II. L’hystérie de Conversion

L’Hystérie est une névrose caractérisée par l’hyperexpressivité somatique des idées, des images et des ajfects inconscients. Ses symptômes sont les manifestations psycho-motrices, sensorielles ou végétatives de cette « conversion somatique ». C’est pourquoi depuis Freud on appelle cette névrose l’hystérie de conversion.




Les symptômes constituent des phénomènes de « conversion », sur le plan somatique de conflits inconscients.


Mais l’hystérique doit encore être défini par rapport à la structure de sa personne caractérisée par la psychoplasticité, la suggestibilité et la formation imaginaire de son personnage.

Ainsi deux éléments sont nécessaires pour définir l’hystérie :


— la force inconsciente de la réalisation plastique des images sur le plan corporel (conversion somatique),



Ils sont en relation avec la structure « imaginaire » de la personne hystérique.


— la structure inconsciente et imaginaire du personnage de l’hystérique.

On comprend que ce soit précisément à propos de cette névrose qu’aient été les plus discutés les problèmes relatifs à la réalité, à l’importance et à l’organisation de l’Inconscient.



Historique.


Cette névrose mérite une brève étude historique. Ses signes principaux sont connus depuis l’antiquité et elle recouvre toute une tradition de maladies sine materia qui ont motivé les plus vives discussions chez les médecins de tous les temps, mais c’est seulement depuis Freud que nous pouvons saisir les contenus essentiels de cette « pathologie du simulacre ».

L’histoire des névroses (1) s’est longtemps confondue avec celle de l’hystérie. Mais on englobait autrefois sous son nom, non seulement une partie de ce que nous reconnaissons comme symptômes névrotiques, mais aussi des troubles rattachés maintenant à la pathologie lésionnelle ou à des psychoses (maladie de Parkinson, épilepsie, catatonie, etc.). C’est ainsi qu’en 1682, Thomas Willis rassemblait sous le nom d’hystérie, qui remonte à Hippocrate, la moitié des maladies chroniques.


En France, révolution des idées, de Charcot à Babinski, illustre les vicissitudes de la notion d’hystérie. Charcot avait étudié l’hystérie par les méthodes ordinaires de l’observation médicale. Babinski, frappé de certaines lacunes dans la méthode d’observation, voulut la soumettre à un contrôle rigoureux. En neurologiste de génie, il réussit à délimiter avec précision le domaine de l’hystérie (les phénomènes « pithiatiques » qui peuvent être reproduits par la suggestion) de celui de la neurologie lésionnelle. Depuis Babinski, nous savons ce que l’hystérie n’est pas : une maladie localisable, susceptible d’une définition anatomo-clinique et d’une description par accumulation de signes. Mais Babinski a échoué dans sa tentative de définir l’hystérie : les termes d’autosuggestion et de pithiatisme ne peuvent prendre un sens que si l’on explique ce qu’est la suggestion ou la persuasion, ce qui implique l’étude concrète et analytique de la personnalité de l’hystérique. De telle sorte que, à la suite de Babinski, l’hystérie a risqué d’être rejetée hors de toute réalité comme n’étant qu’une simulation (Boisseau). L’hystérie étant devenue ce qui n’existe pas pour la neurologie, restait cependant à pénétrer à l’intérieur de la « réalité » qu’elle est pour le psychiatre.



Charcot et Babinski.

C’est ce que tenta de faire Pierre Janet à la Salpêtrière en étudiant les relations de l’hystérie, de l’hypnose et de l’automatisme psychologique. A la même époque Freud eut la première intuition qui devait le conduire à la psychanalyse. En étudiant avec Breuer (1895) une malade que celui-ci guérissait périodiquement de ses symptômes par une « ab-réaction » émotionnelle (on dit encore catharsis ou libération du refoulé) à l’évocation de ses souvenirs, il conçut l’idée du refoulement, de son origine sexuelle et de l’importance du transfert affectif dans sa thérapeutique. L’hystérie entrait ainsi dans une nouvelle phase d’études qui ont permis d’en appréhender le contenu.



Janet et Freud.

