Techniques de réparation du cartilage du genou par plastie en mosaïque
Chondral repair of the knee joint with mosaicplasty
Introduction
Le cartilage articulaire a un faible potentiel intrinsèque de réparation spontanée, connu depuis de nombreuses années [12,27]. Le risque d’évolution arthrosique des lésions chondrales profondes, en zone portante, est très élevé [36,41]. La fréquence des lésions chondrales est de 63 %, mais seules 5 % sont des lésions profondes (grades III et IV de l’International Cartilage Repair Society [ICRS]) chez les sujets de moins de 40 ans [15]. Le traitement des pertes de substance cartilagineuse focales du genou reste un sujet difficile et controversé en 2010. Depuis 50 ans, de nombreuses techniques ont cherché à réparer une lésion focale en zone portante du genou pour obtenir un tissu le plus proche possible du cartilage hyalin, dit hyaline like. Au début des années 1960, les perforations multiples de l’os sous-chondral ont cherché à stimuler les cellules souches pour favoriser une régénération essentiellement fibrochondrale. Cette technique a été relancée par Richard Steadman sous le nom de « microfractures » [56]. Celles-ci ne s’appliquent qu’à des pertes de substance de petite taille, récentes chez des sujets jeunes [21]. À partir de 1983, se sont développées les cultures de chondrocytes autologues sous l’impulsion de Mats Brittberg et Lars Peterson en Suède [10]. Les cultures cellulaires obtenues par repiquage dans un laboratoire de thérapie cellulaire étaient ensuite injectées sous un lambeau périosté. Les résultats étaient satisfaisants, mais la technique était difficile et imparfaite (prélèvement et suture du lambeau difficiles, mauvaise répartition spatiale des cellules). Actuellement, des chondrocytes ou des cellules souches autologues sont implantées dans une matrice, sous arthroscopie. Les greffes ostéochondrales multiples se sont développées à partir des années 1990, et restent largement utilisées car elles sont plus faciles à mettre en œuvre et moins onéreuses. Cette technique peut s’appliquer à de nombreuses articulations : genou, cheville, hanche, coude, épaule, etc., mais nous limiterons notre présentation au genou.
Historique
Plusieurs auteurs ont développé des greffes ostéochondrales massives, à partir de la rotule [45], du condyle postérieur [44], de la trochlée médiale [62]. Ces techniques n’apportent pas un greffon congruent, sont invasives et peuvent perturber la biomécanique articulaire. Ces greffes massives, uniques, semblent excessives pour la réparation d’une perte de substance de surface modérée.
L’utilisation de plusieurs cylindres ostéochondraux permet de pallier ces inconvénients, et le premier cas a été réalisé en 1988 puis publié en 1993 par Matsusue et al. [40]. Il s’agissait d’une lésion chondrale condylienne de 15 mm de diamètre, concomitante d’une rupture du ligament croisé antérieur. Trois greffes de 5 mm de diamètre et 9 mm de long ont été prélevées sur la trochlée et l’échancrure intercondylienne antérieure, et implantées sous arthroscopie. Le contrôle scopique à 2 ans a montré une bonne couverture et intégration. Bobic [8] a publié ses résultats en 1996 et Hangody a développé la technique de greffes multiples ou mosaicplasty à partir de 1992, avec une instrumentation spécifique, et rapporté ses premiers résultats en 1997 [23].
Les études expérimentales chez le chien [20] et le cheval ont montré qu’à 4 semaines, il existe une intégration osseuse, mais il persiste un clivage au niveau du revêtement cartilagineux entre zone donneuse et zone receveuse ; à 8 semaines, le tissu situé au niveau de la jonction entre les cylindres est de type fibrocartilagineux ; à 1 an, la structure cartilagineuse couvre 60 à 70 % de la zone greffée [22].
Bases biomécaniques et histologiques des greffes ostéochondrales
Plusieurs questions se posent.
Quel est le diamètre lésionnel minimal pour envisager une greffe chondrale ?
Une étude biomécanique sur genou de cadavre a mis en évidence un pic de pression sur les berges de la lésion à partir de 10 mm de diamètre [19]. Une lésion d’un plus petit diamètre n’a pas d’incidence sur la pression marginale. Une valeur seuil de 9 mm a été définie par Convery et al. chez le cheval [14]. Ce seuil lésionnel de 10 mm est celui adopté par de nombreux auteurs pour envisager une réparation chondrale en zone portante [10,41]. Le pic de pression sur les berges est proportionnel à la taille de la lésion et au poids du sujet.
Quelle est l’importance de la réduction de pression apportée par une greffe ostéochondrale ?
La réalisation d’une perte de substance chondrale de 16 mm de diamètre (2 cm2) sur un condyle humain en zone d’appui majore la pression sur la périphérie de 92 %. Si l’on y implante trois greffes de 8 mm de diamètre, la pression n’est plus augmentée que de 35 % en bordure lésionnelle. La pression sur la zone de greffe est inférieure de 30 % à la pression sur le condyle intact [30].
Quel est le rôle de la désaxation frontale ?
