20. Les tics et le syndrome de Gilles de la Tourette
Richard Delorme
En 1885, le Français Georges Gilles de la Tourette décrit pour la première fois neuf patients ayant des tics chroniques vocaux et moteurs. Un de ces cas était la marquise de Dampierre, une noble Française, qui avait des tics de l’ensemble du corps, se raclait la gorge et exprimaient des obscénités de manière incontrôlable. Bien que la plupart des caractéristiques cliniques décrites par cet auteur restent valides, de nombreux travaux ont permis de redéfinir les caractéristiques cliniques, neurobiologiques et thérapeutiques du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT).
Description et Critères Diagnostiques
Les tics, symptômes centraux du SGT, sont des mouvements ou des productions phoniques, involontaires, soudains, répétitifs, stéréotypés, non rythmiques. Les tics ont différents degrés de sévérité et de durée, et pas un seul patient ne décrit les mêmes types de symptômes. Les tics moteurs chroniques sont des mouvements brefs et rapides qui typiquement impliquent un groupe de muscles, par exemple clignements des yeux, mouvements du cou, haussements des épaules. Les tics moteurs complexes sont des mouvements abrupts qui impliquent un ensemble de mouvements simples ou qui correspondent à une séquence motrice plus coordonnée. Si les tics moteurs n’ont pas de but déterminé (par exemple des contorsions de l’ensemble du corps ou du visage), ils peuvent avoir une certaine intentionnalité (par exemple toucher, frapper, sentir, sauter, ou encore faire des gestes obscènes), être perçus avec égodystonie. Les tics moteurs simples incluent des sons et des bruits tels que grognements, jappements, reniflements et raclements de gorge. Les tics vocaux complexes incluent des syllabes, des phrases, des écholalies (répétition des mots d’autres personnes), des palilalies (répétition de ses propres mots) ou des coprolalies (émission de mots obscènes). La coprolalie est l’un des symptômes les plus caractéristiques et anxiogènes du SGT, mais il n’existe que chez 10% des patients.
Caractéristiques des Tics
Les tics s’exacerbent habituellement durant les périodes d’hyperémotivité (excitation, anxiété ou colère), et de fatigue [50, 77]. À l’opposé, ils ont tendance à être moins intenses durant les périodes où le patient est absorbé par ses activités, durant une phase de concentration ou de sommeil. Malgré une diminution ou une absence complète des tics durant le sommeil, les enregistrements polysomnographiques des patients ayant des tics montrent l’apparition ou l’acutisation de tics durant la période de sommeil paradoxal [12]. Chez de nombreux patients, la suppression volontaire des tics entraîne une sensation croissante de tension interne qui disparaît lors de la réalisation des tics. Les tics peuvent être exacerbés par exemple après l’observation d’un mouvement ou d’un son (échophénomène). Une sensation prémonitoire peut précéder les tics. Ces sensations prémonitoires sont des manifestations sensorielles, habituellement sous la forme d’une impulsion, d’un besoin, d’une tension, d’une pression, d’une démangeaison ou d’un picotement qui survient avant la réalisation des tics moteurs ou vocaux. La plupart de ces sensations sont localisées dans des régions anatomiques spécifiques [41]. Bien qu’extrêmement fréquentes chez les adultes ayant des tics (90% des cas) [39, 41], elles sont moins fréquemment ressenties par les enfants avant la réalisation des tics (37%) [4]. Aussi, cela a conduit certains auteurs à considérer que les tics pourraient être une réponse volontaire à ces sensations. Si le caractère fluctuant des tics est connu, les facteurs biologiques ou environnementaux à l’origine de ces fluctuations restent inconnus. Les facteurs de stress psychosociaux ont été impliqués compte tenu des corrélations fréquemment observées chez l’enfant entre la survenue de ces stress et l’exacerbation des tics [19]. Cependant, chez de nombreux patients, les changements observés dans la nature et l’intensité des tics semblent indépendants des événements de vie stressants [26] ou par exemple des infections récentes à streptocoques comme cela a été évoqué dans la littérature [45]. Les phases d’acutisation des tics moteurs et vocaux sont a priori aléatoires, suggérant que des processus chaotiques, fractals et déterminants sont impliqués dans le caractère fluctuant des tics [51].
