Traumatismes cranio-encéphaliques et vertébro-médullaires
F. Nataf
Traumatismes cranio-encéphaliques
Survenant chez 2 % de la population générale et pour près de la moitié (35 à 42 %) chez les 15–25 ans), les traumatismes cranio-encéphaliques (TCE) sont la quatrième cause de mortalité globale et la première cause de décès avant l’âge de 20 ans. Ils sont aussi la cause de 50 % des morts accidentelles (National Brain Injury Foundation). En France, l’incidence annuelle calculée est de 281 pour 100 000.
Il faut opposer les traumatismes crâniens « bénins » et les traumatismes crâniens graves, avec signes neurologiques, dont la prise en charge et l’évolution sont radicalement différentes. L’imagerie joue un rôle majeur dans la prise en charge des patients. La décision et les modalités de traitement reposent en grande partie sur elle, de telle sorte que la description ou la transmission d’images radiologiques, de scanner ou d’imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent souvent de décider le transfert d’un traumatisé crânien dans un centre adapté, et notamment de neurochirurgie ou de réanimation. En particulier, le scanner a transformé l’approche et la prise en charge du traumatisé crânien.
Quelle imagerie pour un traumatisme crânien ?
Scanner cérébral
Le scanner cérébral est l’examen de référence pour un traumatisme crânien avec perte de connaissance et/ou amnésie de l’épisode, ou avec signes neurologiques [1–3]. Par son accessibilité, sa rapidité, sa sensibilité et sa spécificité pour les lésions traumatiques cérébrales, sa capacité d’étudier les os du crâne et d’étudier dans le même temps un autre organe en cas de polytraumatisme et même chez un patient intubé et ventilé, il doit actuellement être l’examen d’urgence réalisé en première intention.
Radiographies du crâne
Il peut être encore utile de faire des radiographies du crâne en cas de projectiles intracrâniens, notamment métalliques, qui peuvent être difficilement individualisés au scanner en raison des artéfacts. En dehors de ces cas très particuliers, les radiographies du crâne n’ont guère plus d’intérêt en traumatologie cranio-encéphalique [4].
IRM cérébrale
En raison de la difficulté à visualiser le sang frais et les os du crâne, de la longueur d’un examen et des difficultés à réaliser cet examen chez un patient intubé et ventilé (avec du matériel usuel), l’IRM n’est actuellement qu’un examen de deuxième intention pour un TCE. Elle sera cependant utile si l’on cherche à explorer le tronc cérébral ou en cas de doute sur une ischémie associée [5]. Malgré une sensibilité diagnostique de l’IRM supérieure à celle du scanner, il a été montré qu’aucune lésion chirurgicale visible à l’IRM ne passe inaperçue au scanner [6].
Artériographie cérébrale
L’artériographie cérébrale ne sera demandée qu’en centre spécialisé après avis neurologique ou neurochirurgical, à la recherche d’une thrombose vasculaire ou d’un anévrisme traumatique.
Traumatisme crânien bénin
Le traumatisme crânien bénin est défini par l’absence de perte de connaissance ou d’amnésie de l’épisode traumatique, l’absence de signe neurologique, avec notamment une conscience normale, et l’absence d’atteinte des fonctions vitales. Les lésions éventuelles sont situées principalement sur les enveloppes, et les lésions cérébrales sont absentes ou minimes. Le scanner cérébral est en règle normal.
Traumatisme et lésions cérébrales immédiates
Anatomie et caractéristiques des tissus concernés
Enveloppes
Le crâne est une structure peu élastique, peu déformable et constituée de la voûte et de la base. La voûte est arrondie, mousse, harmonieuse et parcourue de sillons vasculaires à sa partie interne. La base est en revanche constituée de reliefs et de conduits osseux (figures 1 et 2).
Figure 1 |
Figure 2 |
Cerveau
Le cerveau est une structure viscoélastique déformable, incompressible, sauf au détriment des espaces sous-arachnoïdiens et des ventricules.
Mécanismes des TCE
Ces mécanismes sont souvent intriqués, ce qui explique la multiplicité des lésions rencontrées.
Impact direct sur la tête
L’impact direct sur la tête va entraîner une onde de choc partant de la superficie du scalp vers la profondeur du cerveau. Il peut donc créer des lésions focales au point d’impact. Celles-ci sont d’abord cutanées (contusion, plaie), puis crâniennes, pouvant entraîner une fracture. Cette fracture peut causer une déchirure de la dure-mère et/ou des vaisseaux méningés ainsi que des sinus duraux. L’onde de choc se propageant au cerveau sous-jacent, des lésions lobaires focales peuvent survenir : contusion ou attrition cérébrale en regard de la zone d’impact. Les vaisseaux cérébraux peuvent alors également subir des lésions.
