La scolarité à l’adolescence


La scolarité à l’adolescence1


Ce chapitre est consacré aux interactions entre l’adolescent et sa scolarité. Cette dernière ne se résume pas à l’enseignement et à sa conséquence, l’acquisition des connaissances. En effet, la scolarité se caractérise également par un lieu de vie ou une succession de lieux de vie, par des rencontres multiples avec des adultes qui sont autant de modèles identificatoires ou contre-identificatoires, par la poursuite de buts personnels et sociaux dont l’intrication est le plus souvent complexe. Cette complexité amène parfois en retour des points de vue simplificateurs mais caricaturaux en particulier sur l’analyse des difficultés scolaires. En effet pour expliquer celles-ci, se renvoient volontiers dos à dos un point de vue moral (l’échec est dû à la paresse de l’adolescent), un point de vue médical (l’échec est dû à un trouble organique ou psychique) ou même un point de vue exclusivement social (l’échec est dû à la seule inadaptation des structures scolaires actuelles). Toute attitude simplificatrice à visée souvent polémique est dénuée de bon sens, et n’aide pas à trouver une solution.


Obligatoire jusqu’à 16 ans, la scolarité des jeunes adolescents se réalise au collège. Ensuite elle se poursuit pour certains au lycée. Personne ne peut nier que les résultats scolaires obtenus à cette étape de la vie engagent l’avenir professionnel, social et éventuellement personnel. Le problème est d’autant plus sérieux que la nécessité d’une orientation surgit à une période où l’individu vit un moment de crise dont le devenir est quant à lui variable. En cas d’échec ou de fléchissement scolaire durable, il est donc utile mais parfois difficile de faire la distinction entre :




Collège et lycée : ce que la scolarité mobilise


L’entrée en sixième marque pour chacun un cap dont il se souvient. Si le changement de type d’enseignement est commun à tous, parfois s’y associe un changement de lieu. Parallèlement les premiers signes pubertaires apparaissent, certains vivant même le déroulement complet de leur puberté au cours de la classe de sixième.


L’entrée en quatrième succède à une orientation qui détermine, malgré les passerelles toujours possibles, le type d’enseignement et par là même le type d’activités professionnelles de toute une vie. Cette entrée en quatrième marque pour certains la continuité du type de scolarité qu’ils ont connu antérieurement. Pour d’autres, la première année de CAP ou la classe préprofessionnelle de niveau sont une première transition vers leur vie professionnelle proche. Parallèlement tous les garçons et les filles sont généralement devenus des adolescents pubères à la fin de cette classe.


L’entrée en seconde succède à une nouvelle orientation et ne concerne plus qu’un nombre limité d’adolescents : les lycéens. De la scolarité obligatoire nous sommes passés à la scolarité « volontaire ». Ce « volontariat » soulève des questions où s’affronteront parfois les parents et leurs adolescents ; certains parmi ces derniers souhaiteront en effet changer d’orientation ou même interrompre leurs études pour des raisons souvent conflictuelles et affectives dont ils ne perçoivent pas toujours l’origine.


Enfin, la première et la terminale restent en France deux années de scolarité ponctuées par un examen dont l’importance soulève une angoisse subjective qui survient à une période où le développement des potentialités affectives, relationnelles et sociales s’oppose à la nécessité de rétrécir son champ d’intérêt pour être reçu en fin d’année.


Comme le montre la succession des réformes, l’enseignement secondaire cherche à s’adapter à l’hétérogénéité des enfants, de leurs niveaux et de leurs intérêts. À ce noble projet, se heurtent d’une part les exigences et les inégalités sociales, d’autre part le processus intrapsychique que traverse tout sujet à cette période et dont l’instabilité, le tumulte et l’intermittence entravent un déroulement idéalement harmonieux où l’on pourrait répondre à tous les problèmes de formation et d’avenir.