Les Maladies de Tics
Les maladies de tics peuvent être divisées en deux catégories distinctes en termes de durée: les formes transitoires, où les tics sont présents moins de 12 mois, et les formes chroniques, où les tics persistent au-delà de cette durée. Les tics transitoires sont les formes les plus modérées mais aussi les plus fréquemment observées chez les enfants. Pour les maladies de tics chroniques (vocaux ou moteurs), les tics peuvent être soit purement moteurs soit, moins fréquemment, purement vocaux. Les critères permettant d’établir le diagnostique de SGT nécessitent, tels qu’ils sont formulés par The Tourette Syndrome Classification Study Group:
— la présence de tics moteurs multiples et au moins d’un tic vocal (pas nécessairement de manière concomitante);
— une évolution fluctuante de ces tics avec une augmentation de la sévérité au cours du temps;
— la présence de ces tics durant une période supérieure à 1 an;
— un début des symptômes avant l’âge de 21 ans;
— l’absence de pathologie précipitante (encéphalopathie, traumatisme crânien) ou de prise de drogue;
Tourette Syndrome Classification Study Group | Association américaine de psychiatrie (DSM-IV) | |
---|---|---|
Âge de début | Avant 21 ans | Avant 18 ans |
Tics moteurs | Multiples | Multiples |
Tics vocaux | Au moins un | Au moins un |
Évolution | Majoration progressive, fluctuation des symptômes | Majoration progressive, fluctuation des symptômes |
Périodes d’intervalles libres | – | Pas plus de 3 mois consécutifs |
Drogues | Les tics ne sont pas en rapport avec l’utilisation de substances (exemple, stimulants) | Les tics ne sont pas en rapport avec l’utilisation de substances (exemple, stimulants) |
Troubles médicaux | Les tics ne sont pas en rapport avec des pathologies neurologiques (exemple, traumatisme crânien, chorée de Huntington, encéphalopathie post-virale) | Les tics ne sont pas en rapport avec des pathologies neurologiques (exemple, traumatisme crânien, chorée de Huntington, encéphalopathie post-virale) |
Confirmation diagnostique | Le diagnostic doit être porté par un expert | – |
Pour les maladies de tics qui ne remplissent pas les critères de SGT, comme celles associées à d’autres maladies médicales, les termes «tourettisme», «SGT apparenté» ou «tics secondaires» sont habituellement utilisés. Par exemple, des tics peuvent être observés dans le cadre d’infections [49, 55], de prises de toxiques [32, 45, 65], d’intoxication par des toxines [33], de traumatismes crâniens [36, 46] ou suite à une opération neurochirurgicale [10, 64] et sont également observés dans certaines maladies neurodégénératives ou génétiques rares [30, 59, 63].
Diagnostic
Le diagnostic de maladie de tic se base sur l’histoire du patient ainsi que sur l’évaluation clinique. Il n’y a pas d’examens complémentaires à réaliser permettant de confirmer ce diagnostic. Le SGT débute typiquement vers l’âge de 6-7 ans par des tics moteurs, les tics vocaux apparaissant ultérieurement. Divers facteurs peuvent aider le clinicien à différencier les tics d’autres maladies, en particulier les perceptions prémonitoires perçues par le patient, la suppression des tics par suggestibilité, les facteurs exacerbant les tics tels la fatigue ou le stress, leur caractère fluctuant au cours du temps, les troubles comorbides associés (par exemple, trouble déficit de l’attention avec hyperactivité [TDA/H], trouble obsessionnel-compulsif [TOC]) [34]. Les symptômes cliniques les plus couramment observés sont les clignements d’yeux, les tics de la sphère oculogyre, la toux persistante ou les raclements de gorge. Le diagnostic est typiquement rétrospectif, puisqu’il n’y a pas d’éléments actuellement prédictifs d’une résolution spontanée des tics, d’une évolution vers la chronicité des tics, ou enfin de l’apparition ultérieure d’autres tics. Des tics sévères peuvent entraîner des blessures physiques (par exemple, myélopathie [16] ou décollement bilatéral de la rétine [44]). À noter qu’il peut également coexister avec le SGT des mouvements anormaux qui ne sont pas des tics, tels ceux induits par les traitements (akathisie, dystonie, chorée, parkinsonisme) ou ceux associés aux troubles comorbides (TOC, TDA/H) [34].
