couple céramique-céramique dans les arthroplasties totales de hanche: Ceramic on ceramic total hip replacement

Le couple céramique-céramique dans les arthroplasties totales de hanche


Ceramic on ceramic total hip replacement



image P. Bizot1, 1 Département de chirurgie osseuse, CHU Angers, 4, rue Larrey, 49933 Angers cedex 9.



Résumé


L’intérêt du couple céramique sur céramique dans les prothèses totales de hanche (PTH) est de résister à l’usure et d’éviter ainsi l’ostéolyse périprothétique induite par les débris de polyéthylène, dans le but d’augmenter la longévité des implants chez les sujets jeunes et actifs. Les céramiques utilisées comme matériau de frottement sont l’alumine, la zircone et les composites alumine-zircone. Ce sont des céramiques denses et bio-inertes, obtenues par frittage à haute température et haute pression. Elles présentent des propriétés de surface exceptionnelles, mais souffrent d’une grande rigidité et d’un comportement fragile, à l’origine de difficultés d’ancrage et de fracture.


En 40 ans d’utilisation, d’énormes progrès ont été réalisés dans la fabrication des matériaux, le dessin des implants et le contrôle qualité. Le couple alumine sur alumine reste la référence. Son exceptionnelle résistance à l’usure est clairement établie in vitro et in vivo. Dans des conditions normales, l’usure linéaire est inférieure à 1 μm/an, et l’usure volumétrique 500 à 5000 fois moindre que celle du couple métal-polyéthylène (PE). Les associations alumine sur zircone sont moins performantes et restent expérimentales. L’engouement récent pour les composites alumine-zircone, justifié par des propriétés mécaniques supérieures, doit être tempéré par un recul clinique encore limité et les incertitudes sur le risque de vieillissement in vivo de la zircone.


Les prothèses céramique-céramique actuelles montrent une excellente survie et un taux très faible d’ostéolyse, y compris chez les sujets jeunes et actifs. Le débat actuel sur le risque de fracture (toujours présent mais considéré comme négligeable), les effets néfastes des conflits métal/céramique et les bruits articulaires renforcent la nécessité d’une grande qualité de matériau, d’un dessin d’implant adapté et fiable, et enfin d’une technique de pose irréprochable.



Summary


The main advantage of ceramic on ceramic pairing in total hip replacement (THA) is to reduce wear and to prevent osteolysis from polyethylene wear debris, in order to increase the longevity of the arthroplasty, especially in young and active individuals. The ceramics used as bearing surfaces are alumina, zirconia and alumina-zirconia composites. These ceramics are dense, bioinert, and sintered at high temperature and pressure. They present exceptional surface properties but also a high rigidity and a brittle behavior which may generate fractures and difficulties for bone anchorage. After 40 years of clinical experience, a number of improvements have been made in material quality, implant design and quality control. Alumina on alumina pairing displays the best in vitro and in vivo resistance to wear. Under normal conditions, the linear wear is less than 1 µm/yr, giving a volumetric wear 500 to 5000 times less than that of metal-on-polyethylene (PE). Other combinations using alumina on zirconia are less efficient and are still experimental. Composites made of alumina and varying amounts of zirconia show interesting results but should be considered with caution, owing to their limited follow-up and the risk of in vivo aging of zirconia.


Contemporary ceramic on ceramic THA shows very satisfactory results with a very low rate of osteolysis, even in young and active patients. The open debate on the risk of components fracture (still present but considered as negligible), the adverse effects of metal/ceramic impingements and the occurrence of articular noises do reinforce the need, not only for a high – quality material but also for reliable designs and a perfect surgical technique.



Introduction


Le couple céramique sur céramique dans les arthroplasties totales de hanche a pour avantage essentiel de résister à l’usure et d’éviter l’ostéolyse périprothétique induite par les débris de polyéthylène, avec le ferme espoir d’augmenter la longévité des implants, en particulier chez les sujets jeunes à haute demande fonctionnelle. Boutin a été le premier en France à utiliser le couple alumine-alumine dans les années 1970, suivi de près par Mittelmeier en Allemagne, avec au départ un taux d’échec important, lié non pas à l’usure, mais à une qualité de matériau et une conception des implants médiocres [6,41] (voir figures 7, 8 et 11).