La place de la scolarité dans la vie de l’adolescent


Plusieurs enquêtes psychosociologiques nous permettent de situer la place de la scolarité dans la vie de l’adolescent. La Fédération nationale des écoles de parents et d’éducateurs a demandé à un échantillon d’adultes ce qui les préoccupait au moment de l’adolescence : les études viennent en seconde position (62 %), précédées par les relations avec les amis/amies (69 %), suivies par les loisirs-sorties (61 %), l’avenir professionnel (60 %), les conditions de la vie (53 %), les relations amoureuses (53 %), et enfin les relations avec les parents (48 %)… Cette même enquête a montré que, pour les parents, les sujets de discussion avec les adolescents portent essentiellement sur les résultats scolaires (n’en discute pas 1 % ; en général d’accord 66 % ; en général pas d’accord 31 %). Ceci est confirmé dans une autre enquête du même organisme auprès des adolescents eux-mêmes. À titre comparatif, les liaisons amoureuses semblent un sujet encore intime ou peut-être tabou (n’en discute pas 49 %, en général d’accord 34 %, en général pas d’accord 8 %).


Par ailleurs, comme le montre une enquête de G. Vincent (1974) auprès de 4 000 lycéens, l’adolescent attend de l’école autant un développement personnel qu’une préparation à la vie professionnelle.


Ce dernier point nécessite une définition de la scolarité plus large que celle d’une simple activité d’enseignement et d’acquisition des connaissances. La preuve nous en est fournie au niveau de l’école elle-même par l’intérêt pour les ateliers, les clubs ou les loisirs organisés ou prenant naissance dans le cadre scolaire. De même, le temps et l’espace qui se situent entre la maison et l’école, sur le chemin de l’école ou du lycée sont remplis d’activités, de rencontres et d’échanges qui entravent parfois l’acquisition des connaissances elles-mêmes, mais qui le plus souvent représentent une aire de transition indispensable entre deux modes de vie qui prennent à cet âge toute leur importance dans la dynamique du dedans et du dehors, du passé et du futur, du familier et de l’étranger, du groupe familial et du groupe social. Enfin, la participation à son développement personnel qu’attend l’adolescent de l’école questionne l’enseignant confronté lui aussi à un individu en plein développement et en crise. Ce dernier pourra être le représentant de plusieurs fonctions vis-à-vis desquelles il aura parfois des difficultés à se situer ou à se dégager.



Les conditions d’une bonne scolarité


Il est difficile, voire même impossible, de prévoir si la scolarité d’un jeune adolescent sera satisfaisante pour lui et pour son entourage, cette seule dualité étant source de point de vue divergent. Sans négliger ce qui s’est passé au cours de l’enfance, nous pouvons évoquer les deux séries de facteurs auxquels toute scolarité est soumise au cours du CES et du lycée : ceux liés au développement de la scolarité, ceux liés au système scolaire lui-même.


À partir de la classe de sixième, période qui nous intéresse ici, les possibilités intellectuelles, psychomotrices et affectives de l’enfant se modifient profondément. Nous n’insisterons que sur les changements qui peuvent entraver le développement de la scolarité soit parce qu’ils ne se déroulent pas, soit parce qu’ils se réalisent trop brusquement ou trop intensément.


Au point de vue de l’évolution intellectuelle, comme l’a montré J. Piaget, l’enfant à partir de 12–13 ans devient capable d’abstraction. Il accède à la pensée dite formelle qui lui permet de déduire des conclusions à partir de pures hypothèses sans recours à une observation réelle ; les opérations logiques sont transposées du plan de la manipulation concrète au plan des idées seules ; il passe de la rédaction (raconter ses vacances) à la dissertation (qu’évoquent ces vacances ?) ; il passe du calcul au problème. Les difficultés d’accès à la pensée abstraite renforceront pour certains les difficultés d’attention et d’intérêt pour la scolarité.