Évolution
À court terme, l’intensité des tics varie au cours du temps. Il existe des phases d’acutisation régulières (figure 20.1). Bien que l’évolution à long terme puisse être variable, la plupart des études suggèrent que les tics s’améliorent à la fin de l’adolescence [18, 42, 51]. Leckman et al. [42] ont utilisé un modèle mathématique pour comprendre l’évolution de la sévérité des tics au cours des 20 premières années de vie des patients. Ils ont constaté que l’intensité des tics était le plus souvent maximale entre 8 et 12 ans pour décroître progressivement jusqu’à l’âge adulte. Une étude de suivie de cohorte réalisée chez 58 adolescents et jeunes adultes (15-25 ans) a montré que: chez 26% d’entre eux les tics disparaissent, chez 46% d’entre eux diminuent très substantiellement, chez 14% restent stables, et chez les autres (14%) augmentent [18]. D’autre part, si la sévérité des tics et leur impact sur la vie des patients diminuent très nettement au fil du temps, 90% des patients conservent des tics tout au long de leur vie. Cette amélioration au cours du temps ne semble pas corrélée à l’utilisation de médicaments [51]. Également, la sévérité initiale des tics n’est pas un bon prédicteur de la sévérité tardive des tics [42]. Seule la présence d’une comorbidité psychiatrique apparaît être un facteur prédictif négatif, tout particulièrement sur le niveau de handicap ressenti par le patient [9, 69].
Figure 20.1 |
Épidémiologie
Le SGT est une maladie présente dans l’ensemble des populations du monde et ce quel que soit le groupe ethnique ou culturel. La prévalence de ce trouble varie cependant considérablement suivant les études publiées. Il semble que ces différences soient en lien avec des biais de sélection ou d’attribution (l’âge et le sexe de la population étudiée), les centres d’inclusion des patients (écoles spécialisées ou «standard», hôpitaux ou communautés ethniques), les différents critères diagnostiques et seuils d’inclusion et enfin, les méthodologies d’investigation différentes entre les études. Les tics sont plus fréquents chez les enfants âgés de 9 à 11 ans [66], ont une incidence plus élevée en hiver [66], sont plus fréquents chez les hommes (ratio de 3 pour 1) et chez les enfants ayant un TDA/H associé[70], un trouble envahissant du développement [5], ou scolarisés dans des classes spécialisées [38]. Malgré ces variations, la prévalence des tics est estimée entre 6 et 12% (avec des extrêmes entre 4 et 24%) [20, 38]. Bien que le SGT fût initialement considérée comme une maladie rare, sa prévalence est de l’ordre de 1/1 000 chez les enfants et les adolescents [31, 38, 58].
Comorbidités
Psychiatriques
Les troubles psychiatriques comorbides ont une place centrale lors de l’évaluation clinique des patients compte tenu de leur fréquence [37], de leur répercussion massive sur le fonctionnement des patients [14], et également pour orienter les choix thérapeutiques.
Des symptômes obsessionnels-compulsifs sont présents dans environ 20 à 60% des patients ayant un SGT mais dans certaines études, ils sont présents chez près de 89% des patents [57]. Ces symptômes sont rarement suffisamment intenses pour poser le diagnostic de TOC. En général, les symptômes obsessionnels-compulsifs apparaissent quelques années après le début des tics, le plus souvent avant l’adolescence (figure 20.2). De nombreux chercheurs considèrent que les tics et les symptômes obsessionnels-compulsifs sont l’expression différentielle d’un même processus étiopathogénique [61]. Le TOC est une entité hétérogène où se mêlent les formes à début précoce (débutant dans l’enfance), très fréquemment comorbides aux tics, et les formes à début tardif (débutant lors de la vie adulte) où les patients n’ont pas de tics. Les patients ayant des tics comorbides ont moins fréquemment des obsessions de contamination, des rituels de lavages, et plus fréquemment des obsessionscompulsions de rangement, d’ordre, de symétrie [62].