Depuis, des progrès très importants ont été réalisés dans la fabrication des matériaux, le dessin des implants et le contrôle qualité. In vitro, le couple céramique sur céramique offre un très faible taux d’usure, et les résultats cliniques et radiologiques des arthroplasties céramique-céramique utilisant des implants modernes sont très satisfaisants à moyen terme. Néanmoins, certaines interrogations persistent sur les risques de fracture d’implants, d’usure accélérée dans certaines conditions, de conflit métal/céramique, ou encore sur les difficultés de reprise, la modularité réduite des implants, et plus récemment sur l’existence de bruits articulaires. Ces interrogations sont renforcées par une certaine ambiguïté sur le terme « céramique », grande famille de matériaux complexes englobant des domaines très divers (artisanal, artistique, industriel). Les céramiques utilisées dans les arthroplasties totales de hanche sont des céramiques industrielles denses qui ne peuvent souffrir d’aucune imperfection dans leur fabrication, leur dessin et leur technique de pose, pour justifier leur utilisation comme alternative « dur-dur » chez les gens jeunes et actifs.



Définitions


Le terme « céramique » vient du mot grec keramos qui signifie terre cuite. Les céramiques représentent une gamme très étendue de matériaux, utilisés dans des domaines très différents et fabriqués selon des procédés plus ou moins complexes. Certaines confusions peuvent apparaître concernant leur définition. Certains retiennent : composé solide à température ambiante, inorganique et non métallique ; d’autres : matériau élaboré par un procédé thermique incluant des silicates et des oxydes, ou encore : composé polycristallin obtenu par frittage. La définition donnée par l’American Society for Testing and Materials (ASTM) reste la plus claire car elle définit très précisément la structure du matériau et son procédé de fabrication : « un matériau vitreux ou non, de structure totalement ou partiellement cristalline, composé essentiellement de substances inorganiques non métalliques, et produit à partir d’une masse en fusion qui se solidifie en se refroidissant, ou qui se forme sous l’action de la chaleur » (ASTM C 242).


En pratique, on distingue deux grandes catégories de céramiques :



Les céramiques utilisées en chirurgie orthopédique font partie des céramiques industrielles. On en distingue deux types très différents :



L’association alumine sur alumine reste de très loin le couple céramique-céramique le plus utilisé. Le couple composite alumine-zircone sur alumine-zircone fait néanmoins l’objet d’un engouement récent. Les autres couples céramiques (alumine sur zircone, zircone sur zircone) restent essentiellement du domaine de la recherche.


Ne seront pas abordés ici les matériaux céramométalliques ou cermets (incorporation de particules métalliques dans la matrice céramique dans le but d’augmenter la ténacité), les métaux céramisés de type Oxinium™ (Smith & Nephew) (alliage métallique zirconium-niobium avec oxyde de zirconium en surface), les matériaux à base de carbone (pyrocarbone) et les couples céramique sur métal.



Matériaux



Origine et composition





Composite alumine-zircone


Un matériau composite est un produit solide et hétérogène obtenu en associant au moins deux phases, le renfort et la matrice (protégeant le renfort), dont les qualités respectives se complètent pour former un matériau aux performances globales améliorées. Le composite utilisé en arthroplastie est composé d’alumine (la matrice) et de zircone (le renfort) (alumine matrix composite [AMC]). L’adjonction de zircone a pour but d’améliorer les caractéristiques mécaniques du matériau (en particulier sa ténacité et sa résistance à la fracture), tout en conservant les propriétés spécifiques de l’alumine (dureté, stabilité, mouillabilité, résistance à l’usure). La teneur en zircone est variable, de 17 % pour l’alumine Delta Biolox™ (CeramTec) à 80 % pour le composite Ceramys™ (Mathys) (figure 1). L’adjonction de particules de zircone (sous forme tétragonale stabilisée à l’yttrium) dans la microstructure de l’alumine constitue une barrière à la propagation de microfissures intergranulaires (effet barrière des plaquettes d’oxyde de strontium et effet bénéfique de la transformation de phase de la zircone ; voir le paragraphe « Propriétés mécaniques ») (figure 2).





Mise en forme


Les céramiques denses sont obtenues par frittage. Le frittage est un procédé industriel complexe qui consiste à chauffer une poudre de céramique à une température inférieure à sa température de fusion (alumine, 2054 °C ; zircone, 2715 °C) pour obtenir un produit solide.


