II. Criminologie et Expertises Pénales

Nous remercions le docteur M. Henne qui a bien voulu relire ce chapitre.




Ces actes involontaires, nocifs ou dangereux pour les autres, constituent des délits ou des crimes quand, selon le statut juridique (Code pénal) qui règle, dans toutes les sociétés organisées, le système des interdictions et des peines, ils transgressent la loi.



Réactions antisociales mor bides, objet de la Psychiatrie; et actes délictueux ou criminelsy objet de la Criminologie générale.

On conçoit que Droit pénal, Criminologie et Psychiatrie ne peuvent être ni séparés ni trop réduits à n’être qu’une même science anthropologique. C’est même le contraire qui apparaît d’emblée, car s’il y a des délinquants et des criminels qui sont des malades mentaux, la généralité des hommes (et les Codes pénaux qu’ils instituent) pense que les délinquants et les criminels ne sont pas des malades mentaux ipso facto.

Nous avons dans la « Sémiologie » (p. 79-135) décrit les « réactions anti sociales de certains malades (déséquilibrés, névrosés ou psychotiques) ». Pour le Criminologiste ou l’Expert, il s’agit de les distinguer des criminels qui n’ont pas la structure pathologique de leur motivation, de leur « criminogenèse ».



A. — DÉLINQUANCE ET CRIMINALITÉ PATHOLOGIQUES


Tous les statuts sociaux ont leur code pénal, c’est-à-dire le catalogue des actes qualifiés de condamnables pour attenter aux lois de l’institution sociale. A cet égard, morale et société se confondent dans la constitution même du Droit. Il n’est pas question ici d’exposer ces fondements moraux, religieux ou structuraux des interdits et de leur répression. Il nous suffit ici en tant que


(1) Nous remercions Ie docteur M. Henne qui a bien voulu relire ce chapitre.




Tous les Codes Pénaux distin guent les cri minels patho logiques de ceux qui ne le sont pas.


Si, en effet, le catalogue des actes qualifiés criminels ou délinquants dépend de leur définition légale et sociale, la catégorisation des actes anti-sociaux morbides dépend de la Psychiatrie.

Du point de vue purement légal, la liste des crimes et leurs grandes catégories est le reflet de la métaphysique des mœurs de chaque société. C’est dire que tous les actes criminels ou délectueux ne sont pas les mêmes d’un groupe social à l’autre, les uns s’ajoutant, les autres se retranchant à la sanction pénale, selon l’éthique propre à l’institution.

Cette réserve étant faite, et pour nous conformer au Droit des pays occi dentaux (faute de pouvoir se référer aux Droits communs, ceux de l’Homme en général), nous pouvons tenir que tout acte criminel doit être châtié. Mais il n’en reste pas moins qu’aux yeux de tous les hommes une distinction fondamentale (qui s’inscrit dans tous les Codes pénaux) s’établit entre actes déterminés par des maladies et actes déterminés par des mobiles ou des motifs sans caractère pathologique. Seule leur proportion entre ces deux catégories en général ou leur proportion dans chaque cas particulier peut être discutable et doit être discutée. Mais cette discussion n’est possible que si précisément ces deux catégories sont opposées l’une à l’autre comme elles le sont dans la conscience, sinon dans le savoir, de tous les hommes.

Quels sont les critères de la délinquance et de la criminalité pathologiques? Nous distinguerons à ce sujet les critères généraux et les critères particuliers.

Les critères généraux sont cliniques et font l’objet du savoir psychiatrique, tel que nous l’avons exposé dans nos chapitres de pathologie et de description clinique. C’est par référence, non pas à un système d’entités nosographiques mais à l’analyse structurale des Psychoses, des Démences, des Névroses et des états de déséquilibre psychique, que peut s’établir la forme pathologique de la personnalité du délinquant incriminé. On conçoit bien que le problème est souvent difficile à résoudre, notamment à propos des formes d’impulsivité ou d’agressivité des personnalités psychopathiques ou des caractéropathes. Mais si le problème du pathologique est le fondement même de l’expertise en Psychiatrie, il est tout aussi évident qu’il implique des nuances et des degrés que seule l’analyse concrète des cas permet de résoudre, alors qu’en termes généraux il se perd dans des abîmes de perplexité et d’ambiguïté.



Le problème du normal et du pathologique, fondement de la Psychiatrie appliqué aux crimes et délits (expertise psychiatrique).

Certains crimes sont « par leur horreur même » considérés par l’opinion publique comme essentiellement pathologiques. Il en est ainsi, par exemple, pour les crimes monstrueux, certains carnages ou meurtres sadiques (souvent collectifs quant aux auteurs et multiples quant aux victimes), les génocides ou les grandes perversions sexuelles (nécrophilie, fétichisme, sado-masochisme, pédo et gérontophilie), et encore pour les incendiaires trop généralement appelés « pyromanes ». Il est vrai, sans doute, que les auteurs de ces actes criminels ou de ces attentats sont souvent des malades mentaux (tout particu lièrement quand il s’agit de récidives).