Aux différences entre la pensée concrète et la pensée abstraite s’ajoutent celles plus récentes entre la pensée divergente et la pensée convergente mises en évidence par J.P. Guilford (1957) : « Dans les tests de pensée convergente, il y a presque toujours une seule conclusion ou une seule réponse considérée comme valable, et la pensée doit être canalisée ou contrôlée pour arriver à cette réponse… Dans la pensée divergente d’autre part, la recherche se fait dans de nombreuses directions. On le remarque aisément quand il n’existe pas de solution unique. La pensée divergente… se caractérise… par une plus grande dispersion. Liberté est laissée d’aller dans différentes directions… Il est nécessaire d’abandonner les anciennes solutions et de se lancer dans une nouvelle direction, et un organisme plein de ressources aura plus de chances de réussir. »


Ces différences ne se limitent pas au processus cognitif (J.W. Getzels et P.W. Jackson, 1963) : « Les intelligents tendent à converger vers les significations stéréotypés, à imaginer leur réussite personnelle selon des critères conventionnels, à se rapprocher des modèles offerts par les professeurs, à rechercher des carrières qui se conforment à ce que l’on attend d’eux. Les créatifs tendent à s’écarter des significations stéréotypées, à faire preuve d’une imagination originale, à concevoir leur réussite personnelle d’après des critères originaux, et à rechercher des carrières qui ne concordent pas avec ce qu’on attend d’eux. »


Au point de vue de l’évolution psychomotrice, les transformations corporelles sont intenses, l’image du corps et le schéma corporel se transforment et, par là même, la représentation de l’espace et le contrôle tonico-moteur sont bouleversés. Le retentissement sur la scolarité est évident, aussi bien au niveau de l’exécution des tâches (écriture, travaux manuels, appropriation de l’espace) que de leur compréhension (une préoccupation corporelle trop grande démobilise l’adolescent pour ses opérations mentales). L’intérêt pour la gymnastique (contrairement à l’idée largement répandue) et les travaux manuels où le corps s’exerce et s’utilise, en sont un autre exemple. Ces transformations corporelles sont évidemment la conséquence physiologique de la poussée pubertaire qui a également un retentissement affectif et relationnel.


La transformation des possibilités affectives et relationnelles retentit aussi sur la scolarité. Des intérêts nouveaux émergent : la quête de l’autre sexe dans l’histoire où la littérature est mieux comprise, les difficultés des problèmes et l’intérêt de les résoudre sont associés aux préoccupations internes de l’adolescent vis-à-vis de lui-même et de son entourage ; le souhait d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis du milieu familial facilite l’exploration de champs d’intérêts personnels, de recherche d’identification à un auteur, à une idéologie à travers un leader, à une matière par l’intermédiaire d’un professeur. Mais ces nouvelles possibilités affectives et relationnelles sont aussi marquées par le poids de la révolte, de l’opposition ou de la transgression à l’égard des parents ou de leurs substituts : les professeurs peuvent apparaître comme ces substituts directs.


Nous voyons ainsi que les conditions d’une « bonne » scolarité à cet âge de la vie sont étroitement dépendantes des changements qui s’opèrent de l’enfant à l’adolescent ; il est nécessaire d’en tenir compte et d’en expliquer le déroulement aux parents inquiets ou parfois obnubilés sur les seules conséquences scolaires.


