L’enfant à Protéger. Protection de L’enfance

24. L’enfant à Protéger. Protection de L’enfance

Structures Médico-Sociales



Si les statistiques les plus récentes peuvent, à juste titre, susciter un émoi certain, il ne faudrait cependant pas oublier qu’aux siècles précédents l’enfant fut une victime fréquente, bien plus fréquente qu’actuellement, de mauvais traitements. Outre les infanticides nombreux jusqu’au xixe siècle, l’abandon était une pratique quasi courante (121 000 enfants recueillis donc abandonnés en 1835 à Paris!); les placements nourriciers connaissaient une mortalité effrayante; enfin les conditions dans lesquelles on faisait travailler les enfants s’apparentaient à une maltraitance quasi institutionnelle; quant aux punitions et aux sévices corporels, il faut attendre le début du xxe siècle pour qu’on commence à les considérer comme des attitudes blâmables (cf. l’arrêté du ministère de l’École publique du 18.01.1887 modifié le 12.07.1918 pour les punitions à l’école primaire) (cf. C. Mignot: La place et le sort de l’enfant dans la société de l’ancien régime à nos jours. In: L’enfant maltraité, 1993).

Les premières publications de A. Tardieu (1837, 1879) sur les sévices et les attentats aux moeurs établissant la réalité des mauvais traitements et des abus sexuels sur mineurs n’auront, à leur époque, aucun écho.

La banalité relative de la maltraitance explique peut-être qu’il ait fallu attendre le milieu du XXe siècle pour véritablement en décrire le tableau clinique.


Quant aux abus sexuels, après une longue période de silence, les multiples campagnes d’information et de prévention en ont permis une approche moins passionnelle. Leur fréquence et ce qui semble être une augmentation régulière posent un véritable problème de société.


L’ENFANT MALTRAITÉ

Selon le rapport général de la santé en France (novembre 1994, la Documentation Française éd.) «40 000 enfants sont chaque année signalés et pris en charge par la justice ou l’aide sociale à l’enfance. Les mauvais traitements occasionnent au moins 600 décès par an et un nombre important bien que difficilement chiffrable avec précision d’incapacité physique et plus encore de troubles importants du développement psychoaffectif».

Violence physique et violence sexuelle vont assez souvent de pair mais pas toujours. Dans son enquête de 1993 auprès d’adolescents de 11 à 19 ans interrogés sur les antécédents de violences physiques et/ou sexuelles subies, M. Choquet donne les chiffres suivants (tableau 24-I). Les garçons sont plus souvent que les filles victimes de violences physiques et il est rare quand ils sont victimes de violence sexuelles qu’ils ne soient pas aussi victimes de violences physiques. Les filles sont plus souvent que les garçons victimes de violences sexuelles (3 à 4 filles pour un garçon) mais il y a plus de filles qui subissent des «violences» sexuelles sans violence physique associée (l’inceste «séduction»).




























Tableau 24-I — Violence déclarée par les adolescents (%).
(INSERM U 169, 1993)

Garçons Filles Total
A. N’ont jamais été victimes de violence 78,6 87,3 83,1
B. Ont été victimes de violence physique seule 19,3 7,1 13,1
C. Ont été victimes de violence sexuelle seule 0,9 2,7 1,8
D. Ont été victimes de violences physique et sexuelle 1,2 2,9 2

Nous aborderons successivement la maltraitance physique puis l’abus sexuel en sachant donc les associations possibles.


Enfin, il faut aussi évoquer les sévices moraux: bien que moins apparents, ces sévices moraux représentent une autre manière d’exercer la violence à l’encontre d’un enfant, violence plus subtile et peut-être plus dommageable aussi sur le plan psychologique. Le catalogue des sévices moraux dresserait en réalité le tableau des capacités d’invention humaine au service de l’agressivité, c’est dire qu’il n’y a pas de limite depuis les contraintes du corps (bras en l’air, immobilité physique, attitudes diverses imposées, etc.) jusqu’aux contraintes morales. La ligne de partage entre la réprimande ou la menace banale et la violence morale est loin d’être évidente. Pour notre compte il nous semble que la dimension pathologique est atteinte lorsque la jouissance à punir l’emporte sur la stricte nécessité éducative. Nous reviendrons sur ce point.