Il faut enfin noter l’influence toute particulière des données socio-culturelles sur les manifestations extérieures de l’hystérie. Nulle forme pathologique n’est plus sensible à l’esprit du temps : les symptômes de l’hystérie ont varié beaucoup de Charcot à notre époque, ils varient selon les cultures, suivent les modes et l’évolution de la médecine. Mais il n’en va pas de même de la structure hystérique, incluse dans le caractère, et qui, sous des dehors variables, constitue le fond permanent et invariant de la névrose.





A. — ÉTUDE CLINIQUE DES SYMPTÔMES HYSTÉRIQUES


Nous nous proposons d’en faire un simple inventaire sans trop nous soucier des discussions et querelles d’écoles. Nous nous référons ici à une sorte d’expérience clinique moyenne pour décrire l’ensemble — d’ailleurs très varié — de la Symptomatologie de la « grande névrose », Symptomatologie que Sydenham (1624–1689) désignait déjà comme « protéiforme ».



I. — PAROXYSMES, CRISES, MANIFESTATIONS AIGUËS


Tous ces accidents hystériques sont centrés par la crise hystérique devenue rare sous sa forme complète (« à la Charcot »), mais qu’il faut décrire, car les autres manifestations paroxystiques en sont des fragments ou des dérivés que l’on peut observer quotidiennement.

I° Les grandes attaques d’hystérie. — Dans l’histoire de cette névrose, elles marquent une époque. La grande crise « à la Charcot » comportait cinq périodes :



La « grande attaque » du temps de Charcot.

1° Des prodromes (aura hystérique) : douleurs ovariennes, palpitations, boule hystérique ressentie au cou, troubles visuels. Ces prodromes aboutissaient à la perte de connaissance avec chute non brutale.

2° Période épileptoïde : phase tonique, avec arrêt respiratoire et immobilisation tétanique de tout le corps ; convulsions cloniques commençant par de petites secousses et grimaces pour aboutir à de grandes secousses généralisées ; puis résolution dans un calme complet, mais bref, avec stertor.

3° Période de contorsions (clownisme) : commençaient alors des mouvements variés accompagnés de cris, ressemblant à « une lutte contre un être imaginaire » (Richer, 1885).

4° Période de transe ou des attitudes passionnelles, dans laquelle la malade mimait des scènes violentes ou érotiques. On est alors en plein rêve, dans une imagerie vécue (généralement le même thème est repris à chaque crise : idée fixe des anciens auteurs).

5° Période terminale ou verbale au cours de laquelle le malade, plus ou moins rapidement, au milieu de visions hallucinatoires, de contractures résiduelles, revenait à la conscience, en prononçant des paroles inspirées par le thème délirant précédemment vécu en pantomime.

Le tout durait d’un quart d’heure à plusieurs heures (état de mal hystérique par reprises de tout le déroulement).


Il existe des crises atypiques plus difficiles à diagnostiquer :


a) La crise « syncopale ». — Le sujet « se sent mal », pâlit, exprime en quelques secondes son angoisse et s’affaisse. Les signes d’examen sont ceux de la vagotonie extrême : pouls ralenti et petit, tension basse. Le cœur reste normal à l’E. C. G. L’évanouissement dure quelques minutes et est suivi d’une phase de fatigue sans amnésie de l’épisode critique. Tous les intermédiaires existent entre l’évanouissement facile et la syncope vraie.


b) La crise à symptomatologie de type extra-pyramidal. — Nous groupeperons sous ce titre des manifestations motrices qui peuvent être considérées comme des équivalents mineurs de la grande crise : accès de hoquet, de bâillements, d’éternuements ; crises de rire ou de pleurs incoercibles ; tremblements, secousses musculaires, tics ou grands mouvements d’allure choréique.



