Épanchements liquidiens de la plèvre
A. Roch, N. Embriaco and C. Doddoli
Introduction
L’incidence des épanchements liquidiens de la plèvre est élevée en réanimation et peut concerner jusqu’à 60 % des patients en réanimation médicale [1]. On doit différencier deux catégories d’épanchements. Les plus fréquents sont des épanchements libres, non infectés et d’apparition progressive [1] qui peuvent être parapneumoniques, consécutifs à des atélectasies, à une hypoalbuminémie, à un sepsis ou à une insuffisance cardiaque. Dans certains cas cependant (pleurésie, traumatisme, néoplasie), la prise en charge est plus complexe et des examens d’imagerie plus complets sont nécessaires. Une ponction diagnostique ou le drainage d’un épanchement n’est pas utile chez tous les patients, notamment en raison des risques infectieux et traumatiques potentiellement associés à ce geste chez les patients ventilés. Les principaux moyens d’imagerie de la plèvre sont la radiographie, la tomodensitométrie et l’échographie transthoracique. Ils permettent de détecter un épanchement, mais aussi de le quantifier et d’en rechercher la cause. Ils permettent ainsi d’orienter les indications de ponction à but diagnostique ou de drainage à but thérapeutique. L’échographie est notamment utile dans le guidage à la ponction.
Détection et quantification des épanchements liquidiens
Radiographie thoracique
La radiographie du thorax est l’examen de première intention pour la détection des épanchements pleuraux. Elle est en effet simple de réalisation, peu coûteuse et permet l’analyse du parenchyme pulmonaire. Sur la radiographie de face réalisée en position semi-allongée, un épanchement liquidien apparaît essentiellement sous la forme d’une augmentation homogène de la densité de l’hémithorax non liée à des anomalies parenchymateuses, accompagnée d’un comblement du cul-de-sac diaphragmatique latéral et/ou d’un épaississement latéral de la surface pleurale (figure 1) [2]. Cependant, l’intérêt de ces signes pour évaluer la quantité de liquide est limité chez des patients de réanimation, notamment sous ventilation mécanique [3]. La radiographie manque en effet de sensibilité mais aussi de spécificité, en confondant notamment des condensations avec des épanchements (figure 2). La qualité moyenne des radiographies acquises au lit du patient ainsi que l’existence d’images parenchymateuses superposées réduisent considérablement la capacité de la radiographie de détecter, d’éliminer ou de quantifier un épanchement pleural chez le patient de réanimation. Ainsi, Lichtenstein et al. [4] ont montré que la sensibilité de la radiographie thoracique pour la détection d’un épanchement pleural chez le patient ventilé n’était que de 39 % lorsqu’on utilisait la tomodensitométrie comme méthode de référence. Ce manque de sensibilité s’illustre notamment par la non-détection d’épanchements abondants.
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Quelques travaux ont évalué la radiographie thoracique pour la quantification des épanchements pleuraux chez des patients hors réanimation. Leur valeur en réanimation est donc incertaine. Dans l’étude de Blackmore et al. [5], une radiographie de face assise ne détectait un épanchement de moins de 500ml en utilisant la tomodensitométrie comme méthode de référence que dans 54 % des cas. L’existence d’un niveau liquide sur la radiographie ne croisant pas le diaphragme homolatéral mais croisant le médiastin prédisait cependant fiablement un épanchement supérieur à 500ml. La sensibilité était améliorée lorsqu’on associait une radiographie de profil. Eibenberger et al. [6] ont évalué l’intérêt de la mesure de l’épaisseur de l’épanchement sur la radiographie de face faite en décubitus latéral du côté de l’épanchement chez des patients hors réanimation. L’épanchement apparaissait sous la forme d’une opacité homogène dans la partie dépendante de la cavité pleurale. Il existait une corrélation entre le volume drainé et l’épaisseur de l’opacité. Une épaisseur de l’opacité supérieure à 20 mm prédisait dans 70 % des cas un épanchement de plus de 500ml. Cependant, les contraintes inhérentes aux patients de réanimation rendent difficile l’obtention d’une radiographie de bonne qualité en décubitus latéral.
