Ostéosynthèse des fractures récentes de l’extrémité distale du radius de l’adulte
Fixation of distal radius fracture in adult
Épidémiologie, rapport avec l’ostéoporose, implications pratiques
Chez l’adulte, les fractures du radius distal sont les lésions fracturaires les plus fréquentes avec les fractures du fémur proximal (qu’elles précèdent d’une dizaine d’années) et les fractures des métacarpiens [31]. Avec les fractures du rachis et les fractures du fémur proximal, les fractures du radius distal sont les fractures les plus associées à l’ostéoporose ; les fractures autres que celles de la hanche et du rachis représentent 50 % des traumatismes à basse énergie [12]. En 2000, 60 % des fractures de l’adulte que voyait l’orthopédiste correspondaient à deux fractures du membre thoracique (radius distal et doigts) et deux fractures du membre porteur (fémur proximal et cheville) [31]. Parce que les coûts directs et indirects de ces fractures liées à l’ostéoporose sont élevés et ne peuvent qu’augmenter (36 millions d’euros en 2000 en Europe, 17 milliards de dollars en 2005 aux États-Unis) [103], des outils prédictifs de survenue de telles fractures sont apparus et peuvent être utilisés (FRAX, http://www.shef.ac.uk/FRAX).
Si, chez l’homme, il n’y a pas d’augmentation apparente de l’incidence des fractures du radius distal avec l’âge (entre 20 et 80 ans), on observe chez la femme occidentale une augmentation linéaire entre 40 et 65 ans avec stabilisation par la suite [151,154]. Chez la femme, Van Staa a montré que l’incidence de ces fractures en période préménopausique est de 10 pour 10 000 par an pour atteindre un pic de 12 pour 10 000 après 85 ans [154]. Cette fracture est la plus liée au sexe, avec un sex ratio de 4 : 1 en faveur des femmes. Il existe une variabilité géographique avec un pic hivernal. Vingt pour cent de ces fractures nécessitent une hospitalisation [151,154].
Par ailleurs, si le risque de surmortalité après une fracture du fémur proximal est connu (30 % au cours des 6 premiers mois et 21 % dans les 18 mois suivants), les fractures du radius distal sont elles aussi associées à un risque de surmortalité (mortalité multipliée par 2 chez les femmes à partir de 60 ans et quel que soit le sexe après 75 ans dans les 5 années qui suivent la fracture [12]). La prévention spécifique de ces fractures du radius distal repose sur l’augmentation de la masse osseuse et sur une campagne de prévention des chutes (sensibilisation à une marche lente) [79].
Une densité osseuse basse, une épaisseur corticale diminuée et une microarchitecture anormale demeurent des facteurs de risque locaux identifiés [113]. Mais il existe aussi une corrélation entre la densité osseuse et la gravité de la fracture. La probabilité d’avoir un déplacement secondaire et/ou un cal vicieux augmente de 10 % en cas d’ostéopénie, et de 20 % en cas d’ostéoporose [24]. En 2001, l’analyse de plus de 115 000 fractures périphériques grâce au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) a permis de constater que 83 % des fractures du radius distal étaient opérées avec un coût unitaire variant de 2 363 à 2 574 euros par fracture et une durée d’hospitalisation de 2 j (1–96 j) [107]. La fréquence de la prise en charge chirurgicale contraste avec le faible pourcentage de patients recevant en sortie d’hospitalisation un traitement pour l’ostéoporose : 7 % sur une cohorte de 1200 patients [145].
Anatomie et biomécanique appliquées du radius distal
Anatomie
Peu de travaux concernant l’anatomie de l’épiphyse radiale ont été publiés ces 10 dernières années. Cependant l’apparition de nouveaux implants, exo- ou endomédullaires et d’une iatrogénie évitable, ont rendu nécessaire une évaluation nouvelle et précise de la région métaphysoépiphysaire du radius distal. Les travaux revisitant cette région finalement méconnue restent rares, même si Herzberg a rappelé l’anatomie osseuse et régionale en 1998 [64] : corticale antérieure plus épaisse, face dorsale parcourue de tendons et de nerfs.