Un axe en varus sur une lésion chondrale médiale augmente les contraintes marginales, d’autant plus que le varus est plus important. Seule la création d’un valgus entre 0 et 4° permet de répartir les pressions sur les deux compartiments [42].
Quelle est la zone idéale de prélèvement ?
Zone la moins contrainte
Garretson et al. [18] ont étudié les pressions sur les berges de la trochlée avec des capteurs électriques plans, lors de mouvements de flexion de 0 à 105°. La pression était faible sur la trochlée médiale et sur la trochlée latérale basse. Compte tenu des largeurs différentes de ces deux zones, ils ont suggéré de prélever des petits greffons sur la trochlée médiale et des greffons plus gros sur la trochlée latérale basse. Pour Guettler et al. [19], des greffons de 5 mm de diamètre prélevés sur la trochlée latérale n’ont pas d’effet sur la pression marginale. Nous n’avons pas la réponse pour des greffons plus gros.
Zone de convexité concordante
La restauration de la courbure du condyle est importante pour maintenir une bonne répartition des contraintes. Toute perte de courbure expose à une sous- ou surcontrainte sur la greffe. Deux études sur cadavres ont permis de déterminer que la trochlée médiale ou latérale basse (au-dessus de l’échancrure intercondylienne) offre la meilleure courbure pour les condyles ; la zone haute est plus convexe. Le pourtour de l’échancrure est plat et convient à la restauration de la trochlée [1,4].
Zone d’épaisseur la plus favorable
L’épaisseur du cartilage est très variable selon la zone et elle est proportionnelle aux contraintes. Plusieurs études ont mesuré l’épaisseur de cartilage des différentes zones donneuses : trochlées médiale et latérale, échancrure, à partir d’arthroscanners [58] ou de genoux de cadavres [1]. Pour Thaunat et al., l’épaisseur de la zone donneuse est en moyenne de 1,8 mm (1,33 à 1,97 mm), donc inférieure à celle de la zone d’appui des condyles, zone receveuse habituelle, qui est de 2,5 mm (2,41 à 2,69 mm). L’épaisseur est supérieure sur les berges de la trochlée par rapport au pourtour de l’échancrure, surtout latérale [58].
Quelle est la technique de prélèvement la plus fiable ?
L’étude de Keeling et al. [29] a comparé le prélèvement par arthrotomie et par arthroscopie. Les greffons (de 7 mm de diamètre) présentaient une incongruence inférieure à 1 mm dans 57 et 69 % des cas respectivement. Si la technique arthroscopique semble plus fiable, elle est plus difficile, notamment sur la trochlée latérale, et expose aux fractures marginales. Le défaut de congruence en surface, pour un même défaut d’angle, augmente avec le diamètre de la greffe.
Quels facteurs influencent la stabilité des greffons ?
Stabilité verticale selon les dimensions de la greffe
Sur des fémurs porcins, différents diamètres (8 et 11 mm) et différentes longueurs (10, 15 et 20 mm) de greffons ont été testés à l’arrachement axial. Les greffes de 11 mm de diamètre et de 15 et 20 mm de longueur avaient une résistance supérieure [16].
Stabilité verticale selon la longueur du puits receveur
Sur une étude cadavérique, Kock et al. [31] ont comparé la stabilité en poussée axiale de greffons parfaitement adaptés à la longueur du puits et de greffons plus courts. Les greffes ajustées à la longueur étaient 2 à 3 fois plus stables [31].
Stabilité horizontale selon l’effet press-fit
Deux types de greffes ont été implantés dans des condyles de lapins : sans ou avec effet press-fit. Dans le premier groupe, sans effet press-fit, à 24 semaines, le cartilage était plus épais, la densité chondrocytaire était augmentée et il existait de nombreux clusters de chondrocytes hypertrophiques. Dans le deuxième groupe, avec effet press-fit, le cartilage n’était pas modifié et un léger surdimensionnement en largeur des greffons était souhaitable pour conserver le caractère mature du cartilage [38]. Lorsque la greffe était légèrement saillante, elle subissait une dégénérescence chondrale en surface et une cavitation en profondeur [47].
Quelle est la conséquence d’une incongruence de surface des greffons ?
Une expérience sur le mouton a comparé trois situations des greffes par rapport à la surface : de niveau, pénétrée de 1 mm et pénétrée de 2 mm. Si la greffe était de niveau ou pénétrée de 1 mm, elle gardait son caractère hyalin et s’hypertrophiait, mais au-delà elle nécrosait. Il semble qu’une greffe non mise en contrainte disparaît [26].
Quel est le risque sur la viabilité cellulaire de l’impaction des greffes ?
Sur une étude cadavérique, Patil et al. [46] ont montré que la force d’impaction de greffes de 8 mm de diamètre n’avait pas d’incidence sur la viabilité cellulaire sous réserve de rester sous le seuil de 400 N (pression < 10 MPa) et d’avoir la même longueur pour le greffon et le puits receveur. Si la greffe était plus longue que le puits, la pression d’insertion dépassait 15 MPa, ce qui est nocif pour les chondrocytes. La répétition de plusieurs impacts de faible énergie était moins dangereuse pour les chondrocytes que peu d’impacts à forte énergie.
