Il est impossible à l’heure actuelle de séparer deux disciplines qui s’interpénétrent de façon tellement étroite qu’une consultation psychiatrique paraît indispensable chez tout malade ayant une affection endocrinienne telle qu’une acromégalie ou une maladie de Basedow par exemple. A l’inverse, les manifestations endocriniennes sont fréquentes au cours des maladies psychiatriques et plus encore peut-être au cours de la chimiothérapie, dont la richesse n’a d’égale que l’efficacité — souvent — et les effets secondaires — toujours —. La neuro-endocrinologie n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais il est certain que, dans les années à venir, elle est appelée à un essor fantastique et cela pour une raison simple : ce sont les mêmes mécanismes biochimiques qui règlent au niveau cellulaire les variations de l’humeur et le contrôle des sécrétions endocrines.
IV. Affections Endocriniennes et Psychiatrie
Si l’on veut bien admettre — et comment ferait-on autrement ? — que le cerveau est le support anatomo-physiologique de notre être psychique, et que d’autre part il commande, par l’intermédiaire des monoamines cérébrales, toutes les sécrétions endocrines, on est aussi obligé d’admettre l’unicité des régulations psycho-endocriniennes. Il n’est pas de maladie endocrinienne qui ne s’accompagne de retentissement sur les fonctions cérébrales. A l’inverse, il n’est pas de maladie psychiatrique qui ne retentisse sur le fonctionnement endocrinien, mais celui-ci n’atteint pas toujours le « seuil pathologique » irréversible.
D’une manière générale, la séquence des événements réalise un extraordinaire système d’engrenages démultiplicateurs : cortex → sous-cortex → hypothalamus → hypophyse → glande-cible → tissu cible.
Ainsi un phénomène initial tout à fait mineur peut-il engendrer une lésion grave à l’autre extrémité de cette chaîne.
Normalement un rétro-contrôle existe à chaque étage, limitant les conséquences d’une perturbation en amont. Que ce rétro-contrôle (feed-back) disparaisse et la maladie correspondante se développe.
Outre les dosages statiques qui permettent de mettre en évidence un hyper ou un hypofonctionnement endocrinien, il existe pour chaque glande (ou mieux pour chaque « axe » endocrinien) des tests dynamiques nécessaires pour savoir si les régulations sont normales ou non. Les tests de freinage sont essentiels pour étudier les hyperfonctionnements, les tests de stimulation sont indispensables dans les insuffisances glandulaires.
Nous évoquerons les explorations neuro-endocriniennes aux différents « étages » des structures en cause.
Les syndromes thyroïdiens sont, en fait, des syndromes cortico-hypothalamo-hypophyso-thyroïdiens. La sécrétion thyroïdienne est sous le contrôle de l’antéhypophyse par l’intermédiaire de la thyréostimuline (TSH), dont la sécrétion dépend directement du taux de l’hormone thyroïdienne libre circulante : lorsque celui-ci s’abaisse, la sécrétion de TSH est stimulée, et vice versa. La sécrétion de TSH dépend elle aussi d’un facteur qui est hypothalamique : le TRH (Thyrotropin releasing hormone).
L’hypothyroïdie peut être due à la destruction de la glande elle-même ou être d’origine hypothalamo-hypophysaire par défaut de sécrétion de TSH.
L’hyperthyroïdie peut être d’origine thyroïdienne tumorale : adénome « toxique » ou goitre multinodulaire « toxique », ou être d’origine extrathyroïdienne, liée à un dérèglement diencéphalo-hypophysaire : c’est la maladie de Basedow.
La Symptomatologie clinique est bien connue : on trouve un goitre vascu- laire diffus, une tachycardie permanente, parfois des troubles du rythme cardiaque, un amaigrissement important, un tremblement, une thermophobie, de la diarrhée, de la faiblesse musculaire. Particulière à la maladie de Basedow est l’exophtalmie.
Biologiquement, on constate un taux faible du cholestérol sanguin, un raccourcissement du réflexogramme achilléen, une franche élévation des hormones thyroïdiennes T3 et T4 dans le plasma. La captation de l’131I est augmentée.
Dans les cas typiques, la Symptomatologie neuro-psychique a toujours frappé les observateurs ; il est classique de rappeler le mot de Trousseau : les basedowiens réalisent l’aspect de la colère ou de la peur « figées ». Le faciès tragique ou égaré, le tremblement, l’extrême émotivité, l’amaigrissement, les troubles vaso-moteurs, confèrent au sujet les traits de la tension psychique permanente et de l’épuisement (Cossa, 1938 ; Delay et Boittelle, 1948).