Chaque fabricant possède ses secrets de fabrication, mais le principe reste le même. La poudre de céramique est obtenue par broyage. Ses caractéristiques (composition, granulométrie, pureté) sont essentielles pour les propriétés du produit final. Dans un premier temps, la poudre de céramique est agglomérée pour obtenir une préforme (proche de celle de l’implant définitif) plus ou moins fragile. Cette préforme est obtenue par pressage à froid sans liant (mais la cohésion des grains reste relativement faible et la porosité est importante), ou plus souvent avec des liants (en général polymériques) additionnés d’eau de façon à former une pâte (barbotine), coulée ensuite dans un moule (coulage en barbotine) sous forte pression.


Le frittage proprement dit s’effectue par chauffage sous vide ou atmosphère contrôlée, à haute température (de l’ordre de 1500 °C) et haute pression (> 1000 bars), consommant les liants. Depuis 1992, ce premier frittage est remplacé ou suivi par un frittage par compression isostatique à chaud HIP (hot isostatic pressing), réalisé sous haute pression uniforme mais à température plus basse, permettant d’obtenir une céramique plus dense sans augmenter significativement la taille des grains (figure 3). Après refroidissement, la taille du produit final est réduite d’un taux variable selon le procédé (25 % environ pour l’alumine). Les implants obtenus sont ensuite usinés par pointe diamant, polis en surface et marqués au laser (le marquage à la pointe diamant a été abandonné car il créait des zones de fragilité et de tension néfastes dans la céramique).




Propriétés



Propriétés physicochimiques (tableau 1)




Zircone


C’est une céramique composée d’une phase cubique, d’une phase tétragonale ou quadratique stable (prisme droit) et d’une phase monoclinique instable (prisme déformé). Le problème principal de la zircone vient du passage de la phase quadratique à la phase monoclinique. Cette déformation du réseau cristallographique est susceptible de diminuer la résistance mécanique (par augmentation de volume et cisaillement intergranulaire) et de modifier l’état de surface (augmentation de la rugosité). La zircone pure n’est pas stable à température ambiante (phase monoclinique). Pour stabiliser la zircone et la maintenir en phase quadratique à température ambiante, il est nécessaire d’ajouter des oxydes stabilisateurs. Certains, tels que CaO, MgO ou CeO2, permettent d’obtenir seulement des zircones partiellement stabilisées (partially stabilized zirconia[PSZ]), mais polyphasées avec un taux résiduel de phase cubique issue du frittage à 1500 °C [47]. En pratique, on peut trouver des zircones stabilisées par l’adjonction d’oxyde de magnésium (MgO ; 8 %) [53], mais la plupart sont stabilisées par l’oxyde d’yttrium (Y2O3). Selon le taux d’oxyde d’yttrium (environ 3 mol %) et les conditions de frittage, il est possible d’obtenir une rétention complète de la phase quadratique à température ambiante. On parle de zircone yttriée 3Y TZP (tetragonal zirconia polycristal), stabilisée en phase quadratique. Néanmoins, la zircone quadratique est susceptible de se transformer sous contrainte (voir le paragraphe « Vieillissement »). Les paramètres susceptibles de favoriser cette transformation de phase sont nombreux (procédés de fabrication, stérilisation, conditions mécaniques).


La zircone est un matériau plus dense que l’alumine (d = 6,1) ; sa porosité est proche de 0. La taille des grains est beaucoup plus petite, de l’ordre de quelques dixièmes de microns (figure 4). Les propriétés thermiques de la zircone sont problématiques. Son coefficient de dilatation thermique est relativement élevé pour une céramique (11.10−6 K−1 à température ambiante versus 7.10−6 K−1 pour l’alumine) et sa conductivité thermique est faible (contrairement à l’alumine), ce qui en fait un bon isolant mais peut provoquer une augmentation de température à l’interface, possiblement néfaste à long terme (voir « Propriétés tribologiques »). Le caractère radioactif de la zircone, évoqué par certains, est lié à la possible présence d’impuretés radioactives (dioxyde d’uranium) présentes dans certaines poudres de zircone. Néanmoins, les procédés de fabrication permettent de les éliminer et le rayonnement émis par une tête zircone de 28 mm (2 à 2100 Bq) reste nettement inférieur à celui du corps humain (3700 Bq) [47].