… leur relation avec la pathologie nerveuse…


c) L’hystéro-épilepsie. — Il existe des termes de passage entre les deux affections. Les auteurs classiques ou anciens (Gowers, Tissot, Bratz, Féré, etc.) ont bien étudié ces cas d’ « épilepsie affective » ou de crises névropathiques chez des épileptiques avérés. Plus récemment dans des perspectives variées, des cliniciens (Baruk, Marchand et Ajuriaguerra), ou des neurophysiologistes ont repris cette étude et montré que certains aspects paroxystiques ou intercritiques de l’épilepsie ne pouvaient pas être radicalement séparés des manifestations hystériques. Pour si discuté que soit encore ce problème, il est évident que cette discussion même répond à certains faits (cf. p. 346).


d) Hystérie et tétanie. — Ces deux séries de troubles entretiennent aussi des rapports. Ils consistent dans l’aptitude convulsive commune aux deux états, déclenchée aussi bien par l’émotion que par l’hyperpnée, au point que l’on ne sait plus si l’hyperpnée agit par sa valeur émotionnelle ou l’émotion par ses facteurs humoraux (Ajuriaguerra, 1951). Les travaux de H. P. Klotz se rapportent à cette parenté.



… et la pathologie générale.



— L’intérêt de ces formes cliniques de la crise hystérique est de nous montrer les frontières de l’hystérie et de certains syndromes qui par leur contiguïté même peuvent nous apprendre quelque chose sur les supports organiques de l’hystérie. Ainsi les crises syncopales nous renvoient à une certaine débilité neurocirculatoire, les relations de l’hystérie avec les troubles extrapyramidaux (Van Bogaert) ou avec l’épilepsie nous montrent que, sans mettre en question une identité de structure lésionnelle qui serait absurde, il est permis de supposer des « voies communes » (Ajuriaguerra) à l’hystérie et à certaines affections cérébrales ; enfin le rapprochement avec la tétanie nous ouvre un aperçu sur des déséquilibres humoraux. Inversement, ces formes cliniques nous montrent que, dans des syndromes neurologiques ou généraux bien définis, des incidences psychosociales peuvent jouer un rôle important puisqu’elles déclenchent des symptômes.


L’état crépusculaire hystérique consiste dans un affaiblissement de la conscience vigile, de début et de terminaison brusques, pouvant aller de la simple obnubilation à la stupeur et comportant une expérience demi-consciente de dépersonnalisation et d’étrangeté généralement centrée sur une « idée fixe » (P. Janet).



Les « états seconds » hystériques.

Une forme particulière de ces états est le syndrome de Ganser : réponses « à côté », actes « à côté », associées à des analgésies. Il s’agit d’une méconnaissance systématique de la réalité ambiante. Le malade ne tient pas compte de l’environnement, ses actes et ses paroles s’adressent à une situation « à côté », c’est-à-dire rêvée (cf. Whitlock, 1967).

De tels états ont fait parler de conscience « hypnoïde » ou de rétrécissement du champ de la conscience chez les hystériques (P. Janet). Il s’agit, en effet, d’un état d’hypnose de la conscience. Le malade vit une expérience de demiclarté qui s’apparente à certaines crises catatoniques et cataleptiques (Baruk). Mais il reste à l’orée de ce chemin vertigineux. La preuve en est qu’il s’y engage parfois avec une complaisance consciente. On a fait remarquer la fréquence du « syndrome de Ganser » dans la pathologie des prisons où le sujet peut estimer qu’il a intérêt à méconnaître certaines réalités.


— D’autres états crépusculaires, dits aussi états seconds, nous montrent la production oniroïde sous la forme habituelle du rêve, avec une riche production d’images surtout visuelles. Ce sont des états de transe, fragments isolés et plus ou moins développés de la grande crise.

Quant aux états seconds des personnalités « multiples » il s’agit de faits exceptionnels mais célèbres dans lesquels la tendance que nous venons de voir a remplacé l’expérience réelle par une expérience rêvée, s’amplifie et se déploie au maximum au point de faire alterner une personnalité seconde (celle du rêve hystérique) avec la personnalité prime (celle de l’état normal). Les cas de Janet (Juliette), de Morton Prince (Miss Beauchamp), d’Azam (Félida) ont un intérêt historique.


— Il faut rapprocher de ces états crépusculaires le somnambulisme hystérique qui n’en diffère que par son apparition au milieu du sommeil.

Il est classique de décrire enfin, dans ces états de semi-conscience, des fugues, car il arrive que l’hystérique au cours de ces états crépusculaires ou hypnotiques erre comme fasciné par la suggestion de ses images. Ces fugues ont d’ailleurs la même valeur clinique que les amnésies dont nous allons maintenant parler.