Ces quelques réflexions doivent nous suffire pour exposer maintenant le fond du problème psychiatrique impliqué dans la criminogenèse, c’est-à-dire dans la science criminologique appliquée à la recherche du processus du passage à l’acte.

Délinquance infantile. — Il serait trop long et hors du cadre de ce Manuel de traiter de cet immense problème (la drogue, les fugues, les bandes asociales, voire antisociales, la prostitution et la criminalité des jeunes enfants, etc.). Nous renvoyons au Manuel de J. de Ajuriaguerra (1970), à la Monographie de S. Szabo (1960) et à sa bibliographie (UNESCO, 1963).



Importante croissance du problème de la délinquance et de la crimina lité infanto-ju vénile.

Rappelons qu’en France la majorité pénale est fixée à 18 ans. Jusqu’à cet âge le mineur est soumis à une juridiction spécialisée. La loi du 22 juillet 1912 a supprimé la responsabilité pénale mais l’a remplacée par la notion de « discernement ». Celle-ci à son tour a été abolie par le décret-loi de 1951 qui crée un Juge unique et n’envisage plus de mesures de répression mais des soins médico-pédagogiques et une action de rééducation.

Cependant, si le mineur de 13 à 18 ans a commis des crimes, une sanction pénale est possible.

D. Szabo (Canada, 1960) a estimé que la délinquance sexuelle naturellement faible jusqu’à 13 ans, s’accroissait considérablement entre 14 et 16 ans pour diminuer net tement après 17 ans.


Naturellement les actes collectifs de violence, les incendies, les meurtres, mais surtout les vols d’auto, constituent le contingent le plus habituel de la montée actuelle de la criminalité infanto-juvénile.


B. — LA SCIENCE CRIMINOLOGIQUE


Toutes les Sociétés se sont occupées des « déviants » criminels et délin quants pour les punir et toutes — rappelons-le — prévoient des mesures d’excep tion pour les « déments ».

La « science criminologique » se prête assez facilement au schéma d’Auguste Comte (ère théologique, ère métaphysique, ère positive). A l’ère théologique correspondraient les conduites d’exorcisme ou des supplices religieux réservés aux grands possédés de l’esprit du mal — A l’ère métaphysique correspondrait la discrimination de la responsabilité du criminel — A l’ère positive correspondrait la criminologie (terme créé par Topinard) en tant que science humaine ayant pour objet le criminel et le « processus criminogène » qui le conduit à passer à l’acte délinquant ou criminel, à enfreindre la loi. De grands noms sont à citer : Cesare Lombroso, Enrico Ferri, R. Garofalo, M. Grammatico, B. de Tullio, pour l’école italienne — Broca, Morel, Magnan, Lacassagne, F. Voisin, Féré, P. Garnier, Durkheim, chez nous. — P. Verwarck et E. de Greeff, en Belgique. — J. Bentham, Pritchard et M. Maudsley, en Grande-Bretagne; en Allemagne et en Autriche, Kraft- Ebing, Lenz, Seelig, H. Gross ; MacDomata, Shuterland, aux U. S. A. — Forel et H. Binder, en Suisse. — O. Kinberg, en Suède. — Bechterew, en Russie, etc.

La Criminologie est née avec l’idée d’une spécificité de l’homme criminel, à une époque (celle de Gall et Spurzheim) où on rattachait certaines aptitudes ou fonctions de l’individu à certaines parties du cerveau (ou plus exactement, à sa conformation cérébro-cranio-faciale). Pour Lombroso, il existait dans l’espèce humaine une race de criminels prédisposés au viol (évasement du crâne, longueur des oreilles, yeux obliques, nez épaté, longueur des membres), au meurtre (étroitesse du crâne, longueur des maxillaires, pommettes sail lantes), au vol (mobilité des mains et du visage, barbe rare, système pileux peu développé). Il s’agissait pour lui d’un caractère atavique (rencontré dans 68 ou 78 % des cas) (nous dirions, d’un facteur génétique) définissant le « criminel-né ». Une querelle fameuse (Congrès de Paris, 1899) a opposé à cette thèse d’une prédisposition spécifique l’école française (Morel, Magnan, Féré, etc.) attachée à l’idée de « Dégénérescence mentale » qui constituait, à leurs yeux, une prédisposition plus polymorphe et moins spécifique.



Lombroso et Ferri

C’est avec E. Ferri (fin du xixe siècle) que l’étude de la Criminologie s’est appliquée à l’individualité socio-psychosomatique du criminel. Il distinguait en effet : 1° des facteurs anthropologiques inhérents à la personne (mélange de facteurs ou d’indices biomorphologiques, anomalies psychiques, conditions ethniques et écologiques, de l’individualité dirions-nous aujourd’hui); 2° des facteurs physiques et cosmo-telluriques (environnement naturel, dirions-nous) ; 3° des facteurs sociaux (épidémiologie, éthique, profession, milieu fami lial, etc.).

