L’arthrolyse dans les raideurs post-traumatiques du coude
Arthrolysis of the elbow for posttraumatic stiffness
La traumatologie du coude reste dominée par le risque d’enraidissement séquellaire, que même une prise en charge initiale optimale ne peut prévenir à tout coup, et qui doit faire envisager une arthrolyse secondaire. Or l’arthrolyse est une intervention réputée difficile et de résultat aléatoire. Son pronostic repose essentiellement sur l’intégrité des surfaces articulaires et sur la qualité du geste chirurgical, qui doit être complet. L’indication n’en doit être posée que lorsque les possibilités de récupération spontanée de la mobilité ont été épuisées et en tenant compte de l’espoir d’amélioration potentielle, qui dépend principalement de l’état cartilagineux, mais également de la demande et de la motivation du patient. L’arthrolyse chirurgicale est une procédure pas à pas qui répond à des principes rigoureux ; il faut utiliser des voies d’abord évitant ou protégeant les structures vasculonerveuses périarticulaires, ne pas déstabiliser le coude, obtenir par une capsulectomie réglée une levée complète des freins limitant l’amplitude, et supprimer toutes les butées interdisant un jeu articulaire harmonieux. Le protocole des suites est précis : lutte contre l’œdème et la douleur, mobilisation posturale et surtout active, les mobilisations sous anesthésie générale étant interdites. La technique chirurgicale repose sur le concept ancien des voies latérales, avec, selon les situations anatomiques, quelques variantes. Les techniques arthroscopiques d’apparition plus récente dans ce type d’indication, initialement limitées à des gestes de capsulotomie, sont actuellement plus ambitieuses et peuvent être envisagées dans les raideurs sans perturbation majeure de l’anatomie.
Joint stiffness remains the most dreadful complication of injuries to the elbow. A perfect primary treatment cannot always prevent this complication, which may require a secondary arthrolysis. This procedure is notoriously demanding, and its results are uncertain. The outcome mainly depends on the condition of the cartilage surfaces and on the quality of the surgical procedure; the latter should address all the elements responsible for joint stiffness. Surgical arthrolysis is indicated in case of failure of conservative treatment, provided the articular surfaces are in a satisfactory condition and the patient is motivated. Arthrolysis is a demanding step-by-step procedure; the surgical approach should minimize the risk of neurovascular damage, it should preserve the joint stability, it should allow to release, through controlled capsulectomy, any fibrous tissue that restricts motion, and it should relieve any bony impingement which could impede a normal range of motion. A strict rehabilitation programme is mandatory, including control of oedema and pain, postural and active mobilization. Manipulation under anaesthesia should be strictly avoided. The surgical technique is based on the well-known concept of medial and/or lateral approach(es), with various technical options depending on the local conditions. Arthroscopic arthrolysis of the elbow is more recent. Initially, it only consisted of capsular release but the technique has dramatically improved, and arthroscopy can now be used in stiff elbows without major anatomical distortion.
Introduction
Articulation intermédiaire du membre supérieur, le coude a, par la flexion-extension, un rôle fondamental pour positionner la main dans l’espace alors que la pronosupination permet son orientation. Cette mobilité autour de deux axes est le facteur prédominant de sa valeur fonctionnelle, à côté de la stabilité, de l’indolence et de la force musculaire ; elle est privilégiée dans les divers scores fonctionnels. C’est enfin cette mobilité qui est la plus menacée dans les séquelles des traumatismes du coude.
La prise en charge des traumatismes du coude associe de façon variable chirurgie et rééducation pour prévenir cet enraidissement. Au stade de raideur constituée, l’arthrolyse est la seule réponse possible à une demande de récupération fonctionnelle.
Cette chirurgie est réputée efficace, mais difficile et son résultat est inconstant [1–4,7]. Une bonne connaissance des mécanismes de l’enraidissement doit présider aux règles du bilan préopératoire, à la programmation de la chirurgie, à ses modalités et à sa date.
Rappel anatomique et facteurs anatomopatho- logiques de l’enraidissement du coude
Sans vouloir être exhaustif, certains points d’anatomie fonctionnelle et chirurgicale sont nécessaires, tant pour comprendre les mécanismes de l’enraidissement que pour guider son traitement chirurgical.
Ce qu’il faut connaître de l’anatomie
Squelette
La palette humérale est déjetée vers l’avant, antéversion globale qui permet la flexion complète avant que le volume des parties molles antérieures ne la limite.
