et indications des lambeaux de reconstruction intrathoracique

Chapitre 9 Techniques et indications des lambeaux de reconstruction intrathoracique




Repoussant sans cesse ses limites et ses indications, la chirurgie thoracique contemporaine se fait de jour en jour plus agressive et plus performante. Pour tributs de ses succès, elle paye toutefois chez les malades plus fragiles – tels les obèses, les diabétiques ou les irradiés – le prix de complications postopératoires sévères. De nature invariablement infectieuse ou fistuleuse, les incidents recensés dans de pareilles suites résultent à l’évidence de la grande dévascularisation tissulaire et des vastes espaces morts que laissent derrière eux les dissections bilatérales des artères thoraciques internes menées dans le médiastin antérieur et les curages ganglionnaires radicaux réalisés dans l’espace sous-carinaire ou dans le médiastin postérieur. Les bronches, la membraneuse trachéale, les tuniques de l’oesophage thoracique, la graisse médiastinale et, devant elles, le sternum interrompu par les voies d’abord antérieures jouissent en effet anatomiquement d’un apport sanguin précaire, dépendant de nombreux vaisseaux grêles et segmentaires, immanquablement sacrifiés en grand nombre dans toutes les circonstances opératoires sus-mentionnées.


Par voie de conséquence, le traitement préventif ou curatif de ces complications repose sur le principe simple qu’il convient d’apporter dans le site intrathoracique fragilisé un support tissulaire richement vascularisé, utilisé pour couvrir les brèches viscérales, protéger les moignons vasculaires ou bronchiques, isoler les matériaux prothétiques et cloisonner ou obturer les cavités séreuses communicantes ou largement évidées. Les lambeaux musculaires levés sur les parois du tronc ou le lambeau omental sorti de l’abdomen possèdent intrinsèquement toutes les qualités requises pour remplir ces différentes fonctions.


Afin d’accéder à leur cible à l’intérieur du thorax, il leur suffit en effet d’emprunter la voie d’un espace intercostal effondré ou celle d’une fente radiaire ménagée entre les faisceaux du diaphragme. La pratique raisonnée de la reconstruction intrathoracique repose toutefois sur le respect systématique de principes directeurs de base et d’indications topographiques sélectives qui sont modulées en fonction des caractéristiques du site receveur et des axes vasculaires donneurs qui restent disponibles sur les parois du tronc.




PRINCIPES GÉNÉRAUX


L’utilisation de transferts intrathoraciques est indiquée de façon primaire dans les exérèses carcinologiques larges qui voient disparaître les cloisonnements naturels de la cavité thoracique,ouvrent des brèches dans les tuniques de l’oesophage et la paroi postérieure de la trachée, ou laissent des moignons bronchiques courts au contact des sutures vasculaires ou de matériaux prothétiques de reconstruction. En chirurgie secondaire, les mêmes lambeaux sont requis pour traiter les infections suppuratives profondes qui évoluent sur des médiastins dévascularisés, sur des organes greffés, sur des cavités de pneumectomie totale, ou qui sont entretenues par des trajets fistuleux à départ digestif ou respiratoire. Dans toutes ces circonstances, les lambeaux musculaires et le grand omentum offrent des possibilités de couverture et de comblement identiques. Toutefois, les muscles sont généralement préférés en reconstruction primaire pour réparer les pertes de substances chirurgicales occasionnées sur un terrain non septique, par les vastes exérèses de tumeurs pneumocostophréniques ou sternocostomédiastinales. Bien choisis, ils apportent en effet davantage de stabilité et de compliance aux fragments de paroi thoracique qui, très souvent, doivent simultanément être restaurés. Épargnant le geste de laparotomie abdominale, ils amoindrissent en outre les risques de complications ventilatoires dans la phase de réanimation initiale. En chirurgie secondaire, à l’opposé, les indications se portent très souvent vers le choix de l’épiploon dont les propriétés détersives supérieures sont requises lorsque le terrain qui doit recevoir le lambeau est sévèrement infecté, colonisé par des germes multirésistants, chez un malade diabétique, sous immunosuppresseurs ou précédemment irradié dans le champ de la reconstruction. Il en va de même lorsqu’une ostéite sternale suppurative existe sur la voie d’abord médiane utilisée per primam. La reconstruction intrathoracique sera alors temporairement « ouverte », le grand omentum couvrant largement le médiastin antérieur, et les moignons sternaux soigneusement parés et laissés disjoints. Ultérieurement, les tranches sternales stérilisées pourront être rapprochées à la surface de la masse épiploïque devenue médiastinale, lorsque les sepsis local et général auront été parfaitement contrôlés.