Nelson, en 2005, a caractérisé les limites extrêmes et distales de l’épiphyse avec les lignes de watershed (ligne de partage des eaux) et du carré pronateur (figure 1) [117]. La ligne du carré pronateur marque la limite la plus proximale de l’épiphyse et permet à l’opérateur de visualiser la courbure du radius spécifique de chaque patient. Si, de profil, un implant dépasse cette ligne, le conflit avec les fléchisseurs du pouce et des doigts devient possible. La ligne de partage des eaux marque la limite la plus distale de l’épiphyse. En principe plus distale que la ligne du carré pronateur, elle est parfois située à la même hauteur qu’elle. Une petite bande de 3 à 5 mm sépare les deux lignes (figure 1). Dépasser cette ligne, c’est être dans l’articulation.
Windish, en 2007, a défini le promontoire comme étant la partie radiale de l’épiphyse radiale qui est extrêmement variable, tout comme le versant ulnaire (figure 2) [160]. Par ailleurs, la styloïde n’est pas dans le plan de l’épiphyse, dont la face antérieure s’étend plus en ulnaire qu’en radial (figures 3 et 4).
Deux travaux récents de la même équipe ont permis de mieux décrire le radius distal : Pichler a retrouvé de grandes variations de mesures autour du tubercule de Lister et de la gouttière de l’extenseur pollicis longus (étude cadavérique de 30 avant-bras) et a montré sur 100 radius de cadavre des différences entre les pentes radiales et ulnaires [128,129]. Buzzell a testé 8 plaques palmaires de radius et a retrouvé une surface de contact de la plaque avec le radius distal très faible, puisque variant de 3 à 6 % [17].
Une étude réalisée par N. Gasse à Besançon sur 74 radius secs d’adultes (50 droits et 24 gauches) issus de deux laboratoires d’anatomie (Besançon et Dijon) a permis d’établir des mesures de zones spécifiques du radius avec application directe pour un opérateur (mesures par pied à coulisse électronique, par scanner multidétecteurs huit barrettes et utilisation du logiciel Osirix™). La mesure de l’épaisseur au niveau du Lister était de 22,1 mm (18–26,1) avec un écart-type à 1,8 mm. La longueur des vis à ce niveau de la métaphyse découlera de cette mesure. Les mesures de la colonne latérale étaient de 155° (143–167) et celles de la colonne intermédiaire de 145° (134–153) [figure 5]. Les pentes des plaques actuellement disponibles sur le marché avoisinent 155°, mais cette pente est constante et ne varie pas sur toute la largeur du radius. La double pente de l’épiphyse radiale due aux deux colonnes complique la mise au point d’une plaque « anatomique ».
Biomécanique
Les forces qui s’appliquent au niveau du radius distal sont extrêmement variables : les mouvements du poignet lors d’activité de la vie quotidienne génèrent des sollicitations qui approchent 100 N (10 N = 1 kg), alors que la flexion des doigts entraîne des sollicitations moyennes de 250 N [125]. Putnam a montré que lors d’une prise de poigne de 10 N, on pouvait mesurer au niveau de la métaphyse du radius distal une force axiale de 26,3 N. En fait, lors d’une prise, pour chaque dizaine de newtons, c’est 26 à 52 N qui s’appliquent sur le radius distal selon la position de la main et la longueur du radius [132]. Mais si cette force de poigne atteint 450 N (force de la poigne moyenne chez l’homme), 2410 N s’appliquent alors sur la métaphyse radiale. Ainsi, dans certaines positions et lors de certaines prises de poigne, plus de 3000 N peuvent s’appliquer au niveau du radius distal [109].