Composites alumine-zircone


L’adjonction de particules de zircone constitue une barrière à la propagation de microfissures entre les grains d’alumine. Le premier mécanisme de renforcement est dû à la transformation de phase tétragonale-monoclinique s’accompagnant d’une augmentation de volume (environ 4 %), créant des forces de compression qui absorbent l’énergie de propagation de la fissure (voir figure 2). Le deuxième mécanisme est dû à la présence d’oxyde de strontium, sous forme de plaquettes allongées agissant comme une barrière à la propagation de la fissure intergranulaire. Il est important que les grains de zircone soient répartis de façon homogène et isolés les uns des autres dans la microstructure de l’alumine pour éviter la formation d’agrégats. Ces composites ont des propriétés physicochimiques intermédiaires, fonction du taux de zircone, lui-même variable selon les fabricants. Dans l’Alumine Delta™ (CeramTec), l’adjonction de 17 % en volume de zircone à l’alumine confère au composite une densité de 4,37 g/cm3 et une taille moyenne de grain inférieure à 1,5 micron.



Biocompatibilité

La réponse tissulaire des céramiques denses a fait l’objet de nombreuses études in vitro sur cultures cellulaires (fibroblates, ostéoblastes, lymphocytes) et in vivo chez l’animal (tissus mous, os, articulations) [18,25,36,51]. Les céramiques denses sont bio-inertes, probablement du fait de leur haut degré d’oxydation et de leurs propriétés de surface. Sous forme massive, elles provoquent une réponse cellulaire pauvre. L’implantation intraosseuse aboutit à une réaction fibreuse ou un contact direct fonction de la forme de l’implant et des contraintes locales. Il n’existe en revanche aucune liaison chimique. Le contact direct est favorisé par les forces en compression, alors que les forces en cisaillement favorisent plutôt la formation d’une membrane fibreuse à l’interface.


Sous forme particulaire, la réponse biologique est variable suivant les conditions expérimentales (dose, taille des particules, type de cellules). In vitro, on peut retrouver des signes d’activation cellulaire (prolifération, activité enzymatique, libération de cytokines, phagocytose), mais elles sont toujours nettement moins intenses que celles déclenchées par les particules polymériques et métalliques. Chez l’animal, les particules de céramique génèrent plutôt une réaction fibreuse où les macrophages sont rares et les cellules géantes quasi absentes. Il en est de même pour la zircone et les composites alumine-zircone. Chez l’homme, l’étude des membranes périprothétiques aboutit aux mêmes conclusions [5,12,58]. Le taux élevé de « fixation fibreuse » des cotyles impactés en alumine massive [22] et le très faible taux d’ostéolyse des séries de prothèse totale de hanche (PTH) alumine-alumine à long terme corroborent ces résultats [4,16,21,28,30,42,52,60].


Les seules véritables réactions ostéolytiques périprothétiques sur PTH céramique ont été rapportées dans des situations pathologiques (contact anormal, malposition, descellement) et sont plus probablement la conséquence de débris métalliques ou de ciment. De la même façon, les taux anormalement élevés de lisérés et d’ostéolyse de certaines séries de PTH utilisant une tête zircone semblent plus liés à l’usure du polyéthylène (PE) provoquée par le changement de phase de la zircone in vivo qu’à une réaction adverse aux particules de zircone [27,51].



Propriétés mécaniques


Les propriétés mécaniques intrinsèques des céramiques sont directement liées à leur qualité (nature cristallographique, degré de pureté, densité, porosité, taille des grains). Elles se sont nettement améliorées avec la maîtrise des procédés de fabrication (HIP). Il est important de les distinguer du comportement mécanique de l’implant, fonction du type de céramique et de sa qualité, mais aussi de sa forme (diamètre de tête, épaisseur de l’insert, technologie du cône morse) et des conditions expérimentales.





Comportement sous contrainte

Les céramiques sont des matériaux très rigides dont le comportement est purement élastique jusqu’à rupture sans déformation plastique, contrairement aux métaux et polymères. Leur comportement est dit fragile. Ce terme, pouvant prêter à confusion, ne signifie pas faible contrainte à la rupture (elle est au contraire élevée, surtout en compression), mais faible ténacité, c’est-à-dire capacité limitée à résister à la propagation d’une fissure. Les contraintes à la rupture des céramiques denses sont comparables à celle des métaux en compression, mais sont plus faibles en flexion et surtout en traction (tableau 2). Le module d’élasticité des céramiques est très élevé, nettement supérieur à celui des alliages métalliques (× 2), des polymères (× 60–700) et de l’os cortical (× 8–15) (tableau 3). L’alumine possède le module d’élasticité le plus élevé (380 GPa). Cette grande rigidité empêche toute absorption d’énergie. Elle implique une technologie d’assemblage très précise et est à l’origine des problèmes d’ancrage osseux des cotyles en céramique massive, d’un possible stress shielding acétabulaire, voire de fracture en cas de pics de contrainte non physiologique.