Nous rejoignons à travers cette énumération la définition de l’enfant maltraité, qui a été donnée par un groupe de travail de l’ODAS (Observatoire national de l’action sociale décentralisé): «L’enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes ayant des conséquences graves sur son développement psychique et psychologique».


SÉVICES À ENFANT


Fréquence

Il est difficile de définir avec rigueur l’incidence de la maltraitance à enfants. D’abord parce que celle-ci dépend de la définition même de la maltraitance: considère-t-on les seuls sévices physiques, la maltraitance sexuelle, les deux, la négligence grave… Ensuite parce qu’il n’y a pratiquement aucune enquête en population générale: la plupart des évaluations représentent des extrapolations à partir de populations cliniques (enfants hospitalisés) ou d’enquêtes très localisées. En France on cite souvent le chiffre de 40 à 50 000 enfants maltraités, chiffre qui est une extrapolation à partir d’une recherche effectuée en 1974 dans la région parisienne. L’enquête hospitalière par autoquestionnaires auprès d’adolescents de 11 à 19 ans, nous apprend qu’environ un garçon sur cinq et une fille sur dix auraient été victimes de violence physique avec ou sans abus sexuel (cf.tableau 24-I: cumul lignes B + D).



Le décès d’enfants à la suite de mauvais traitements, pour être rare, n’est pas exceptionnel.


Description clinique

Nous ne décrirons pas en détail le syndrome clinique qu’on retrouvera aisément dans la majorité des manuels de pédiatrie. En effet, c’est le plus souvent au médecin généraliste ou au pédiatre (du service de PMI, du service hospitalier) qu’incombe le diagnostic de sévices chez l’enfant.

Nous décrirons en revanche les manifestations psychologiques et psychopathologiques en particulier en terme d’interaction déviante.

Nous insisterons également sur le dispositif à mettre en place pour la prévention des rechutes et les soins psychologiques nécessaires tant à l’enfant qu’à la famille.


Symptômes physiques

Nous ne ferons que rappeler les lésions dermatologiques (ecchymoses, hématomes, brûlures de cigarettes, fer à repasser, eau chaude, griffures, traces de liens, etc.), les fractures (syndrome de Sylverman), les hématomes sous-duraux. L’état général peut être atteint (hypotrophie, retard staturopondéral) mais pas toujours.


Troubles du comportement

Ils s’observent à partir de 12-18 mois. Outre le mauvais état général, certains enfants se montrent craintifs à l’excès, guettant du regard l’approbation de l’adulte avant de s’autoriser le moindre geste, paraissant figés. Le moindre mouvement de l’adulte provoque de leur part un geste de protection. On a décrit chez certains enfants un état de «vigilance glacée» (Kempé, 1978), c’est-à-dire une attention anxieuse et immobile portée à l’entourage comme si l’enfant scrutait anxieusement l’environnement pour y déceler un danger potentiel ou pour découvrir et anticiper le désir de l’autre. À l’opposé, certains font preuve d’un manque de réserve étonnant: ils vont trop facilement vers l’étranger, ne paraissent pas s’inquiéter du départ de leur parents, établissent aussitôt avec les infirmiers une relation trop immédiate ou trop régressive. Cette familiarité, cette absence de crainte de l’étranger révèle la distorsion profonde de la relation avec les parents.



