La place des médicaments psychotropes dans les urgences psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent

24. La place des médicaments psychotropes dans les urgences psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent

Valérie Vantalon



Les situations d’urgences psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent ne correspondent pas à une maladie psychiatrique précise mais peuvent être définies comme une demande pressante de soins psychiatriques, psychologiques ou sociaux. Dans notre expérience, à l’hôpital Robert-Debré, les motifs de consultation psychiatrique aux urgences pédiatriques sont, par ordre de fréquence, les suspicions de maltraitance à enfant, les tentatives de suicide et les troubles du comportement à type d’agitation.

La réponse aux situations d’urgences psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent prend le plus souvent la forme d’une consultation au sein du service des urgences ou d’un séjour n’excédant pas 24h aux lits Portes, sans hospitalisation systématique, mais le plus souvent suivie d’un retour à domicile. Cependant, toute prescription médicamenteuse initiée aux urgences implique une surveillance clinique qui peut compliquer la conduite à tenir et prolonger la durée du séjour en milieu hospitalier.

Pour les suspicions de maltraitance à enfant et les tentatives de suicide, la prise en charge aux urgences est multidisciplinaire, faisant appel à des interventions somatiques, médicojudiciaires et sociales en premier lieu. Les psychotropes n’y ont pas un rôle de premier plan.

Dans les états d’agitation de l’enfant ou de l’adolescent, la question d’une prescription de psychotropes au sein du service d’urgences demeure un sujet de controverses, plus exacerbées encore que dans d’autres situations de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. De fait, il n’existe pas de protocole standardisé évaluant la conduite à tenir et la place des psychotropes dans les états d’agitation de l’enfant ou l’adolescent. À partir de notre expérience clinique comme psychiatre intervenant au sein des urgences d’un hôpital pédiatrique et des rares données de la littérature que nous avons pu collecter, nous proposons une tentative de formalisation de ces situations [4, 6].


RAPPEL CLINIQUE ET PRINCIPAUX DIAGNOSTICS À ÉVOQUER

De principe, les états d’agitation doivent toujours faire rechercher une origine toxique et organique, ce d’autant qu’il s’y associe un syndrome confusionnel.


AGITATION AVEC SYNDROME CONFUSIONNEL

La caractéristique dominante du syndrome confusionnel est une obnubilation de la conscience, aiguë et réversible, marquée par une perplexité, une fluctuation de la vigilance, une désorientation temporospatiale, une altération de la mémoire et des perceptions et une désorganisation de la pensée. Les troubles du sommeil sont constants, un onirisme est parfois associé (délire et hallucinations visuelles désordonnés avec anxiété et agitation fluctuantes). Parmi les causes les plus fréquemment retrouvées, on peut citer: les causes infectieuses (déshydratation, méningite, encéphalite…), neuroencéphaliques (épilepsie, traumatisme crânien, tumeurs cérébrales, hémorragies méningées…), endocriniennes ou métaboliques, toxiques (prise de toxique accidentelle ou volontaire…).


AGITATION AVEC MANIFESTATIONS DÉLIRANTES

Devant des idées délirantes et, en l’absence de désorientation temporospatiale et d’obnubilation au premier plan, on peut évoquer:


— une bouffée délirante aiguë, devant l’apparition brutale et intense d’une symptomatologie psychotique polymorphe (délire, dissociation, perte de contact avec la réalité, méconnaissance de l’état morbide), chez un adolescent jusqu’alors indemne d’antécédents psychiatriques. Le diagnostic de schizophrénie est, quant à lui, exceptionnel chez l’enfant tandis que, chez l’adolescent, il repose sur l’anamnèse, les antécédents et l’évolution de l’épisode délirant aigu;


— un épisode maniaque devant l’apparition récente d’une accélération psychomotrice avec agitation et insomnie sans asthénie et d’une humeur dominée par l’euphorie, l’irritabilité, la versatilité, une surestime de soi avec idées mégalomaniaques et parfois de persécution;


— un épisode mélancolique délirant, forme particulièrement sévère d’épisode dépressif majeur, devant un ralentissement psychomoteur avec chute des performances scolaires, une asthénie, une perte de sommeil et de l’appétit, une humeur et une idéation dépressive avec thème délirant de ruine, d’incapacité, de culpabilité, de préjudice ou d’incurabilité. Chez l’enfant, des hallucinations auditives sont souvent associées à des idées de mort.