Figure 20.2 |
Des difficultés d’attention, une impulsivité ainsi qu’une hyperactivité sont fréquemment observés chez les patients ayant des tics. Ces symptômes débutent typiquement vers l’âge de 4-5 ans et précèdent les tics d’environ 1 ou 2 ans (figure 20.2). Chez les patients ayant un SGT, le TDA/H est présent chez environ 50% des patients (21-90%) des cas référencés [13]. L’occurrence du TDA/H n’est pas associée avec une sévérité plus intense des tics, bien que le TDA/H soit fréquent chez les patients ayant des tics sévères [56]. La présence d’un TDA/H comorbide est cependant corrélée à une augmentation des difficultés psychosociales, des comportements antisociaux, des problèmes d’apprentissage scolaire [1, 28, 67, 69]. L’impulsivité observée chez les patients ayant des tics explique probablement aussi la fréquence élevée de crises de rage et les comportements automutilateurs [8, 47].
Enfin, de nombreuses études rapportent une incidence augmentée d’épisodes dépressifs et de troubles anxieux chez les patients ayant un SGT [11, 54, 69]. Dans une étude réalisée chez 100 enfants, 76% ont un trouble de l’humeur comorbide et 67% un trouble anxieux (indépendamment d’un diagnostic de TOC) [11].
Non Psychiatriques
L’occurrence de la migraine chez les patients ayant un SGT est plus élevée que dans la population générale. Les études montrent que près de 25% des patients ayant un SGT ont des migraines, ce qui est largement supérieur à la prévalence observée dans la population générale d’adultes (10-13%) ou d’enfants (2-10%) [40].
Également, des troubles en lien avec le sommeil sont observés chez 20 à 50% chez des patients ayant un SGT. Principalement, il s’agit des difficultés d’endormissement ou de maintien du sommeil ainsi que des parasomnies [12, 35]. Les enregistrements polysomnographiques des patients ayant un SGT ont montré des anomalies qualitatives du sommeil avec une augmentation de la latence d’endormissement, une diminution de la durée du sommeil efficace, une prolongation du sommeil léger après l’endormissement, et une altération du sommeil lent profond. Les tics accompagnent chaque phase de sommeil mais sont particulièrement présents lors des phases d’éveils, ou lors de mouvements périodiques des membres inférieurs, de parasomnies, et d’apnées du sommeil [12, 35, 75]. Différentes caractéristiques cliniques et étiopathogéniques sont communes au SGT et au syndrome des jambes sans repos: au désir de bouger les jambes sont associés une sensation ou un besoin prémonitoire de le faire; aggravation des symptômes en fin de journée; mouvements périodiques des jambes durant la nuit; implication du système dopaminergique et des circuits fronto-striato-corticaux dans la pathogenèse du trouble [43, 48, 75]. Dix pour cent des patients ayant un SGT auraient également un syndrome des jambes sans repos et cette prévalence pourrait être sous-estimée, en partie du fait de la confusion entre TDA/H, tics complexes et compulsions [43].
Traitement des Tics
Traiter un patient ayant un SGT nécessite une évaluation complète des tics et de leur sévérité, des troubles comorbides ainsi que de leur retentissement sur le fonctionnement du patient. Le traitement des tics et des troubles comorbides doit être priorisé en fonction du retentissement induit par chacun des troubles. Dans tous les cas, les médecins doivent savoir que la diminution des symptômes peu après l’introduction d’un traitement ne signe pas nécessairement l’efficacité du traitement, mais peut témoigner de l’évolution naturelle de la maladie (compte tenu du caractère très fluctuant des symptômes au cours du temps) ou d’un effet placebo (les patients ayant un SGT sont très répondeurs aux placebos).
Traitements Non Pharmacologiques
Diverses thérapies comportementales ont été proposées aux patients ayant un SGT comme alternatives aux traitements médicamenteux (techniques de conditionnement opérant, entraînement à la prise de conscience, réversion des habitudes, apprentissage de la relaxation, biofeedback, hypnose), mais sans grande efficacité. Une petite étude comparant la relaxation à une thérapie «minimale» dite «contrôle» a montré que la relaxation pouvait être sensiblement plus efficace [6], mais de courte durée. La technique de réversion des habitudes semble également être plus efficace qu’une simple thérapie de soutien [76]. L’effet semble se prolonger à distance de l’interruption de la thérapie puisque les effets bénéfiques sont encore perceptibles 10 mois après l’arrêt de celle-ci [76]. Cette technique de réversion des habitudes paraît plus efficace sur les tics vocaux que moteurs [78]. Enfin, il n’existe pas ou peu de littérature scientifique ayant montré l’efficacité de thérapies alternatives telles que l’acupuncture [79] ou les régimes diététiques. (supplémentation vitaminique, complément protéique).