Mais ces changements peuvent également avoir pour origine le système scolaire lui-même. L’entrée en sixième en constitue un exemple : changement de matières enseignées, responsabilité plus grande donnée à l’élève dans la conduite de ses études et de son emploi du temps, multiplicité des professeurs et disparité de l’organisation de l’espace, du temps et des repères humains. De même, l’orientation vers un enseignement spécialisé (SES) pour les enfants présentant un déficit intellectuel ou vers des classes aménagées pratiques ou d’apprentissage pour les enfants présentant un intérêt centré sur les matières concrètes peut être la source de changement de projets antérieurs établis par la famille ou l’enfant lui-même. Le bien-fondé ou l’acceptation de ces changements est plus ou moins bien assumé. L’arrêt de la scolarité à 16 ans ou sa prolongation met l’enfant dans deux situations tout à fait différentes : dans le premier cas il rentre directement dans le monde du travail et des adultes ; dans l’autre, il poursuit souvent plus longuement son processus d’adolescence. S’il poursuit sa scolarité au lycée, le choix de la section et la possibilité de s’y maintenir dans le but d’obtenir un brevet ou le baccalauréat créent parfois des problèmes pour l’adolescent et pour la famille. Certaines sections seront valorisées par les parents et non pas par l’adolescent. Certaines sections selon les époques, seront plus valorisées par la société (actuellement les sections scientifiques). Les particularités du système scolaire induisent donc elles-mêmes une nécessaire et parfois arbitraire adaptation.


Ainsi, comme l’a montré une étude récente sur l’échec et la réussite scolaire, le médecin devra savoir que ces derniers dépendent d’un ensemble de facteurs et surtout de leurs interactions (niveau intellectuel, âge, origine socioculturelle, aspects émotionnels personnels et surtout milieu familial qui semble très impliqué dans les cas d’échec scolaire par l’insuffisance ou l’erreur éducative, la pauvreté des échanges affectifs ou du climat d’épanouissement). Citons également une autre étude sur les relations entre intérêts, aptitudes et notes scolaires des élèves de terminale qui conclut : « Le succès de certaines disciplines scolaires (notamment le français, l’algèbre et la physique) est aussi fortement lié sinon plus aux intérêts qu’aux aptitudes. » Au cours du CES et du lycée, les « conditions » d’une bonne scolarité sont donc multiples, mais sont essentiellement marquées par les capacités de l’enfant et de son entourage à réagir favorablement aux changements et aux ruptures qui caractérisent cette époque.



Étude clinique


Les difficultés scolaires à l’adolescence peuvent se présenter comme une suite « logique » des difficultés scolaires de l’enfance ou au contraire comme un problème nouveau surgissant à cette période. Elles sont isolées ou au contraire associées à d’autres types de difficultés, en particulier comportementales. Enfin, elles seront transitoires ou durables. Bien qu’une autre classification soit possible nous avons choisi de traiter en trois parties ce chapitre clinique des difficultés scolaires :




Les difficultés scolaires de l’enfance se perpétuant à l’adolescence


Il s’agit essentiellement de l’échec scolaire, terme réservé aux retards supérieurs à deux années. Les causes de cet échec sont variables :



• la débilité mentale. Comme pour l’enfant, la débilité mentale profonde ou moyenne entrave nécessairement la progression scolaire. En revanche, la progression scolaire dans le cas de débilité légère et surtout limite va dépendre d’une série de facteurs instrumentaux, affectifs, éducatifs et socioculturels. Rappelons ici pour mémoire que toute difficulté scolaire n’est pas équivalente évidemment de débilité ;


• les dysharmonies cognitives. Elles constituent un tableau psychopathologique caractérisé par des troubles et des insuffisances graves dans les processus de symbolisation (dyspraxie, dysgnosie, dyschronie) et entraînant de sévères difficultés dans les acquisitions scolaires, mais aussi sociales et professionnelles. Elles surviennent essentiellement chez des enfants et des adolescents marginaux, non débiles, dits caractériels, psychopathes, prédélinquants ou délinquants. La compréhension psychopathologique de ces tableaux est différente selon les auteurs : « processus dépressif permettant d’échapper à des angoisses insupportables » (B. Gibello, 1976) ou, au contraire, « discontinuité dans la représentation mentale des objets, conséquence de la discontinuité brisante dans la qualité des relations affectives précoces » (H. Flavigny, 1977). Ces enfants et ces adolescents se rencontrent essentiellement dans les établissements spécialisés ou les SES, en raison de leurs difficultés comportementales et cognitives.


