Rhumatismes inflammatoires de l’enfant et de l’adolescent : aspects cliniques et orientations thérapeutiques actuelles
Inflammatory rheumatism in children and adolescents: clinical aspects and current treatment approaches
Introduction
Une évolution de la nomenclature de ces affections a été rendue possible grâce au rapprochement des groupes de travail européens (EULAR : European League Against Rheumatism) et nord-américains (ILAR : International League of Association of Rheumatologist) sur ces pathologies pour aboutir à une classification commune [19]. Trois grands groupes de pathologies sont décrits actuellement : les arthrites juvéniles dont l’arthrite juvénile idiopathique (AJI), les maladies auto-inflammatoires et les maladies auto-immunes. Même si ces classifications seront sûrement remises en cause dans les prochaines années, elles permettent de se retrouver dans ce dédale d’affections.
Formes cliniques
Arthrite juvénile idiopathique
Les arthrites chroniques juvéniles (ACJ) ont récemment changé de dénomination en raison d’une grande confusion d’appellations entre les différents tableaux cliniques et les différents pays. Par exemple, le terme de « maladie de Still » était utilisé pour qualifier à la fois les formes systémiques et polyarticulaires dans les pays anglo-saxons, mais seulement les formes systémiques dans les pays Européens. Cette évolution de la nomenclature s’est faite après plusieurs réunions entre les sociétés européennes et américaines de rhumatologie pédiatrique. Ces discordances d’appellation ont été résolues après l’organisation d’un comité international pédiatrique de l’ILAR qui a eu lieu au Canada en 2001 [19]. La classification ainsi obtenue est maintenant la seule reconnue et à utiliser. Il fut convenu de parler d’arthrite ayant duré au moins 6 semaines au niveau d’au moins une articulation, juvénile, c’est-à-dire le premier signe clinique ayant débuté avant le 16e anniversaire, et idiopathique, sans cause après avoir éliminé toutes les causes connues (JIA pour juvenile idiopathic arthritis). Ce terme n’est pas parfait, mais il a le mérite d’être reconnu par toute la communauté rhumatologique. Six groupes homogènes ont été ainsi définis, un dernier groupe comprenant les arthrites non classées (tableau 1).
* Critères d’exclusion dans les catégories d’AJI :
a. présence de psoriasis ou histoire de psoriasis chez le patient ou chez un parent du premier degré
b. arthrite chez un garçon HLA B27 positif débutant après le 6e anniversaire
c. spondylarthrite ankylosante, enthésite en rapport avec une arthrite, sacro-iliite avec colopathie inflammatoire, syndrome Fiessinger-Leroy-Reiter ou uvéite antérieure aiguë ou antécédent de l’une de ces pathologies chez un parent du premier degré
d. présence de facteur rhumatoïde de type IgM à au moins deux occasions à au mois 3 mois d’intervalle
L’incidence annuelle des AJI est d’environ 20 pour 100 000 enfants de race blanche âgés de moins de 16 ans (au moins 2000 enfants en France). La distribution entre les différents sous-types (tableau 2) varie selon les pays. Les oligoarthrites sont plus fréquemment retrouvées en Europe. Leur fréquence est moindre en Inde et en Nouvelle-Zélande, où les atteintes polyarticulaires sont plus fréquentes. La forme systémique atteint surtout l’enfant jeune, avec un âge médian de 5 ans, et ne représenterait pas plus de 10 % des AJI. Elle est exceptionnelle avant 9 mois et ne survient jamais avant 6 mois. Avant 12 mois, elle survient presque exclusivement chez les filles [14].
Formes systémiques
La forme systémique est considérée comme une forme particulière d’AJI [19]. Pour beaucoup d’experts, prenant en compte les particularités cliniques de la maladie mais également les avancées récentes de la physiopathologie et les principales cytokines impliquées (interleukine [IL] 1 et 6), la forme systémique (FS-JIA) de l’enfant pourrait plutôt appartenir aux maladies auto-inflammatoires [12].
Aux critères généraux s’ajoutent les caractéristiques suivantes : fièvre d’une durée d’au moins 2 semaines prenant un aspect caractéristique sur au moins 3 j, avec des pics hyperthermiques, typiquement 1 à 2 fois par jour, entrecoupés d’un retour de la température à la normale voire d’une hypothermie, précédant ou accompagnant l’arthrite et s’accompagnant d’au moins un des signes suivants : éruption fugace érythémateuse, adénopathies généralisées, hépatomégalie et/ou splénomégalie, épanchement séreux. Les myalgies et les douleurs abdominales peuvent survenir au cours des pics fébriles. L’atteinte articulaire est généralement symétrique et polyarticulaire. Les examens biologiques retrouvent une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, une augmentation importante de la vitesse de sédimentation, de la C reactive protein (CRP) et une thrombocytose. L’anémie est fréquente et serait expliquée par la séquestration du fer dans le système réticuloendothélial induite par l’IL6. Le diagnostic différentiel de la forme systémique d’AJI peut être difficile, notamment au début (tableau 3).
