Les troubles envahissants du développement

17. Les troubles envahissants du développement

Nadia Chabane and Oliviesr Philippe



Les troubles envahissants du développement dont fait partie le syndrome autistique sont actuellement reconnus comme des troubles neurodéveloppementaux dont les mécanismes physiopathologiques restent inconnus et dont l’origine est probablement multifactorielle. Ils se caractérisent cliniquement par un trépied syndromique associant un déficit sévère et envahissant dans plusieurs secteurs du développement: les capacités d’interactions sociales, les capacités de communication et l’existence de conduites et d’activités stéréotypées et d’intérêts restreints. Il s’agit d’une variation qualitative de ces déficits, évaluée en fonction de l’âge de développement. Les données épidémiologiques avancent une prévalence de l’autisme estimée à 1/1000, les garçons sont 3 à 4 fois plus souvent atteints que les filles. Il existe une importante hétérogénéité clinique dans l’autisme, hétérogénéité pouvant être liée au niveau sociocognitif des sujets atteints, de l’existence ou non d’une forme syndromique associée (pathologie génétique, métabolique, neurologique…).

Les premiers arguments plaidant pour un lien entre pathophysiologie et substratum organique dans l’autisme sont la fréquence élevée de l’épilepsie (30% entre 16 et 23 ans) et du retard mental (75% des autistes ont un quotient intellectuel global inférieur à 75). La mise en évidence de pathologies associées à l’autisme, pathologies dont le déterminisme est le plus souvent méconnu mais qui ont un effet délétère sur le système nerveux central (SNC), a amené à la réflexion sur l’existence de possibles mécanismes étiologiques communs avec l’autisme. Les facteurs environnementaux interviennent probablement dans les mécanismes étiologiques du syndrome, mais aucune étude ne permet de les identifier clairement. À l’heure actuelle, les principaux résultats obtenus dans l’étude des aspects biologiques de l’autisme sont centrés sur l’étude des systèmes de neurotransmission et sur la biologie moléculaire dans le cadre de la recherche des facteurs de susceptibilité génétique dans ce syndrome. Ces pistes de recherche ont amené à poser des hypothèses sur l’efficacité de certains traitements psychotropes intervenant sur les systèmes de neurotransmission et au développement d’essais thérapeutiques.


INDICATION DES TRAITEMENTS PSYCHOTROPES DANS LE SYNDROME AUTISTIQUE

À l’heure actuelle, aucun traitement médicamenteux ne traite le syndrome autistique; les indications médicamenteuses restent centrées sur les troubles du comportement. Les troubles du comportement sont fréquents dans l’autisme et peuvent survenir et fluctuer lors des différents stades du développement. Les troubles comportementaux les plus fréquemment rencontrés sont: l’hyperactivité, l’auto- ou l’hétéroagressivité, l’irritabilité, les comportements stéréotypés envahissants qui empêchent l’enfant d’accéder à d’autres occupations, les difficultés attentionnelles ainsi que les troubles du sommeil.

L’intensité et la fréquence des problèmes comportementaux peuvent compromettre non seulement l’intégration familiale et sociale de l’enfant ou de l’adolescent, son insertion scolaire ou dans une structure spécialisée de soin, mais aussi la poursuite des stratégies rééducatives adaptées à sa pathologie. Devant les troubles du comportement aigus de l’enfant et de l’adolescent autiste, des stratégies d’intervention sur l’environnement doivent apparaître en première réponse (évaluer l’implication d’un changement dans la vie quotidienne et en limiter les conséquences, aménager un lieu particulièrement angoissant pour la personne autiste…). Des techniques plus comportementales telles que l’entraînement aux habiletés sociales et aux résolutions de problèmes, l’apprentissage du contrôle de la colère se doivent d’être en première ligne du traitement et sont à poursuivre, en association avec le traitement médicamenteux si son indication devient nécessaire.

En effet, un traitement médicamenteux n’est envisagé qu’après l’échec des tentatives d’adaptation environnementale à l’enfant autiste et des techniques comportementales et éducatives. C’est donc face à des troubles du comportement sévères que l’on s’orientera vers un traitement psychotrope.

Dans l’autisme, du fait de la carence de développement de grands essais thérapeutiques (nombre suffisant de patients inclus pour permettre une interprétation solide des tests statistiques), les études dont nous disposons actuellement concernent le plus souvent des petits effectifs, assez hétérogènes dans leur composition et étudiés sur de courtes durées. Les études menées en ouvert et les études cas uniques sont certes utiles pour orienter les cliniciens vers certaines pistes et hypothèses thérapeutiques, mais leurs résultats exigent d’être confirmés par des essais contrôlés.

Nous nous limiterons donc dans ce chapitre à exposer les principales familles médicamenteuses ayant été évaluées avec des études contrôlées.


