Concept des «soins pharmaceutiques» (Pharmaceutical Care)

3. Concept des «soins pharmaceutiques» (Pharmaceutical Care)

une approche systématique du suivi du patient

Claude Mailhot, B. Pharm., DPH, Pharm. D.


professeure titulaire et vice-doyenne aux études de premier cycle; faculté de pharmacie-université de Montréal, Montréal, Québec, Canada

Louise Mallet, B. Sc. Pharm., Pharm.D., CGP


professeur titulaire de clinique, faculté de pharmacie, université de Montréal, Montréal, Québec, Canada

pharmacienne clinicienne en gériatrie, centre universitaire de santé McGill Montréal, Québec, Canada


PLAN DU CHAPITRE







Soins pharmaceutiques20


Problèmes liés aux médicaments20


Prestation des soins pharmaceutiques: les étapes21




Étape 1: établir une relation de confiance avec le patient21


Étape 2: obtenir l’information (recueillir les renseignements pertinents et en faire la synthèse)21


Étape 3: évaluer l’information (dresser la liste des problèmes liés aux médicaments (PLM) et les classer)22


Étape 4: élaborer le plan de soins pharmaceutiques24


Étape 5: mettre en application le plan de soins pharmaceutiques25


Étape 6: réévaluer le plan de soins pharmaceutiques26


Discussion – conclusion26


Références bibliographiques26


Annexe 127


Annexe 229



INTRODUCTION


La terminologie «Soins pharmaceutiques» utilisée en Amérique du Nord est née d’un besoin de définir de façon plus uniforme la pratique de la pharmacie «axée sur le patient». Selon Hepler et Strand (Hepler, 1990), on peut distinguer trois grandes phases dans l’évolution de la pharmacie au cours des 30 dernières années: la phase traditionnelle de préparation et de distribution de médicaments; la phase transitionnelle de pharmacie clinique; et enfin, la phase des soins pharmaceutiques. Selon ces auteurs, le concept des soins pharmaceutiques permet d’intégrer à la pratique pharmaceutique une notion qui n’était pas clairement énoncée auparavant, c’est-à-dire, la responsabilité du pharmacien envers le patient. À cette notion de responsabilité se greffe l’imputabilité du pharmacien envers les résultats pharmacothérapeutiques. Pour s’acquitter de ces tâches, le pharmacien doit apporter des modifications à l’organisation de sa pratique, aux fonctions qu’il exerce et aux principes auxquels il souscrit. Certains éléments permettent de distinguer la prestation des soins pharmaceutique de la pratique transitionnelle:




– on attribue au patient un rôle plus important en le reconnaissant comme partie prenante dans la sélection et le suivi de sa pharmacothérapie- ainsi, une relation de confiance et de collaboration réelle s’installe entre le pharmacien et le patient;


– le pharmacien effectue un suivi du patient afin de s’assurer que les résultats pharmacothérapeutiques désirés sont atteints;


– le rôle du pharmacien complète celui des autres professionnels de la santé; il adopte une approche interdisciplinaire;


– les résultats de l’analyse du pharmacien sont clairement consignés au dossier patient (opinion pharmaceutique, note au dossier, etc.);


– le pharmacien s’intéresse au patient dans son intégralité, c’est-à-dire qu’il n’effectue pas uniquement l’évaluation de son dossier, ou l’analyse de la pharmacocinétique d’un médicament mais une évaluation globale des problèmes du patient et de l’ensemble de sa pharmacothérapie.

En 1990, la Société canadienne des pharmaciens d’hôpitaux (SCPH) établissait des niveaux de pratique des services de pharmacie clinique (McLean, 1990). En fait, les niveaux 3 et 4 définis par la SCPH correspondaient à ce que Hepler et Strand ont par la suite défini comme «soins pharmaceutiques» (Hepler, 1990). Ainsi, il semble logique de considérer les soins pharmaceutiques comme un continuum de la pharmacie clinique. Plus récemment, Hepler (2004) réaffirmait que la pharmacie clinique et les soins pharmaceutiques poursuivent les mêmes buts, en utilisant un vocabulaire différent. Selon lui, afin d’assurer la sécurité du patient et la qualité des soins, il est important que l’ensemble des organisations pharmaceutiques unissent leurs efforts pour élever les standards de pratique en pharmacie.

