Imagerie et accident vasculaire cérébral
P.E. Bollaert, R. Anxionnat, S. Foscolo, E. Schmitt, V. Antoine and S. Bracard
Enjeux
Les progrès récents de l’imagerie cérébrale ont révolutionné l’approche des accidents vasculaires cérébraux (AVC) dans le domaine du diagnostic, des indications thérapeutiques et de la compréhension physiopathologique de cette affection. En France et dans les pays industrialisés, les AVC représentent la troisième cause de mortalité et la première cause de handicap non traumatique de l’adulte. Près de 200 000 AVC ischémiques et hémorragiques sont recensés annuellement en France.
Le réanimateur est souvent confronté à la prise en charge de cette pathologie, à l’occasion de formes de topographie spécifique (accidents du territoire vertébrobasilaire, accidents sylviens malins, etc.), de formes hémorragiques entraînant fréquemment des manifestations cliniques menaçant immédiatement le pronostic vital (troubles sévères de la conscience, œdème cérébral), ou encore de complications (pneumopathies, états de mal convulsif, manifestations thrombo-emboliques, etc.), ou enfin, de la survenue non exceptionnelle d’un AVC chez un malade déjà hospitalisé en réanimation. Ainsi, presque toujours, le séjour dans les unités de réanimation de ces patients est lié à l’initiation ou à la poursuite d’une suppléance ventilatoire. La réalisation d’examens d’imagerie neuroradiologique (essentiellement scanner ou imagerie par résonance magnétique (IRM), plus rarement artériographie conventionnelle) nécessite le transport de patients fragiles, parfois hémodynamiquement instables. En dépit de la rapidité actuelle de réalisation des examens, les risques encourus restent non négligeables. C’est dire que ces examens, au-delà de la connaissance et de la précision diagnostique qu’ils peuvent apporter, doivent de surcroît permettre d’obtenir des informations déterminantes sur l’indication d’un traitement spécifique (thrombolyse, anticoagulant, hémicraniectomie, etc.), la discussion d’un diagnostic différentiel pertinent et, enfin, le pronostic de l’AVC.
Dans ce chapitre seront traités les modalités, indications, avantages et inconvénients des techniques disponibles d’imagerie dans les formes ischémiques et hémorragiques d’AVC ainsi que dans l’hémorragie sous-arachnoïdienne. Les illustrations seront présentées sous forme de brefs cas cliniques rassemblant souvent plusieurs techniques ou modalités d’imagerie. Les thrombophlébites cérébrales, traitées dans un autre chapitre de cet ouvrage, en seront exclues.
Accident vasculaire cérébral ischémique artériel
L’imagerie cérébrale, indispensable en urgence, a pour but d’affirmer le diagnostic, notamment en excluant une hémorragie, de fournir des arguments complémentaires en faveur d’une éventuelle thrombolyse [1, 2], enfin d’estimer la réversibilité des lésions et d’établir un pronostic. Le degré d’urgence du bilan étiologique de l’AVC ischémique est variable, dépendant de l’état clinique du malade et des possibilités thérapeutiques encore réellement envisageables chez le patient de réanimation.
Scanner
Scanner sans injection
Le scanner cérébral sans injection de produit de contraste reste un examen de première intention encore très utilisé en raison de son accessibilité aisée sur le territoire, comparativement à l’IRM. Cet examen permet d’éliminer avec fiabilité une hémorragie cérébrale, condition clé pour envisager une thrombolyse lorsque le malade est vu dans les trois premières heures suivant l’apparition du déficit neurologique. Dans l’AVC ischémique, le scanner cérébral est souvent considéré comme normal au cours des six premières heures. Cependant, et notamment dans les formes sévères, des lésions discrètes peuvent être déjà présentes : il peut s’agir d’une hyperdensité d’un segment artériel, témoin de la présence d’un thrombus intra-artériel récent (notamment artère cérébrale moyenne proximale ou tronc basilaire), signe très spécifique mais peu sensible, d’une hypodensité associée à un gonflement du tissu cérébral en rapport avec l’œdème cytotoxique [3]. À la phase toute initiale, cette hypodensité se traduit surtout par une perte du contraste normalement visible entre les densités de la substance blanche et de la substance grise. L’effet de masse se traduit essentiellement par un effacement des sillons corticaux. Après la 6e heure, ces lésions deviennent nettement plus évidentes au scanner, notamment pour les infarctus cérébraux de grande taille (figure 1). Le scanner sans injection est d’un rendement médiocre pour le diagnostic d’accident du territoire vertébrobasilaire en raison du faible volume de l’accident habituellement observé et de la fréquence des artéfacts osseux (figure 2).