L’onde de choc poursuivant sa route, des phénomènes de cavitation surviennent, pouvant entraîner des lésions focales à distance (contusions indirectes par contrecoup, diamétralement opposées à l’impact) ou des lésions axonales diffuses (figure 3).
Figure 3 |
Il est indispensable de comprendre qu’à traumatisme crânien égal, l’onde de choc va causer des lésions encéphaliques plus importantes en l’absence de fracture qu’en cas de fracture. En effet, la fracture absorbe une grande partie de l’onde de choc et atténue ses effets sur le contenu du crâne.
Accélération et rotation
Il existe un effet d’inertie du cerveau chaque fois que la tête est mise en mouvement (accélération) ou arrêtée dans son mouvement (décélération). Ces phénomènes peuvent être linéaires ou rotatoires.
Lorsqu’ils sont linéaires, ils entraînent des lésions lobaires focales sur les reliefs intracrâniens. Ces lésions sont souvent bilatérales et basales et prédominent dans les régions frontotemporales.
Lorsqu’ils sont rotatoires, on peut observer des lésions d’étirement et de rupture des axones et des vaisseaux de la substance blanche appelées lésions axonales diffuses (figure 3).
Lésions initiales
Les lésions initiales apparaissent au moment du traumatisme ou dans les minutes suivantes. On considère que les lésions initiales sont déterminées dans les 50 à 200 ms suivant l’impact.
Lésions cutanées
Les lésions cutanées correspondent à la zone d’impact et sont des contusions et/ou des plaies. Au scanner, elles sont visibles sous la forme d’un élargissement des parties molles (figure 3). Ce critère peut être important pour déterminer la zone d’impact, notamment à l’occasion de procédures médicolégales.
Lésions osseuses
Sur la voûte du crâne, il peut s’agir de fractures unique ou multiples (figure 4), de fractures-disjonction de sutures, ou d’une embarrure (figures 5 et 6) qui est définie comme un enfoncement localisé de la boîte crânienne. Sur la base, il s’agit le plus souvent d’une fracture isolée, d’un prolongement d’une fracture de la voûte, ou d’un prolongement d’une fracture du massif facial. Cette fracture sera au mieux appréciée sur le scanner en fenêtres osseuses (voir figure 4). On la recherchera tout particulièrement en regard du point d’impact. En l’absence de plaie craniocérébrale, la mise en évidence d’une fuite de liquide cérébrospinal doit faire rechercher un trait de fracture particulièrement au niveau du sinus frontal, de la lame criblée de l’ethmoïde, du sinus sphénoïdal et du rocher.
Figure 4 |
Figure 5 |
Figure 6 |
Lésions méningées
Une lésion osseuse peut entraîner une déchirure de la dure-mère. Cela peut avoir deux conséquences : la déchirure d’un vaisseau (artère méningée, sinus veineux) et la brèche ostéoméningée, pouvant être responsable d’une pneumocéphalie ou d’une fuite de liquide cérébrospinal.
La déchirure d’un vaisseau peut entraîner la constitution rapide d’un hématome extradural.
La pneumocéphalie et la brèche ostéoméningée sont très souvent associées et se traduisent au scanner par une hypodensité de tonalité aérique intracérébrale, dans les espaces sous-arachnoïdien ou sous-dural.
Lésions vasculaires
La contusion cérébrale peut entraîner la rupture ou l’écrasement de vaisseaux cérébraux. On peut donc observer des lésions hémorragiques corticales d’attrition ou des zones d’ischémie. Rarement, le traumatisme peut entraîner la formation d’anévrismes sur les vaisseaux cérébraux. Les localisations préférentielles sont l’artère cérébrale moyenne par impact sur la petite aile du sphénoïde dans les traumatismes antéropostérieurs, ou l’artère péricalleuse par impact sur la faux du cerveau dans les traumatismes latéraux [7]. L’existence sur le scanner d’une hémorragie sous-arachnoïdienne diffuse, de la base ou focalisée (vallée sylvienne ou scissure interhémisphérique) doit faire évoquer la formation d’un anévrisme post-traumatique.
Exceptionnellement peuvent apparaître des fistules artérioveineuses durales ou des thromboses veineuses.
Lésions des nerfs crâniens
Il s’agit souvent de lésions d’étirement voire de rupture de certains nerfs crâniens lors d’une fracture intéressant leur trajet intraosseux. Les lésions les plus fréquentes concernent :
– les filets olfactifs dans la lame criblée de l’ethmoïde, parfois sans fracture, en contrecoup d’un impact occipital (I) ;
– le nerf optique dans la fissure orbitaire supérieure (II) ;
– les nerfs oculomoteurs en regard de la fissure orbitaire inférieure (III, IV, VI) ;
– le paquet acoustico-facial dans le rocher (VII, VIII).