Mais, l’immense partie des échecs scolaires s’inscrit dans des perturbations dont l’origine est variée : carence socioculturelle au sens large, carence familiale, mais aussi malmenage scolaire et inadaptation de l’école (incapacité ou difficulté des structures scolaires à s’adapter aux enfants et adolescents marginaux).



Les difficultés scolaires transitoires


Il s’agit des manifestations révélatrices inhérentes aux difficultés spécifiques du développement à cet âge. Nous y reconnaîtrons systématiquement le poids des changements affectifs et relationnels du processus de l’adolescence. Elles peuvent se résumer en deux grandes catégories : les hyperinvestissements scolaires et le fléchissement scolaire.



Les hyperinvestissements scolaires


Ils se manifestent par un intérêt quasi exclusif pour les activités scolaires et une réussite nettement au-dessus de la moyenne. Ils se distinguent en ce dernier aspect des fléchissements scolaires où certes l’adolescent paraît travailler beaucoup, mais sans aucune efficacité ; nous en reparlerons plus loin.


Ces hyperinvestissements scolaires se rencontrent dans deux cas :



• soit l’adolescent craint de sortir de son enfance, c’est-à-dire de la stabilité, de l’équilibre, de la bonne intégration et de la dépendance à l’égard des parents ; il contrôle puissamment son monde pulsionnel et manifeste des comportements enfantins pour son âge, il se réfugie dans une hyperactivité scolaire montrant dans ce domaine une hypermaturité qui n’est pas forcément de bon aloi à moyen terme. Les turbulences du processus de l’adolescence paraissent parallèlement gommées dans les différents registres de sa personnalité ; les enseignants les moins informés et les parents ne s’en plaignent généralement pas ; en revanche, le praticien s’il s’en rend compte doit en apprécier les risques. En effet, ces hyperinvestissements transitoires peuvent évoluer dans trois directions : soit parallèlement à l’absence de « crises », ils deviennent durables et ces adolescences « froides » ou « blanches » sont reconnues par leur caractère franchement psychopathologique ; soit ils s’inversent assez brusquement donnant l’impression d’une « lâchée » pulsionnelle où tout processus cognitif devient brusquement entravé ; soit heureusement ils s’allègent pour laisser apparaître progressivement un fléchissement transitoire commun à tout adolescent ;


• ailleurs l’adolescent réussit très bien sa scolarité mais présente des conduites psychopathologiques manifestes (drogue, gestes suicidaires, insomnie importante, anorexie, etc.) ; le décalage entre l’hyperinvestissement avec la réussite scolaire et les signes de souffrance de la personnalité doit faire craindre d’emblée une dysharmonie du développement.



Le fléchissement scolaire


Le fléchissement scolaire succède à une période de scolarité satisfaisante. À notre point de vue, il est présent dans le déroulement de la scolarité de tout adolescent. Dans la majorité des cas, il débute sans cause apparente si ce n’est les troubles que suscitent les différents éléments qui caractérisent le processus de l’adolescence : transformation corporelle, apparition des règles, survenue des premiers rapports sexuels, conflit identificatoire, etc. Parfois cependant, il apparaît réactionnel à des difficultés externes (maladie ou séparation des parents, décès, etc.). Il est difficile de préciser une classe au cours de laquelle sa survenue est plus fréquente si ce n’est la classe de quatrième et celle de seconde où nous l’avons plus volontiers observé. Il n’est sans doute pas anodin de constater que ces deux classes coïncident volontiers avec la mise en place des différents facteurs intrapsychiques qui caractérisent la première partie puis la deuxième partie de l’adolescence selon la différenciation de certains auteurs.