Figure 1 |
Figure 2 |
Compte tenu d’une certaine variabilité de l’appréciation des lésions ischémiques précoces, une codification systématique à l’aide d’un score (Alberta Stroke Programme Early CT Score [ASPECTS]) a été récemment proposée [4]. Ce score prédit dans une certaine mesure (notamment pour les valeurs les plus basses) un pronostic défavorable.
Angioscanner
L’angioscanner est une technique maintenant très répandue qui permet de mettre en évidence des sténoses ou occlusions des artères du polygone de Willis [5]. Cette technique d’examen qui nécessite l’injection d’un bolus veineux de produit de contraste pourrait argumenter le choix d’une technique de thrombolyse ou de revascularisation cérébrale, sachant que la thrombolyse par voie générale a peu d’espoir de recanaliser les occlusions très proximales de l’artère cérébrale moyenne ou du siphon carotidien [6]. Il n’existe cependant pas de validation définitive d’une telle stratégie. L’angioscanner peut être appliqué aux vaisseaux cervicaux à la recherche d’une sténose chirurgicale ou d’une occlusion de la carotide interne avec d’excellentes sensibilité et spécificité.
Scanner de perfusion
Le scanner de perfusion, technique assez voisine de l’IRM de perfusion, permet de suivre le passage vasculaire d’un bolus intraveineux de produit de contraste. À partir des images obtenues, des cartographies du volume sanguin cérébral et du débit sanguin cérébral peuvent être établies [7]. L’intérêt principal de cette technique est de permettre une estimation de la zone de pénombre ischémique. Cette technique prometteuse est handicapée par l’impossibilité de couvrir l’ensemble du cerveau et une médiocre sensibilité pour la circulation postérieure [8].
IRM
Les nouvelles techniques d’IRM mises en place depuis maintenant plus de 10 ans ont apporté une nouvelle dimension à l’imagerie diagnostique de l’AVC ischémique [1, 2, 9]. Un protocole d’imagerie cérébrale par IRM dans le bilan initial d’une suspicion d’AVC inclut la réalisation de séquences classiques (T2, FLAIR), mais aussi une angiographie IRM et de nouvelles séquences que sont l’imagerie de diffusion, les séquences de perfusion et les séquences en écho de gradient (T2*) (tableau 1).