PRINCIPAUX AGENTS PHARMACOLOGIQUES ETUDIÉS DANS L’AUTISME


NEUROLEPTIQUES


Neuroleptiques classiques

Ces agents pharmacologiques bloquent des récepteurs dopaminergiques et sont antagonistes des récepteurs cholinergiques, α-1-adrénergiques, histaminiques et sérotoninergiques.

Leur pharmacocinétique reste insuffisamment connue chez l’enfant. Des molécules telles que l’halopéridol (Haldol®) ou la chlorpromazine (Largactil®) ont une pharmacocinétique présentant des variations interindividuelles fréquentes, une demivie plasmatique diminuée, une précocité d’apparition des pics plasmatiques ainsi qu’une fraction libre plasmatique augmentée. Il est donc nécessaire de fractionner les prises chez l’enfant. Par ailleurs, il n’existe pas de corrélation entre efficacité clinique, taux plasmatiques de la molécule et posologie. En revanche, une corrélation est retrouvée entre les taux plasmatiques et la survenue d’effets secondaires.

Les neuroleptiques classiques ont été les molécules les plus prescrites et étudiées dans l’autisme de l’enfant et de l’adolescent. L’efficacité et la tolérance de leur chef de file, l’halopéridol, ont été évaluées lors d’essais contrôlés, permettant de conclure à l’efficacité de ce traitement sur des symptômes tels que l’agressivité, l’hyperactivité et l’impulsivité [678].

Une tolérance médiocre a été rapportée lors de ces différents essais, impliquant:


— les effets neurovégétatifs anticholinergiques (hypotension artérielle, tachycardie, sécheresse buccale);


— les effets neurologiques: somnolence, retentissement cognitif, symptômes extrapyramidaux (D2), pseudoparkinsonisme, dystonies aiguës, akathisie, dyskinésies tardives;


— des effets neuroendocriniens tels que la prise de poids et l’hyperprolactinémie (galactorrhée, aménorrhée) sont fréquemment retrouvés;


— des effets cardiovasculaires (syndrome du QT long avec le dropéridol [Droleptan®] ou la thioridazine [Melleril®]);


— la photosensibilisation, les réactions immuno-allergiques et l’exceptionnel syndrome malin ont également été décrits.

Les effets secondaires neurologiques, lors de traitement par neuroleptiques classiques, sont fréquents chez les enfants autistes. Leur fréquence implique donc une grande prudence dans l’indication de ces molécules, ainsi qu’une surveillance accrue. Par ailleurs, les études réalisées par l’équipe de M. Campbell chez l’enfant ont clairement montré un effet délétère sur le fonctionnement cognitif et les capacités d’apprentissage d’enfants autistes traités à court et long terme [6, 7].


Une nouvelle famille de neuroleptiques dits «neuroleptiques atypiques»

Cette famille médicamenteuse semble mieux tolérée par les enfants et adolescents autistes. La rispéridone (Risperdal®), chef de file dans cette indication, est un antagoniste des récepteurs 5-HT2A ayant une affinité pour les récepteurs D2 et 5-HT2 et peu d’effets extrapyramidaux. Cette molécule a reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant autiste à partir de l’âge de 6 ans dans l’indication de troubles du comportement associés, dans le cadre strict d’une monothérapie. L’étude contrôlée en double insu contre placebo de 8 semaines de McCracken et al. [24] sur 101 enfants autistes âgés de 5 à 17 ans a montré une efficacité clinique de la molécule à une posologie de 0,5 à 3mg par jour chez 34 des 49 sujets sous Risperdal4, contre six sujets sur 52 sous placebo (p < 0,001). L’étude de la tolérance rapporte une prise de poids significative de 2,7 ± 2,9kg dans le groupe Risperdal4 contre 0,8 ± 2,2kg dans le groupe placebo (p < 0,001). Une augmentation de l’appétit et un effet sédatif caractérisent le Risperdal® par rapport au placebo. Shea et al. [28] ont mené une étude en double insu contre placebo sur 79 enfants de 5 à 12 ans d’une durée de 8 semaines avec une posologie progressive de 0,01 à 0,06mg/kg par jour (posologie moyenne 1,48mg par jour). Les auteurs retrouvent une amélioration de l’irritabilité, hyperactivité, comportements stéréotypés, agressivité sur les scores de l’échelle Aberant Behavior Checklist (ABC) dans le groupe traité par rispéridone. L’effet secondaire le plus fréquent dans l’étude est l’apparition de somnolence chez 72,5% des sujets du groupe Risperdal® contre 7,7% des sujets sous placebo. Une prise de poids de 2,7kg ± 2 est rapportée dans le groupe rispéridone contre 1 ± 1,6kg dans le groupe placebo. L’étude conclut également à une bonne tolérance cardiovasculaire malgré une légère augmentation significative de la fréquence cardiaque et de la tension artérielle. Des effets extrapyramidaux transitoires d’intensité modérée ont cependant été notés (27,5% groupe Risperdal® [n = 11] contre 12,8% groupe placebo [n = 11]).