La description de ce fléchissement scolaire peut se résumer ainsi : sans raison apparente et de façon progressive, souvent au cours du premier trimestre de l’année scolaire, les résultats deviennent moins bons dans une matière ou dans plusieurs, sans pour autant que l’adolescent se plaigne concrètement d’un désintérêt pour sa scolarité. L’adolescent peut même, dans cette première phase, manifester un étonnement et une inquiétude vis-à-vis de ce fléchissement dont il a beaucoup de difficultés à exprimer l’origine ou les origines. Dans une seconde phase, ce fléchissement se modifie : il peut s’étendre à l’ensemble des matières ou, au contraire, concerner une seule matière, mais l’échec est alors massif dans celle-ci. De plus, ce fléchissement s’associe progressivement soit à un désintérêt manifeste à l’égard de la scolarité, soit à une fuite dans un travail qui est d’autant plus décevant qu’il paraît de moins en moins efficace.


Associé à ce fléchissement, un certain retrait du milieu familial, une certaine morosité impriment à la vie apparente de l’adolescent un aspect volontiers ralenti, entrecoupé de brèves réactions dans un domaine ou dans un autre dont la brusquerie étonne l’entourage. L’absentéisme scolaire peut se rencontrer, mais il est généralement modéré.


L’évolution de ce fléchissement scolaire est favorable dans la majorité des cas. Il est donc normalement transitoire. En revanche, il risque de devenir durable lorsque l’adolescent focalise sur ce fléchissement l’image qu’il a de lui-même (risque d’entrer dans la névrose d’échec par exemple).


D’un point de vue psychologique, ce fléchissement apparaît comme la conséquence directe des différents changements caractéristiques de l’adolescence.


Le déplacement de l’érotisation du corps sur l’activité de pensée est un premier aspect. La surprise que constitue la puberté et l’érotisation du corps qui s’ensuit sont déplacés par l’adolescent sur l’activité de pensée et s’accompagnent d’une inhibition à l’activité intellectuelle et créatrice, associées à une inhibition sexuelle ou au contraire à une activité hautement proclamée, cherchant tout autant à éteindre la nouveauté et la surprise (E. Kestemberg, 1980).


Associée à des degrés variables aux précédents, la dimension dépressive (voir chap. 9, Clinique) est une seconde cause de ce fléchissement. L’humeur dépressive, l’ennui ou la morosité vont retentir sur l’activité intellectuelle, la ralentir et être à l’origine d’un désintérêt grandissant. Le vide dépressif s’exprime clairement dans les difficultés que ressent l’adolescent à suivre une pensée dans un exposé, une lecture ou un exercice scolaire.


Enfin, la dynamique entre l’adolescent et ses parents s’exprime et s’organise parfois de façon privilégiée à propos de la scolarité : le fléchissement devient alors l’enjeu des différents conflits qui sous-tendent cette dynamique. Le fléchissement scolaire peut même avoir une fonction homéostatique conflictuelle.



Les difficultés scolaires durables


Nous entrons ici dans un champ franchement pathologique : les difficultés durent et s’organisent en un système stable.


Tout d’abord, il peut s’agir d’une évolution défavorable des difficultés transitoires évoquées précédemment. Un hyperinvestissement scolaire qui se perpétue envahi souvent le fonctionnement psychique de l’adolescent dont l’activité scolaire mobilise tous les mécanismes de défense vis-à-vis de son monde pulsionnel. Il s’agit souvent des adolescents chez lesquels le processus de l’adolescence peut lui-même être absent, ce que le sujet risque de payer fort cher à un moment ou à un autre de sa vie.


De même, un fléchissement scolaire qui dure peut se transformer en un réel échec scolaire avec toutes les conséquences qui s’ensuivent pour l’avenir du sujet. Sur un plan psychopathologique le fléchissement durable est surtout le signe d’une entrave beaucoup plus profonde au déroulement du processus de l’adolescence. La preuve en est, au point de vue symptomatique, qu’à ce fléchissement scolaire durable s’associent quasi systématiquement des symptômes dans d’autres registres du fonctionnement : registre corporel avec apparition de conduites anorectiques ou boulimiques, registre comportemental avec d’éventuelles conduites toxicomaniaques, délinquantielles ou même suicidaires, enfin registre névrotique ou même psychotique.


