Dans les deux chapitres précédents, nous avons étudié les troubles mentaux qui résultent de l’atteinte du cerveau et de ses méninges par le tréponème de la syphilis, le SIDA et le virus de l’encéphalite léthargique épidémique.
Mais toute atteinte primitive ou beaucoup plus souvent secondaire de l’encéphale par un processus infectieux aigu peut réaliser ou déclencher toute une gamme de reactions psychopathologiques dont la confusion mentale est, encore une fois, la plus typique. Souvent ces réactions sont comme perdues dans le tableau clinique de la maladie infectieuse ; parfois au contraire, elles constituent les seuls symptômes de l’infection (formes psychiques).
Toutes les infections neurotropes peuvent engendrer des troubles psychiques surtout confusionnels.
A ces réactions aiguës, on doit opposer schématiquement les « séquelles » déficitaires survenant plusieurs mois ou plusieurs années après l’épisode inflammatoire initial. Mais souvent, comme pour l’encéphalite épidémique, elles sont encore l’expression d’un processus inflammatoire — qui demeure actif quoique plus torpide —, d’une « encéphalite prolongée » justiciable d’une thérapeutique curative.
Tous les germes, virus, bactéries, spirochètes, rickettsies, parasites divers, toutes les toxines et tous les toxiques peuvent engendrer des accidents cérébraux, mais il y a des formes courantes ou d’intérêt pratique que nous décrirons et des formes exceptionnelles, du moins sous nos climats, que nous négligerons.
Les tableaux psychiatriques engendrés par chacun de ces germes, virus ou agresseurs divers, sont en général bien moins spécifiques que le tableau soma- tique de la maladie infectieuse qu’ils provoquent. Cependant, le tropisme de quelques agents infectieux pour certains segments du système nerveux peut imprimer des caractères propres aux niveaux de dissolution plus ou moins rapides et plus ou moins profonds (psychoses aiguës ou démentielles) de la structure hiérarchisée de la conscience.
Afin d’apporter plus de précision dans la masse des processus pathologiques désignés sous les noms d’encéphalites ou d’encéphalopathies, nous nous adapterons aux classifications actuelles (1988) nées d’un remaniement causé par les acquisitions faites au cours de la dernière décennie dans les domaines de l’immunologie, de la virologie et l’apport de l’imagerie par résonance magnétique (I. R. M.) précieuse pour le diagnostic des affections démyélinisantes. Ces affections du système nerveux central sont devenues plus fréquentes du fait du brassage croissant des populations, de l’essor touristique dans des pays du monde à haut risque. Aux formes classiquement décrites, dont la nature virale, bactérienne, mycosique ou parasitaire est à présent bien établie viennent s’adjoindre depuis quelques années des entités particulières d’origine encore obscure, classées naguère encore dans le cadre des maladies dégénératives (M. Bérard-Badier et D. Gambarelli-Dubois, 1984). Nous y avons fait allusion au chapitre des troubles de la sénescence.
Essai de classification des encephalopathies.
Malgré les démembrements successifs qui ont conduit aux conceptions actuelles, nous nous trouvons en face d’un ensemble de processus si hétérogènes qu’il aurait été extrêmement arbitraire d etudier leurs complications psychiatriques dans un même chapitre. C’est ainsi, comme nous l’avons vu, que nous avons traité dans des chapitres à part les encéphalites psychosiques des délires aigus, les troubles mentaux des réactions encéphalitiques inflammatoires de la syphilis et ceux de l’encéphalite épidémique qui, les uns et les autres, constituent des syndromes psychiatriques de description ancienne ayant acquis une autonomie relative par les problèmes particuliers qu’ils posent. De même, nous avons décrit au chapitre de l’alcoolisme les encéphalopathies carentielles qui ont également depuis longtemps une autonomie due à leur étiologie et à leur thérapeutique propres, telles que l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke ou le syndrome de Korsakov. De même encore, nous envisagerons les encéphalopathies post-traumatiques au chapitre consacré à cette étiologie.