Au niveau latéral de l’épiphyse, la convexité du capitulum regarde en bas et en avant pour s’adapter à la course de la cupule radiale de l’extension à la flexion complète alors que, dans la partie moyenne et médiale, la trochlée regarde directement vers le bas. C’est la profondeur des fossettes, antérieure coronoïdienne et surtout postérieure olécrânienne qui autorise l’amplitude de l’arc de mobilité huméro-ulnaire, alors que la profondeur de la grande incisure ulnaire et son encastrement dans la trochlée humérale assurent une stabilité majeure à cette articulation (figure 1).
Appareil capsuloligamentaire
Circonscrivant une cavité articulaire unique, la capsule articulaire du coude est renforcée sur ses bords médial et latéral par les ligaments collatéraux.
En avant et en arrière, elle est à l’état normal fine et lâche, ne se tendant qu’en extension ou en flexion maximale et laissant en position intermédiaire des espaces larges ou chambres antérieure et postérieure.
Les insertions se font à distance du cartilage, contournant les fossettes humérales qui sont donc intra-articulaires. Au niveau ulnaire, les becs olécrâniens et coronoïdiens sont également intra-articulaires alors qu’au niveau radial, la capsule se continue avec le bord supérieur du ligament annulaire et est remplacée à son bord inférieur par de minces tractus fibreux lâches qui vont s’insérer à la base du col du radius, lui aussi totalement intra-articulaire.
Le ligament collatéral médial (LCM), renfort interne de la capsule impliqué dans la stabilité en valgus du coude, présente un faisceau antérieur prédominant, tendu en toute position et dont l’extrémité proximale prend une large insertion sur tout le bord inférieur de l’épicondyle médial. Son extrémité distale s’insère sur le tubercule coronoïdien médial. Il contracte sur tout son trajet des rapports intimes avec le tendon commun des muscles épicondyliens médiaux alors que, lors des mouvements de flexion-extension, son bord profond glisse sur la face médiale de la joue interne de la trochlée selon un mouvement d’« essuie-glace ». Le faisceau postérieur du LCM, fin et étendu de la face postérieure de l’épicondyle à la lèvre interne du bec olécrânien, n’est tendu qu’en flexion complète du coude. Sa lésion n’est responsable d’instabilité rotationnelle postéromédiale que dans des circonstances traumatiques très particulières (figure 2).
Le ligament collatéral latéral (LCL) est surtout impliqué dans la stabilité antéropostérieure de la tête radiale sous le capitulum. Son faisceau principal, faisceau moyen des auteurs européens, antérieur des auteurs nord-américains, naît du sommet de l’épicondyle latéral, sous le tendon commun des muscles épicondyliens latéraux dont il reste clivable, alors que sa face profonde glisse sur le bord médial du capitulum et du condyle sus-jacent selon le même effet essuie-glace que le LCM. Son insertion distale sur la face médiale de la métaphyse ulnaire se confond avec le pied postérieur du ligament annulaire (figure 3).
Entourage musculaire
En avant, la capsule articulaire est recouverte sur la quasi-totalité de sa surface par la face profonde, musculaire, du brachial antérieur dont le tendon, né de la face antérieure du muscle, va s’insérer sur son tubercule, bas situé à la partie distale de la coronoïde. La nappe musculaire du brachial antérieur sépare à sa partie médiale le paquet huméral et le nerf médian de la capsule articulaire. Le biceps et son tendon distal sont loin en avant du coude.
En arrière, le triceps est, avec l’anconé, la seule couverture musculaire postérieure du coude. Si son tendon, médian, s’insère au sommet de l’olécrâne, les vastes, et en particulier le vaste latéral qui recouvre la face postérieure de l’épicondyle latéral, descendent bas pour s’insérer sur les bords collatéraux de l’olécrâne.
Les muscles collatéraux, médiaux et latéraux, contractent avec les ligaments homonymes des rapports intimes : leur plan profond s’insère directement sur la capsule au niveau des faisceaux antérieurs des ligaments collatéraux. Au plan fonctionnel, ils participent à la stabilisation du coude par une protection active des ligaments sous-jacents par le biais d’une contraction automatique lors des sollicitations susceptibles d’altérer les ligaments ; il s’agit de muscles pluriarticulaires tous destinés à la mobilisation du poignet, de la main et des doigts.