Troubles affectifs

Ils sont très fréquents, directement exprimés à travers les peurs, les difficultés de sommeil avec cauchemars ou terreurs nocturnes, perceptibles dans la «vigilance glacée», ou conduisant aux habituelles manifestations réactionnelles: instabilité, agitation, agressivité. Les troubles de la série dépressive commencent à être mieux connus. La dévalorisation, la perte d’estime de soi et plus encore la culpabilité sont fréquentes (cf. la description de la dépression chez l’enfant, chap. 16, L’épisode dépressif de l’enfant). À titre d’exemple, dans une population de 56 enfants âgés de 7 à 12 ans victimes de mauvais traitements, J. Kaufman (1991) note que 27% des enfants présentent un état clinique répondant aux critères du DSM-III-R, soit pour l’épisode dépressif majeur, soit pour la dysthymie. Les enfants victimes de sévices développent souvent le sentiment que si leurs parents les battent, c’est parce qu’ils ont fait des bêtises et qu’ils sont de «méchants enfants». En clair, ils se sentent coupables des coups qu’ils reçoivent. Il faut noter d’ailleurs que ce sentiment de culpabilité diffus peut conduire ces enfants à des attitudes qui induisent les passages à l’acte parental. Quelle que soit la dynamique interactive, chez les enfants victimes de sévices, le sentiment de culpabilité peut être intense, entraînant un véritable état dépressif, trop souvent méconnu et négligé des cliniciens et des intervenants sociaux. Cet état dépressif ajoute ses propres complications aux conséquences directes des sévices.


Retentissement social

Les difficultés scolaires (difficultés de concentration, agitation, non respect des consignes) puis l’échec scolaire sont, sinon constants, du moins très fréquents accentuant l’interaction négative parents-enfant et le vécu de dévalorisation de ce dernier. Les troubles du comportement avec les autres enfants (agressivité, impulsivité) aboutissent à un isolement social ou à des relations avec les seuls enfants agités, agressifs, ce qui participe là aussi au cercle vicieux dévalorisation-exclusion.


Diagnostic


Le problème de l’aveu des parents est trop souvent au centre de la démarche quasi policière de l’enquête pédiatrique. À ce niveau tout existe, depuis les parents qui annoncent tantôt dans un contexte de lourde culpabilité, tantôt avec une innocence feinte ou non, les brutalités, jusqu’aux parents niant farouchement tout mauvais traitement, rejetant la faute sur l’enfant (il est tombé) ou sur un tiers (on l’a poussé), en passant par ceux qui «avouent sans avouer», avec une note perverse évidente du style: «Je l’ai laissé tomber» ou «Il a dû marcher sur la cigarette».

L’aveu ou le non-aveu n’entraîne d’ailleurs aucune incidence sur l’évolution ultérieure de l’enfant.



Contexte psychologique


Du côté des parents

Le regard s’est d’abord porté de leur côté pour chercher les causes profondes de leur comportement.

Notons d’abord les facteurs de morbidité générale: faible niveau socioéconomique (encore que cela soit de moins en moins vrai), promiscuité et exiguïté du logement, fréquence des situations familiales irrégulières (séparations, remariages, monoparentalité).

Les mères sont âgées en moyenne de 26 ans, les pères de 30 ans. L’étude des antécédents des parents est très éclairante. Une grande partie d’entre eux ont connu une enfance difficile (solitude, carence de soins ou carence affective, placements multiples). Il n’est pas rare qu’eux-mêmes aient été victims de mauvais traitements parfaitement intégrés dans leur schéma éducatif et leurs identifications parentales. La mère apparaît fréquemment comme immature, égocentrique et narcissique. Le désir de réparation de sa propre carence représente souvent le facteur motivant essentiel pour avoir un enfant. Dans ce cas, une satisfaction magique, un bien-être, un apaisement du sentiment de carence sont attendus de la part de l’enfant: la mère ne tolère pas les soucis inéluctables que ce dernier suscite. Ainsi, à titre d’exemple, quand son enfant pleure, la mère ne considère pas que ces pleurs témoignent d’un malaise chez l’enfant, quel qu’il soit (faim, besoin de dormir, couches sales, etc.), mais que ces pleurs traduisent la colère de l’enfant à son égard, que le bébé est méchant, qu’il lui en veut. De même quand il salit ses couches, ce n’est pas parce qu’il avait simplement besoin de faire ses selles, c’est parce qu’il avait l’intention délibérée d’ennuyer sa mère ou de lui nuire. Chez ces mères très carencées, aux défaillances narcissiques profondes, toutes les conduites de l’enfant sont ressenties par rapport à leur propre besoin; chaque manifestation du bébé ou de l’enfant qui témoigne d’un fonctionnement autonome et qui ne comble pas nécessairement ces défaillances parentales est ressentie comme une attaque, un désaveu ou au minimum un reproche. À ce fond de carence s’associe une impulsivité fréquente, les sévices survenant dans un contexte de décharge agressive impulsive. Ainsi certains parents anxieux, eux-mêmes carencés dans leur enfance, sont profondément angoissés par les pleurs de leur bébé, pleurs qui réactivent leurs anciennes frustrations et détresse et qu’ils veulent faire cesser aussitôt en cherchant à satisfaire le bébé: n’y arrivant pas, ils déchargent leur angoisse par le passage à l’acte impulsif mais aussi agressif.