4° Les amnésies paroxystiques. — Les états que nous venons de décrire comportent généralement des troubles de la mémoire plus ou moins profonds ou paradoxaux, mais l’amnésie peut se présenter comme le seul symptôme qui, après coup, permet de supposer un état crépusculaire.


5° Les attaques cataleptiques. — C’est le « sommeil hystérique », terme critiquable puisque cet état ne comporte pas tous les signes cliniques, ni électriques du sommeil. Comme dans les autres symptômes de l’hystérie, la catalepsie réalise seulement une image de l’état physiologique correspondant.



États cataleptiques.

Le sujet est inerte, les yeux clos ou ouverts, mais sans la triade caractéristique du sommeil (myosis, strabisme divergent par la prédominance du tonus du grand oblique, contraction active de l’orbiculaire des paupières). Le tonus musculaire est variable, d’autant plus que des paralysies ou contractures peuvent s’associer à la catalepsie. Des anesthésies, parfois des secousses musculaires peuvent s’observer. Cet état n’est pas complètement inconscient ni amnésique. Il peut durer quelques heures ou quelques jours. S’il est durable, un ralentissement des fonctions végétatives s’observe, avec hypothermie, hypotension, diminution parfois extrême des métabolismes. On évoque irrésistiblement l’hypnose et le fakirisme devant cet état qui réalise jusqu’à l’extrême possible la symptomatologie des sommeils hypnotiques de la grande névrose.


II. — LES SYNDROMES FONCTIONNELS DURABLES


Ce sont généralement des inhibitions fonctionnelles qui peuvent porter sur tous les aspects de la vie de relation.


Ces paralysies fonctionnelles ne s’accompagnent pas des troubles de la réflectivité et du tonus qui caractérisent les paralysies déterminées par l’altération de la voix pyramidale ou des centres moteurs de la moelle (Babinski). Par contre, elles sont capricieuses, paradoxales et donnent à l’observation du clinicien l’impression de dépendre plutôt d’un parti pris, d’une intentionnalité, d’une inhibition émotionnelle ou d’une suggestion que de troubles « réels ». L’association de troubles sensitifs ou sensoriels qui ne cadrent pas avec la réalité de l’organisation anatomo-physiologique du système nerveux est à cet égard typique.

2° Les contractures et les spasmes. — Ils constituent eux aussi une sorte de paralysie active dont la systématisation est paradoxale et variable sous l’influence de facteurs psychologiques. On observe ainsi des contractures des membres et du cou (torticolis), mais surtout du tronc (plicature du tronc ou camptocormie, faux mal de Pott). Certaines manifestations toniques ou spasmodiques sont fréquentes (hoquet, vomissement, spasmes oculo-faciaux, etc.).



Les Contractures.

3° Les anesthésies. — Elles réalisent aussi une sorte d’imagerie fonctionnelle qui exclut les perceptions tactiles, douloureuses, thermiques, etc., de segments corporels découpés par la fantaisie (anesthésie en manchon intéressant les deux mains, les deux membres inférieurs, toute la face, à distribution alterne, etc.). Ces formes de troubles de la sensibilité, leur topographie, les modalités qualitatives de leurs altérations n’obéissent pas aux lois de l’innervation, de la conduction et de la systématisation des voies de la sensibilité. On rencontre parfois des cas d’anesthésie totale intéressant tous les territoires cutanés et toutes les modalités sensitives et même sensorielles (fakirisme). On pourrait aussi constater des phénomènes tout à fait étranges et inexplicables comme l’allochirie (sensibilité transférée d’un côté à l’autre du corps), des algies synesthésiques (douleurs provoquées par la vue d’un objet, etc.).



Les Anesthésies.

4° Les troubles sensoriels. — Ce sont les atteintes d’une fonction sensorielle ou d’une partie de cette fonction (cécité, surdité, anosmie, etc.). La cécité hystérique est sans doute la plus remarquable de ces manifestations, et elle est parfois difficile à diagnostiquer par voie objective. On peut être au contraire certain de l’hystérie devant deux autres symptômes oculaires qui ont été décrits parmi les « stigmates » : le rétrécissement concentrique du champ visuel et la diplopie monoculaire (P. Janet).



Troubles sensoriels.

May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on II. L’hystérie de Conversion

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access