Posé indépendamment des circonstances primaires ou secondaires qui justifient le recours à une technique de reconstruction intrathoracique, le choix raisonné du lambeau transféré dans les espaces pleuropulmonaires ou médiastinaux dépend de trois facteurs cardinaux : le terrain du site receveur, le volume de l’espace à combler et la localisation de la cible anatomique à atteindre.



Terrain


Représentant un premier facteur d’analyse, le terrain qui reçoit le transfert intrathoracique départage le choix entre l’omentum ou un lambeau musculaire, dans tous les cas figure où les deux solutions peuvent théoriquement être envisagées.


La supériorité détersive bien connue de l’omentum sur les sites récepteurs compromis, la robustesse de sa vascularisation et ses propriétés adhésives et anti-infectieuses le font préférer chaque fois que la reconstruction porte sur un espace très dévascularisé, précédemment irradié ou étant le siège d’une suppuration productive, contenant des germes agressifs et multirésistants. Cette ligne de conduite se justifie cliniquement par le fait que, dans les médiastinites antérieures par exemple, plusieurs études comparatives ont clairement démontré que la transposition omentale asséchait tous les médiastins, alors que les lambeaux musculaires s’accompagnaient de récidives infectieuses assez fréquentes (15 à 20 %), avec en corollaire, une mortalité plus élevée (15 % versus 5 %).


À l’opposé, les muscles possèdent des caractéristiques anatomiques qui les prédisposent davantage à reconstruire les cloisonnements élastiques du médiastin après les résections tumorales primaires, ou à couvrir les orifices fistuleux secondaires. Dans ces conditions, ils constituent en effet le tissu d’interposition idéal, semi-mince et résistant, entre les voies respiratoires et digestives. Enfin, les lambeaux musculaires s’adaptent particulièrement bien au comblement des cavités résiduelles d’empyèmes constitués dans les suites de lobectomies pulmonaires. Dans cette dernière mission, leur volume, parfois modeste au regard de l’espace mort à remplir, peut cependant parfois constituer un handicap à leur efficacité. Afin d’augmenter leur masse, il est alors possible d’y adjoindre une large palette musculocutanée, désépidermisée.



Volume


Le volume du transfert intrathoracique constitue donc, outre sa nature, la seconde caractéristique anatomique qui conditionne son adaptation optimale au site receveur et, ainsi, son efficience thérapeutique. Il importe en effet que le lambeau choisi comble le plus complètement possible la cavité dans laquelle il est transposé.


Au regard de ce point, il faut considérer que l’épiploon s’insinue parfaitement dans les espaces anfractueux du médiastin, se glissant sans les comprimer ni les contraindre dans les différents culs-de-sac du péricarde ou les sinus étroits séparant les gros vaisseaux (figure 9.1). Son volume toutefois reste imprévisible avant l’instant de la laparotomie qui l’expose définitivement au regard. En pratique, aucun examen préopératoire ne permet, outre une laparoscopie, de contourner cette incertitude. Dans la plupart des cas, cependant, même lorsque l’abdomen avait été précédemment violé chirurgicalement, notre expérience nous a enseigné que l’exploration soigneuse de la cavité péritonéale permettait toujours d’y lever un lambeau épiploïque dont la masse suffisait à traiter tous les problèmes médiastinaux.