Les deux membres du couple sont habituellement impliqués ensemble. Il est rare que les sévices soient ignorés par l’un des parents. Le plus souvent l’un d’eux est l’acteur, mais l’autre soit accepte tacitement, soit même provoque le passage à l’acte. Il se conduit souvent en complice, en s’arrangeant pour trouver des excuses, dissimuler les sévices ou la négligence. Lorsqu’existe cette connivence active entre parents, le pronostic paraît particulièrement inquiétant. Le déni, la dénégation sont fréquents, souvent associés à des attitudes de séduction, d’apparente «gentillesse» avec l’enfant en présence du consultant ou des intervenants sociaux.

L’existence d’une pathologie psychiatrique manifeste chez l’un ou les parents est diversement évaluée; Strauss relève un pourcentage élevé d’alcoolisme (30%) et de débilité (30%) chez l’un ou les parents. Selon Kempé (1978) la majorité des parents maltraitants ne présente pas une pathologie mentale spécifique; toutefois pour 10% d’entre eux la pathologie mentale constitue un signe de mauvais pronostic. Ces 10% se répartissant de façon à peu près égale en parents souffrant d’une psychose hallucinatoire incluant l’enfant (2% environ), parents psychopathes très impulsifs (2 à 3%), parents pervers (1 à 2%) et parents fanatiques ou idéalistes, type «témoins de Jéhovah» (2 à 3%). La toxicomanie de l’un ou des deux parents est de plus en plus souvent rencontrée.


La majorité des parents présente en réalité des perturbations qui ne s’inscrivent pas dans une catégorie nosographique précise mais qui appartiennent au cadre des troubles de la personnalité dominés par la carence narcissique et l’immaturité.


Du côté de l’enfant

Après une période d’attitude inquisitoriale à l’égard des parents, les regards se sont tournés vers l’enfant lui-même, d’autant que, quand il y a des fratries nombreuses, la victime peut être unique.

L’enfant occupe parfois une place particulière: enfant adultérin, handicapé moteur ou psychomoteur. Il faut surtout signaler l’extrême fréquence d’antécédent de prématurité (26% chez les enfants victimes de sévices contre 6 à 7% dans la population générale) et d’antécédents d’hospitalisation (38%) ou de placements divers (40%).

Lorsqu’on interroge les parents sur les caractéristiques propres de l’enfant victime de sévices, plus d’un tiers des parents se plaignent de difficultés précoces avec cet enfant (sommeil et alimentation en particulier), révélant des conditions d’élevage difficiles souvent vécues par les parents ainsi que cela a déjà été dit, comme des manifestations d’agressivité ou de désaveu de l’enfant à leur égard. L’ensemble de ces éléments conduit à évoquer la notion d’«enfant cible» autour duquel s’organisent les interactions les plus pathologiques.


Approche psychopathologique de l’interaction parent-enfant battu

L’existence d’une interaction agressive et de sévices exercés par l’un des parents sur son enfant risque de perturber durablement l’organisation de la personnalité de ce dernier. Outre les séquelles concernant les lésions traumatiques (en particulier encéphalopathies déficitaires à la suite de traumatisms crâniens parfois répétés, d’hématomes intra ou extracérébraux, etc.), les «séquelles psychopathologiques» s’observent à divers niveaux. Au plan de la personnalité, sous-jacent aux troubles du comportement déjà décrits (soit sur le versant de l’inhibition, soit sur celui de l’instabilité-agitation), il s’agit toujours d’enfants qui ont des difficultés à développer un sentiment d’identité stable et satisfaisant. Ils doutent toujours d’eux-mêmes, n’ont aucune bonne estime d’eux-mêmes. Ils ont tendance à dévaloriser et mésestimer ce qu’ils font et par conséquent ne s’attachent pas à réussir la moindre tâche: la difficulté, le début de l’échec dans leurs réalisations provoquent aussitôt l’abandon et le retrait. N’attendant rien de bon de l’adulte, ils ne cherchent pas à communiquer avec lui, à exprimer leur vécu interne: les capacités de communication sont en général médiocre comme en témoigne la fréquence du retard de langage.