Cette minutieuse étude des conditions du caractère de l’existence des dispo sitions et des facteurs criminogènes, ne constitue pas le seul intérêt de l’œuvre de E. Ferri, car désormais il a orienté la Criminologie vers l’étude psycho logique du criminel (en notant, notamment, que l’homicide est psycholo giquement lié au suicide) et vers une transformation de la peine en recher chant plutôt des équivalents ou substituts pénaux (Cf. in J. Pinatel, Traité de Droit pénal et de Criminologie, tome III, 70-72, les mesures généreuses et parfois utopiques qu’il préconisait).

Dès lors, la Criminologie n’a plus pour objet que le crime faisant corps avec le criminel et celui-ci faisant corps avec l’ensemble des conditions psycho logiques et sociales de sa personnalité.



De la biologie…

Deux tendances se sont donc manifestées pour expliciter (et en un certain sens, remettre en question) cette orientation. L’une caractérisée par ses pos tulats bio-typologiques — l’autre par ses postulats socio-psychodynamiques.



C’est donc dans ce sens psycho-sociologique plaçant au centre de son intérêt la personnalité du criminel que s’est orientée la Criminologie, ou plus exactement, la Socio-criminogenèse.

L’œuvre d’Étienne de Greeff est, à cet égard, considérable et décisive, car il s’est efforcé de montrer quel cheminement complexe suivait la germi nation du passage à l’acte, la trajectoire psycho-dynamique du crime (pro cessus criminogène). La conception de « situation pré-criminelle » (O. Kinberg, 1960) peut être apparentée à cette socio-dynamique plus événementielle que sociologique : les situations ne sont pas seulement subies, mais en quelque sorte, par elles-mêmes, amorphes ou neutres, mais provoquées ou entretenues par les individus en état de gestation criminelle, pourrions-nous dire. La « méthode des cas programmés » de Ch. Darley (1963) s’inspire plus ou moins directement d’une telle conception (cf. J. P. de Warete, 1971).

On comprend, dès lors, que l’analyse psycho-dynamique du crime devait s’imposer à Freud et à l’école psychanalytique. L’ouvrage de Fr. Alexander et H. Staub (trad. fr., 1934) est, à cet égard, capital. On y trouvera, comme dans tous les écrits de Freud, de Steckel, de W. Reich, de A. Kardiner, etc., les thèmes de culpabilité, de l’auto-punition, des complexes d’Œdipe et de castration, de l’agressivité et des pulsions de mort. Les psycha nalystes ont, depuis lors, approfondi encore cette psycho-dynamique incons ciente de la Psycho-criminogenèse (D. Lagache, 1950, notamment en France — et plus récemment R. Herren, 1973), M. Addad, M. Bénézech, A. Grasset (1981) (1).



C. — PSYCHOPATHOLOGIE ET CRIMINALITÉ. L’EXPERTISE PSYCHIATRIQUE





1° Le problème de la criminologie

Nous connaissons maintenant les conduites délinquantes, ou criminelles, symptomatiques des maladies mentales, et les nouvelles tendances de la Criminologie, qui s’appelle aussi socio-criminogenèse, Criminalistique, et plus souvent encore Criminologie clinique. C’est précisément ce terme et ce concept qui font problème. Nous l’envisagerons sous ces deux principaux aspects : la notion de responsabilité, la notion de pathologique appliquée à la déviance délinquante ou criminelle.

a) « Responsabilité » et « État dangereux ». — C’est sur la notion même de responsabilité, c’est-à-dire de la capacité qu’a chaque homme, dans la mesure même il est organise (comme nous 1 avons vu) pour garantir lui-même son autonomie et choisir ses actes, qu’est fondé le problème de l’imputabilité des conséquences pénales des actes d’un délinquant ou d’un criminel.



Vaines discussions sur la notion de responsabilitié…

On a discuté à perte de vue sur la notion de responsabilité, rejetée pour être « métaphysique » (Gilbert Ballet, 1907). La plupart des Psychiatres disent ne pas se sentir concernés par ce problème, sans s’apercevoir qu’en changeant les mots qui définissent la liberté humaine et le « libre arbitre », ils suppriment le fondement même de toute légalité et de toute éthique des relations sociales (quelles que soient les conditions politiques de leur statut). Il est curieux de noter, par exemple, qu’après avoir déclaré que l’idée médicale de responsabilité ne peut être basée sur la notion philosophique du libre arbitre ou de déterminisme, Grasset au même Congrès de Lausanne (1907) déclarait nettement que l’expert doit éclairer le Tribunal sur la responsabilité du prévenu et qu’il ne doit pas se dérober à sa mission.

(1) Naturellement, cette perspective psychodynamique ne tient pas pour son seul objet les rapports psycho-sociologiques du criminel à son crime, mais aussi ceux qui le lient à sa victime. La « victimologie » (cf. E. A. Fattah et D. Szabo, Encycl. méd.-chir. (Psychiatrie37906 A40, 1971) étudie la relation névrotique pure, la relation psycho-biologique et la relation géné-biologique ou attraction entre individu de même type, selon Szondi (H. Ellenberger, 1954). V. également J. Boscredon, Homicides et maladies mentales (Bibliographie).

May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on II. Criminologie et Expertises Pénales

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