Bien plus souvent, l’étape diencéphalique constitue (Mahaux, de Gennes, Gilbert-Dreyfus) une série de réponses aux agressions : il existerait une hypothyroxinémie primitive ou secondaire que les émotions, le surmenage, les infections, etc., aggravent. L’antéhypophyse réagit alors à cette carence par des décharges de thyréostimuline et la glande s’hypertrophie (parfois brusquement) par l’excès de son fonctionnement réactionnel. Ainsi la maladie entrerait dans le vaste groupe des maladies de l’adaptation (de Gennes et Bricaire, 1951 ; Lidz, 1950-1955 ; Kleinschmidt et coll., 1956).
Que la Maladie de Basedow soit une maladie de l’adaptation est certain pour nombre de cas.
Par contre le mécanisme reste méconnu.
Les analyses de la personnalité dans une perspective psychosomatique (Racamier, Evol. Psych., 1951) montrent que, hors les rares cas de «Schreck-Basedow » rapidement consécutifs à un traumatisme psychique grave, on trouve presque toujours chez les malades des situations vitales génératrices de tensions (rupture effective ou menaçante d’une relation valorisée, angoisse devant la sexualité ou la maternité, hostilité réprimée devant un personnage important et redouté) et, si l’on recherche plus loin, des situations infantiles de déséquilibre et de frustrations précoces. La peur est réellement installée au centre de la vie et il semble que la maladie soit l’expression d’une série de réponses neuro-hypophyso-thyroïdiennes à cette tension émotionnelle longtemps réprimée (Racamier, 1955 ; Mandelbrotte et Wittkower, 1955 ; Dongier, 1956).
a) Les crises psychiatriques aiguës sont essentiellement des crises d’éré- thisme émotionnel et surtout des états confusionnels. Il s’agit de confusion mentale avec agitation pouvant réaliser toute la gamme du syndrome qui va de l’obnubilation légère à la stupeur et au délire aigu. Le diagnostic de manie aiguë est souvent discuté devant ce tableau mais, s’il en existe plusieurs observations, elles sont rares, de même que les crises de mélancolie vraies (Tusques, 1937 ; Sainton, 1943). Somme toute, la psychose basedowienne typique est l’état confusionnel (v. aussi Bursten, 1961).
Les crises psychiatriques aiguës au cours des hyperthyroï-dies réclamant un traitement urgent.
b) Les complications psychiatriques chroniques posent le problème du rôle exact de la maladie endocrinienne dans le déterminisme des accidents. On ne peut considérer valablement comme psychoses thyroïdiennes de nombreux cas publiés de schizophrénies ou d’autres délires chroniques car l’apparition de la maladie de Basedow semble seulement déclencher ou aggraver ces psychoses.
Les problèmes de diagnostic posés au psychiatre appellent trois réflexions :
1° II faut penser à la maladie de Basedow devant une crise confusionnelle à évolution soudaine et rapide avec amaigrissement, agitation et tremblement. Les renseignements cliniques seront souvent difficiles à apprécier, car tout confus est amaigri et insomniaque et peut présenter un certain degré de tachycardie. Mais le degré de cette tachycardie souvent accompagnée chez le basedowien de troubles cardiaques bien caractérisés (arythmie complète), l’exophtalmie et le goitre établiront le diagnostic.
Les signes biologiques sont : taux d’hormones thyroïdiennes élevé dans le sang et forte captation de 131I par la glande.
2° Il faut exiger des critères précis avant de parler de psychose basedowienne. — Rappelons que, parmi les critères cliniques, la tachycardie ne manque jamais. On ne peut pas rattacher sans preuves à l’hyperthyroïdie la plupart des troubles de l’humeur et du caractère qui s’accompagnent d’éréthisme émotionnel. Beaucoup de diagnostics abusifs ont été faits dans ce sens. Les nombreuses mesures pratiquées en particulier chez les schizophrènes (indices thyroïdiens élevés le plus souvent) n’ont pas donné de résultats significatifs (v. les critiques de Gibson, 1962). Dans les situations difficiles, on peut poser le diagnostic quand le test de freinage (test de Werner) est négatif, prouvant qu’il existe un dérèglement majeur dans l’axe hypothalamo-hypophyso-thyroïdien (La sécrétion des hormones thyroïdiennes étant devenue autonome). Le test de stimulation au TRH semble encore plus sensible : il est toujours négatif en cas d’hyperthyroïdie.
Toujours exiger des critéres biologiques formels pour poser le diagnostic d’hyperthyroïdie.
3° Devant les troubles mentaux chez une authentique basedowienne, le problème de la concomitance des troubles doit être bien pesé, surtout si l’on n’a pas affaire à un état confusionnel aigu ou subaigu. Cette discussion, dont le caractère peut paraître purement théorique, présente au contraire un intérêt pratique. Le traitement antithyroïdien n’est pas efficace contre les désordres psychiatriques sous-tendant la maladie, mais agit seulement sur les manifestations liées à l’hypersécrétion hormonale.