Tableau 3 Module d’élasticité de différents matériaux (céramiques, polymères, métaux)






























  Module de Young (GPa)
Alumine (Al2O3) 380
Zircone (ZrO2) 210
Alliage Titane (TiAl6V4) 110
Alliage Cr-Co 200
Acier 316L 200
Polyméthylmétacrylate (PMMA) 3
Polyéthylène (UHMWPE) 0,5
Os cortical 24


Propagation des fissures. Ténacité [11,19]

La propagation d’une fissure dans un matériau céramique peut s’effectuer de façon lente ou brutale. Ces deux mécanismes peuvent aboutir à la rupture brutale de l’implant, mais le mécanisme est différent.




Propagation lente des fissures

Cependant, même lorsque le facteur d’intensité de contrainte KI reste inférieur au facteur d’intensité de contrainte critique KIC, les fissures peuvent se propager : c’est la propagation lente ou sous-critique des fissures (figure 5), qui au final peut conduire à une rupture imprévisible de l’implant. Elle s’effectue selon un mécanisme de corrosion sous contrainte, provoquée par l’action combinée de contraintes mécaniques à la pointe de la fissure et de molécules d’eau. On définit trois stades de propagation dont les vitesses sont différentes :



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Figure 5 Vitesse de propagation lente des fissures dans une céramique en fonction du facteur d’intensité de contrainte KI (d’après De Aza et al. [11]). La vitesse de propagation des fissures est d’abord contrôlée par la réaction avec l’eau (stade I), puis par la diffusion des molécules d’eau (stade II), et enfin non contrôlée (rupture dans les conditions du vide) (stade III). KIC : facteur d’intensité de contrainte critique à partir duquel la rupture se produit. KI0 : seuil au-dessous duquel aucune propagation de fissure n’est possible.


Les matériaux sensibles à l’eau, comme la zircone, sont ainsi très sensibles à la propagation sous-critique des fissures. Il est important de noter qu’il existe un seuil KI0 au-dessous duquel aucune propagation de fissure ne peut se produire. Pour augmenter ce seuil, on peut utiliser une céramique dont les liaisons sont peu ioniques et plutôt covalentes (comme l’alumine), ou optimiser la microstructure du matériau. Il existe en effet des mécanismes de renforcement qui peuvent ralentir la propagation de la fissure. Ces mécanismes sont différents pour l’alumine, dans laquelle le renforcement s’effectue par pontage entre les grains (lié à la taille des grains), et la zircone, où le renforcement s’effectue par transformation de phase provoquant une augmentation de volume, qui elle-même va exercer des contraintes en compression luttant contre la propagation de la fissure (voir figure 2). Cet effet bénéfique de la transformation de phase est relatif, car il est atténué par la présence de stabilisant (oxyde d’yttrium diminuant la transformabilité des grains), et d’autant plus important que les grains sont gros. Il doit être mis en balance avec l’effet néfaste de la transformation de phase diminuant la stabilité du matériau (voir le paragraphe « Vieillissement »).


Les composites alumine-zircone possèdent des propriétés mécaniques intermédiaires. Leur ténacité est meilleure que celle de l’alumine pure. Pour contrôler le renforcement par transformation dans un composite, il faut agir sur la transformabilité des grains de zircone, en contrôlant la quantité de stabilisant de la phase quadratique et la taille des grains. La taille moyenne des grains du composite diminue lorsque le taux de zircone augmente, car la matrice a plus de mal à retenir la phase tétragonale. La taille idéale doit se situer entre 0,4 et 0,8 μm pour des taux de zircone de 10 à 15 %. Il est nécessaire d’éviter tout agrégat de zircone (non stabilisée dans la matrice et susceptible de se transformer au refroidissement postfrittage). Dans le composite, la propagation des fissures se fait au sein de la matrice d’alumine qui est moins sensible à la corrosion sous contrainte. La valeur du seuil KI0 du composite augmente donc et dépasse nettement celui de la zircone, malgré des ténacités (KIC) relativement proches. Le composite présente donc théoriquement les avantages de l’alumine peu sensible à la propagation sous-critique (amélioration du seuil KI0) et ceux de la zircone, qui renforce le matériau par transformation de phase (décalage de la courbe v-KI vers les hautes contraintes).