Il faut des sollicitations de 2500 N, brusques en hyperextension, pour fracturer un radius distal [4]. Lors de la rééducation, les exercices de force de serrage ne devraient pas dépasser 169 N et les exercices de mobilisation la moitié de la force entraînant la faillite de l’implant. Ce qui n’est pas forcément une notion extrapolable à l’échelle du patient ! Les forces entraînant la faillite des systèmes de fixation sont étroitement liées au type d’ostéosynthèse et à leurs qualités intrinsèques, et varient de 55 à 825 N [109] !
Du mécanisme de la fracture à son analyse
Mécanisme de la fracture
Il n’y a pas de « fracture du radius distal typique » mais un spectre lésionnel, conséquence d’une hyperextension. Pechlaner [126] a rapporté les résultats d’une étude cadavérique dans laquelle 63 avant-bras avaient été sollicités en hyperextension sur machine. Selon la position de la première rangée lors de l’impact, les pressions appliquées sur la surface articulaire du radius génèrent des fractures plutôt dorsales, centrales ou palmaires. Dans chacune des trois localisations, les lésions ont une gravité croissante avec des lésions métaphysaire pures, puis métaphysoépiphysaire (refend articulaire) et enfin avec luxation. La forme la plus fréquente était la forme articulaire et métaphysaire avec déplacement dorsal [126]. Dans deux tiers des cas, il existait par ailleurs des lésions associées au niveau du complexe triangulaire (avec ou sans avulsion de la styloïde ulnaire) ou des ligaments interosseux. Ce travail a permis de légitimer les travaux de Laulan et la classification MEU [95]. Certaines lésions particulières ont été identifiées et sont souvent décrites comme des entités précises : la fracture avec « die punch fragment » (fragment postéromédial), décrite par Scheck en 1962, et la fracture cunéenne externe [95].
Classifications
Le grand nombre de classifications publié au fil du temps n’a pas permis à l’une d’entre elles de s’imposer comme un outil pertinent de prise en charge. Les classifications sont intimement liées à une époque et à un type de traitement. Comme l’a rappelé Dumontier [40], la classification idéale doit répondre à trois objectifs : décrire la lésion, choisir un traitement, et prévoir le devenir fonctionnel. Lors du symposium de la SOFCOT, Dumontier a pu faire une lecture critique de l’ensemble des classifications existantes. Aucune des classifications ne remplit les trois conditions définies ci-dessus, la plupart ne prennent en compte que les lésions du radius, et sur le radius qu’un ou deux critères qui varient d’un système à l’autre. Par ailleurs les reproductibilités intraobservateurs et interobservateurs souvent médiocres expliquent les limites de ces classifications où l’opérateur a toutes les peines du monde à faire rentrer la fracture dans une case.
En utilisant des clichés de face et de profil, la classification de l’AO était modérément reproductible en interobservateurs et faiblement en intraobservateurs [69], et seule l’analyse des types A (extra-articulaire), B (intra-articulaire partielle) et C (intra-articulaire complète) de l’AO était reproductible [90]. En utilisant un scanner pour compléter l’analyse, la classification de l’AO perdait toute reproductibilité interobservateur [46].
De la même manière, les classifications de Frykman, de Melone et de la Mayo Clinic se sont révélées peu fiables, aussi bien en intraobservateur qu’en interobservateur [2,34,69]. Par ailleurs, plusieurs travaux ont malheureusement montré l’absence d’intérêt pronostique de ces classifications, prouvant sans doute que les critères étudiés ne sont pas les bons pour décrire la fracture. À 5 ans de recul, les classifications de l’AO et de Frykman ne permettaient pas de prédire l’évolution clinique de 652 patients [46].
La classification d’Older, testée sur 633 patients, s’est également révélée insuffisante en termes de pronostic [34]. L’étude de Lenoble n’avait pas non plus retrouvé d’intérêt pronostique aux classifications de Castaing, Frykman, Gartland, Older, Lindström et Jenkins [97].
La classification dite « universelle » élaborée par Cooney [30] essaie de proposer une conduite thérapeutique mais sa validité, récemment testée, demeure mitigée [73].