La posologie initiale recommandée chez l’enfant de moins de 20kg est de 0,25mg par jour et de 0,50mg par jour chez les enfants de plus de 20kg. Une augmentation de la posologie de 0,5mg à 1mg est possible à 8 j de traitement après évaluation de l’efficacité et de la tolérance. La posologie maximale recommandée en fonction du poids va de 1 à 3mg par jour. La durée du traitement doit être justifiée par une évaluation régulière de l’état clinique de l’enfant.

L’évaluation systématique et régulière des effets secondaires et des interactions médicamenteuses est recommandée par les guidelines TRAAY (Jaacap Feb 2003). Elle comprend la surveillance des constantes telles que le pouls, la tension artérielle, la température, la réalisation d’une courbe de poids avec surveillance de l’index de masse corporelle (IMC), un examen somatique recherchant les effets extrapyramidaux, la fonction cardiovasculaire (électrocardiogrammes [ECG] réguliers), une gynécomastie, une galactorrhée, une aménorrhée.

La réalisation d’un bilan biologique comprenant un bilan hépatique et lipidique et une hémoglobine glycosylée est recommandée.

D’autres neuroleptiques atypiques ont été évalués dans cette indication, le plus souvent en ouvert. La clozapine a été utilisée dans des séries de rapports de cas montrant une amélioration des troubles du comportement qualifiés de résistants chez les adolescents et les enfants autistes. L’amélioration des conduites agressives et de l’hyperactivité est documentée, mais l’utilisation de cette molécule est restreinte du fait des complications hématologiques et de la classique diminution du seuil épileptogène sur une population particulièrement sensible au risque convulsif. L’olanzapine a également été étudiée lors d’essais en ouvert montrant une efficacité sur les mêmes symptômes que la clozapine. Jusqu’à présent, aucun essai contrôlé n’a été réalisé chez l’enfant et l’adolescent. Les principaux effets secondaires mis en avant sont la prise de poids excessive et la sédation. La ziprasidone et l’ariprazole ont été utilisés sur des petites séries de patients (entre cinq et 12 sujets) en ouvert et leur efficacité sur l’agressivité, l’impulsivité et les automutilations reste à confirmer par une étude contrôlée contre placebo [3].


INHIBITEURS SÉLECTIFS DE LA RECAPTURE DE LA SÉROTONINE

Les arguments en faveur de la prescription des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) dans l’autisme repose en partie sur les données d’études neurobiologiques ayant montré l’existence d’une hypersérotoninemie chez environ 30% des sujets autistes et de leurs apparentés du premier degré (mères et fratrie) [21]. En imagerie fonctionnelle, à l’aide de la tomographie par émission de positons (TEP) et de l’α [C-11] méthyltryptophane, un précurseur de la sérotonine, Chugani et al. [12] ont étudié la capacité de synthèse cérébrale de la sérotonine au cours du développement chez des enfants autistes et non autistes à différents âges. Ils ont observé chez les enfants non autistes une augmentation importante de la synthèse de sérotonine au cours des premières années de vie (chez l’enfant de 5 ans, les valeurs sont 200% supérieures à celles de l’adulte) et puis une nette diminution vers les valeurs de l’adulte. La courbe de synthèse était très différente chez les enfants autistes qui présentaient une augmentation progressive des valeurs entre l’âge de 2 à 15 ans, avec un pic à l’âge de 15 ans. Ces données suggèrent qu’il existe une période de synthèse élevée de sérotonine pendant l’enfance, et que ce processus développemental est perturbé chez les enfants autistes. De plus, l’efficacité des ISRS dans le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) chez l’enfant est également un argument à la prescription de ces molécules dans l’autisme. En effet, on peut faire un parallélisme clinique entre les obsessions idéatives rencontrées dans le TOC et les fixations d’allure obsessionnelle de certains enfants autistes. De même, les compulsions présentes dans le TOC peuvent être rapprochées, dans l’autisme, des comportements répétitifs, des conduites ritualisées et de la nécessité de routines.

Les premières études en ouvert réalisées chez les enfants et adolescents autistes rapportent une amélioration de l’irritabilité, des stéréotypies et des troubles du langage (à type d’écholalie) sous fluoxétine. Dans une étude longitudinale, en ouvert, Fatemi et al. [15] ont évalué l’efficacité de la fluoxétine chez sept enfants et adolescents autistes de 9 à 20 ans. Les doses de fluoxétine variaient entre 20 et 80mg par jour. La durée moyenne de traitement a été de 18 mois. L’échelle ABC a été utilisée à chaque visite, afin de déterminer le pourcentage de réduction des cibles comportementales mesurées par l’échelle. L’amélioration clinique concernait des symptômes tels que l’irritabilité (21%), les conduites stéréotypées (21%), les anomalies du langage (21%) ainsi que la léthargie (37%). Les auteurs concluent à une efficacité de la fluoxétine sur les troubles du comportement associés à l’autisme et soulignent la nécessité de réaliser des études contrôlées.

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Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les troubles envahissants du développement

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