Malgré ces renvois à d’autres chapitres, il reste encore à envisager ici de nombreuses encéphalopathies qui, si l’on considère leur étiologie, leurs manifestations cliniques, leur anatomo-pathologie et leur épidémiologie, constituent des groupes assez homogènes. Parmi ceux-ci les encéphalites virales prennent la place la plus importante par leur gravité et leur progression croissante. Nous présenterons donc d’abord l’encéphalite aiguë nécrosante (E. A. N.) d’origine herpétique qui constitue actuellement le modèle de description des troubles mentaux des encéphalites en raison de sa fréquence (G. Rancurel et A. Guedeney, 1985); ensuite les leuco-encéphalites périveineuses post-virales, puis les encéphalites subaiguës ou chroniques dues à des agents viraux non conventionnels, affections très lentes qui jettent une passerelle avec les encéphalites subaiguës (Kuru et Creutzfeldt-Jacob). Enfin nous reprendrons les descriptions classiques : bactériennes (fièvre typhoïde, brucellose, légionellose, tuberculose, rickettsioses, etc.) ; mycosiques (torulose, candidose, etc.) ; parasitaires (helminthiases, amibiases, trypanosomiases, paludisme, toxoplasmoses).
Nous terminerons ce chapitre en citant seulement quelques syndromes encéphalopathiques aigus ou chroniques où l’autopsie du cerveau ne révèle qu’une réaction non spécifique, ce sont les encéphalopathies métaboliques, respiratoires, circulatoires, vaso-motrices et surtout toxiques.
Nous nous sommes efforcés dans ce chapitre d’éviter les longues et fastidieuses énumérations de syndromes neurologiques, dont le diagnostic est de la compétence du neurologue et, bien plus souvent encore, de l’anatomo- pathologiste, le dénominateur psychiatrique commun résiduel étant généralement un déficit intellectuel progressif aboutissant à une psychose démentielle plus ou moins profonde.
I Troubles Mentaux des Encéphalites Virales
A. — ENCÉPHALITE VIRALE AIGUË NÉCROSANTE HERPÉTIQUE
Nous prendrons comme description l’encéphalite aiguë nécrosante presque toujours due à l’herpès virus hominis type I. C’est une encéphalite par agression directe caractérisée par des lésions nécrotiques, d’où son nom « encéphalite aiguë nécrosante (E. A. N.) type herpès » car c’est la seule démontrée. Le virus qui frappe surtout l’adulte jeune reste présent dans le ganglion de Gasser dans la période séparant la primo-infection et la survenue de l’E. A. N. La réactivation du virus est expliquée par l’hypothèse d’une défaillance des réactions immunitaires.
Les lésions anatomocliniques sont assez typiques : un œdème cérébral dès les premiers jours et des micro-hémorragies, une nécrose d’origine infectieuse, de type inflammatoire, évolue vers une perte de substance qui est visible par la tomodensitométrie après le 15e jour. Les lésions se situent dans le lobe temporal proche des ganglions trigéminés. En l’absence de traitement efficace antiviral spécifique (Vidarabine ou Aciclovir) la maladie est mortelle dans 70 % des cas. Chez les survivants l’importance des séquelles rend impossible un retour à la vie normale. Aujourd’hui par un traitement spécifique instauré dans la première semaine on peut arrêter rapidement le processus d’invasion virale.
Cliniquement, le début peut paraître une infection banale du type pseudogrippal, température peu élevée, parfois intermittente, puis elle s’élève à 39° C ou 40° C avec vomissement, céphalées, parfois crises convulsives. Les crises généralisées sont plus rares que des crises partielles à sémiologie complexe (Rancurel et Guedeney), simple obtusion de la conscience pendant quelques secondes avec agitation anxieuse, hallucinations auditives visuelles. Les hallucinations gustatives et olfactives sont assez caractéristiques. L’état confusion- nel est de type banal pourtant entrecoupé d’un langage insolite : mutisme brutal ou persévération verbale associée à une gesticulation anxieuse. La crise s’interrompt brusquement laissant le malade asthénique, fébrile, insomniaque mais alternant avec des phases de somnolence.
Le début peut être marqué par des signes mentaux de la série confusion- nelle avec asthénie et agitation.
B. — ENCÉPHALITES AIGUËS NON NÉCROSANTES
Parmi ces encéphalites on classe l’encéphalite léthargique de Von Economo- Cruchet étudiée dans le chapitre précédent. Les autres encéphalites appartenant à ce groupe sont très rares et intéressent exceptionnellement le psychiatre. Nous citerons l‘encéphalite de la rage, modèle d’encéphalite aiguë par agression virale directe de l’encéphale, disparue en France depuis 1968. Les encéphalites grippales sont également rarissimes, ainsi que celles du zona et celles des oreillons.