Ainsi les classifications étudiées ne sont pas reproductibles et n’ont pas d’intérêt pronostique. Leur utilisation est donc critiquable. Et, plus qu’une classification, un système de description des lésions doit s’imposer pour comparer les fractures [95].
Celui de Laulan est validé et permet de « ranger » dans tous les cas la fracture du radius. Cette classification décrit la fracture avec une reproductibilité intra- et interobservateurs suffisante pour devenir un outil utile pour le traitement et le pronostic fonctionnel. Elle consiste en la description de trois paramètres permettant de savoir si la fracture est « grave » ou non, chaque paramètre ayant été validé comme lié au pronostic. L’atteinte de la métaphyse (comminution), de l’épiphyse (fracture articulaire) et de l’ulna est différente dans chaque fracture, mais chacune est une association de ces trois paramètres (figure 6) [95].
Analyse de la fracture
La « méthode d’analyse » présentée à la SOFCOT par Herzberg et Dumontier [40] est un moyen simple de compréhension de la fracture du radius distal permettant de recenser et donc de traiter l’ensemble des lésions sans en oublier. Il s’agit d’une liste d’éléments essentiels dont l’anatomie est à restituer car liée au pronostic fonctionnel (figure 7). Il y a quatre paramètres spécifiques du radius distal (l’inclinaison de la pente radiale de profil, l’inclinaison de la pente radiale de face, l’impaction articulaire et le raccourcissement du radius par tassement métaphysaire) ainsi que les lésions intracarpiennes et de la l’articulation radio-ulnaire distale (RUD) contemporaines du traumatisme. Les trois paramètres de la classification MEU en font partie.
Cette « check-list » est renseignée grâce à un bilan radiographique en urgence : il s’agit de radiographies de face, de profil et de trois quarts ; ces dernières permettent d’analyser la présence et l’importance d’un fragment postéromédial. En cas de fracture à haute énergie, un scanner permettra d’analyser l’ensemble des lésions articulaires au niveau radiocarpien et au niveau radio-ulnaire. En peropératoire, sous anesthésie, des clichés en traction permettent une meilleure analyse (surtout de la comminution) et relativisent souvent l’importance du déplacement (figure 8). Dans les deux tiers des cas, ils apportent à l’opérateur une information qui modifiera son attitude [40].
Dans cette analyse, l’arthroscopie est un outil supplémentaire permettant de compléter le bilan, de façon contemporaine à la fixation. Les lésions ligamentaires et les lésions ostéocartilagineuses seront parfaitement visualisées [27]. La grande fréquence des lésions ligamentaires contraste avec le petit nombre de patients qui nécessitent secondairement une réparation ligamentaire [47,126]. Comme l’a montré Laulan, au niveau des ligaments interosseux (scapholunaire), la lésion ligamentaire n’est pas synonyme d’incompétence de la structure et donc de réparation [94]. Dans une étude prospective radiographique sur 1 an, 43 % de lésions ligamentaires intracarpiennes dissociatives avaient été diagnostiquées mais aucun retentissement de ces lésions ligamentaires n’était démontré sur le résultat fonctionnel à 1 an [94]. Concernant les lésions ostéocartilagineuses, dans les fractures articulaires chez le patient à haute demande fonctionnelle, l’arthroscopie est un outil moderne de visualisation et de fixation optimale de fragments inaccessibles sans lui [9,27]. Mais voir et mieux comprendre les lésions intra-articulaires ne signifie pas pouvoir ou devoir les réparer toujours.
Pourquoi chercher à restituer l’anatomie ?
L’absence de parallélisme entre l’anatomie restituée et la fonction a longtemps gouverné le projet thérapeutique. Cette notion n’est vraie que chez le grand vieillard, à faible demande, très dépendant [111]. Comme le rappelle Dumontier, la légende de cette fracture « qui va toujours bien » vient de loin… Abraham Colles écrivait en 1814 : « One consolation only remains, that the limb will, at some remote period, enjoy perfect freedom in all its motions, and be completely exempt from pain. The deformity, however, will remain undiminished through life » [40]. Par ailleurs, qu’appelle-t-on « mauvaise réduction » ? Car si la restitution de l’anatomie doit guider l’opérateur, à partir de quand la fonction peut-elle être altérée si elle ne l’a pas été ? L’étude des quatre paramètres spécifiques du radius distal a permis de savoir quelles valeurs de déplacement résiduel avaient des conséquences sur la fonction en général : l’inclinaison de la pente radiale de profil (dans le plan sagittal), l’inclinaison de la pente radiale de face (dans le plan frontal), l’incongruence articulaire et le raccourcissement du radius créé par la comminution fracturaire.