Les séquences qui permettent le diagnostic positif – T1 : les liquides sont noirs et la substance blanche est blanche. • Non modifiée par l’AVC ischémique. – T2 : le LCR est blanc et la substance blanche est en gris foncé. – FLAIR (fluid-attenuated inversion recovery) : séquence T2 avec saturation du signal du LCR, le LCR est noir (comme le T1) mais la substance blanche est en gris foncé (comme le T2). • Non modifiées par l’accident ischémique datant de moins de 6 h. • Présence d’un hypersignal parenchymateux si l’AVC date de plus de 6 h. – T2* (encore appelée écho de gradient) : séquence T2 spécifique permettant de mettre en évidence une hémorragie parenchymateuse (récente ou ancienne) sous forme d’un hyposignal franc. – Diffusion : séquence étudiant la diffusion des molécules d’eau et permettant un calcul informatique de la valeur du coefficient de diffusion (ADC) de chaque pixel de l’image (représenté sous forme d’une cartographie couleur). • En cas d’œdème cytotoxique (c’est le cas des AVC ischémiques), il existe une importante restriction du mouvement des molécules d’eau qui se traduit sous forme d’un hypersignal sur cette séquence. On dit qu’il existe une baisse du coefficient de diffusion. Cet hypersignal apparaît dès les premières minutes suivant l’occlusion artérielle et persiste environ 8 jours. |
Les séquences qui permettent le diagnostic étiologique : les séquences vasculaires – Angio-IRM en 3D en « temps de vol » pour l’étude des vaisseaux intracrâniens : séquence vasculaire réalisée sans injection de produit de contraste permettant de mettre en évidence une occlusion ou autre pathologie artérielle intracrânienne. – Angio-IRM avec injection pour l’étude des vaisseaux du cou : séquence réalisée avec injection de produit de contraste permettant de mettre en évidence une pathologie vasculaire au niveau cervical (une dissection, par exemple). |
La séquence qui oriente le traitement à la phase aiguë de l’AVC – Perfusion : séquence nécessitant une injection de produit de contraste et permettant d’étudier la perfusion parenchymateuse cérébrale. • Si la zone hypoperfusée est plus étendue que la zone ischémiée, mise en évidence sur la diffusion, on dit qu’il y a mismatch ;ilyaun intérêt théorique à tenter une recanalisation du vaisseau occlus par thrombolyse. |
La séquence du diagnostic différentiel – T1 avec injection de produit de contraste : si les séquences précédentes n’ont pas conduit au diagnostic d’accident vasculaire ischémique, cette séquence permettra de préciser le diagnostic d’une pathologie tumorale, infectieuse ou inflammatoire. |
IRM « conventionnelle »
Les séquences conventionnelles ne sont pas très supérieures au scanner, à la phase hyperaiguë de l’AVC ischémique. Cependant, les séquences pondérées T2 et notamment les images de type FLAIR sont très sensibles pour mettre en évidence l’œdème cytotoxique traduit par un hypersignal (figure 3). On retrouve approximativement la même sémiologie « topographique » qu’en imagerie par scanner. En particulier, l’aspect de « trop belles images » artérielles des vaisseaux thrombosés (artère cérébrale moyenne, tronc basilaire) est habituellement bien observé en hypersignal en séquence FLAIR, et en hyposignal en séquences T2*, y compris pour des occlusions artérielles distales. L’IRM est très supérieure au scanner pour les lésions de la fosse cérébrale postérieure (voir figure 2).
Figure 3 |
L’angio-IRM peut être effectuée sans injection de produit de contraste (séquence en « temps de vol ») ; elle peut mettre en évidence une occlusion vasculaire au niveau des vaisseaux principaux de façon aussi fiable que l’angioscanner (figure 4). Elle nécessite l’injection de Gadolinium lorsque l’on souhaite explorer les vaisseaux cervicaux.
Figure 4 |
Séquences de diffusion
Ce type de séquence permet plus précocement que n’importe quelle autre technique d’imagerie de visualiser l’ischémie parenchymateuse avec une remarquable sensibilité [10–12] (figure 5). En effet, elle met en évidence l’œdème cytotoxique causé par une ischémie absolue bien moins d’une heure après l’occlusion d’un vaisseau, et ce par quantification de la réduction du coefficient apparent de diffusion (apparent diffusion coeffıcient [ADC]) en relation avec les mouvements des molécules d’eau, constitutives de l’œdème cytotoxique. Sur les images de diffusion, l’ischémie se traduit par un hypersignal qui n’est pas en lui-même pathognomonique. Il doit s’accompagner d’une baisse de l’ADC visible sur la cartographie ADC associée [13]. D’autres pathologies que l’AVC peuvent cependant présenter un profil similaire en raison d’une composante ischémique associée (figure 6).