Nous rencontrons ici des adolescents dont les attitudes d’échec, les sentiments dépressifs ou les difficultés importantes à supporter les différentes angoisses propres à cet âge, envahissent leur fonctionnement psychique.


Associée ou non à l’état précédent, les difficultés scolaires peuvent prendre des formes plus spécifiques : rupture scolaire, phobie scolaire, ou processus de détérioration.



Phobies scolaires


En 1941, A. Jonhson et coll. proposent le terme « phobie scolaire » pour décrire « des enfants qui pour des raisons irrationnelles, refusent d’aller à l’école et résistent avec des réactions d’anxiété très vives ou de panique quand on essaie de les y forcer ». Rapidement ce terme sera l’objet de controverses qui portent d’une part sur la signification « phobique » du symptôme et d’autre part sur l’organisation psychopathologique sous-jacente. Nombreux sont les auteurs qui contesteront l’appellation « phobie » en lui préférant les expressions comme « angoisse de séparation » (Bowlby puis Abelson, Berney…), ou « trouble panique » (Klein) dans la perspective descriptive du DSM-III-R, voire « refus scolaire anxieux » (L. Hersov, 1991). Au plan psychodynamique la prédominance de l’organisation névrotique est souvent critiquée en même temps qu’une attention est portée aux interactions familiales (« névrose mutuelle » de H.R. Estes et Ch. Haylett, 1956). De nos jours dans la littérature anglo-saxonne l’expression « refus anxieux de l’école » (C.G. Last, 1987) tend à prendre la place du terme « phobie scolaire » souvent conservé dans la littérature francophone. Le « refus anxieux de l’école » expression la plus neutre et la plus descriptive est la partie visible d’une constellation psychopathologique toujours complexe tant sur le plan individuel que familial.



Repères épidémiologiques

L. Hersov, dans une revue de la littérature, évalue la fréquence des phobies scolaires de 1 à 8 % de la population consultante concernée avec une moyenne autour de 5 %. Cette fréquence était de 3 % dans l’enquête de l’île de Wight chez les enfants de 10 à 11 ans (Rutter). Elle serait de 0,3 à 1,7 % pour l’ensemble de la population d’âge scolaire. Le sex ratio tend à évoluer vers un relatif équilibre après avoir observé une nette prédominance chez les garçons. Actuellement, il oscille autour de trois garçons pour deux filles.


L’âge de début semble présenter plusieurs pics : dans la petite enfance (5–7 ans) à la préadolescence (10–11 ans) à l’adolescence (12–15 ans). Il n’est pas rare que la phobie scolaire apparaisse au lycée ou à l’entrée en faculté. L’âge moyen proposé par les diverses études paraît plus refléter la population de recrutement du service que la réalité épidémiologique. L’âge de début serait peut-être un peu plus tardif pour les filles (J.M. Gal et D. Marcelli, 1993). Au plan social il semble exister un parallélisme entre la valorisation des études tant au plan individuel et familial qu’au plan social et la fréquence des phobies scolaires. Le cas du Japon est exemplaire où les « refus scolaires anxieux » représentent 60 à 70 % des cas dans certains centres de consultation (Suzuki, in : Chiland et Young, 1991). On connaît dans ce pays le poids du système de compétition scolaire.