Lésions encéphaliques
Il faut distinguer les lésions consécutives à la destruction mécanique (irréversibles) et fonctionnelles (potentiellement réversibles). Seules les premières pourront avoir une traduction visible en imagerie morphologique.
Il faut distinguer également les lésions focales et diffuses dont la traduction en imagerie, la prise en charge et le pronostic sont radicalement différents. L’ensemble des lésions encéphaliques peuvent entraîner un « effet de masse » se traduisant au scanner par un effacement des sillons corticaux, puis des citernes et des ventricules, avec un déplacement des structures physiologique sur la ligne médiane. À l’étage sus-tentoriel, le déplacement est mesuré par rapport à l’insertion de la faux du cerveau qui reste médiane.
Lésions focales
On distingue classiquement les contusions, les attritions et les hématomes.
– La contusion est une lésion corticale superficielle qui associe des lésions cellulaires (nécrose et gonflement) à des lésions vasculaires (suffusions hémorragiques et thrombus intravasculaires). Ces contusions peuvent donc être œdémateuses (hypodensités focalisées au scanner ; figure 7) ou hémorragiques (hyperdensités spontanées ponctiformes focalisées au scanner ; figure 8).
Figure 7 |
Figure 8 |
– L’attrition est une dilacération localisée du cortex et de la substance blanche (figure 8). Elle se traduit au scanner par le même type de lésions que les contusions, mais celles-ci sont plus étendues notamment en profondeur.
– L’hématome intracérébral est la plupart du temps la conséquence d’une confluence de lésions de contusion et d’attrition. Il se traduit au scanner par une hyperdensité spontanée étendue au sein du parenchyme cérébral au sein d’un foyer de contusions (figure 8).
Il s’associe très souvent à ces lésions une hémorragie sous-arachnoïdienne (méningée) localisée, en regard de la zone d’impact. Elle se traduit par une hyperdensité localisée des sillons corticaux.
Lésions diffuses
Les lésions axonales diffuses, conséquences d’étirement et de cisaillement des axones et des vaisseaux de la substance blanche, se traduisent au scanner par des hyperdensités ponctiformes ou de petites flaques hémorragiques réparties de façon centripète dans la substance blanche (voir figure 3), des noyaux gris, voire du tronc cérébral. Ces lésions ont un pronostic très péjoratif.
L’œdème cérébral précoce (brain swelling) entraîne une augmentation du volume cérébral au détriment du secteur liquidien et vasculaire. Il se traduit au scanner par une réduction de taille ou une disparition diffuse des sillons corticaux, des scissures, des citernes et des ventricules (figure 9).
Figure 9 |
Lésions « extracérébrales »
Hématome extradural
L’hématome extradural (HED) [8] est une collection hématique le plus souvent expansive, située entre la table interne de l’os du crâne et la dure-mère. Dans la très grande majorité des cas, une fracture du crâne est retrouvée en regard (figure 10B). Son origine est la plupart du temps la déchirure d’un vaisseau méningé, puis par fréquence décroissante d’un sinus veineux voire d’un os fracturé. La taille de la déchirure et le niveau de la pression artérielle systémique déterminent la rapidité d’augmentation de l’hématome. Il se traduit au scanner par la classique lentille biconvexe, refoulant et déformant le cerveau, et dont la forme est expliquée par l’adhérence physiologique de la dure-mère à l’os (figures 10A,B, 11). Le vaisseau rompu entraîne la formation de cette collection en décollant de proche en proche la dure-mère de façon centrifuge. De part et d’autre de l’hématome, la dure-mère reste adhérente et l’hématome limité. Il dépasse rarement les sutures. Le risque à très court terme est la compression du tronc cérébral. Il est important de savoir qu’un scanner cérébral trop précoce (moins d’une heure après le traumatisme) peut ne pas permettre le diagnostic d’un HED en cours de formation.
Figure 10 |
Figure 11 |
Hématome sous-dural aigu
L’hématome sous-dural aigu (HSDA) est une collection hématique située dans l’espace sous-dural entre la dure-mère et l’arachnoïde. Il est lié la plupart du temps à la rupture à la surface du cortex de lésions d’attrition cérébrale. Souvent, aucune fracture n’est visible et l’onde de choc a donc été absorbée entièrement par le cerveau, expliquant le tableau clinique d’emblée sévère [9]. Au scanner, l’HSDA se traduit par une hyperdensité péricérébrale en forme de croissant (figures 12, 13). Cette forme est expliquée par la possibilité de remplir totalement et sans obstacle l’espace sous-dural d’un hémisphère, contrairement à l’HED limité par l’adhérence durale. L’HSDA est régulièrement associé à des lésions de contusion, d’attrition et d’œdème cérébral. La constatation, au scanner, d’un déplacement de la ligne médiane plus important que l’épaisseur de l’HSDA signe l’existence de lésions associées (œdème, contusion, attrition).