C. — LES LEUCO-ENCÉPHALITES PÉRIVEINEUSES POSTVIRALES
Ces encéphalites sont fréquentes, le tiers des encéphalites virales, et la moitié des encéphalites toutes catégories. Elles surviennent surtout chez les enfants au cours des fièvres éruptives et sont déterminées par une médiation immuno- logique. Sur le plan anatomique ces leuco-encéphalites se distinguent par des lésions de la substance blanche autour des vaisseaux, les veines principalement, avec intégrité du parenchyme gris. L’évolution se fait vers des foyers de démyéli- sation périvasculaire. La symptomatologie n’est pas très spécifique, elle comporte un mélange de signes infectieux, neurologiques et confusionnels allant du coma à la torpeur. Les symptômes d’onirisme et d’agitation sont moins marqués et moins graves que dans les encéphalites virales directes du type herpès ou rage.
I. — Encéphalite morbilleuse. — La phase aiguë de l’encéphalite débute 5 jours environ après l’apparition de l’exanthème. Cette complication se manifeste par les signes suivants : réascension thermique à 40°, confusion mentale typique, agitation alternant avec la somnolence, crises convulsives, paralysies transitoires, signes de souffrance bulbaire (dans les formes graves) avec perturbation du pouls et du rythme respiratoire. Le L. C.-R. présente une hyper- cytose et une hyperalbuminose, mais ces signes ne sont pas constants.
Lorsque cette symptomatologie n’évolue pas vers le coma et la mort (15 % des cas), elle commence à régresser au bout d’une semaine ; plus tard, on peut observer des séquelles psychiques dans une proportion difficile à fixer. Ce sont des troubles du caractère et des troubles intellectuels.
Les troubles intellectuels peuvent, chez le jeune enfant, consister en arrêt du développement mais, beaucoup plus souvent, il s’agit d’un retard dû à une atteinte légère des capacités élémentaires, de l’attention et de la mémoire.
Les troubles du caractère se manifestent par une difficulté de la réadaptation au milieu familial et scolaire : l’enfant est devenu capricieux, impatient, coléreux, agressif, ses réactions affectives sont violentes, impulsives, paradoxales.
Des examens électroencéphalographiques au cours de l’évolution de l’encéphalite morbilleuse peuvent donner des renseignements utiles (évolution des rythmes lents, apparition d’ondes rapides avec ralentissement dans l’hyperp- née). Ils ont surtout une valeur pronostique. La persistance de quelques anomalies après la guérison clinique doit faire craindre les séquelles (Meyer et Byers, 1952).
En dehors de la leuco-encéphalite rougéoleuse aiguë « post-éruptive classique » et de la leuco-encéphalite sclérosante subaiguë décrite par Van Bogaert, on individualise aujourd’hui un 3e type d’encéphalite morbilleuse d’apparition retardée (Lyon, 1972; Breittfeld et coll., 1972; Aicardi et coll., 1977, cités par Rancurel et Guedeney, 1986). Il s’agit d’enfants de 20 mois à 6 ans dont la mort survient en quelques semaines.
II. — Encéphalite de la rubéole, de la varicelle et de la scarlatine. — Les encéphalites qui compliquent ces maladies éruptives sont exceptionnelles et plus encore leurs séquelles psychiques (cf. Thèse, J. J. Lévy, 1945, pour la scarlatine; l’article de Van Bogaert dans le J. belge de Neuro., 1930, pour la varicelle).
III. — Encéphalite vaccinale. — Cette encéphalite survenant après vaccination antivariolique (mais aussi antirabique et anti-amarile) ne s’observe en pratique qu’au cours d’une primo-vaccination chez un enfant de 4 à 6 ans. Les séquelles psychiques, assez rares, consistent en perturbations du développement intellectuel et affectif (Crosnier, Sem. Hôp. Paris, 1946 et Greenberg et Appelbaum, Amer. J. Med. Sc., 1948).
D. — SÉQUELLES DES ENCÉPHALITES VIRALES AIGUËS
Nous citerons d’abord les séquelles de l’encéphalite herpétique. Rappelons que cette encéphalite est responsable de la majorité des formes mortelles et des séquelles les plus lourdes. Whitley et coll. (1981) cités par Rancurel et Guedeney ont pu abaisser sous traitement (Vidarabine) la mortalité à 40 %. Tous les survivants de la remarquable étude de Whitley et coll. avaient des séquelles : « troubles de la personnalité », dysphasie, incontinence fécale ou urinaire, hémiplégie, crises d’épilepsie.
