Pneumonie infectieuse du patient immunocompétent ou immunodéprimé
C. Mayaud, M. Fartoukh and M.-F. Carette
Plus de 50 % des malades hospitalisés en réanimation souffrent, d’emblée ou en cours d’évolution, d’une atteinte respiratoire.
Si l’on excepte l’embolie pulmonaire et les pathologies neuromusculaires, cette atteinte respiratoire a pratiquement toujours une traduction en radiologie standard sous forme d’opacités thoraciques dont il n’est pas toujours aisé de faire la part de l’origine parenchymateuse, pleurale ou médiastinale.
Lorsque ces opacités s’accompagnent de fièvre, le clinicien évoque de principe leur origine pneumonique, tout en sachant :
– qu’une infection extrapulmonaire peut être indirectement source d’opacités pulmonaires, qu’il s’agisse d’oedème hémodynamique par endocardite gauche, d’infarctus septique par endocardite droite ou thrombophlébite suppurée, ou bien de syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) (oedème par atteinte diffuse de la membrane alvéolocapillaire) par choc infectieux ;
– que des pathologies non infectieuses, immunologiques notamment, peuvent aussi être à l’origine d’opacités pulmonaires fébriles ;
– que les opacités observées peuvent être partiellement ou totalement préexistantes, risquant alors d’égarer le clinicien s’il ne met pas tout en oeuvre pour récupérer d’éventuels documents d’imagerie thoracique antérieurs.
Dans ce contexte, la demande de tomodensitométrie thoracique n’a pas lieu d’être systématique. Elle n’est d’ailleurs pas mentionnée dans les recommandations de prise en charge des pneumonies communautaires de l’adulte sain.
Lorsqu’elle est formulée, cette demande du clinicien peut avoir trois objectifs.
– Objectif sémiologique. Les opacités observées en radiographie thoracique standard sont difficilement interprétables ou atypiques pour une pneumonie bactérienne usuelle. La tomodensitométrie est infiniment plus performante pour préciser les composantes ou caractéristiques de ces opacités, souvent superposées dans ce contexte d’insuffisance respiratoire aiguë. Elle seule objective précisément les zones de condensation alvéolaire, les zones de verre dépoli, les zones de collection purulente hypodenses ou déjà excavées, les épanchements pleuraux, les adénopathies médiastinales, les nodules ou une éventuelle rétraction.
– Objectif diagnostique. La pneumonie survient chez un adulte immunodéprimé ou ayant une ou plusieurs comorbidité(s), et le champ des hypothèses étiologiques est considérablement élargi. À côté des circonstances de survenue, de la rapidité de constitution, de la sémiologie physique respiratoire et extrarespiratoire, la sémiologie radiologique est un des piliers de la discussion diagnostique. Dans ce cadre, la tomodensitométrie thoracique précise cette sémiologie. De plus, elle optimise les prélèvements invasifs (ponction pleurale, endoscopie bronchique), de règle dans cette situation, dans la mesure où elle précise au mieux le site de chaque lésion à prélever.
– Objectif thérapeutique :
• l’évolution défavorable d’une pneumonie, en dépit d’un traitement anti-infectieux adéquat, peut résulter de la formation d’une collection purulente, parenchymateuse, pleurale ou péricardique. Ici encore, la tomodensitométrie thoracique précise au mieux la sémiologie. Elle seule permet un inventaire précis et une localisation de toutes les collections purulentes à drainer. Elle est enfin le guide indispensable pour effectuer le ou les drainage(s) nécessaire(s) avec le minimum de risques et le maximum d’efficacité (diagnostic différentiel entre abcès et empyèmes, placement du drain sous contrôle de la vue) ;
• l’évolution défavorable d’une pneumonie, en dépit d’un traitement anti-infectieux adéquat, peut également résulter d’une érosion vasculaire, avec le risque inhérent d’hémoptysie massive. En présence d’une hémoptysie de faible abondance survenant dans un contexte infectieux, la tomodensitométrie thoracique peut mettre en évidence une anomalie vasculaire pulmonaire (anévrisme mycotique par exemple) dans, ou contiguë à, un infiltrat tuberculeux, un abcès ou une lésion aspergillaire. Elle contribue alors à la discussion thérapeutique. Chez l’aplasique, la simple constatation d’une grande proximité entre vaisseau artériel pulmonaire et lésion aspergillaire expansive peut même conduire à une chirurgie préventive.
