19. Les troubles du sommeil
Marie-Christine Mouren and Samuel Cortese
Malgré leur fréquence (un cinquième des enfants et des adolescents) et leurs conséquences négatives sur le développement et la qualité de vie de la famille, les troubles du sommeil de l’enfant et de l’adolescent restent mal connus des pédiatres, psychiatres et autres professionnels de la santé de l’enfant.
La classification américaine DSM-IV en propose une description univoque à travers les âges de la vie que nous rappellerons pour mémoire:
— les dyssomnies, qui sont des altérations quantitatives du sommeil, définies par une plainte d’insuffisance ou d’excès de sommeil. Elles se subdivisent en:
• insomnies primaires;
• insomnies secondaires liées à un trouble mental (anxiété, dépression, manie) ou organique (reflux gastro-œsophagien, pathologies ORL…);
• hypersomnies primaires (narcolepsie-cataplexie);
• hypersomnies secondaires à un trouble mental (dépression), à un trouble organique (syndrome d’apnées du sommeil), à une prise de médicaments ou de toxiques;
— les parasomnies, manifestations paroxystiques, non épileptiques survenant de façon élective au cours du sommeil. On distingue:
• les parasomnies survenant au cours du sommeil lent profond, tels le somnambulisme, les terreurs nocturnes, les éveils confusionnels;
• les parasomnies en rapport avec le sommeil paradoxal, représentées par les cauchemars;
• les parasomnies observées dans la transition de la veille au sommeil (stades 1 et 2) telles que les myorythmies d’endormissement (head banging, head rolling…).
En pratique, dans la littérature anglo-saxonne consacrée aux troubles du sommeil/éveil chez les sujets jeunes, un regroupement simplifié des rubriques aboutit à distinguer «les insomnies» (sleeplessness) de la «somnolence diurne» (sleepiness). Ces termes sont employés dans un sens descriptif plutôt que diagnostique et renvoient à diverses constellations de symptômes répondant elles-mêmes à des causes variées, y compris organiques. C’est dire l’importance d’une évaluation des troubles du sommeil précise avec les intéressés eux-mêmes et leurs familles (tableau 19.1).
Description de «l’histoire du sommeil» et de ses perturbations |
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Les antécédents médicochirurgicaux (spécialement adénotonsillectomie) et les différents traitements médicamenteux prescrits |
Les étapes du développement de l’enfant et ses performances scolaires |
Les antécédents familiaux de troubles du sommeil |
L’histoire psychosociale de la famille (événements vitaux, contexte culturel, habitudes de vie, impact sur l’entourage des troubles de l’enfant…) |
L’évaluation des troubles psychopathologiques comorbides aux troubles du sommeil de l’enfant (ou à leur origine): troubles de l’humeur, hyperactivité, troubles oppositionnels… |
L’examen physique (paramètres de croissance, état général, examen ORL et neurologique) |
L’examen des agendas du sommeil remplis par les enfants d’âge scolaire et les adolescents |
La polysomnographie nocturne et les tests de latence d’endormissement (TILE) si besoin |
Le traitement des différents types de trouble du sommeil passe, en premier lieu, par une approche cognitivocomportementale soit de l’intéressé lui-même (s’il s’agit d’adolescents), soit des parents. Ceux-ci seront étayés dans leur démarche de modifications des habitudes éducatives et de l’hygiène de vie par des conseils adaptés [10].
Au sein de ce dispositif thérapeutique, la place de la psychopharmacologie reste limitée à certaines indications, souvent en association aux modifications comportementales ou en seconde intention, si celles-ci s’avèrent sans efficacité. Si le domaine des traitements médicamenteux des troubles du sommeil de l’enfant a donné lieu à peu d’essais cliniques méthodologiquement bien conduits en pratique, les prescriptions sont nombreuses même chez les jeunes enfants. Elles sont le fait des médecins eux-mêmes (pédiatres ou généralistes), vivement sollicités par les familles pour apporter un soulagement rapide des symptômes perturbants. Parfois, ce sont les parents (ou les adolescents) qui puisent les médicaments dans leurs propres réserves, dans une démarche «d’autoprescription», sans aucune connaissance des risques encourus et des effets secondaires.
Les règles générales, inhérentes à toute prescription d’un psychotrope chez l’enfant, seront respectées: discussion bénéfices/risques, sélection de l’agent pharmacologique spécifique le plus adapté au type de trouble du sommeil (âge, conditions médicales ou psychiatriques comorbides, usage de traitements concomitants susceptibles d’interagir), but de la prescription clairement identifié et mesurable, durée du traitement… Les parents seront informés des effets secondaires, du risque de rebond de la symptomatologie en cas d’arrêt brutal et, particulièrement chez les adolescents, de la possibilité d’interaction avec d’autres substances (marijuana, alcool) et d’abus du médicament prescrit.
INSOMNIE
Ce terme «général» recouvre l’opposition au coucher, les réveils nocturnes avec sollicitations réitérées de l’attention des parents et les réveils trop précoces le matin. Dans certains cas, il s’agit de symptômes «à la limite de la normale», renvoyant à des attentes non réalistes des parents sur le sommeil de l’enfant ou témoignant de leur incapacité à lui mettre des limites de par leur propre vulnérabilité psychique (anxiété, troubles de l’humeur…).