Inclinaison de la pente radiale de profil (dans le plan sagittal)
Les valeurs normales de la pente radiale de profil sont classiquement une inclinaison vers l’avant de 10 à 12° ou 15°. L’horizontalisation de cette pente ou son orientation vers l’arrière est synonyme d’une perte d’inclinaison de 10 à 20° ! Short a bien montré que la concentration et l’augmentation des pressions au niveau de la face dorsale de l’articulation radio-ulnaire et de la styloïde augmentent dès que la pente radiale « regarde » en arrière de 10° [144]. Pogue, dans un travail expérimental, a pu montrer que plus la bascule dorsale dépasse 20°, plus les pressions augmentent sur le scaphoïde [130]. Taleisnik a insisté sur les risques d’instabilité médiocarpienne dès l’horizontalisation de la glène radiale [148]. Kihara a rapporté une modification de la pronosupination dès que cette pente radiale atteignait 20° d’angulation dorsale [81]. Des études cliniques ont à leur tour confirmé la nécessité de contrôler l’inclinaison de la pente radiale de profil : si la pente radiale regarde en arrière de 10° ou plus, c’est le paramètre qui a le plus de conséquences sur la fonction, la force de la poigne et la douleur [11,52]. Kazuki a pu montrer que les conséquences anatomiques au niveau des ligaments et à l’échelle du patient étaient minimes si la bascule postérieure restait inférieure à 10° [78]. À partir de 40° de bascule postérieure, la majorité des sollicitations passent par l’ulna.
Inclinaison de la pente radiale de face (dans le plan frontal)
Les valeurs normales de l’inclinaison radiale dans le plan frontal varient de 20 à 25°. Pogue [130] et Adams [1] ont montré les conséquences, sur le complexe triangulaire, d’une diminution de l’inclinaison radiale de 5°. Peu d’études cliniques se sont intéressées à ce paramètre, mais Jenkins [71] a montré que la perte de 7° entraînait une diminution de la flexion et Kopylov [86], avec un recul de 30 ans, a montré qu’une perte de 5° avait des conséquences fonctionnelles dans 90 % des cas.
Incongruence articulaire
Elle est difficile à mesurer sur des clichés simples, même en cas de déplacement fracturaire minime. Le scanner semble être un moyen utile d’apprécier l’importance d’une « marche d’escalier » créée par l’impaction articulaire (figure 9). Cependant, avec la numérisation des clichés et l’absence d’échelle, il est impossible en urgence d’avoir une mesure chiffrée radiographique.
D’autre part, plusieurs auteurs ont montré que l’imagerie idéale pour caractériser cette impaction restait à inventer [28,89]. Cole a pu montrer que la radio sur- ou sous-estimait dans 30 % des cas l’incongruence articulaire par rapport au scanner et qu’il n’existait qu’une faible corrélation entre les deux examens [28]. Kreder a montré les différences interobservateurs dans la lecture des clichés simples [89].
