Imagerie de la mort encéphalique
A. Tenaillon, E. de Kerviler and B. Dupas
L’imagerie dans le cadre de la mort encéphalique (ME) a une triple fonction : confirmer le caractère irréversible du diagnostic clinique, préciser la nature et l’étiologie des lésions encéphaliques, faciliter l’évaluation des organes dans l’éventualité d’un don d’organe.
Le diagnostic de mort encéphalique est essentiellement clinique. Il est réglementé depuis 1996 par un décret en Conseil d’État, un arrêté et une circulaire de la Direction générale de la santé, dans le cadre très particulier des prélèvements d’organes à but thérapeutique ou scientifique, et requiert alors des examens complémentaires [1–3]. Le diagnostic clinique est fondé sur trois séries d’arguments : une anamnèse compatible avec le diagnostic (trauma crânien, accident vasculaire cérébral, anoxie prolongée, etc.), une absence de facteurs confondants (hypothermie profonde, intoxication ou surmédication par des produits neurotropes, troubles métaboliques majeurs, etc.), un examen clinique compatible. Cet examen met en évidence trois ordres de signes : une perte de conscience avec aucune réaction aux stimulations de toute nature, une abolition de tous les réflexes du tronc cérébral, un arrêt de toute ventilation spontanée vérifié par un test d’apnée [4, 5]. Ce n’est que dans ce contexte que la réglementation française, dans le cadre d’un éventuel prélèvement d’organe, préconise la réalisation soit de deux électro-encéphalogrammes (EEG), soit d’une angiographie. Certains pays, notamment la Grande-Bretagne, se contentent d’un diagnostic clinique qui ne prend donc en compte que la mort du tronc cérébral [6]. Ce type de législation repose sur le fait que la destruction de la réticulée ascendante du tronc cérébral, en supprimant toute stimulation des hémisphères cérébraux, provoquera – si cela n’est pas déjà fait – leur destruction fonctionnelle rapide. À l’inverse, la législation française est fondée sur le fait que la destruction du tronc cérébral, et donc de la réticulée ascendante, interdit toute exploration clinique des hémisphères cérébraux et donc tout moyen d’évaluer leur destruction en dehors d’examens paracliniques.
La possibilité même transitoire de survie des hémisphères malgré la destruction du tronc pose un problème éthique. La législation française comme celle de la majorité des pays, exige par précaution la destruction définitive de tout l’encéphale pour affirmer la mort d’un patient dans ce contexte. Elle impose la réalisation d’examens paracliniques permettant d’explorer les hémisphères cérébraux. La liste des examens proposés est développée dans de nombreuses revues [4–11].
Physiopathologie de la mort encéphalique
« L’arrêt complet et définitif de toutes les fonctions du cerveau y compris de celles du tronc cérébral constitue le meilleur critère de la mort du point de vue médical, car par là même, c’est l’organe central de contrôle de l’organisme qui cesse de fonctionner » [5]. L’arrêt des fonctions encéphaliques, qui définit donc la ME, résulte d’une destruction des structures neurologiques intracrâniennes [4, 10]. Cette destruction est liée, dans la quasi-totalité des cas, à un arrêt de la circulation encéphalique responsable d’une destruction neuronale par anoxie. Cet arrêt circulatoire local peut être dû à deux mécanismes :
– le premier est représenté par une hypertension intracrânienne majeure, le plus souvent par œdème réactionnel à une lésion locale, capable d’inhiber par compression la circulation cérébrale artérielle et a fortiori veineuse ; on parle de ME primitive ;
– le second n’est que la traduction locale d’un arrêt circulatoire général suffisamment prolongé (les cellules cérébrales sont les plus sensibles à l’anoxie ; en effet, le cerveau n’a aucune réserve, or il représente 20 % de la consommation d’oxygène du corps et 25 % de sa consommation de glucose pour seulement 2 % de son poids) pour induire, sans lésion neurologique préalable, une mort neuronale par anoxie ; on parle alors de ME secondaire.
Dans le premier cas, sauf craniotomie ou particularité de la structure crânienne comme chez le nouveau-né, l’arrêt circulatoire traduit un échappement thérapeutique ; il est donc définitif. Dans le second, la mise en œuvre de manœuvres de réanimation peut permettre de rétablir une circulation générale et donc locale au moins transitoirement avant l’apparition secondaire d’un œdème cérébral parfois tardif ; ainsi, l’arrêt circulatoire n’est pas forcément définitif au moment du constat de la ME.