Entourage vasculaire et nerveux
La bonne connaissance de la situation des axes vasculaires et des troncs nerveux est le fondement de la sécurité du geste chirurgical, qu’il soit traditionnel ou endoscopique. L’artère humérale est, au niveau du coude, à distance de l’articulation dont elle est séparée par les fibres musculaires inféromédiales du brachial antérieur. Il en est de même du nerf médian qui l’accompagne
Le nerf radial n’est menacé qu’à la partie basse de son trajet par les gestes chirurgicaux portant sur le col du radius. En regard de l’interligne, sa situation l’expose surtout lors des abords arthroscopiques.
Le nerf ulnaire, au contact du versant postéromédial de la capsule, est le plus vulnérable des gros troncs nerveux périarticulaires. Ses rapports intimes avec l’articulation en imposent le contrôle systématique lors des abords chirurgicaux du compartiment postéromédial et interdisent les gestes invasifs dans ce compartiment lors des arthrolyses arthroscopiques.
Il faut enfin se souvenir, lors d’abords arthroscopiques ou chirurgicaux antéromédiaux, de la présence dans le tissu cellulaire sous-cutané du nerf cutané médial de l’avant-bras ; son atteinte peut provoquer des paresthésies invalidantes.
Anatomopathologie des raideurs du coude
La bonne compréhension des facteurs de l’enraidissement est la condition préalable à sa prise en charge.
Freins capsulaires et butées osseuses
Ce sont les deux éléments de base des raideurs « standard ».
Freins capsulaires
Le terme de freins capsulaires recouvre plusieurs notions.
La rétraction capsulaire proprement dite touche les capsules antérieure et/ou postérieure dont l’accourcissement va brider les possibilités d’extension et/ou de flexion.
Les modifications structurelles de la capsule, variables selon l’étiologie, associent épaississement et métaplasie fibreuse, fibrocartilagineuse, voire osseuse de la capsule ; non seulement celle-ci perd sa souplesse, mais encore son augmentation de volume participe à la perte de mobilité (figure 4).

Figure 4 Rétraction, épaississement et adhérences des capsules antérieure et postérieure sont le premier frein de la mobilité.
La face profonde de la capsule peut adhérer aux surfaces osseuses ou cartilagineuses dont elle est normalement séparée par la chambre articulaire. Dans les chambres antérieure et postérieure, ces adhérences interdisent l’incursion des épiphyses du squelette antibrachial autour de la trochlée et du capitulum. Les adhérences médiales et latérales fixent les ligaments collatéraux et interdisent leur mouvement d’« essuie-glace » lors de la flexion-extension.
Butées
Le plus souvent osseuses, les butées peuvent également être fibreuses ou fibrocartilagineuses. Elles sont surtout intra-articulaires ; il s’agit de comblement des fossettes, d’hypertrophie des becs olécrânien ou coronoïdien, de calcifications sous- et rétrocapitulaires (figure 5).
Il faut en rapprocher certains cals vicieux intra-articulaires, non exceptionnels en contexte post-traumatique.
Les freins et les butées sont le plus souvent associés dans les raideurs post-traumatiques. Leur prise en compte systématique et exhaustive est la règle de base de la prise en charge de ces raideurs.
Avec les cals vicieux intra-articulaires, les corps étrangers libres ou pédiculés et les altérations du revêtement cartilagineux, les butées représentent les facteurs articulaires de la raideur.
Facteurs extra-articulaires
Il faut adjoindre aux butées des facteurs extra-articulaires. Il s’agit, rarement, en contexte post-traumatique, d’ossifications périarticulaires, plus souvent de cals vicieux para-articulaires, fréquemment responsables d’enraidissement. Ces derniers sont associés à des déplacements du secteur de mobilité qui n’apparaîtront qu’après prise en charge de la raideur, lorsqu’ils n’ont pas été préalablement pris en compte. Il peut par exemple s’agir dans le plan sagittal d’une hyperextension alors que la flexion reste déficitaire ou dans le plan frontal, de l’extériorisation d’un varus qu’un flessum masquait. Enfin, les rétractions musculotendineuses, touchant principalement brachial antérieur et biceps font évidemment partie des facteurs extra-articulaires d’enraidissement ; elles ne sont jamais isolées et rarement passibles d’un geste chirurgical.
Au total, l’analyse détaillée, nécessaire pour prendre en compte tous les facteurs d’enraidissement, montre que la raideur post-traumatique relève le plus souvent de causes intriquées. La classification en raideurs articulaires et extra-articulaires doit donc être considérée avec les plus grandes réserves.
