26. Comment initier et conduire une stratégie thérapeutique médicamenteuse
Daniel Bailly
«Vous savez que les médicaments bien administrés rendent la santé aux malades» (Léonard de Vinci).
La prescription des médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent a connu un accroissement significatif au cours de ces 20 dernières années, aussi bien en France [30, 32] que dans les pays anglo-saxons [26, 44, 45, 48]. Ainsi, par exemple, le pourcentage d’enfants recevant des médicaments psychotropes est-il passé aux États-Unis de 1,4 en 1987 à 3,9 en 1996 [45]. Cette évolution n’a pas été sans raviver les positions dogmatiques anciennes qui stigmatisaient l’emploi des médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, considéré alors, a priori, comme inacceptable et synonyme de dangerosité. Certes, à cette époque, le manque d’études rigoureuses constituait sans aucun doute un des obstacles majeurs à l’emploi cohérent des médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent [37]. Cependant, comme le soulignaient déjà Mazet et al. [35], «être partisan» ou non d’une chimiothérapie psychotrope chez l’enfant ne peut reposer sur une simple idéologie, mais doit impliquer des données objectives, établies selon des normes adaptées aux spécificités de la psychiatrie de l’enfant. À ce titre, on peut dire que de nombreux progrès ont été accomplis, et que le clinicien peut désormais s’appuyer sur une abondante littérature lui permettant de mieux situer la place des médicaments psychotropes dans le traitement des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, même si, comme le remarquent plusieurs auteurs, les habitudes de prescription ont peu évolué[17, 24]. Cela ne signifie pas que nos connaissances actuelles sont suffisantes. Les données concernant de nombreuses classes de médicaments psychotropes sont encore fragmentaires, et de nombreuses incertitudes persistent quant à l’efficacité et la tolérance des médicaments psychotropes chez l’enfant et l’adolescent, en particulier à long terme [24]. Ce manque de validation n’est cependant pas propre à la pharmacothérapie. Il concerne aussi, et plus encore peut-être, d’autres méthodes thérapeutiques, en particulier les psychothérapies, pourtant largement utilisées en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent [28, 33].
SUR QUELS ELÉMENTS POSER L’INDICATION D’UN TRAITEMENT MÉDICAMENTEUX?
Si le but central de la consultation est le repérage des éléments qui vont permettre d’adopter l’attitude thérapeutique la plus adéquate, il apparaît nécessaire d’une part que l’examen clinique se situe à plusieurs niveaux (sémiologique, psychopathologique, étiologique), et d’autre part que la réponse médicamenteuse éventuelle soit confrontée, dans ses avantages et ses inconvénients, aux autres modes de prise en charge possibles. Très souvent d’ailleurs, les diverses méthodes devront être associées, la chimiothérapie psychotrope ne pouvant trouver sens qu’au sein d’une approche diversifiée s’intégrant dans le cadre d’un projet thérapeutique où l’enfant est envisagé dans sa totalité et relié à ses environnements. Comme le soulignaient déjà Misès et Faurie [36] il y a bien longtemps, il est clair que l’utilisation des médicaments psychotropes chez l’enfant ne saurait s’appuyer sur les seuls symptômes ou sur un repérage nosographique simplificateur d’où seraient exclues les composantes diverses tirées de l’examen de l’enfant et de l’étude du contexte sociofamilial: ces éléments sont indispensables pour reconnaître l’originalité de chaque cas de manière à former, pour un cas donné, un projet thérapeutique «sur mesure», l’évolution permettant de moduler les moyens utilisés.
NÉCESSITÉ D’UNE EVALUATION DIAGNOSTIQUE SOIGNEUSE
En psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, la demande d’aide et de soins est le plus souvent issue d’un adulte (parents, enseignants, éducateurs) face à un comportement perturbé, ou jugé comme tel, de l’enfant. Certes, ce comportement peut témoigner chez l’enfant d’un trouble mental. Mais de nombreux comportements jugés pathologiques par l’entourage apparaîtront aussi, en réalité, soit comme l’expression de l’évolution de l’enfant, soit comme le signe d’une protestation saine, ou encore comme le témoin de l’adaptation de l’enfant aux conditions environnementales dans lesquelles il évolue [4]. De nombreuses études montrent que les troubles du comportement, qui mettent toujours en cause les relations actuelles de l’enfant et de l’adolescent avec son entourage, sont en règle générale surévalués par les adultes. À l’inverse, les troubles émotionnels sont le plus souvent difficilement perçus, et ce d’autant plus lorsque l’enfant est jeune [23].