Des troubles mineurs se rencontrent, par contre, dans les encéphalites dites amnésiantes : troubles amnésiques de fixation, perturbations de la chronologie des faits récents et utilisation de phrases stéréotypées évoquant l’amnésie korsakovienne (J. Barbizet et P. Duizabo, 1969). Les atteintes intellectuelles vont de celles des fonctions instrumentales : praxie, gnosie, attention, etc., à la détérioration globale. Une séquelle fréquente est l’épilepsie dans ses formes les plus variées, partielles ou totales, associées aux troubles du caractère.
Les psychoses postencéphalitiques sont plus rares que celles observées jadis dans l’encéphalite léthargique. Les états dépressifs aigus ou chroniques sont fréquents. Pour plus de détails sur ces séquelles encéphalitiques, on peut se reporter à l’article très documenté de G. Rancurel et A. Guedeney (1986).
II. — ENCÉPHALITES BACTÉRIENNES
Les encéphalites bactériennes regroupent les diverses maladies dues à des bacilles pathogènes.
Si certaines d’entre elles paraissent dépendre aussi du mécanisme immuno- logique des encéphalites péri-veineuses, la plupart dépendent soit des mécanismes vasculaires appartenant à une perturbation neuro-végétative plus générale (Reilly), soit de lésions provoquées par des toxines bactériennes (typhoïde, coqueluche). De plus, on ne saurait négliger les actions indirectes du processus infectieux sur le cerveau par retentissement des insuffisances fonctionnelles des autres viscères (foie, rein, glandes endocrines, etc.).
Le tuphos est un signe d’ encéphalite.
I. — Fièvre typhoïde. — Actuellement, la notion d’encéphalite typhique tend à s’élargir. Elle rendrait compte du symptôme caractéristique, le tuphos, qui serait causé par l’action élective des toxines du bacille d’Eberth sur le dien- céphale (Reilly et Tardieu).
Les signes psychiques de la période aiguë sont ceux d’une confusion avec ou sans agitation, avec ou sans onirisme. Il faut noter que le traitement par le chloramphénicol peut jouer un grand rôle dans le déterminisme de ces syndromes confusionnels.
Les séquelles psychiques sont exceptionnelles, elles se rencontrent dans le formes graves et surtout chez les jeunes (Dufour et Froment, 1934). On assiste alors à l’installation d’un état rappelant parfois la « démence précoce » : indifférence, inactivité, syndrome catatonique.
II. — Coqueluche. — Les complications encéphalitiques de la coqueluche, infection due au bacille de Bordet et Gengou, et en particulier les séquelles sont rares après l’âge de 2 ans. Nous ne parlerons pas des complications nerveuses (convulsions, syndrome malin), contemporaines de la maladie.
Les séquelles psychiques sont essentiellement constituées par des arriérations de niveaux variables, parfois un simple retard du développement psychomoteur. Les troubles mentaux peuvent être associés à des syndromes neurologiques (hémiplégie, syndromes extrapyramidaux, cécité, etc.) ou à des troubles endocriniens.
III. — Méningites purulentes. — Naguère, la guérison des méningites purulentes et notamment à méningocoques, comportait parfois des séquelles graves (arriération allant de la débilité à l’idiotie, épilepsie, cécité ou surdité).
Méningite cérébro-spinale.
Actuellement, ces séquelles importantes sont devenues beaucoup plus rares mais, par contre, on observe beaucoup plus fréquemment des états mineurs que l’on peut classer ainsi d’après Trolle (1951).
a) Un syndrome d’ « encéphalopathie post-méningitique » caractérisé par la fatigabilité, des troubles de la mémoire, de l’attention, un manque d’initiative, des céphalées, des vertiges, des paresthésies, des tendances dépressives. Ces symptômes ressemblent au « syndrome subjectif post-traumatique » et, comme lui également, évoluent vers une amélioration progressive.
b) Troubles caractériels. — Plus souvent observés chez l’enfant, ces troubles se manifestent par une instabilité de l’humeur, une hyper-émotivité, de l’anxiété, des colères, des troubles de l’attention mais sans troubles importants du Q. I. Dans la genèse de ces troubles il faut peut-être réserver une place, à côté de la participation organique certaine, à l’influence du milieu familial et notamment à l’attitude parentale d’excessive protection devant le petit ménin- gitique rescapé (la « méningite » demeurant la maladie de l’enfance la plus angoissante, la plus redoutée des mères).