cette spécificité permet aussi de prévoir beaucoup mieux l’effet anticoagulant et donc d’éviter ou, au moins, de limiter la surveillance biologique de la coagulation pour une meilleure adaptation. Évidemment, ces règles s’appliquent à la majorité des patients, mais une grande vigilance, à défaut d’une surveillance, sera toujours nécessaire chez les insuffisants rénaux et les personnes âgées. Ces nouveaux anticoagulants sont tous synthétiques, donc sans aucun risque de contamination animale [20].
On peut regrouper en trois grandes catégories les nouveaux anticoagulants commercialisés ou en développement (tableau 1 et figure 1). Ce sont soit :
- • des inhibiteurs indirects du facteur Xa ;
- • des inhibiteurs directs du facteur Xa ;
- • des antithrombines directes.
- • des inhibiteurs directs du facteur Xa ;
Inhibiteurs indirects du facteur Xa
Le fondaparinux (Arixtra®) est une héparine de synthèse d’« ultra » bas poids moléculaire ayant une activité anti-Xa exclusive qui diminue plus efficacement l’incidence des thromboses distales asymptomatiques que l’enoxaparine (Lovenox®) quels que soient le type d’anesthésie, de chirurgie, le sexe, y compris dans les sous-groupes des patients à risque thromboembolique élevé (indice de masse corporelle [IMC] > 30 et antécédents thrombo-emboliques) [25].
À condition d’initier le traitement au moins 8 h après la fin de l’intervention, la tolérance hémorragique est comparable à celle de l’enoxaparine [25].
Il est recommandé en France [21] et par l’American College of Clinical Pharmacy (ACCP) (grade 1A) [11] après fracture du col du fémur pendant 35 jours à la dose de 2,5 mg par jour. Une dose de 1,5 mg a été commercialisée en Europe (après autorisation de mise sur le marché [AMM]) chez les patients insuffisants rénaux modérés, et cette dose est beaucoup mieux adaptée aux patients opérés d’une fracture du col, tous âgés et le plus souvent insuffisants rénaux modérés. Ce dosage n’est pour l’instant toujours pas disponible en France. Les avantages de ce type de molécules de synthèse chimique sont leur absence d’interaction avec les plaquettes, les facteurs 4 plaquettaires ou le fibrinogène, et donc l’absence ou le très faible risque de TIH, mais aussi l’uniformisation des lots, non tributaires de l’intestin de porc [1,11].
Une méta-analyse portant sur 144 806 patients a montré non seulement une diminution significative des TVP (1,5 %) versus l’enoxaparine (2,1 %) ou bien les HNF (4,2 %), mais aussi une mortalité significativement plus faible (0,6 %) versus les HBPM (1,1 % ; p < 0,001) et/ou les HNF (2,2 % ; p < 0,001) [24]. Cela pourrait s’expliquer par le fait que la première cause de mortalité après chirurgie orthopédique majeure est l’infarctus du myocarde [19]. L’étude OASIS 5 [27] a en effet démontré l’efficacité et la très bonne tolérance de la dose de 2,5 mg par jour de fondaparinux versus l’enoxaparine à dose thérapeutique dans les syndromes coronariens aigus (en l’absence de stent, conformément à son AMM). Cette dose prophylactique en orthopédie, associée à de l’aspirine (Kardégic® 75 mg/j) que prennent régulièrement ces patients, paraît par conséquent particulièrement indiquée chez les patients coronariens n’ayant pas de stent et chez les diabétiques. Elle permet, en effet, d’éviter une dose thérapeutique d’HBPM en cas d’élévation de la troponine I en postopératoire immédiat et, ainsi, de diminuer le risque de saignement tout en protégeant parfaitement le patient sur le plan coronarien.