Considérant le volume des lambeaux musculaires, il est évident que le chef inférieur du dentelé antérieur, le droit de l’abdomen et le grand dorsal apportent respectivement un volume tissulaire croissant dans le thorax, ce qui influence sans le moindre doute leur sélection. Dans les cas secondaires, cependant, l’on gardera à l’esprit que, très souvent, la thoracotomie originale aura interrompu la continuité du muscle grand dorsal, l’amputant ainsi de sa portion distale utile, et que dans les fibrothorax de longue évolution, les faisceaux musculaires charnus du tronc sont généralement atrophiés. Afin de combler les vastes espaces morts à l’aide de la quantité requise de tissus vascularisés, l’on se tournera dans ces conditions vers les lambeaux musculocutanés ou, mieux, vers les transferts musculaires multiples additionnant sur le même pédicule le grand dorsal et le dentelé antérieur, ou sur des pédicules distincts les deux muscles précédents combinés avec les muscles grand pectoral ou droit de l’abdomen. Stratégiquement, il importe dans cette perspective d’éduquer les chirurgiens thoraciques à la pratique des thoracotomies d’épargne musculaire et de les sensibiliser à la programmation différée mais précoce des thoracomyoplasties dans le traitement des empyèmes pleuraux chroniques.



INDICATIONS TOPOGRAPHIQUES SÉLECTIVES


De façon critique, le choix du lambeau de reconstruction intrathoracique dépend de l’aire anatomique dans laquelle il doit être transféré. L’accessibilité de cette cible est fonction de la morphologie générale du thorax, de l’arc de rotation qu’offre le pédicule vasculaire du lambeau et de la voie de pénétration transpariétale empruntée pour le transposer dans le médiastin ou la cavité pleurale. L’étude de ces contraintes anatomiques nous a conduit à segmenter la cavité thoracique en neuf régions distinctes décrites ci-après et à individualiser pour chacune d’entre elles les lambeaux idéaux de reconstruction et les voies d’abord à utiliser.



Médiastin antérieur


Contenant le coeur et les gros vaisseaux, le médiastin antérieur est toujours abordé par voie de sternotomie médiane. Sa couverture ou son comblement doivent être envisagés de façon primaire après les exérèses étendues du plastron sternocostal qui, associées à un évidement de la graisse médiastinale, exposent les gros troncs artériels, les veines brachiocéphaliques et d’éventuelles tranches de résection pulmonaires. Il en va de même dans les médiastinites purulentes qui compliquent secondairement une chirurgie de revascularisation myocardique, une transplantation cardiaque, ou un remplacement prothétique de l’aorte (figure 9.1).


Lorsque l’ensemble du médiastin antérieur doit être couvert, le lambeau du grand omentum est le transfert idéal, en terrain septique, comme en terrain tumoral précédemment irradié (figure 9.1). Le plus souvent, la masse épiploïque est levée sur les vaisseaux gastroépiploïques droits. Lorsque cet axe a été utilisé pour réaliser un pontage artériel sur la face diaphragmatique du coeur, les vaisseaux gastroépiploïques gauches peuvent servir de pédicule alternatif au lambeau, dont la corne droite, vascularisée par l’arcade marginale de Haller, monte sans peine jusque dans l’espace interclaviculaire. Dans tous les cas, le lambeau omental est transposé dans le thorax en glissant dans la fente de Marfan, élargie par la désinsertion au doigt des faisceaux xiphoïdiens du diaphragme. Le tunnel ainsi ménagé au côté postérieur de la partie distale du sternum garantit la stabilité du cintre thoracique inférieur et évite les hernies épigastriques souvent observées secondairement quand l’appendice xyphoïde doit être réséqué.