Le décret du 2 décembre 1996 [1], dans sa sagesse, a prévu deux examens complémentaires de nature différente : l’un fonctionnel, l’EEG, qui évalue l’activité électrophysiologique des neurones ; l’autre structurel ou anatomique, l’angiographie, qui vérifie leur destruction, permettant ainsi de répondre à toutes les situations.
La ME n’est pas un phénomène instantané mais un processus plus ou moins rapide selon les malades, où les signes cliniques sont les plus précoces. Les réglementations ou recommandations étrangères exigent souvent deux examens cliniques séparés d’un intervalle d’au moins 6 h chez l’adulte et l’enfant de plus de 2 ans, et de 24 ou 48 h pour les enfants plus jeunes ou les nouveau-nés (Espagne, Italie, Suisse, États-Unis, etc.) [4, 6, 9]. La réglementation française est plus souple sur ce point et la circulaire [3] se contente de noter « que ces critères cliniques doivent tous être réunis et constatés pendant un temps suffisant dont la durée dépend de l’état pathologique responsable de la mort cérébrale et de l’âge du patient ».
Cette notion de délai est cependant très importante en terme d’imagerie si l’on ne veut pas être amené à répéter inutilement les opacifications vasculaires. L’expérience semble prouver qu’un délai de 6 h, dès lors que l’ensemble des signes cliniques est présent, est un délai raisonnable sauf preuve contraire éventuelle, obtenue par exemple par doppler transcrânien. L’imagerie d’arrêt circulatoire encéphalique a l’avantage sur les tests fonctionnels comme l’EEG de ne pas dépendre de facteurs confondants, tels que l’hypothermie, les médications neurotropes, les anomalies métaboliques, etc.
Techniques d’imagerie utiles au diagnostic de mort encéphalique
Le décret du 2 décembre 1996 [1] ne prévoit comme examen d’imagerie diagnostique de la ME que l’angiographie cérébrale. Il a le mérite de n’en préciser ni la voie d’opacification (injection artérielle ou veineuse, etc.), ni la technique (radiographie, scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM], etc.), ni le détail de l’interprétation, se contentant d’exiger la constatation d’un « arrêt de la circulation encéphalique ».
La circulaire, non opposable, qui accompagne le décret précise, sur avis de l’académie de médecine, que « l’angiographie peut être réalisée par voie artérielle ou veineuse, et que son but est de montrer l’absence d’injection des branches encéphaliques des artères carotides internes et vertébrales, objectivée par une série d’images dont la dernière doit être prise au moins 60 s après le début de l’injection ». La circulaire est donc plus restrictive que le décret en imposant comme preuve de l’arrêt circulatoire encéphalique uniquement un critère de non-opacification artérielle et en étendant ce critère aux branches intracrâniennes des carotides et aux deux artères vertébrales. Or, « l’arrêt de la circulation encéphalique » peut tout aussi bien être prouvé par l’absence de retour veineux ou l’absence de perfusion tissulaire cérébrale ; la mort du tronc cérébral peut parfaitement être prouvée cliniquement et celle des hémisphères n’imposer qu’une non-visualisation de leur propre circulation, comme c’est le cas dans la majorité des pays, permettant de diversifier les examens utiles au diagnostic de ME. Par ailleurs, cela pose problème dans les cas où la pression intracrânienne est supérieure à la pression artérielle moyenne mais inférieure au pic de la pression systolique. En effet, dans ces cas, il y a bien arrêt de la circulation cérébrale, comme le montre l’absence de perfusion cérébrale ou de retour veineux, mais il peut persister une opacification grêle et partielle des tronçons proximaux des artères intracrâniennes, sans opacification des branches terminales (stasis filling).
Dans tous les cas, les techniques d’angiographie, pour être valides, doivent être réalisées chez des patients ayant un état hémodynamique satisfaisant au moment de l’examen [4, 12].