Chez l’enfant et l’adolescent, aucun signe ou symptôme ne peut être considéré comme pathognomonique d’un trouble mental. L’étude psychogénétique du développement de l’enfant montre en effet clairement que non seulement il n’y a pas de différence de nature entre des conduites ou des comportements considérés comme normaux à un certain âge et ceux considérés comme pathologiques à d’autres moments de la vie, mais aussi que ces mêmes conduites ou comportements peuvent être nécessaires, à une période donnée, à l’évolution de l’enfant. Par ailleurs, l’enfant étant un être placé dans une relation d’étroite dépendance obligatoire avec ses environnements, ses conduites et ses comportements se trouvent aussi subordonnés aux impératifs socioculturels propres à chaque milieu, un même comportement pouvant avoir un sens très différent selon qu’il survient chez un enfant bénéficiant d’un apport familial satisfaisant ou au contraire chez un enfant vivant au sein d’une désorganisation générale. Dans ce contexte, la tentation peut être grande de considérer, a priori, les signes et les symptômes observés comme inhérents aux processus de développement de l’enfant et/ou comme directement liés aux modalités de fonctionnement de son environnement. Chez l’enfant et l’adolescent, plus que chez l’adulte encore, des jugements de valeur interviennent souvent dans la représentation des problèmes posés, et ce d’autant que certains troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent sont essentiellement définis par rapport à des critères relationnels et/ou sociaux. Mais c’est aussi à ce niveau que se marque la spécificité du champ de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent par rapport à la psychiatrie de l’adulte: l’évaluation diagnostique des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent doit toujours prendre en considération plusieurs axes de repérage (symptomatique, développemental, environnemental) d’où découlera la conduite pratique du clinicien [4].
La question des critères diagnostiques
Pendant longtemps, la clinique des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent est restée marquée par la diversité des points de vue, très souvent fondés sur des a priori théoriques, rendant difficile la communication scientifique. Progressivement s’est fait sentir la nécessité d’élaborer des grilles standardisées de critères diagnostiques objectifs, dits opérationnels, reposant sur une description clinique des troubles. Les classifications internationales (DSM-IV de l’Association américaine de psychiatrie, CIM-10 de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]) se sont efforcées de répondre à cette exigence, indispensable sur le plan de la recherche, notamment pharmacoclinique. Dans ces classifications, la définition des troubles mentaux consiste en une énumération exhaustive de leurs caractéristiques cliniques (signes et symptômes) qui sont décrites avec le minimum de présupposés nécessaires. De par cette approche descriptive et athéorique, ces classifications apparaissent comme des outils bien adaptés aux besoins de la clinique et de la recherche, acceptables par tous les cliniciens, quelles que soient leurs orientations théoriques. Cependant, si ces classifications permettent un diagnostic standardisé des troubles mentaux, cela ne signifie pas que le simple repérage d’un trouble mental caractérisé suffise à poser l’indication d’un traitement médicamenteux. Sur le plan thérapeutique, une catégorie nosologique est d’autant plus utile qu’elle apporte des informations dans d’autres domaines que celui des critères diagnostiques. De ce point de vue, en raison notamment de l’absence d’informations concernant les relations interpersonnelles, les théories étiologiques et la conduite à tenir, ces classifications n’apparaissent pas comme des outils d’évaluation permettant de définir les actions thérapeutiques. Ce qui est en cause ici, ce n’est pas la validité de ces classifications, mais leur utilisation. Permettant une évaluation clinique précise et standardisée, a priori expurgée des conceptions hypothétiques qui altèrent souvent la position correcte des problèmes de définition, ces classifications n’excluent pas le recueil des données nécessaires à l’élaboration d’un projet thérapeutique adapté et cohérent, phase essentielle et terminale du diagnostic médical: elles le préparent [4, 23, 34].