L’ensemble de ces éléments explique la fréquente dimension depressive où se mêlent à la fois un sentiment fréquent d’accablement (il n’y a rien à attendre de l’environnement qui répond toujours par des passages à l’acte agressifs quelles que soient les initiatives prises par l’enfant) et un sentiment de culpabilité (pour préserver une image pas trop négative du parent).

Aux tests projectifs on retrouve habituellement des difficultés à intégrer les images paternelles et maternelles, associées à une vive anxiété, d’où fréquemment des flottements et des incertitudes dans la propre image du corps et dans l’identité sexuée de l’enfant.

Quelle que soit l’organisation de la personnalité ultérieure, deux types de mécanismes de défense semblent fréquents: l’identification à l’agresseur, l’érotisation secondaire des sévices. Un élément paraît fréquent au fur et à mesure que l’enfant grandit: habitué et élevé dans une relation de violence, il en vient peu à peu à la considérer comme quasiment normale, puis dans un second temps, comme le mode d’échange privilégié avec son parent. Sur le plan psychopathologique se situe d’abord un noeud privilégié du fonctionnement mental: l’identification à l’agresseur est, comme l’a bien montré A. Freud, l’un des principaux mécanismes mentaux grâce auquel l’enfant se défend des inévitables envahissements de l’environnement. L’enfant battu est placé dans des conditions «expérimentales» d’identification à l’agresseur d’autant plus qu’ici, l’agresseur est une image naturelle d’identification: l’un des parents. Il peut utiliser ce mode défensif en subissant la relation avec l’adulte puis ultérieurement en agressant le reste de l’entourage, en particulier les autres enfants et en développant une instabilité réactionnelle qui, à son tour, sert de justification ou de renforcement de la conduite agressive de l’adulte.

Le second palier après ce niveau d’identification à l’agresseur est marqué par l’érotisation secondaire de la relation parent-enfant centrée autour de la relation agressive. Arrivé à ce point, se trouve nouée une relation hautement pathologique entre un adulte dont les décharges agressives peuvent être objet direct de jouissance ou source de culpabilité et un enfant qui érotise secondairement sa souffrance, et pour lequel le masochisme tend à devenir une position privilégiée, puis recherchée d’autant que l’enfant peut trouver une satisfaction inconsciente à «posséder» l’adulte en déclenchant le passage à l’acte. Une situation relativement stable où l’enfant induit la décharge agressive de l’adulte risque alors de bloquer toute possibilité évolutive. Un tel type d’interaction peut se mettre en place alors que l’enfant est encore très jeune, dès 2 ans 1/2-3 ans.



La réponse première aux sévices

La gravité du pronostic (risque de mortalité et de séquelles physiques ou psychiques), la fréquence des récidives en l’absence de mesures appropriées, montrent la nécessité d’adopter une conduite de prévention.


Le consultant

Généraliste, pédiatre, rarement pédopsychiatre, il est souvent mal placé pour entamer cette action. Toutefois la loi du 15 juin 1975 précise que «les médecins ont la faculté de porter à la connaissance des autorités les sévices ou privations à enfants dont ils peuvent avoir connaissance» (ce qui n’est pas une obligation). Cette loi lève ainsi dans ce domaine, la nécessité du secret médical. Cependant la majorité des consultants ne voit pas ces enfants ou ne les voit pas au moment des sévices.

Le plus souvent ce sont le médecin de PMI, le médecin scolaire ou le médecin hospitalier mais surtout les travailleurs sociaux (assistantes sociales, éducateurs spécialisés) qui «découvrent» la probabilité de sévices ou les sévices proprement dits. Exceptionnellement l’entourage, le milieu scolaire, les voisins signalent ces cas.