Cependant, si son analyse quantitative est difficile, il est logique de réduire une impaction articulaire si elle est visible « à l’œil » sur des clichés radiographiques. Wagner [156] et Baratz [8] ont rapporté les conséquences au niveau des pressions intracarpiennes et de la cinématique du carpe sur cadavres dès que l’incongruence dépassait le millimètre. Bradway [13], Kopylov [85] et Knirk [82] ont bien montré l’association constante entre incongruence articulaire et survenue d’une arthrose : une incongruence articulaire de 2 mm non réduite donne 91 % d’arthrose à 6 ans de recul alors qu’elle ne survient que dans 11 % des cas lorsque la congruence articulaire est restituée [82]. Mais si Missakian [114] a retrouvé de mauvais résultats fonctionnels en cas d’arthrose secondaire à une incongruence articulaire, Catalano [22] n’a mis en évidence aucune corrélation entre arthrose et fonction chez 26 patients de 45 ans d’âge moyen avec des fractures articulaires suivies 7 ans en moyenne (recul minimum 5,5 ans).
Raccourcissement du radius
Le raccourcissement du radius, secondaire à la comminution métaphysaire, constitue le deuxième facteur arthrogène après l’impaction articulaire. Dans un travail biomécanique, Pogue [130] a rapporté une augmentation des pressions sur la fossette scaphoïdienne du radius avec un retentissement sur l’articulation radio-ulnaire distale. Werner [158] a montré l’importance du changement de la répartition des pressions dès que le radius présente un raccourcissement de plus de 2,5 mm par rapport à l’ulna. Dans une étude clinique, McQueen [111] a rapporté qu’un raccourcissement du radius de plus de 2 mm entraînait de façon significative une aggravation des symptômes et une baisse de la force. Jenkins, dans deux groupes traités orthopédiquement, a rapporté que le raccourcissement dans le groupe des patients indolores était de 2 mm ; il était de 4 mm dans le groupe des patients douloureux [71]. Aro a montré une augmentation de la gêne fonctionnelle de 25 % dès que le raccourcissement du radius atteignait 3 à 5 mm [3]. Les sollicitations au niveau du radius distal, évaluées à 4000 N par plusieurs auteurs, peuvent expliquer un accourcissement en cas de stabilisation approximative [15,61,153]. Fuji a rapporté, dans une série de 26 patients âgés présentant des fractures à grand déplacement, qu’un raccourcissement de 6 mm générait systématiquement de mauvais résultats fonctionnels [51].
Du concept d’instabilité aux limites du traitement orthopédique
Plusieurs auteurs se sont intéressés au concept d’instabilité de la fracture. Mais cette notion recouvrait les facteurs de risque de déplacement d’une fracture après traitement orthopédique, avec ou sans réduction de la fracture. Lafontaine, le premier, a mis en évidence cinq facteurs prédictifs d’instabilité dans une revue de 167 cas : une angulation initiale de la pente radiale dans le plan sagittal de plus de 20° en dorsal, une comminution dorsale, une atteinte intra-articulaire, une fracture associée de l’ulna et un âge supérieur à 60 ans [93]. En cas de traitement par immobilisation plâtrée, la présence de trois facteurs ou plus entraînait un risque majeur de déplacement secondaire.
Nesbitt, reprenant les facteurs de risque de Lafontaine, a montré que chez 50 patients présentant au moins trois facteurs de risque, il existait chez les patients de plus de 58 ans 1 chance sur 2 de voir un déplacement secondaire sous plâtre [118].
Leone, grâce à une étude observationnelle chez 71 patients, a comparé le déplacement survenu en cas de réduction + plâtre (50 patients) ou en cas de fracture non déplacée plâtrée (21 patients) [99]. Quatre facteurs de risque de déplacement étaient identifiés : le raccourcissement radial (lié à la comminution), l’horizontalisation de la pente radiale dans le plan frontal, le déplacement antérieur de la l’épiphyse radiale et l’âge. Un tiers des fractures non déplacées après 65 ans se tassaient.
McQueen a par ailleurs montré qu’une réduction itérative après échec d’une première réduction + plâtre échouait après 60 ans [110] (figures 10 et 11).
Une méta-analyse de 2003 n’a pas trouvé, pour des factures non déplacées traitées orthopédiquement, de différence entre les différents modes d’immobilisation quant au résultat anatomique et aux complications [57]. Ainsi, une fracture non déplacée doit être immobilisée 6 semaines par un plâtre anté-brachio-palmaire avec un contrôle toutes les 2 semaines, la plupart des déplacements secondaires ayant lieu au cours de la 1re semaine.