Afin de préparer les futurs pharmaciens aux défis du xxie siècle, la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal a intégré à son programme de baccalauréat en pharmacie la compréhension et l’application du concept des soins pharmaceutiques. Dans le cadre de leurs stages cliniques, les étudiants prodiguent des soins pharmaceutiques à leurs patients, tant en milieu officinal qu’en milieu hospitalier, sous la supervision de pharmaciens cliniciens associés de la Faculté.


SOINS PHARMACEUTIQUES


La prestation des soins pharmaceutiques fait partie de l’énoncé de mission de la profession de pharmacie en Amérique du Nord. Les associations de facultés de pharmacie canadiennes et américaines ont inscrit la prestation des soins pharmaceutiques à titre de compétence visée par leurs programmes de formation. Au niveau international, la Fédération internationale pharmaceutique (FIP) inclut la formation aux soins pharmaceutiques dans sa déclaration de politique relative aux bonnes pratiques de formation en pharmacie.

En 1990, Hepler et Strand définissaient le concept des soins pharmaceutiques comme l’engagement du pharmacien à assumer envers son patient la responsabilité de l’atteinte clinique des objectifs préventifs curatifs ou palliatifs de la pharmacothérapie (Hepler, 1990).

Cette définition des soins pharmaceutiques exige que le pharmacien s’astreigne à un processus systématique et exhaustif lui permettant d’accomplir trois fonctions essentielles:




1. identifier les problèmes liés aux médicaments (réels et potentiels) chez un patient;


2. résoudre les problèmes réels liés aux médicaments;


3. prévenir les problèmes potentiels.

Pourquoi les soins pharmaceutiques doivent-ils être au cœur de la nouvelle mission des pharmaciens? Tout d’abord, parce que les médicaments ne sont pas utilisés de façon optimale, ce qui entraîne des coûts de santé considérables. Aux États-Unis, on estime à 76 milliards de dollars par an, le coût des problèmes liés aux médicaments (Johnson, 1995; Bootman, 1996). Au Canada, Coambs et al. évaluent que le problème de non-fidélité au traitement coûte entre 7 et 9 milliards de dollars par année (Coambs, 1995). Des problèmes d’observance au traitement médicamenteux sont également fréquemment rapportés auprès de diverses populations de patients européens (Vrijens et al., 2006, Moatti et al., 2000, Sobel, 1997, Fabrod et al., 1996, Oddes and Guis, 1996, Mallion et al., 1995 and Alvin et al., 1995). Le pharmacien, par ses connaissances et compétences en ce qui concerne le médicament, par sa position stratégique entre le patient et son médicament et par la fréquence des rencontres avec son patient, est le professionnel le mieux placé pour lutter contre ces problèmes.


PROBLÈMES LIÉS AUX MÉDICAMENTS


Strand et collaborateurs définissent un problème lié aux médicaments comme étant «une réaction indésirable ou un effet chez le patient qui sont liés certainement ou vraisemblablement à une pharmacothérapie, et qui compromettent effectivement ou potentiellement un résultat thérapeutique recherché chez le patient.» (Strand, 1990). Ici, le mot «problème» doit donc être pris au sens large et il inclut tous les signes, symptômes, affections ou maladies susceptibles de survenir chez un patient. Un problème lié aux médicaments peut presque toujours être classé dans l’une des huit catégories indiquées au tableau 3.1.






Tableau 3.1 Principaux types de problèmes liés aux médicaments (PLM).
Le patient présente (ou risque de présenter) un problème car:
PLM1: il a besoin d’une pharmacothérapie, mais ne la reçoit pas;
PLM2: il prend ou reçoit un médicament autre que celui qu’il lui faut;
PLM3: il prend ou reçoit le médicament correct, mais à une dose trop faible;
PLM4: il prend ou reçoit le médicament correct, mais à une dose trop élevée;
PLM5: il présente une réaction médicamenteuse indésirable;
PLM6: il subit une interaction entre un médicament et un autre médicament, une réaction adverse avec une pathologie, un aliment ou un test biologique;
PLM7: il ne prend pas ou ne reçoit pas le médicament prescrit;
PLM8: il prend ou reçoit un médicament sans indication médicale validée.