En pratique, la demande du clinicien et l’apport de la tomodensitométrie thoracique diffèrent considérablement selon qu’il s’agit d’un malade immunocompétent ou d’un malade immunodéprimé.
Malade immunocompétent, au stade de l’admission
Absence de comorbidité
En l’absence de comorbidité, la démarche est relativement codifiée lorsque le tableau clinicoradiologique est typique de pneumonie bactérienne usuelle :
– début brutal ;
– fièvre élevée ;
– syndrome physique de condensation alvéolaire, notamment râles crépitants en foyer(s) ;
– syndrome radiologique de condensation alvéolaire : opacité(s) alvéolaire(s), unique ou multiples, en foyer(s), systématisée(s) ou non, récemment apparue(s) ;
– hyperleucocytose ou leucopénie ;
– élévation de la CRP (C reactive protein) et/ou de la procalcitonine (si dosages effectués) ;
– signe(s) de gravité (fréquence respiratoire > 30/min, fréquence cardiaque > 120/min, pression artérielle systolique < 90 mmHg, température < 35° C ou > 40° C, trouble de la conscience) ; ces signes sont toujours présents dans les formes sévères, justifiant la réanimation.
Dans cette situation, les hypothèses étiologiques sont limitées (tableau 1).
– Streptococcus pneumoniae – Legionella pneumophila sérogroupe 1 – Chlamydia pneumoniae ou psittaci – Mycoplasma pneumoniae – Coxiella burnetii (dans le sud de la France) – Haemophilus influenzae – Virus émergents (mais contexte épidémiologique) |
De ce fait, les algorithmes de prise en charge n’incluent pas la tomodensitométrie thoracique. À côté des hémocultures et de la recherche dans les urines d’antigènes spécifiques (légionnelle +++ pneumocoque), des prélèvements respiratoires invasifs en vue d’une documentation microbiologique ne sont conseillés que par le seul fait, ici, de la sévérité du tableau clinique, ne souffrant aucune impasse thérapeutique.
Si, pour une raison particulière, une tomodensitométrie thoracique était néanmoins demandée, elle montrerait le plus souvent, et en absence de complication :
– un foyer de condensation alvéolaire, dense, homogène, avec bronchogramme, aérien, occupant plusieurs segments adjacents d’un même lobe, volontiers systématisé lorsque Streptococcus pneumoniae est impliqué (figure 1) ;
Figure 1 |
– un ou plusieurs foyer(s) de condensation alvéolaire lorsque Legionella pneumophila sérogroupe 1 est en cause (figures 2A,B) ;
Figure 2 |
– un ou plusieurs foyer(s) de condensation alvéolaire, de forme lobulaire (pneumonie), associé(s) à des zones de petites opacités nodulaires et/ou linéaires branchées centrolobulaires (bronchiolite) lorsque Chlamydia pneumoniae, Chlamydia psittaci, Coxiella burnetii ou Mycoplasma pneumoniae amènent le malade en réanimation, ce qui est loin d’être la règle ;
– en contexte épidémique, certains virus émergents comme le Coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ou le virus H5N1 de la forme humaine de la grippe aviaire peuvent parfaitement revêtir cet aspect « pneumonique » initial.
Présence de comorbidité
En cas de comorbidité, la démarche diffère, surtout si le tableau clinique évoque d’emblée une pneumonie causée par une bactérie favorisant un évolution nécrosante :
– comorbidité(s) ;
– début brutal, ou insidieux (lors d’un traitement antibiotique inadapté ou sous-dosé, ou bien d’un traitement anti-inflammatoire) ;
– fièvre élevée ou modérée ;
– expectoration purulente voire fétide ;
– excavation(s) unique ou multiples, au sein d’un foyer de condensation alvéolaire (abcès ou pneumonie nécrosante), ou au sein d’opacités arrondies multiples (abcès hématogènes ou bronchopneumonie abcédée);
– hyperleucocytose ;
– élévation de la CRP et/ou de la procalcitonine lorsqu’elles sont dosées.