Les services à alerter


S’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives».

Le nouveau code de déontologie médicale (décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995) rappelle l’importance absolue du secret professionnel (article 4) mais précise que «le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que son intérêt et/ou sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage» (article 43).

Pour de plus amples informations ou précisions, nous conseillons la lecture d’ouvrages spécialisés, en particulier: Strauss P., Manciaux M.: L’enfant maltraité, 1993; G. Raymond: Droit de l’enfant et de l’adolescent, 1995 (références en fin de chapitre).

On peut établir une sorte de hiérarchie dans la gravité des signalements:


– les services de PMI avec à leur tête un médecin-chef départemental peuvent assurer la surveillance médicale si les parents l’acceptent. Un service d’assistantes sociales ou de puéricultrices qui peuvent aller à domicile, représente souvent un relais utile aux consultations médicales;


– le service de l’Aide sociale à l’enfant (ASE) en dehors de ses institutions propres (cf. Protection de l’enfance et structures médico-sociales) peut aider la famille financièrement lorsque la situation économique paraît un des éléments prédominants. Il dispose également d’assistantes sociales ou de travailleurs sociaux à domicile pouvant assurer l’encadrement et le soutien souhaitable dans la famille consentante;


– le juge des enfants (pour plus de détails voir Services dépendant de la justice) représente le recours nécessaire lorsque le diagnostic paraît suffisamment sûr et que les parents s’opposent aux mesures précédentes. Il peut être saisi par quiconque. Il dispose à la fois d’une «puissance morale» et de moyens légaux propres à imposer la surveillance nécessaire. Son action peut se limiter à suggérer et faire accepter aux parents la surveillance par les services de PMI ou de l’ASE, sans autre contrainte. Si les parents s’y refusent, il prend alors une ordonnance de protection et de surveillance: les consultations deviennent obligatoires.



Le projet thérapeutique

Après la phase d’évaluation nécessairement pluridisciplinaire, un projet thérapeutique doit être élaboré avec à l’esprit un certain nombre d’impératifs (D. Girodet, In: L’enfant maltraité, 1982):


– prendre en compte les besoins de l’enfant et ceux des parents;


– inscrire toute décision thérapeutique dans une perspective à long terme;


– se donner les moyens d’évaluation et de suivi.

Pour ce qui concerne le pédopsychiatre et à un moindre degré le psychologue, c’est en général pour les cas les plus graves et souvent en fin de parcours qu’il est amené à rencontrer l’enfant victime de sévices et ses parents. Il les voit en effet soit à la demande des services de PMI ou de l’ASE, soit directement comme pédopsychiatre dans une équipe AEMO, soit enfin comme responsable d’une institution ou d’un service de placement familial. De toute façon, il intervient dans les cas les plus difficiles, ceux où les conseils éducatifs, l’aide bienveillante des services sociaux a échoué ou a été refusée.

Un certain nombre de malentendus doivent d’abord être levés: les parents qui battent leur enfant ne le font pas toujours dans un climat de malveillance consciente et manifeste. Généralement ils sont débordés par leur propre réaction agressive et peuvent éprouver à l’égard de leur enfant un profond attachement. D’autres se sentent dépouillés de leurs fonctions de parents par ces interventions multiples, la violence faisant partie, selon eux, de ces fonctions (soit par identification à leurs propres parents, soit du fait d’un contexte culturel différent du contexte occidental: ils ne comprennent pas le sens de ces interventions). De son coté, l’enfant est souvent profondément attaché à ses parents malgré ce qu’il subit.

Ces remarques sont d’autant plus importantes que l’enfant est grand. À l’évidence, chez le nourrisson, la pathologie parentale est au premier rang, mais très vite chez l’enfant de 3-4 ans peut s’instaurer une interaction pathologique où l’identification à l’agresseur et l’érotisation masochique secondaire de l’enfant vont constituer des incitations à la pathologie parentale avec pour résultat l’établissement d’un cercle vicieux difficile à interrompre conduisant au risque de récidive.

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Jun 8, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on L’enfant à Protéger. Protection de L’enfance

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