Une évaluation psychiatrique qui se doit d’être complète
La sévérité du trouble est un des facteurs qui vont conditionner la mise en route d’un traitement médicamenteux. Pour l’évaluer, le clinicien peut s’aider d’instruments standardisés. Les échelles d’évaluation ne sont certes pas des outils indispensables. Cependant, si elles ne doivent en aucun cas être utilisées pour faire un diagnostic, lequel reste avant tout clinique, elles ont l’avantage de permettre une quantification, aussi précise et objective que possible, des symptômes présentés. La plupart d’entre elles ont, de plus, été élaborées dans le but de déterminer les modifications produites sous l’effet d’un traitement [11, 16, 23, 34]. Dans le même ordre d’idée, il convient également d’évaluer la souffrance de l’enfant et le degré de gêne fonctionnelle occasionnée par le trouble. Établir un lien de causalité directe entre le trouble observé et l’altération du fonctionnement de l’enfant n’est pas toujours facile. Les attitudes et les comportements des enfants et des adolescents sont en effet tributaires de tous les facteurs qui influencent la maturation et le développement à cet âge de la vie, et les troubles mentaux surviennent le plus souvent dans un contexte général de souffrance psychique et/ou sociale susceptible d’induire aussi des comportements à problèmes [4]. C’est dire que cette évaluation devra nécessairement s’inscrire dans une perspective diachronique et tenir compte de tous les domaines d’activité de l’enfant (familial, scolaire, social). La survenue d’un trouble mental et sa persistance vont peser sur le développement de l’enfant et de l’adolescent, à un moment fondamental de l’organisation de sa personnalité. De même, la survenue d’un trouble mental et sa persistance peuvent être à l’origine de multiples conflits (au sein du milieu familial, à l’école) qui, à leur tour, peuvent entraver le développement de l’enfant. À terme, certains symptômes peuvent «se fixer», jusqu’à devenir une sorte de manière d’être particulière assez organisée [4]. Il apparaît donc nécessaire chez l’enfant et l’adolescent, plus que chez l’adulte encore, de réduire rapidement les manifestations de souffrance et d’agir sur les comportements répétitifs qui interfèrent avec les processus dynamiques du développement.
Si l’on manque encore de données en ce domaine, de nombreuses études montrent que, quelles que soient les stratégies thérapeutiques utilisées, les troubles associés vont influer sur la réponse au traitement, et notamment sur la réponse aux traitements médicamenteux. Ainsi, par exemple, si les antidépresseurs inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ont aujourd’hui fait la preuve de leur efficacité dans le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) de l’enfant et de l’adolescent, il apparaît que la réponse aux ISRS pourrait être significativement moins bonne lorsqu’au TOC s’associent d’autres troubles mentaux (trouble déficit de l’attention avec hyperactivité [TDA/H], tics, trouble oppositionnel avec provocation) [8]. De même, l’efficacité du méthylphénidate dans le TDA/H semble moins bonne en cas de troubles anxieux associés [47]. De façon générale, l’efficacité et surtout la tolérance des médicaments psychotropes apparaissent aussi significativement moins bonnes chez les enfants et les adolescents présentant un retard mental et/ou des désordres cérébraux [2, 7]. Chez l’enfant et l’adolescent, il est rare d’observer un seul trouble mental isolé. Toutes les études épidémiologiques montrent que la majorité des enfants et des adolescents ayant un trouble mental vont aussi présenter, simultanément ou successivement, au moins un autre trouble mental et/ou une pathologie organique associés [23, 53]. Il importe donc de rechercher systématiquement ces troubles [34].
Enfin, les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent sont des troubles surdéterminés, résultant toujours de l’interaction entre plusieurs facteurs de risque, les uns individuels, les autres environnementaux. Si le poids respectif de ces différents facteurs peut varier selon les pathologies et selon les sujets, il est clair qu’il est impossible d’isoler, chez un enfant donné, un seul facteur qui pourrait être considéré, à lui seul, comme la cause des troubles observés. La recherche de ces facteurs de risque doit donc être soigneuse et s’appuyer, si besoin, sur des examens complémentaires: le milieu socioéconomique et culturel d’appartenance, les antécédents psychiatriques familiaux, les modalités de la grossesse et de l’accouchement, la présence d’éventuelles anomalies développementales, de signes neurologiques ou d’une pathologie organique associée, le tempérament et les traits cognitifs, les interactions parents-enfant et les modalités de l’attachement, les événements de vie, les relations interpersonnelles et la qualité du support social, les attitudes éducatives parentales, etc. sont autant de domaines qu’il convient d’explorer systématiquement [23, 34]. Nos connaissances encore très réduites des processus mis en jeu dans les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent rendent nos choix en matière de stratégies thérapeutiques souvent difficiles et bien peu rationnels. Trop souvent encore, la préférence donnée à telle ou telle stratégie va s’appuyer sur des critères très empiriques, avec des points de vue variables d’ailleurs, qui, dans la grande majorité des cas, ne sont pas étayés par des travaux cliniques