Vieillissement [19]


L’alumine possède une grande stabilité thermodynamique qui n’autorise aucune transformation de phase, quels que soient le temps, la température, la pression et l’humidité. Ce n’est pas le cas pour la zircone. Sa transformation de phase peut être bénéfique lorsqu’elle provoque le renforcement. Elle peut aussi avoir, à basse température et sous atmosphère humide, un effet néfaste et imprévisible : c’est le vieillissement de la zircone. Le vieillissement est une transformation isotherme en surface par laquelle des grains quadratiques se transforment en grains monocliniques sous l’action de l’eau. L’augmentation de volume des grains transformés provoque une augmentation de la rugosité et la création de microfissures. L’eau gagne ensuite le volume et propage la transformation. Elle progresse de la surface vers la profondeur. Le vieillissement augmente avec la température et atteint un maximum entre 200 et 300 °C. In vivo chez l’homme, Bergmann et al. [3] retrouvent une température de 43,1 °C au niveau de la hanche avec un couple alumine-PE après une heure de marche. L’augmentation de température est moindre avec un couple alumine-alumine, mais les variations interindividuelles sont importantes et peu prévisibles. La faible conductivité thermique de la zircone peut avoir un rôle important dans l’augmentation de température à l’interface. Sur simulateur de hanche, sans refroidissement, Liao et al. [35] ont rapporté une augmentation de température de 55 °C pour les têtes zircone et 41 °C pour les têtes chrome-cobalt (Cr-Co), avec une précipitation des protéines du sérum pouvant adhérer à la surface des têtes. On peut donc penser que d’importantes variations de température peuvent exister à l’interface avec la zircone, fonction des contraintes mécaniques locales et du niveau de lubrification. Cela pourrait expliquer certains résultats défavorables à moyen terme des prothèses zircone-PE [27,33,53]. La teneur en eau, le taux de stabilisant et les contraintes en tension sont aussi des paramètres importants dans le vieillissement de la zircone. On parle de vieillissement par déstabilisation (réaction entre l’yttrium et l’eau formant des cristaux d’hydroxyde d’yttrium en surface, appauvrissant la zircone en yttrium et accélérant la transformation de phase) ; de vieillissement par corrosion par l’eau (les molécules d’eau attaquent les défauts du matériau et réagissent avec les liaisons Zr-O-Zr pour former des liaisons Zr-OH qui activent la transformation) ; et de vieillissement par transformation sous contrainte (diffusion de l’eau sous contrainte provoquant une réaction entre l’yttrium et l’eau formant des cristaux d’hydroxyde d’yttrium). La taille des grains a une influence considérable sur le vieillissement de la zircone. Les grains fins sont plus stables et plus résistants au vieillissement. La taille en dessous de laquelle aucune transformation ne peut avoir lieu dépend de la teneur en stabilisant. Pour une zircone 3Y TZP, elle varie de 0,3 à 0,4 μm environ.


On comprend ainsi que les traitements de stérilisation par autoclave à 134 °C conduisent à un vieillissement prématuré des têtes zircone. Ils sont à l’origine des premières alertes liées au vieillissement des implants en zircone et ont été interdits en 1997 par la Food and Drug Administration (FDA) au profit des rayons γ (ou de l’oxyde d’éthylène). En 2001, l’utilisation des têtes zircone a été fortement ralentie par l’existence de ruptures survenues sur plusieurs lots de têtes Zircone Prozyr™ (Saint-Gobain-Desmarquest) liées au vieillissement. Cela a entraîné l’arrêt quasi complet de l’implantation de têtes zircone alors qu’il s’agissait d’un problème de fabrication [40].


Il est possible de réduire le vieillissement de la zircone en jouant sur la nature du matériau (composition, stabilisant, additifs), mais il est impossible de le faire disparaître totalement. Les composites sont en effet moins sensibles au vieillissement que la zircone. Il existe une importante diminution du vieillissement lorsque le taux d’alumine augmente dans le composite (la transformation diminue de 10 % avec 40 % d’alumine). L’alumine augmente le module de Young du matériau, stabilisant ainsi les grains de zircone quadratique qui se transforment plus difficilement. Cependant, les agrégats de zircone non stabilisés par la matrice d’alumine ont un rôle néfaste et accélèrent le vieillissement de la zircone.

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Jul 3, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on couple céramique-céramique dans les arthroplasties totales de hanche: Ceramic on ceramic total hip replacement

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