Enfin, Byl a montré les conséquences fonctionnelles du traitement orthopédique (réduction + plâtre) : 2 j après l’ablation du plâtre, il existait une diminution de mobilité du poignet dans tous les secteurs d’amplitude : 40 % en pronosupination, 50 % en flexion-extension et en inclinaison, 24 % en force de la poigne [18].
Le problème de l’ulna
Concernant les lésions styloïdiennes, Laulan a montré les moins bons résultats fonctionnels en cas de fracture styloïdienne déplacée [95]. Nous avons montré que c’était quand la fracture se trouvait à la base que les résultats étaient les moins bons [121]. La fixation des fractures proximales est logique s’il existe une instabilité de l’articulation radio-ulnaire distale [137]. Cependant, en l’absence d’instabilité, et malgré la miniaturisation des implants, la iatrogénie certaine (abord, gêne liée au matériel) et l’absence de bénéfice fonctionnel rapporté d’une fixation poussent à l’abstention, comme le montre une comparaison récente de deux cohortes de fractures du radius avec et sans lésion de la styloïde [146].
Pour les fractures du col ou de la tête ulnaire, métaphysoépiphysaires, plusieurs attitudes ont été décrites, de la fixation (parfois difficile en cas d’os très porotique) à la résection d’emblée. Récemment, Namba a montré que l’abstention sur l’ulna associée à une ostéosynthèse du radius procurait de bons résultats fonctionnels dans une population âgée [116]. En cas de luxation de l’articulation RUD, la lésion du complexe triangulaire est constante et associée à des lésions de la membrane interosseuse à sa partie distale : la réduction et la fixation temporaire sont nécessaires ; en revanche, une lésion du complexe triangulaire n’est pas synonyme d’instabilité constante.
Les différentes méthodes d’ostéosynthèse
Techniques d’embrochage
Plusieurs techniques d’embrochage ont été décrites au fil du temps et ont évolué.
Parmi elles, la technique des broches de traction noyées dans le plâtre (technique initialement décrite par Böhler en 1929) nécessitait 8 semaines d’immobilisation : il faut l’abandonner. L’embrochage styloïdien conventionnel, à deux broches, semble avoir été décrit pour la première fois par Willenegger et Guggenbühl en 1959 : la première broche est introduite par la styloïde radiale dans un plan presque frontal, la deuxième est introduite par le tubercule de Lister dans un plan sagittal [159], les deux broches se fixant à 45° dans la corticale opposée.
Friol a rapporté son expérience de cette technique destinée aux fractures à déplacement postérieur [49]. Une immobilisation plâtrée était réalisée en fin d’intervention et l’ablation des broches était conseillée à 5 semaines. Aujourd’hui, cet embrochage extrafocal à deux broches apparaît insuffisant. En raison de la fréquence du fragment postéro-interne, une troisième broche transversale RUD peut être mise en place, partant de l’ulna, traversant l’articulation RUD pour fixer en position de réduction le fragment postéro-interne. Il existe deux inconvénients à cette technique décrite par Mortier [115] : le blocage transitoire de la pronosupination et la difficulté de réduire par manœuvres externes le fragment postéro-interne. En fait, cette technique peut être réalisée sans réaliser le blocage temporaire de l’articulation RUD.
Décrit par Py en 1969, l’embrochage élastique des fractures du radius distal est aussi en mesure de fixer des fractures extra-articulaires [41]. Après réduction, un mini-abord est réalisé pour récliner les branches sensitives du nerf radial, le tendon long abducteur du pouce et le tendon court extenseur du pouce. Une broche spatulée de 18/10 pénètre dans la styloïde radiale à son sommet. Elle glisse contre la corticale interne jusqu’à la tête radiale. La seconde broche est introduite au niveau de la marge postérieure de la surface articulaire radiale après incision du ligament annulaire dorsal. Elle glisse le long de la corticale antérieure jusqu’à la tête radiale. En théorie, l’immobilisation postopératoire n’est pas nécessaire, ce qui permet une rééducation précoce. Cependant, devant une comminution postérieure importante, une immobilisation est nécessaire. Dans une série de 100 fractures, Ebelin a répertorié 3 syndromes algoneurodystrophiques, 3 infections superficielles, 5 irritations du nerf médian, 2 ruptures de tendon extenseur (II et III), 21 déplacements secondaires [41].