PRESTATION DES SOINS PHARMACEUTIQUES: LES ÉTAPES



La Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal a adopté un modèle constitué de six étapes. Ce modèle, développé par Diane Lamarre et Jude Goulet est inspiré des travaux de Hepler et Strand (Mallet, 2005). Nous présenterons ici des extraits du manuel utilisé pour les cours d’enseignement clinique de la faculté (Mallet, 2005) ainsi qu’un résumé de chacune de ces étapes en expliquant sa raison d’être, la façon de l’accomplir et les résultats attendus. Afin d’illustrer la démarche, une analyse de cas sera discutée à la suite de la description de chaque étape:





Madame Anna Proxène se présente à l’officine avec l’ordonnance suivante:




– poursuivre méthotrexate, une injection IM effectuée par un(e) aide médicale à domicile, chaque semaine, à la dose de 15mg par semaine (au lieu de 7,5mg jusque-là);


– prendre Solupred 5, un comprimé le matin pendant 10 jours, puis 1/2 comprimé pendant 10 jours et cesser;


– poursuivre Tilcotil, un tous les soirs au repas et Profénid, supp., un à deux par jour.


Étape 1: établir une relation de confiance avec le patient


L’établissement de la relation de confiance avec le patient est souvent une étape déterminante dans l’atteinte de résultats thérapeutiques recherchés pour le patient. Cette relation de confiance doit être entretenue tout au long des rencontres entre le pharmacien et le patient.

Les divers éléments faisant partie de cette étape sont décrits au tableau 3.2 (Mallet, 2005).






Tableau 3.2 Sous-éléments de l’étape 1: établir une relation de confiance avec le patient.
A.Aborder le patient avec courtoisie et respect.
B. Lors d’une première rencontre, expliquer au patient les objectifs de l’entrevue et les avantages pour le patient.
C. Reconnaître le patient lors d’une deuxième rencontre.
D.Accorder une attention exclusive au patient. Dans les cas où il est dérangé, s’excuser auprès du patient.
E. Faire preuve d’efficacité dans ses échanges avec le patient.
F. Reconnaître les aspects où il doit vérifier ses connaissances avant de répondre au patient et rechercher avec efficacité les solutions requises.
G.Respecter le patient en l’acceptant avec ses caractéristiques sociales, ethniques, religieuses, intellectuelles, physiques et psychiques.
H.Respecter les engagements pris envers le patient.

Cette étape amène le patient à reconnaître le pharmacien comme un partenaire essentiel dans la gestion de sa santé, ce qui entraînera une bonne collaboration lorsque le pharmacien aura à le questionner pour obtenir des renseignements précis sur sa santé. Le patient aura aussi tendance à demander conseil à son pharmacien et il prendra en considération les suggestions du pharmacien concernant sa pharmacothérapie.


Étape 2: obtenir l’information (recueillir les renseignements pertinents et en faire la synthèse)


La principale fonction du pharmacien qui dispense des soins pharmaceutiques est d’identifier les problèmes liés aux médicaments, de résoudre les problèmes existants et de prévenir ceux susceptibles de survenir. Afin de vérifier cette fonction avec succès, le pharmacien devra disposer de toutes les données essentielles à l’analyse de la pharmacothérapie. Pour chaque cas, le pharmacien devra identifier les données pertinentes dont il aura besoin. L’ensemble des renseignements pouvant être requis pour identifier et résoudre les problèmes est présenté au tableau 3.3 (Mallet, 2005).

