Des facteurs déclenchants sont souvent retrouvés : déménagement avec changement d’établissement, changement de cycle et d’école, maladie avec interruption temporaire de la scolarité, altercation avec un enseignant ou un pair…



Description clinique

Comme pour l’enfant, l’expression symptomatique aiguë est liée à l’école : lors du départ au collège, au lycée, l’adolescent s’agite, manifeste une angoisse croissante. Parfois cette angoisse apparaît seulement dans la salle de classe ou à l’occasion de certains cours. Cependant, le malaise ira croissant en intensité, s’étendant aux autres cours et au chemin de l’école. Si l’adolescent est forcé, des manifestations comportementales apparaissent : cris, agitation, violence, fuite. Plus rarement l’adolescent se laisse apparemment convaincre mais la crise d’angoisse et le besoin d’évitement apparaîtront à l’occasion d’une remarque, d’une altercation minime entre l’adolescent et un enseignant ou un pair. La fréquentation de l’infirmerie devient quotidienne ou pluriquotidienne jusqu’au refus.


Les rationalisations secondaires pour justifier le refus d’aller en classe sont variées et nombreuses. Elles portent soit sur le travail scolaire, en particulier sur la crainte d’examen ou de contrôles, soit sur le désintérêt à l’égard des connaissances scolaires, mais ce désintérêt s’accompagne d’une note d’angoisse, soit enfin sur les craintes suscitées par la fréquentation des autres adolescents ou adolescentes (sentiment d’être rejeté par les autres, d’être l’objet de moquerie, crainte par rapport à une relation affective ou par rapport aux adolescents de l’autre sexe, etc.).


Parfois la phobie scolaire reste rigoureusement isolée, l’adolescent paraissant libre de toute difficulté en dehors de la stricte confrontation à la situation scolaire. Il est capable de se promener, continue à voir amis et copains, pratique ses habituelles activités extrascolaires, sportives, artistiques ou culturelles. Cependant dans la majorité des cas, l’adolescent présente d’autres manifestations symptomatiques. Celles-ci peuvent se regrouper sous trois aspects :



• l’existence d’autres manifestations anxieuses plus ou moins patentes : agoraphobie, phobie des transports en commun, phobie sociale et surtout manifestation d’angoisse de séparation en particulier à l’égard de l’un ou l’autre parent. Plus les manifestations phobiques et l’angoisse de séparation sont envahissantes plus la vie de l’adolescent se confine et se restreint à l’espace familial ;


• des troubles du comportement en particulier dans le cadre familial : autant l’adolescent paraît soumis, craintif, replié en dehors du milieu familial, autant il peut devenir exigeant, tyrannique, coléreux et même agressif dans le cercle familial : crise de colère, passage à l’acte violent à l’égard d’un membre de la fratrie ou même d’un parent, comportement autoritaire ou tyrannique vis-à-vis d’un parent que l’adolescent cherche à diriger et contrôler dans la plupart des gestes de la vie quotidienne. L’adolescent réalise parfois une sorte d’emprise sur la vie familiale qui est comme l’image inversée de la totale perte d’autonomie et de contrôle qu’il éprouve dans la vie extrafamiliale ;


• enfin des symptômes de la série dépressive sont fréquents chez le préadolescent et l’adolescent :


– crise de larmes avec idées tristes persistantes,


– sentiment de dévalorisation, de baisse de l’estime de soi,


– idées de mort, voire même pensées suicidaires qui cependant conduisent rarement au passage à l’acte suicidaire (il y a peu d’association tentative de suicide-phobie scolaire décrite dans la littérature),


– repliement sur soi, indifférence, désintérêt progressif pour toutes les activités y compris celles que l’adolescent investissait de façon très positive auparavant,


– troubles du sommeil avec difficultés d’endormissement, réveils fréquents, cauchemars nocturnes. La fréquence de ces cauchemars, l’existence de crises d’angoisse la nuit justifient les demandes de l’adolescent concernant les aménagements nocturnes : garder la porte de la chambre ouverte, dormir dans la même pièce qu’un des parents et au maximum dormir avec celui-ci.


– modification de l’appétit et de l’alimentation avec perte de l’appétit, conduites anorectiques ou au contraire conduites boulimiques.

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May 29, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La scolarité à l’adolescence

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