Formes polyarticulaires
Formes polyarticulaires avec présence de facteur rhumatoïde
Elles atteignent essentiellement les filles à partir de l’âge de 8 à 10 ans. Elles sont similaires à la polyarthrite de l’adulte, dont elles représentent en fait le début précoce. Il s’agit d’une polyarthrite symétrique à prédominance distale, atteignant les petites articulations des pieds et des mains et souvent les grosses articulations [23]. La synovite peut être discrète au début. Les nodules rhumatoïdes sont très rares. Hormis la révélation d’un syndrome inflammatoire souvent intense, les signes biologiques révèlent la présence de facteurs rhumatoïdes et, fréquemment, celle d’anticorps antipeptides cycliques citrullinés (CCP). L’antigène HLA DR4 est souvent associé à cette forme. La présence de facteurs rhumatoïdes positifs est moins spécifique chez l’enfant et se retrouve dans de nombreuses situations pathologiques (dans le lupus et dans la population générale). Les lésions radiologiques sont sévères et apparaissent rapidement avec une ostéopénie, des appositions périostées puis un pincement des interlignes qui peut aller jusqu’à la fusion des interlignes articulaires. L’atteinte du rachis cervical peut aboutir à une instabilité C1-C2. Le pronostic est sévère avec une évolution chronique et une atteinte articulaire déformante dès les premières années d’évolution.
Formes polyarticulaires sans présence de facteur rhumatoïde
- • La première est proche des JIA avec début oligoarticulaire.
- • Dans la deuxième, l’atteinte articulaire débute de façon insidieuse et se manifeste par un épaississement synovial important. L’atteinte est souvent symétrique et touche les articulations ainsi que les gaines tendineuses. Ces polyarthrites sont particulières en raison de l’absence de lésions cartilagineuses à long terme.
- • La troisième est une forme avec peu ou pas de synovite (polyarthrite sèche). Son diagnostic peut n’être porté que tardivement, car l’attention n’est pas attirée vers les articulations. Elle se traduit par une raideur progressive qui s’installe et évolue vers l’ankylose articulaire non douloureuse. Dans cette forme, il n’y a pas de retentissement sur la croissance. Les traitements médicaux sont peu actifs et la prise en charge par kinésithérapie et attelles afin de limiter les rétractions doit être poursuivie très longtemps.
- • Dans la deuxième, l’atteinte articulaire débute de façon insidieuse et se manifeste par un épaississement synovial important. L’atteinte est souvent symétrique et touche les articulations ainsi que les gaines tendineuses. Ces polyarthrites sont particulières en raison de l’absence de lésions cartilagineuses à long terme.
Formes oligoarticulaires
Elles représentent 50 % de la totalité des AJI. Les critères d’inclusion sont l’atteinte de une à quatre articulations durant les 6 premiers mois. Suivant l’évolution ultérieure, deux sous-groupes sont identifiés : oligoarthrite persistante et oligoarthrite extensive à cinq articulations et plus après 6 mois. Elles surviennent le plus souvent chez la fille (8 filles/1 garçon). Des études génétiques ont permis d’identifier des gènes de susceptibilité : HLA-A2, HLA-DR8, DR11 et DR13 [22].
Spondylarthropathies
Les spondylarthropathies juvéniles touchent principalement les patients de sexe masculin après l’âge de 6 ans. Elles représentent 15 à 20 % de l’ensemble des JIA. Elles associent une enthésite à l’atteinte articulaire et au moins deux des critères suivants : douleurs sacro-iliaques et/ou rachialgies inflammatoires, uvéite antérieure aiguë, présence de l’antigène HLA B27, antécédents familiaux d’uvéite, de spondylarthropathie ou de sacro-iléite avec entéropathie inflammatoire chez un parent du premier degré. Les enthèses touchées sont principalement l’insertion calcanéenne du tendon d’Achille, l’aponévrose plantaire et la région tarsienne. De 80 à 90 % des patients sont HLA B27 positifs, alors que cet antigène n’est retrouvé que dans 10 % de la population caucasienne [26]. Des antécédents familiaux sont retrouvés dans 30 % des cas. Des facteurs environnementaux sont également retrouvés (infections à bacille à Gram négatif) dans les modèles expérimentaux. L’atteinte articulaire affecte le plus souvent les articulations des membres inférieurs. Contrairement aux autres sous-types d’AJI, l’atteinte de la hanche est fréquente au début de la maladie. Un aspect particulier associé aux spondylarthropathies est celui d’orteil ou de doigt en saucisse, conséquence d’une arthrite interphalangienne et/ou d’une ténosynovite du fléchisseur. L’atteinte de la hanche domine le pronostic fonctionnel avec l’évolution possible vers une coxite destructrice. Sur les radiographies, il faudra rechercher des lésions caractéristiques qui sont des lésions érosives osseuses et cartilagineuses.
L’atteinte du squelette axial est rare au stade initial [13]. L’examen du squelette axial recherchera une atteinte des sacro-iliaques et vérifiera la mobilité de la charnière dorsolombaire. L’évolution des spondylarthropathies se fait la plupart du temps par poussées successives de durée variable de quelques semaines à plusieurs mois, entrecoupées de périodes de rémission partielle.
Rhumatisme psoriasique
Le psoriasis cutané est une dermatose fréquente dans la population générale. Sa prévalence chez l’enfant est d’environ 13 %. Les manifestations articulaires sont présentes dans 5 à 20 % des cas. Le tableau initial est une atteinte oligoarticulaire dans 90 % des cas, avec une nette prédilection pour le genou. L’atteinte des interphalangiennes distales (présente dans environ 30 % des cas) est quasi spécifique de l’arthrite psoriasique [7].