Artériographie conventionnelle
Artériographie conventionnelle sélective des artères cérébrales
Cette artériographie est réalisée par des injections sélectives des deux carotides et des deux vertébrales, le plus souvent à l’aide d’un cathéter introduit par foie fémorale rétrograde [13–15]. Un produit iodé non ionique est injecté par un perfuseur automatique à raison de 12ml (6ml/s) pour les carotides, et de 8ml (4ml/s) pour les vertébrales. L’acquisition se fait à raison de 6 images/s pendant 20 s avec une acquisition tardive à 60 s. Les acquisitions sont faites avec des clichés de face et de profil (figures 1 et 2). L’image classique permettant d’affirmer le diagnostic de ME est un arrêt d’opacification des artères à l’entrée du crâne, dans la partie pétreuse de la carotide interne et au niveau du grand foramen pour les vertébrales, avec une stagnation au-delà de 1 mm du lieu d’injection sélectif (figure 3). Certains acceptent également comme critères de non-perfusion cérébrale la présence d’une opacification grêle et initiale des artères impliquées (stasis filling) (figure 4), contrastant avec une absence de prise de contraste au temps parenchymateux et au temps veineux. Cette technique, considérée comme la référence sans réelle validation, a comme inconvénient de nécessiter le transfert du malade en service d’imagerie vasculaire, d’être invasive avec un abord artériel, d’être longue si l’on opacifie toutes les artères (plus d’une heure), d’utiliser beaucoup de produit de contraste et d’exiger la présence d’un radiologue compétent 24 h/24, donc de ne pas être réalisable partout.
Figure 1 |
Figure 2 |
Figure 3 |
Figure 4 |
Angiographie cérébrale numérisée avec soustraction
L’angiographie cérébrale numérisée avec soustraction peut être réalisée soit par voie artérielle (cathétérisme de l’aorte ascendante avec injection simultanée des quatre axes encéphaliques appelés également gerbe aortique), soit par une voie veineuse périphérique ou centrale de bon calibre [16]. Cette méthode permet d’affirmer l’arrêt de la circulation cérébrale sur les mêmes critères que l’artériographie conventionnelle. Elle nécessite moins de produit de contraste, dure moins longtemps, impose toujours la présence d’un radiologue compétent ainsi que le déplacement du malade. Elle a comme avantage de bien montrer la différence entre les circulations intra- et extracérébrales, même si la lecture peut être parfois plus complexe que celle des injections spécifiques. Elle impose par ailleurs une bonne hémodynamique pour assurer la circulation du produit de contraste (figure 5). La technique de soustraction permet d’éliminer les bruits de fond liés aux éventuelles calcifications ou lésions hémorragiques pouvant gêner l’interprétation, en ne laissant subsister que les images nouvelles liées à l’injection de produit de contraste.
Figure 5 |
Angioscanographie cérébrale
La technique nécessite la réalisation d’un scanner hélicoïdal sans injection avec des coupes contiguës pour servir de référence notamment en cas de foyer hémorragique [12, 17, 18]. L’injection d’un produit iodé non ionique est ensuite réalisée par une voie veineuse périphérique de bon calibre, réservée à cet effet, à raison de 3ml/s et d’un volume de 2ml/kg. L’acquisition des images est alors réalisée en deux phases, la première 20 s après le début de l’injection, la seconde 1 min après le début de l’injection. Le balayage doit être réalisé dans les deux cas, avec les mêmes paramètres, avec des coupes reconstruites inférieures ou égales à 5 mm.
L’analyse de la première série d’images à 20 s permet de s’assurer que l’injection de produit de contraste a bien eu lieu et que le débit cardiaque était suffisant pour permettre l’opacification des branches de division des carotides externes (artère temporale superficielle). Un travail récent montre que les artères faciales sont souvent plus visibles que les temporales, et que les branches de la carotide externe restent toujours visibles sur la deuxième série de clichés après 60 s, ce qui devrait permettre de supprimer cette première série [19].
L’analyse de la deuxième série à 60 s (demandée par la réglementation) permet d’affirmer ou non l’arrêt de la circulation cérébrale (absence totale d’opacification des artères et des veines intracrâniennes) (figures 6 et 7). On peut s’aider de soustractions qui mettent en évidence l’absence de différence au sein du parenchyme cérébral entre les clichés avant injection et les clichés à 60 s chez un patient en ME (figure 8).