Tableau 3.3 Renseignements requis.
Patients Condition(s) justifiant une médication
Âge, sexe, poids
Allergie, intolérance
Attitude du patient face à sa maladie
Tabagisme
Habitudes alimentaires
Consommation d’alcool
État obstétrical
Handicaps
Fonction rénale
Fonction hépatique
Résultats d’analyses de laboratoire (ex.: glycémie, RNI ou INR, etc.)
Situation économique
Attentes du patient
Problèmes médicaux actuels (gravité, durée)
Pharmacothérapie du patient Membres de l’équipe de soins
Médication actuelle
Fréquence des renouvellements
Médication antérieure
Efficacité/toxicité des médicaments
Voie et technique d’administration des médicaments
Pharmacien antérieur
Médecin traitant
Médecin spécialiste
Aidant naturel (entourage familial)

Le recueil d’informations peut s’effectuer en plusieurs étapes. L’utilisation d’un dossier patient où sont colligées toutes ces données s’avère essentielle au fonctionnement du processus. Il est entendu que tous les éléments ne sont pas indispensables pour chaque patient. Il faut s’adapter aux besoins spécifiques liés à un patient donné et à l’ordonnance qu’il nous remet.

Le recueil d’informations concernant la médication antérieure devrait inclure en plus de la posologie et de la durée de traitement de chacun des médicaments, des données sur leur efficacité et sur la toxicité qu’ils ont engendrée. Ces informations nous permettent de faire des recommandations de traitement, adaptées à l’expérience pharmacothérapeutique du patient.







Renseignements essentiels requis chez cette patiente


Âge: 60 ans.

Poids: 54kg.

Allergie/intolérance: aucune.

Tabagisme: oui.

Consommation d’alcool: occasionnelle.

L’âge et le poids sont nécessaires à l’ajustement de la posologie. L’information sur la présence d’allergie ou d’intolérance permettra d’éviter un choix de traitement incorrect. Le tabagisme, tout comme la consommation régulière d’alcool, augmente le risque d’ulcère gastrique chez le patient traité avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens.


Conditions pathologiques (actuelles et antérieures)


La patiente a, depuis 5 ans, une arthrite rhumatoïde avec une exacerbation récente des symptômes, avec synovite évolutive aux articulations métacarpo-phalangées (droites et gauches), de même qu’aux articulations des poignets.

Elle présente aussi un œdème accompagné de douleur au niveau des genoux de même qu’une douleur aux hanches.

Pas de diagnostic d’ostéoporose.

Pas d’histoire antérieure de maladie ulcéreuse.

Aucun autre problème connu.

La condition présentée par la patiente, sa durée, sa gravité ainsi que la symptomatologie présente permettront de mieux évaluer le choix thérapeutique. On note une augmentation du risque d’ostéoporose lors d’une prise prolongée de corticostéroïdes. Une histoire antérieure de maladie ulcéreuse augmente le risque d’ulcère gastrique chez le patient traité avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens.

Il est important de s’assurer que la patiente ne présente aucune des pathologies identifiées comme contre-indication absolue à l’utilisation du méthotrexate: insuffisance rénale sévère, maladie hépatique, anémie sévère, leucopénie, maladie infectieuse évolutive, alcoolisme (Furst, 1997).


Médication antérieure


Naproxène, 500mg 2 fois/j × 3 ans [contrôle des symptômes insuffisant (cessé, il y a 6 mois)].

Hydroxychloroquine × 10 semaines (peu d’amélioration) (cessée, il y a 6 mois).

Méthotrexate 7,5mg IM (1 fois par semaine depuis 6 mois) (bonne réponse thérapeutique jusqu’à ce jour mais incomplète).

Ténoxican, 20mg per os par jour depuis 6 mois.

Kétoprofène, 100mg supp. 1 à 2 fois/j depuis 6 mois.


Étape 3: évaluer l’information (dresser la liste des problèmes liés aux médicaments (PLM) et les classer)


À l’étape 3 du processus des soins pharmaceutiques, le pharmacien utilise son jugement professionnel pour identifier les besoins du patient, évaluer sa pharmacothérapie et dresser la liste des problèmes réels et potentiels liés au médicament. L’engagement à résoudre ces problèmes constitue la responsabilité du pharmacien à l’égard du patient.

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May 13, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on Concept des «soins pharmaceutiques» (Pharmaceutical Care)

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