Quel que soit leur contexte, nombre de ces situations aboutissent à une prescription médicamenteuse. Dans une revue de la littérature systématique des traitements prescrits chez les jeunes enfants âgés de 5 ans ou moins pour des troubles de l’endormissement, des réveils nocturnes ou les deux, Ramchandani et al. (2006) [15] ont relevé seulement quatre études contrôlées randomisées, concernant les médicaments dans cette indication. Le tableau 19.2 récapitule le détail de ces essais.
Études | Sujets et problématique | Intervention | Témoin | Symptôme cible | Résultats |
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Richman [16] | 22 enfants de 12-24 mois Population générale avec des réveils nocturnes | Triméprazine (30 à 60mg) | Placebo | Score de trouble du sommeil (nombre de réveils nocturnes) | 12,1 avec placebo 8,6 avec traitement (p < 0,01) |
Simonoff et Stores [18] | 20 enfants de 12-36 mois Avec des réveils nocturnes | Triméprazine (45 à 90mg) | Placebo | Réveils nocturnes (fréquence et durée) | 2,4 réveils par nuit avec placebo 1,4 réveil par nuit avec traitement (p <0,001) |
France et al.[5] | 30 enfants de 7-27 mois Programme de traitement de trouble du sommeil | Extinction puis triméprazine (30mg) | Extinction plus placebo | Réveils nocturnes (fréquence et durée) | Groupe «intervention» plus vite amélioré que le groupe placebo (p < 0,01) Pas de différence à long terme |
Montanari et al.[12] | 60 enfants de 1 à 36 mois Consultation externe pédiatrique pour troubles du sommeil | Niaprazine | Chlordesméthyldiazépam | Réveils nocturnes (fréquence) | 23-26 (88%) améliorés avec desméthyldiazépam 26/26 (100%) améliorés avec niaprazine Aucune différence significative |
Comme indiqué, les médicaments utilisés sont les antihistaminiques: triméprazine et niaprazine. Les deux premiers essais [16, 18] adoptent un schéma de prescription du médicament seul (jusqu’à 60 ou 90mg) contre placebo. Ils montrent un effet significativement positif des produits à court terme mais moins convaincant à long terme. Les deux études suivantes [5, 12] ont un schéma sensiblement différent: l’une [12] compare deux produits entre eux et constate leur efficacité globalement comparable, bien qu’un léger avantage se dessine pour la niaprazine. Dans l’étude de France et al. [5], la triméprazine, utilisée en adjonction à un programme d’extinction (ignorer les pleurs de l’enfant), ne se montre pas plus efficace, à la fin du traitement et à 4 semaines de distance, que la combinaison extinction/placebo. Pour les auteurs, les médicaments pourraient jouer un rôle à court terme dans l’indication des réveils nocturnes chez les jeunes enfants (en particulier la triméprazine à des posologies de 30 à 90mg le soir au coucher), surtout pour soulager les parents et permettre à d’autres types de prise en charge de se mettre en place.
En pratique, aucun médicament n’a l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans l’indication de l’insomnie chez le jeune enfant. Récemment, l’Atarax® (hydroxysine dichlorydrate) a obtenu une autorisation dans les troubles du sommeil chez l’enfant (Afssaps 2006). Néanmoins, comme dans les pays anglo-saxons, le choix des pédiatres se fait surtout sur les antihistaminiques (tableau 19.3) dont les effets secondaires principaux (somnolence diurne, retentissement digestif, effets cholinergiques [bouche sèche] et plus rarement excitation paradoxale) justifient une prescription de courte durée.
Principe actif | Dénomination | Indications |
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Niaprazine, 5ml/15mg sirop (Nopron®) | Nopron® enfants Flacon 150ml + seringue pour administration orale/5ml | Contre-indiquée enfant < 3 ans Posologie enfant: 1mg/kg par jour, une prise le soir |
Alimémazine (Théralène®) 0,05/100 sirop | Théralène® Flacon 150ml gobelet doseur | Limite d’âge: à partir de 3 ans Posologie: 0,25 à 0,5mg/kg par jour Une prise au coucher Durée de traitement non précisée |
4% solution buvable en gouttes | Flacon 30 et 100ml + pipette doseuse | Limite d’âge: à partir de 3 ans Posologie: 0,25 à 0,5mg/kg par jour Une prise au coucher Durée de traitement non précisée |
5mg comprimé pelliculé | Plaquette 50 comprimés | Limite d’âge: à partir de 6 ans Posologie enfants: de 20 à 40kg: 1 comprimé par jour (soit 0,25 à 0,5mg/kg) Une prise au coucher Durée de traitement non précisée |
En revanche, les benzodiazépines sont à proscrire formellement dans cette indication, du fait de l’absence d’études chez l’enfant et d’effets secondaires invalidants (somnolence, retentissement cognitif, risque d’accoutumance, rebond de la symptomatologie à l’arrêt…). Quant aux produits de phytothérapie, certains sont traditionnellement utilisés dans les troubles mineurs du sommeil de l’enfant (valériane, aubépine, passiflore, camomille, tilleul). En l’absence d’études, peu de renseignements concordants sont disponibles en fonction des nombreuses spécialités en vente libre. Les parents doivent néanmoins s’assurer de la composition «pure» de ces spécialités de phytothérapie par rapport aux associations plantes/principes actifs (par exemple bromure), plus ou moins bien tolérées.