AGITATION AVEC MANIFESTATIONS ANXIEUSES

Les troubles anxieux sont fréquemment en cause dans les états d’agitation de l’enfant. Une attaque de panique, ou crise d’anxiété aiguë, peut survenir de façon inopinée, sans exposition à un facteur déclenchant, ou être déclenchée par l’exposition à une situation repérable, souvent déjà connue de la famille comme anxiogène pour l’enfant (séparation même brève avec la famille, départ pour l’école, rencontre d’animaux…). L’attaque de panique est de durée brève, mais elle est fréquemment accompagnée de nombreux symptômes somatiques (douleurs abdominales, douleurs thoraciques, céphalées, vertiges, tremblements, sueurs, gêne respiratoire…) pouvant égarer le diagnostic. La répétition des attaques de panique à une fréquence rapprochée peut devenir invalidante sur le plan scolaire et social et constituer alors un trouble panique (il reste exceptionnel avant la puberté).


AGITATION AVEC TROUBLES DU COMPORTEMENT PERTURBATEURS ET AGRESSIVITÉ

Trois troubles du comportement perturbateurs sont principalement susceptibles d’être associés à des états d’agitation:


— le trouble oppositionnel avec provocation, marqué par une attitude persistante de négativisme, une désobéissance et un certain degré d’hostilité envers les figures d’autorité, retentit durablement sur le fonctionnement de l’enfant et peut s’accompagner, en milieu familial comme scolaire, de colères répétées, de contestation active aux demandes ou aux règles des adultes;


— le trouble des conduites est quant à lui défini par un ensemble de conduites antisociales, agressives ou provocatrices, répétitives et persistantes (vol, agressivité, destruction des biens d’autrui…), conduisant l’enfant à bafouer les règles sociales correspondant à son âge;


— le trouble explosif intermittent, caractérisé par des épisodes récurrents de perte de contrôle des impulsions agressives pouvant également conduire à des voies de fait ou à la destructions de biens. À l’inverse des deux troubles sus-cités, l’agressivité y est disproportionnée, le début et la fin des accès brutaux, et une amnésie partielle ou une hypersensibilité aux stimuli sensoriels post-critiques peuvent être retrouvés. Au décours de l’épisode, le sujet peut exprimer des remords ou de la culpabilité quant aux conséquences de ses actes. Il s’agit d’un trouble rare, dont le début se situe habituellement à la fin de l’adolescence. Chez l’enfant, sa prévalence n’est pas déterminée.


STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE


ATTITUDE IMMÉDIATE FACE À UNE AGITATION CHEZ L’ENFANT

L’état d’agitation chez l’enfant est un trouble non spécifique potentiellement symptomatique d’un grand nombre d’affections somatiques et psychiatriques. De principe, la fréquence des intrications entre pathologie médicale et manifestations psychiatriques impose, devant toute urgence pédopsychiatrique, un examen médical systématique. La prise en charge adaptée d’un état d’agitation dépend donc du diagnostic, mais certains principes généraux, visant à assurer une sédation rapide, sont applicables d’emblée.

La plupart des agitations sont, à des degrés divers, sensibles au contexte et à la relation. Dans tous les cas, il est nécessaire d’établir avec l’enfant une relation personnalisée, d’engager le dialogue afin de dédramatiser la situation et de procéder dans le calme à l’examen clinique. Celui-ci pourra lui-même être rassurant et éliminer une cause organique.