Quel est le devenir des greffons transplantés ?
Lane et al. [33] ont réalisé des transplantations de 2 greffons de la trochlée sur le condyle chez 6 chèvres adultes. À 3 mois, la surface de 10 greffes sur 12 apparaissait normale ; dans 2 cas, ils notaient des fibrillations en surface. La partie osseuse du greffon était parfaitement consolidée dans son plot ; en revanche, il n’y avait pas de cicatrisation cartilagineuse en surface. En microscopie confocale, 95 % des cellules des greffons étaient vivantes et synthétisaient des glycoaminoglycanes. Cependant, la dureté des greffes mesurée par un test d’indentation était très supérieure à celle du cartilage avoisinant. Au total, les modifications de dureté des greffes semblent secondaires et restent inexpliquées ; s’agit-il d’un remodelage secondaire ?
Kock et al. [32] ont pu analyser histologiquement un cas de mosaïque à l’aide de 3 greffons sur le condyle médial chez un homme de 49 ans. En raison d’un échec clinique, à 3 ans postopératoires, l’ensemble du condyle greffé prélevé lors de la pose d’une prothèse totale du genou a pu être étudié. L’intégration osseuse était bonne, le cartilage hyalin en surface était viable, la tide mark était continue, mais la jonction chondrale avec la zone receveuse ne s’était pas faite. La viabilité des greffes à 1 an de recul a été confirmée par Barber et al. [3].
Quel est le devenir de la zone donneuse ?
Habituellement, la zone donneuse est laissée vide et des contrôles arthroscopiques secondaires ont montré une surface déprimée avec du tissu fibreux en profondeur [2, 3]. Certains auteurs ont cherché à combler cette zone par un plot ostéopériosté prélevé sur le tibia [60]. Ces tentatives n’ont pas permis d’obtenir un comblement osseux de qualité. Aucune étude expérimentale n’a étudié le devenir du greffon provenant de la zone receveuse et reposé dans la zone donneuse.
Avantages et inconvénients des greffes ostéochondrales autologues
Avantages
La greffe ostéochondrale constitue une unité fonctionnelle viable apportant un cartilage hyalin sur un support osseux (figure 1). Les dimensions des greffons peuvent être adaptées dans certaines limites à la zone receveuse. Il s’agit d’une chirurgie en un temps, ne nécessitant pas le recours à un laboratoire de thérapie cellulaire. Les risques infectieux sont faibles et le risque de rejet est nul.
Bilan préopératoire
Imagerie des lésions ostéochondrales
Le bilan comprend au minimum une radiographie de face et profil en charge pour objectiver un éventuel pincement fémorotibial, qui serait une contre-indication à la réparation, et préciser les dimensions d’une ostéochondrite. L’incidence fémoropatellaire à 30° apprécie le centrage rotulien et l’épaisseur des berges de la trochlée qui pourront servir de zone donneuse. L’analyse de la surface et de la profondeur des pertes de substance ostéochondrale repose sur l’arthroscanner, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ou l’arthro-IRM. Le bilan permettra de classer la lésion selon les 4 grades de profondeur de l’ICRS. L’arthroscanner spiralé procure si nécessaire des coupes inframillimétriques, une reconstruction dans tous les plans mais impose une lecture très attentive. Les atteintes de plus de 50 % de l’épaisseur du cartilage et les fissurations sont mieux dépistées en arthroscanner qu’en IRM [11] et la spécificité de cette technique serait meilleure [58]. L’IRM avec les séquences « classiques » (écho de spin T1, écho de gradient T1 ou T2) ne permet pas de dépister plus de 55 % des lésions chondrales [11,21], mais sa spécificité est toujours élevée ; ce sont les lésions superficielles qui sont méconnues. L’atteinte de l’os sous-chondral, en l’absence de traumatisme récent, permet de suspecter une lésion profonde (grade 3 ou 4). Les séquences spécifiques du cartilage sont les suivantes : l’écho de gradient 3D avec saturation des graisses, permettant des coupes de 3 à 4 mm d’épaisseur et des reconstructions dans les trois plans de l’espace, et le fast spin-echo (FSE) avec saturation de graisse (fat-sat) permettent d’améliorer les performances [10]. Pour des lésions de grades 2 à 4, comparativement à l’arthroscopie, la sensibilité est de 93 % et la spécificité de 94 %, avec des séquences 3D fat-sat [11]. L’arthro-IRM est indiquée dans le bilan d’une ostéochondrite pour connaître l’état du spongieux receveur et dans celui d’une lésion traumatique pour connaître sa surface [7]. En effet, ces lésions sont « cratériformes », bordées de lambeaux instables, et seule leur partie profonde sera décelée et mesurée par la seule IRM, ce qui conduit régulièrement à une sous-estimation de la surface [49].
Technique des greffes en mosaïque
Nous décrirons notre technique sur une lésion condylienne, sous arthroscopie, étape par étape, avec l’ancillaire auquel nous sommes habitués (Single Use OATS® système de la société Arthrex) (figure 2).