1° Traitement de l’hyperthyroïdie. — On doit savoir que les manifestations psychiatriques sont des indications pour un traitement médical : iode minéral en solution ou mieux antithyroïdiens de synthèse doivent être administrés jusqu’à obtention de l’euthyroïdie (par exemple : Carbimazole 60 à 80mg/j). Dans tous les cas, l’utilisation d’agents bêta-bloquants est très efficace pour contrôler les « signes sympathiques » tels que la soif, la transpiration, la diarrhée, la tachycardie, les tremblements, etc. Seules la perte de poids et la consommation d’oxygène ne subissent pas de changements. L’utilisation de sédatifs tels le phénobarbital ou des tranquillisants tels les dérivés du diazepam sont bénéfiques. Quand l’état d’euthyroïdie est atteint, le traitement définitif peut alors être discuté. En général la chirurgie n’est pas considérée comme un bon traitement dans ces formes de la maladie.
Le trépied thérapeutique des hyperthy-roïdies avec complications psychiques : ATS, β-bloquant,s, psychotropes.
2° Traitement des désordres psychiatriques. — La psychothérapie sera conduite selon les règles de la psychothérapie chez les psychosomatiques (v.p. 933 à961). Elle consiste le plus souvent en des séances rapprochées et assez brèves visant à l’élucidation, au soutien et au rassurement à l’égard des problèmes affectifs fondamentaux.
3° Une chimiothérapie sédative ou résolutive (anti-dépressifs et/ou neuroleptiques) peut être employée avec de bonnes chances de succès contre les complications psychiatriques de la maladie.
Nous ne décrirons ici que les myxœdèmes de l’adulte, c’est-à-dire essentiellement le myxœdème spontané et accessoirement les myxœdèmes endémiques ou postopératoires (v. aussi p. 582).
1° Le myxœdème spontané de l’adulte. — Cliniquement, il se caractérise par l’association de l’infiltration des téguments, de l’atrophie du corps thyroïde, et de troubles mentaux. Ceux-ci sont en effet constants : torpeur, hébétude, indifférence, ralentissement, apathie, engourdissement, tels sont les termes relevés dans toutes les descriptions. Souvent les troubles caractériels s’ajoutent à cette sorte de somnolence diurne qui peut parfois contraster avec l’insomnie.
Le ralentissement psychique et l’état dépressif sont les éléments marquants de l’hypothyroïdie.
Les examens de laboratoire font la preuve du diagnostic d’hypothyroïdie. Le cholestérol est supérieur à 3,50g/1. Le réflexogramme achilléen (plus fidèle que le taux du métabolisme de base) s’élève à plus de 400 millisecondes. Le taux sanguin des hormones thyroïdiennes circulantes est très bas Cela est confirmé par l’importante diminution de la captation de 1311 par la thyroïde.
L’évolution du myxœdème spontané, qui apparaît surtout chez la femme le plus souvent aux alentours de la ménopause et d’une manière insidieuse, dépend de l’opothérapie. Sans elle, l’affection peut évoluer vers la forme très grave du coma myxœdémateux.
Les complications psychiatriques qui s’observent le plus fréquemment sont les états confusionnels ; plus rarement, il s’agit de psychoses délirantes ou d’états dépressifs. Ces états réagissent favorablement au traitement.
Le traitement consiste à remplacer les hormones déficitaires. Le médecin doit savoir que l’administration brutale de fortes doses d’hormones thyroïdiennes peut causer de graves accidents coronariens, de même que des syndromes psychiatriques aigus. C’est la raison pour laquelle l’hypothyroïdie doit être traitée en élevant progressivement les doses d’hormones. Le traitement substitutif fait appel soit aux extraits thyroïdiens (dose totale utile comprise entre 10 et 20cg/j), soit à la thyroxine (10 à 20 gouttes/j de la solution à 2mg/ml), en commençant par des doses de 2 à 3cg (2 à 3 gouttes) par jour.
2° Le myxœdème endémique ou goitre myxœdémateux. — Il s’observe dans certaines régions. Il apparaît dans l’enfance et donne lieu au crétinisme (v. p. 582). L’amélioration par le traitement thyroïdien est relative.