L’embrochage intrafocal a été décrit par Kapandji en 1973 afin d’éviter les immobilisations postopératoires qui retardaient la rééducation et d’empêcher les déplacements secondaires de l’embrochage classique [77]. Les broches sont insérées directement dans le foyer de fracture, de telle sorte qu’elles agissent immédiatement comme des butées qui s’opposent au déplacement postérieur. Trois broches de 20/10 de millimètre sont nécessaires, mises à la poignée américaine ou au moteur pneumatique. Après réduction, une broche externe qui contrôle la translation externe de l’épiphyse est mise en place en premier après un mini-abord entre radiaux d’une part, court et long extenseur du pouce d’autre part. La deuxième, postéroexterne, est légèrement proximale et externe par rapport au tubercule de Lister entre les tendons radiaux et le long extenseur du pouce en dedans, le court extenseur et le long abducteur du pouce en dehors. La troisième, postéro-interne, est destinée à réduire et maintenir le troisième fragment postéro-interne. L’incision cutanée se situe entre les tendons extenseurs des 4e et 5e doigts. Seule la peau est incisée. Les plans sous-cutanés sont écartés à l’aide d’une pince fine. Le repérage du foyer de fracture est réalisé en « grattant » la corticale de haut en bas. Les broches sont alors introduites, inclinées de 40° jusqu’à buter dans la corticale opposée. L’ordre de mise en place des broches se fait toujours de dehors en dedans. Les broches doivent être coupées de façon à ce que leurs extrémités soient sous-cutanées pour éviter toute attrition tendineuse ou rupture tendineuse secondaire.
L’intérêt de cette méthode est de réduire un fragment postéro-interne. L’inconvénient, un peu théorique, dans la description initiale sans immobilisation, est de ne pas permettre la cicatrisation des lésions articulaires RUD et autres lésions ligamentaires intracarpiennes que l’on peut reprocher à toute technique sans immobilisation. Ainsi, en France surtout, cette technique popularisée par son concepteur, facile, reproductible et transmissible, a permis pendant longtemps d’ostéosynthéser avec des résultats acceptables un grand nombre de fractures du radius distal extra-articulaire [32,33,36,77]. Il est démontré aujourd’hui que l’embrochage doit être idéalement intra- et extrafocal, avec quatre broches au moins, avec des broches de 18/10 ou de 20/10, insérées à ciel ouvert.
Strohm a pu comparer, dans une étude randomisée, une technique strictement extrafocale à deux broches et une technique de Kapandji modifiée avec une troisième broche styloïdienne [147]. Dans ce travail, si le taux de complications était similaire (17 % et 13 % de complications nerveuses, 12 % et 8 % de migrations des broches, respectivement dans les groupes extrafocal et intrafocal), les résultats fonctionnels et radiologiques étaient meilleurs dans le groupe Kapandji modifié alors que l’immobilisation était 2 fois moins longue (3 semaines/6 semaines) [147]. Gravier, grâce à une étude similaire, a pu retrouver de meilleurs résultats à 6 semaines avec une association de broches intra- et extrafocales dans le contrôle de la variance ulnaire [54]. Les complications liées à l’embrochage touchent surtout l’appareil extenseur et les branches sensitives du nerf radial et avoisinent 10 à 20 % des cas (tableau 1). Elles peuvent être évitées grâce à une mise en place par une mini-incision. Dans une étude cadavérique, Hochwald a montré que la mise en place des broches sans incision préalable avait 8 fois plus de chances de toucher les branches sensitives du nerf radial [66].