Histoire naturelle et évolution des raideurs post-traumatiques du coude
La prise en charge de la traumatologie du coude est dominée par le dogme de la mobilisation précoce après restauration d’une anatomie exacte. Ce dogme reste globalement vrai, mais doit être nuancé et précisé.
La restauration anatomique reste incontournable. En revanche, l’impératif d’une rééducation précoce doit céder le pas à une immobilisation réfléchie, ou au moins à une grande prudence dans la rééducation toutes les fois que celle-ci pourrait mettre en péril cette anatomie, qu’il s’agisse de réparations ligamentaires ou d’ostéosynthèses rendues inévitablement précaires par le type de fracture, son siège ou une qualité osseuse médiocre, paramètres d’ailleurs souvent associés.
L’évolution de la mobilité du coude dans les suites d’un traumatisme est éminemment variable, mais il faut tenir compte du fait que, sur un profil articulaire rétabli, la progression des amplitudes articulaires peut se faire de façon très prolongée, jusqu’à une année. Cette lente évolution rend discutable l’indication de tout geste mobilisateur avant ce délai, y compris les traitements conservateurs par attelles posturales [5], la raideur ne pouvant être considérée comme constituée. Par ailleurs, il n’est pas prouvé que l’ancienneté de la raideur soit un facteur pronostique négatif de l’arthrolyse [1]. Bien évidemment, un dérangement articulaire persistant – cal vicieux ou pseudarthrose intra-articulaire ou corps étranger incarcéré dans l’interligne, facteur de pérennisation de la raideur – devra sans délai être analysé et traité.
Bilan d’une raideur post-traumatique du coude
Clinique
La clinique a une place prépondérante.
Interrogatoire
Le terrain est pris en compte : côté dominant, activités et contraintes professionnelles, désirs sportifs.
L’histoire de la raideur est retracée : date et type du traumatisme, lésions associées contemporaines, vasculonerveuses et cutanées en particulier. Les traitements initiaux, leur type, les voies d’abord utilisées et les gestes associés, leurs suites et leurs complications, septiques ou neurologiques en particulier, ainsi que la date de la dernière procédure chirurgicale sont notés.
La gêne fonctionnelle est précisée : outre la raideur elle-même, sont recherchées des douleurs, en détaillant leur type – purement mécanique ou inflammatoire –, leur origine probable, articulaire ou neurologique, voire scapulo-humérale ou rachidienne cervicothoracique, due à la compensation d’un flessum du coude par des sollicitations excessives de ces articulations. L’instabilité comme les accidents de blocage aigu vrai sont rarement associés aux raideurs post-traumatiques.
Examen clinique
L’examen clinique est bilatéral et comparatif, effectué sur un patient dont les deux membres supérieurs sont dénudés.
La mesure chiffrée comparative de la mobilité se fait pour la flexion-extension en prenant pour repère de l’axe du bras la ligne unissant trochiter et condyle latéral, et pour celui de l’avant-bras, celle qui unit condyle latéral et épiphyse ulnaire. La transcription chiffrée des amplitudes passives et actives se fait soit en notant un déficit d’extension de X degrés et une flexion de Y degrés, soit plus simplement en suivant la nomenclature internationale par référence à la position anatomique, le point zéro correspondant à l’extension complète. Ainsi, un coude présentant un déficit d’extension de 30° et une flexion de 100° sera coté : 0/30/100 ; un recurvatum de 10° avec une flexion de 100° : 10/0/100 ; et une ankylose à 90° : 0/90/90.
La pronosupination, mesurée autant que possible à 90° de flexion et toujours humérus immobilisé coude au corps, se réfère également à la position anatomique, c’est-à-dire en supination complète. Une supination à 0° avec pronation à 70° sera cotée : 0/90/160, et un enraidissement total en supination complète : 0/0/0.
L’examen clinique évalue la force musculaire cliniquement ou, mieux, la mesure au Cybex™ en cherchant à évaluer continuité et trophicité des tendons périarticulaires. Des cicatrices et des adhérences susceptibles d’interférer sur un geste chirurgical sont recherchées.
L’état vasculonerveux est précisé.
Les douleurs sont analysées. Elles peuvent être péri-articulaires diffuses, neurologiques. Lorsqu’elles sont uniquement réveillées par la mobilisation en flexion- extension contre résistance alors que la flexion- extension passive est indolore, elles témoignent volontiers d’une altération cartilagineuse huméro-ulnaire. De même, le réveil de douleurs au cours de la pronosupination le poing du patient fortement serré, alors que la pronosupination passive est indolore, évoque une chondropathie du compartiment externe capituloradial.

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