3° Le myxœdème post-opératoire. — L’hypothyroïdie apparaît régulièrement après thyroïdectomie totale si le traitement substitutif n’est pas pris par le patient. Ainsi, quand la thyroïdectomie a été effectuée pour une maladie de Basedow, l’hypothyroïdie se développe dans 10 à 20 % des cas après cinq à dix ans. Plus souvent, l’hypothyroïdie est le résultat d’un traitement par l’iode radioactif : 30 à 60 % des cas après dix ans (Bronsky et coll.). Le diagnostic n’est pas toujours facile et l’installation lente et progressive de l’apathie ou de l’état dépressif peut être le premier et/ou le symptôme dominant. C’est la raison pour laquelle le patient traité pour hyperthyroïdie doit être surveillé : un changement inhabituel de conduite ou des troubles mentaux ne doivent pas être négligés. Des tests biologiques simples prouveront très facilement le diagnostic d’hypothyroïdie.
L’ocytocine joue un rôle important lors de l’accouchement et pendant la lactation.
La vasopressine, encore appelée hormone antidiurétique (ADH), exerce son activité sur le tubule rénal en favorisant la réabsorption de l’eau (en négativant la clairance de l’eau libre), ceci sous l’effet de stimulus osmotique et volumétrique essentiellement.
La pathologie post-hypophysaire est constituée essentiellement par le diabète insipide et le syndrome de Schwartz-Bartter.
1° Le diabète insipid. — Il se manifeste par une polyurie de plusieurs litres par jour (5 à 8 litres) avec polydipsie. Les examens complémentaires affirment la carence en ADH : la densité urinaire n’est jamais supérieure à 1 005, les épreuves de restriction hydrique ou d’absorption d’eau salée n’entraînent aucune réduction notable de la polyurie et de ce fait sont mal supportées, comportant un risque de déshydratation devant les faire réserver au milieu hospitalier.
Les causes du diabète insipide sont variées : tumeur hypothalamo-hypophysaire, destruction de la post-hypophyse chirurgicale (hypophysectomie), maladie de système (sarcoïdose, histiocytose), maladie de Recklinghausen. Dans un certain nombre de cas aucune étiologie n’est retrouvée.
Mais le problème essentiel est celui du diagnostic différentiel avec les potomanies. Les tests permettent le plus souvent de trancher. L’épreuve de restriction hydrique est dans ce cas parfaitement supportée, l’administration de sel entraîne, en stimulant l’ADH, une nette réduction de la diurèse avec concentration des urines.
Le problème des potomanies.
Le traitement du diabète insipide repose sur l’hormonothérapie substitutive (extraits de post-hypophyse) en nébuliseur ou par voie sous-cutanée. Mais d’autres médicaments sont d’utilisation plus commode : les salidiurétiques, la chlorpropamide (250 à 500mg/jour), le clofibrate (2g/jour), la carbamazépine (200 à 600mg/jour).
2° Le syndrome de Schwartz-Banter — Il s’agit d’un syndrome paranéoplasique dû à la sécrétion inappropriée d’ADH par une tumeur, le plus souvent cancer broncho-pulmonaire à petites cellules. D’autres causes sont possibles : traumatismes, tumeurs malignes, certains médicaments : chlorpropamide, morphine, barbituriques, carbamazépine.
La symptomatologie clinique résulte de l’hypo-osmolarité plasmatique et de l’intoxication par l’eau ; il s’agit de troubles digestifs : anorexie, nausées, vomissements, et surtout de troubles psychiques : apathie ou irritabilité, hostilité, désorientation, incohérence, voire convulsions, simulant un syndrome dépressif ou surtout un état confusionnel.
L’hyperhydratation du cerveau peut entraîner des troubles psychiques aussi variés que trompeurs.
Les signes biologiques associent une hyponatrémie à une hypernatriurie.
Le traitement repose sur la restriction hydrique (500ml par jour) et l’élimination, si possible, de la cause.
Les hyperfonctionnements de l’hypophyse antérieure peuvent déterminer, suivant les stimulines hypophysaires concernées, des tableaux variés qui sont vus avec les maladies de la glande-cible (surrénales pour la maladie de Cushing par exemple). Nous verrons cependant dans ce chapitre l’acro- mégalie.
L’hypofonctionnement de l’antéhypophyse ou panhypopituitarisme peut être partiel ou complet, lié à une tumeur ou à une nécrose de la glande (syndrome de Sheehan).
1° L’acromégalie. — Il s’agit d’un syndrome dysmorphique associé à un ensemble de troubles endocriniens et métaboliques dus à l’hypersécrétion d’hormone de croissance (encore appelee hormone somatotrope = STH), le plus souvent par un adénome hypophysaire.
L’acromégalie se complique assez souvent de dépressions.
La cause de cette hypersécrétion n’est pas connue, mais dans un certain nombre de cas elle est d’origine cortico-diencéphalique : la stimulation de l’antéhypophyse est permanente et non freinable.