Cette prise de contact nécessite, dans un premier temps, d’isoler l’enfant et de le séparer momentanément de sa famille ou de personnes susceptibles d’amplifier son agitation (amis, Police-Secours…). Dans un lieu bien éclairé, où les objets dangereux sont placés hors de sa portée, l’enfant reste en présence et sous la surveillance d’un adulte qui maintient un contact verbal. La contention, pouvant avoir comme effet d’aggraver l’agitation et l’anxiété, doit être évitée. L’aide de tiers peut s’avérer nécessaire en cas d’agitation importante.


Examen de l’enfant

On évalue la présentation de l’enfant, la qualité du contact, la cohérence des propos, la thématique du discours, l’intensité de l’agitation, son déroulement dans le temps (intermittente, permanente, s’atténuant au fil de l’entretien…). L’observation doit comporter un examen clinique, notamment neurologique, et la recherche systématique de symptômes confusionnels, d’une prise de toxiques ou d’un traumatisme, même mineur.


Interrogatoire de l’entourage

L’interrogatoire de l’entourage conduisant l’enfant aux urgences (famille, amis…) permet de préciser le mode de début et la chronologie de l’épisode, les principales manifestations présentées, leur retentissement sur le fonctionnement de l’enfant, la réaction familiale et le caractère répété ou non des accès d’agitation. Il recherche la notion d’un facteur déclenchant, d’un stress ou d’un traumatisme crânien récent, l’existence d’antécédents psychiatriques et somatiques, d’un traitement médicamenteux susceptible d’entraîner des troubles du comportement, d’un traitement psychotrope antérieur, d’un éventuel suivi psychiatrique. Au terme de cet examen, l’étiologie de l’état d’agitation est généralement identifiée.


TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX DE L’AGITATION

La prescription de psychotropes dans le cadre des urgences psychiatriques est réservée aux situations aiguës où l’agressivité et l’agitation sont invalidantes, avec l’objectif d’obtenir une sédation rapide. Il est souhaitable que cette prescription puisse n’être envisagée qu’en seconde intention, après évaluation de la nature de l’affection sous-jacente, de la durée et de l’intensité de l’agitation, de la dangerosité pour l’enfant et son entourage et de l’évolution immédiate après les premières mesures d’isolement et d’observation. Il est nécessaire, dans tous les cas, d’éviter les atermoiements, ces situations prolongées majorant fréquemment l’anxiété de l’enfant et de sa famille.

La monothérapie est la règle et l’administration doit être unique au cours du séjour aux urgences. Il n’existe actuellement pas de protocole thérapeutique standardisé étayé par des études documentées.

En pratique, il est parfois difficile d’établir un compromis entre les données récentes de la littérature, notamment en matière d’effets secondaires, et le respect strict des indications et contre-indications pédiatriques des molécules mises sur le marché.

En revanche, il ne paraît pas souhaitable d’initier une prescription de psychotropes au long cours lors d’une situation aiguë aux urgences. La mise en place d’un suivi en consultation et l’établissement d’une relation thérapeutique avec l’enfant et sa famille avant de discuter d’un traitement de fond, éventuellement médicamenteux, semblent des préalables raisonnables.


Neuroleptiques

En France, de nombreux neuroleptiques conventionnels sont commercialisés avec des indications pédiatriques dans les troubles du comportement agressifs et l’agitation non spécifique (tableau 24.1), mais peu de ces molécules ont fait l’objet d’études sur le rapport bénéfices-risques lié à leur emploi en urgence. Dans les états d’agitation aiguë non spécifiques et les comportements agressifs du trouble des conduites, c’est principalement l’halopéridol (Haldol®), dont l’action positive a été prouvée dans des essais contrôlés contre placebo [7], qui est préconisé.

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Jul 6, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La place des médicaments psychotropes dans les urgences psychiatriques chez l’enfant et l’adolescent

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