L’étage inférieur du médiastin antérieur est pour sa part accessible à trois lambeaux différents dont la sélection s’opère en fonction des axes vasculaires disponibles, du terrain et du volume qu’il convient d’apporter à l’intérieur du thorax, le plus souvent autour du coeur, dans les différents récessus de la cavité péricardique. Par sa plasticité, le grand omentum reste le plus souvent le meilleur transfert dans ces conditions, en particulier lorsqu’il s’agit de couvrir très largement, par exemple, un greffon cardiaque de petit volume transplanté dans un sac péricardique dilaté et secondairement infecté. En présence de pertes de substances plus modestes, rétrosternales basses et xyphoïdiennes, on privilégiera au contraire l’utilisation du lambeau inféromédial du muscle grand pectoral, levé sur les branches perforantes des vaisseaux intercostaux antérieurs. Trouvant ici son indication reine, ce lambeau reste en effet fiable, même lorsque les vaisseaux thoraciques internes ont été sacrifiés. Alternativement, le choix peut se porter sur le muscle droit de l’abdomen à pédicule épigastrique supérieur qui, replié sur luimême, offre une belle surface de couverture et un volume de comblement adéquat aux espaces médiastinaux antérieurs en rapport avec des sites fragilisés de l’auricule et du ventricule droits. Dans ce cas de figure, toutefois, il convient que les vaisseaux thoraciques internes n’aient pas été lésés, car le prélèvement du muscle droit de l’abdomen sur les shunts intercostaux et les vaisseaux musculophréniques est plus aléatoire.


Médiastin postérieur


Situé en arrière du plan frontal oblique qui suit la trachée, puis au côté dorsal du plan frontal strict qui intercepte le hile pulmonaire et le ligament triangulaire du poumon, l’espace médiastinal que, par commodité chirurgicale, nous appellerons ici médiastin postérieur est une étroite cheminée qui contient :




Pour le chirurgien reconstructeur, les cibles privilégiées y sont représentées par les conduits viscéraux, alors que les éléments vasculaires et nerveux constituent des obstacles naturels qui y limitent l’accès de ses lambeaux. En pratique, cette disposition nous amène donc à subdiviser cette partie dorsale du médiastin en trois segments successifs, supérieur, moyen et inférieur, qui tiennent compte des sites habituels des brèches viscérales, mais aussi de leurs voies d’abord et de couverture respectives.


Le segment supérieur du médiastin postérieur s’étend de l’orifice supérieur du thorax au plateau inférieur de la troisième vertèbre thoracique. En pratique, il intéresse surtout la trachée thoracique et nécessite parfois la réalisation d’un transfert intrathoracique dans les cas de fistules trachéo-oesophagiennes hautes (figure 9.2). Celles-ci s’abordent par voie de sternotomie médiane, avec interruption de la veine brachiocéphalique gauche et exposition de la face antérieure de l’oesophage, au côté gauche de la trachée. Le traitement de la fistule est réalisé par l’interposition entre la membraneuse trachéale et la brèche oesophagienne d’une mince palette cutanée désépidermisée prélevée sur les faisceaux distaux d’un lambeau de muscle grand pectoral à pédicule thoracoacromial (figure 9.2). Lorsque la perte de substance sur la face postérieure de la trachée est très large, un petit îlot cutané intact, dessiné en zone non pilleuse, y est intégré sur une suture en parachute. La ligne de suture oesophagienne, dont la fermeture est toujours possible en raison de la plasticité de l’organe, est, elle, couverte par la face profonde du lambeau qui est constituée de fascia ou, mieux, si le thorax est longiligne, de fibres musculaires charnues. Le prélèvement se limite idéalement aux fibres moyennes, sternales, du muscle grand pectoral gauche et laisse intactes ses portions claviculaire et abdominocostale. Le lambeau est glissé dans le thorax en lui créant une voie de passage transpariétale qui nécessite le sacrifice du 2e ou 3e cartilage costal gauche mais qui respecte en principe la plèvre et les vaisseaux thoraciques internes homolatéraux.

Apr 27, 2017 | Posted by in CHIRURGIE | Comments Off on et indications des lambeaux de reconstruction intrathoracique

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