Tomodensitométrie thoracique
La tomodensitométrie thoracique reste l’examen de référence pour la description et la quantification des épanchements pleuraux. Un épanchement libre apparaît sous la forme d’une hyperdensité homogène, périphérique, dépendante, en forme de croissant, libre de tout bronchogramme aérique et dont la densité est inférieure à celle du parenchyme condensé adjacent (figure 3). Cet examen permet aisément de distinguer un épanchement libre d’un épanchement localisé ou suspendu. La tomodensitométrie distingue une collection liquidienne pleurale d’une collection extrapleurale pariétale (figure 4). Cependant, la tomodensitométrie est d’utilité limitée pour la détection d’adhérences pleurales, avec une sensibilité et une spécificité de l’ordre de 70 % [7], et ne permet pas de différencier un transsudat d’un exsudat. D’autres techniques comme l’échographie ne permettant pas une analyse détaillée du parenchyme pulmonaire, la tomodensitométrie reste indispensable en cas de collection pleurale complexe, notamment après chirurgie thoracique (figure 5). Elle permet en outre le diagnostic d’abcès pulmonaire associé, de fistule bronchopleurale ou encore de médiastinite.
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La reconstruction tridimensionnelle des images permet le calcul du volume de l’épanchement. Plus simplement, le volume d’un épanchement libre ou localisé peut être fiablement estimé à l’aide d’une formule combinant l’épaisseur de l’épanchement sur la coupe où cette épaisseur est la plus grande (d, en cm) et la longueur craniocaudale de l’épanchement (L, en cm). Ainsi, le volume en ml est égal à d2 × L [8]. Le côté de l’épanchement n’affectait pas la fiabilité de cette formule.
La tomodensitométrie est le meilleur examen pour détecter le mauvais positionnement d’un drain thoracique. La radiographie et l’échographie ne permettent pas en effet de repérer un drain en position intraparenchymateuse, dans une scissure ou en position médiastinale [9].
Échographie transthoracique
L’échographie transthoracique s’impose comme un examen de choix pour détecter et quantifier les épanchements pleuraux en réanimation [3, 4, 10–12]. Elle combine en effet simplicité, fiabilité et reproductibilité, et ne nécessite pas le transport du patient. On utilise une sonde de 3,5 à 5,0 MHz, l’espace intercostal servant de fenêtre acoustique. La plèvre normale apparaît comme une bande échogène comprenant les plèvres pariétale et viscérale. La respiration crée des scintillements autour de cette ligne pleurale correspondant au glissement du poumon sur la paroi. L’épanchement libre apparaît sous la forme d’une collection anéchogène ou hypoéchogène située au-dessus du diaphragme et délimitée par les plèvres (figure 6). En cas d’épanchement important, le parenchyme atélectasié apparaît comme une bande flottant dans le liquide.
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L’échographie permet une quantification assez précise d’un épanchement pleural libre chez le patient de réanimation, ventilé ou non. Le patient est placé en décubitus dorsal strict. La sonde est placée sur la ligne axillaire postérieure entre les 9e et 11e espaces intercostaux, afin de visualiser le foie à droite ou la rate à gauche (figure 7). Afin de visualiser l’épanchement, la sonde est avancée vers l’apex en coupe longitudinale. La base du poumon est repérée dans l’épanchement et on effectue une rotation de 90° de la sonde afin d’obtenir une coupe transversale 2 à 3 cm au-dessus de la base. L’épanchement apparaît alors comme un croissant anéchogène ou hypoéchogène entre la paroi et le poumon (figure 8). On mesure en fin d’expiration l’épaisseur antéropostérieure de la collection dans la zone la plus déclive, là ou cette épaisseur est la plus grande. L’intérêt de la mesure de l’épaisseur de l’épanchement pour le quantifier simplement a été montré dans plusieurs travaux. Une épaisseur > 50 mm est prédictive d’un épanchement > 500ml [11], voire d’un épanchement > 800ml [3], avec une valeur prédictive > 90 %. Plus récemment, Balik et al. [12] ont validé une formule simple permettant d’estimer le volume de l’épanchement à l’aide de cette mesure : volume (ml) = 20 × épaisseur (mm). L’erreur moyenne de prédiction de cette formule était de 158 ± 160ml. Cette quantification est fiable quel que soit le côté de l’épanchement, malgré la présence du cœur.