Dans de tels cas, Streptococcus pneumoniae, Legionella pneumophila sérogroupe 1, Chlamydia pneumoniae, Mycoplasma pneumoniae sont pratiquement hors de cause.
Les bactéries responsables diffèrent (tableau 2).
– Staphylococcus aureus (toxicomanie intraveineuse) – Bactéries anaérobies (trouble de la déglutition) – Entérobactéries, Klebsiella pneumoniæ et Escherichia coli notamment (cirrhose) – Pseudomonas sp. (bronchopneumopathie chronique obstructive ayant motivé des traitements antibiotiques itératifs) |
À noter qu’avant d’aboutir à la nécrose et à l’excavation, les infections causées par ces bactéries peuvent être à l’origine, à un stade initial, d’un foyer de condensation alvéolaire unique (pneumonie), ou de condensations multifocales et bilatérales associées à des nodules et à des opacités linéaires branchées centrolobulaires (bronchopneumonie).
Chez ces malades ayant une ou plusieurs comorbidité(s) et suspects d’infection à bactérie nécrosante, les algorithmes incluent volontiers la tomodensitométrie thoracique et les prélèvements respiratoires invasifs nécessaires à une documentation microbiologique.
Dans de tels cas, la tomodensitométrie thoracique, réalisée avec injection intraveineuse de produit de contraste, peut :
– confirmer le caractère nécrosant de l’infection si elle objective un abcès, au stade précavitaire (figure 3) (plages d’opacité de densité liquidienne, sans rehaussement après injection, et sans vaisseau pulmonaire ou bronche visible au sein de l’opacité) ou au stade cavitaire (figure 4) (cavité avec : limites internes, lisses et régulières ; contenu hydroaérique avec niveau horizontal, ou aérique avec présence d’éventuels débris nécrotiques ; limites externes en partie masquées par l’opacité de l’exsudat alvéolaire qui l’entoure) ;
Figure 3 |
Figure 4 |
– visualiser, à l’inverse, ce qui n’est pas une excavation mais une pneumonie sur poumon emphysémateux (figure 5A) ou avec alvéologramme restant (figure 5B) ;
Figure 5 |
– préciser le nombre, la situation géographique et l’aspect arrondi ou non de la ou des opacité(s), abcédée(s) ou en voie d’abcédation ;
– révéler l’existence d’épanchement pleural associé, uni- ou bilatéral, souvent déjà cloisonné avec collection(s) intrapleurale(s) purulente(s) ou empyème (figure 6) ; parfois, l’examen tomodensitométrique peut montrer la rupture de l’abcès dans la plèvre (figure 7) ;
Figure 6 |
Figure 7 |
– révéler l’existence d’une lésion sous-jacente, bronchique (figure 8; cancer, dilatation des bronches) ou pulmonaire (emphysème, séquestration), rendant compte de la pneumonie et de son caractère nécrosant.
Figure 8 |
Lorsqu’elle est réalisée, la tomodensitométrie thoracique montre plus volontiers, mais cela n’a rien d’exclusif :
– un foyer de condensation alvéolaire, systématisé ou non, siège de plusieurs zones nécrotiques, excavées ou en voie d’excavation (pneumonie nécrosante), si Klebsiella pneumoniae ou des bactéries anaérobies sont en cause ;
– de multiples plages de condensation alvéolaire et de multiples nodules, de taille différente, dispersés de façon hétérogène, évoluant à des stades de nécrose différents (bronchopneumonie) (figure 9), quand les autres entérobactéries ou Pseudomonas aeruginosa sont responsables de l’infection ;
Figure 9 |
– des opacités multiples, bilatérales, prédominant aux bases, volontiers périphériques et sous-pleurales, de forme arrondie ou triangulaire à sommet tronqué et à large base d’implantation pleurale (figure 10), lorsque Staphylococcus aureus ou une autre bactérie sont responsables d’une dissémination hématogène.