rigoureux. En fait, ce choix repose encore plus souvent sur des habitudes personnelles ou nationales que sur des critères cliniques rigoureusement validés. Cependant, plus que chez l’adulte encore peut-être, il est impossible, chez l’enfant et l’adolescent, d’établir des corrélations étroites entre l’existence d’un trouble donné et l’utilisation privilégiée d’une stratégie thérapeutique particulière qui aurait à elle seule une valeur curative [4, 33]. Depuis plusieurs années émerge en psychiatrie un nouveau modèle dans lequel la spécificité du diagnostic apparaît avant tout liée à la conjonction d’une anomalie biologique soustendant un comportement dont la souplesse ou les possibilités adaptatives sont diminuées, avec d’autres facteurs (variables tempéramentales, traits de personnalité, profils cognitifs) qui rendent certaines situations ou contraintes difficiles pour le sujet [31]. Ce modèle biopsychosocial permet de rendre compte du fait qu’une stratégie thérapeutique donnée, qu’elle soit médicamenteuse, psychologique ou sociale, ne va agir que sur une des dimensions du trouble au sens nosologique du terme. Certes, les modifications induites sur cette dimension auront aussi des effets sur les autres dimensions, et donc sur l’ensemble du trouble. Mais ce modèle amène aussi à repenser les rapports entre les différentes techniques thérapeutiques proposées, lesquelles n’apparaissent plus exclusives les unes des autres mais complémentaires [4, 33]. Plusieurs études contrôlées, par exemple dans le TOC, le trouble dépressif majeur et le TDA/H, ont cherché à comparer l’efficacité des différentes stratégies thérapeutiques possibles. Toutes montrent que l’association traitement médicamenteux + thérapie cognitivocomportementale (TCC) s’avère significativement plus efficace que le traitement médicamenteux ou la TCC utilisés seuls [1, 8]. À la hiérarchie des processus mis en jeu dans le développement des troubles mentaux doit ainsi répondre une hiérarchie des cibles thérapeutiques, les diverses techniques devant être ordonnées séquentiellement en fonction des objectifs visés afin d’obtenir la meilleure efficacité[4, 33].
En pratique, l’évaluation, complète et précise, ne doit pas s’en tenir aux seuls symptômes actuels. Elle doit aussi porter sur le développement de l’enfant, ses antécédents personnels et familiaux, et sur son environnement, afin de préciser et de quantifier l’ensemble des problèmes posés et leurs conséquences sur le fonctionnement de l’enfant. Les compétences de l’enfant, ses capacités évolutives et, plus généralement, l’accessibilité de l’enfant et de sa famille aux différentes stratégies possibles doivent également être explorées [34]. À partir de cette évaluation initiale, des objectifs explicites seront définis et des priorités établies, en fonction de la gravité du trouble et de son retentissement, des différents facteurs étiopathogéniques repérés et de l’accessibilité au traitement [33]. Comme le soulignent MourenSiméoni et al. [41], «les faits doivent avoir priorité sur les théories et l’observation critique guider les techniques». En règle générale, la prescription d’un traitement médicamenteux se justifie en cas de troubles sévères, entraînant un handicap fonctionnel important, ou en cas d’échec d’un traitement psychologique utilisé seul. La prescription d’un traitement médicamenteux se justifie aussi d’autant plus que le poids des facteurs biologiques par rapport aux facteurs environnementaux dans le déterminisme des troubles présentés apparaît important (par exemple, dans le TDA/H, où les facteurs biologiques sont prépondérants, les taux de réponse au méthylphénidate sont de l’ordre de 70% contre 30% environ pour le placebo; alors que dans les troubles émotionnels, où les facteurs environnementaux jouent un rôle important, les taux de réponse aux antidépresseurs et au placebo sont comparables, de l’ordre de 50%). En aucun cas le traitement médicamenteux ne doit être prescrit seul. Il doit toujours être associé à d’autres mesures, d’ordre psychothérapiques, rééducatives ou plus globalement psychosociales, impliquant les parents et, si besoin, les autres intervenants auprès de l’enfant (enseignants, éducateurs, etc.). La tentation peut être grande, pour les parents mais aussi pour le médecin, de rechercher une «tranquillisation» immédiate, et ce d’autant plus lorsque le traitement médicamenteux s’avère efficace. L’objectif principal du traitement médicamenteux est, en règle générale, de suspendre un certain nombre de symptômes cibles particulièrement gênants. Ce faisant, il permet, à court terme, d’améliorer l’adaptation comportementale de l’enfant. Cependant, le plus souvent, il ne modifie en rien l’évolution générale du trouble. En fait, seule l’association du traitement médicamenteux à d’autres mesures d’ordre psychothérapique peut permettre, à terme, d’améliorer le fonctionnement psychosocial de l’enfant, l’intérêt du traitement médicamenteux étant aussi, dans cette perspective, de faciliter la mise en route et le déroulement de la prise en charge psychothérapique [22, 33, 54].
Prendre son temps pour en gagner
Si, chez l’enfant et l’adolescent, il convient d’agir vite, trop souvent encore un délai pouvant atteindre plusieurs années est constaté entre le repérage des troubles et la mise en place d’une prise en charge adéquate, faute d’une évaluation psychiatrique initiale suffisamment précise et complète [23]. En raison des fluctuations spontanées de la symptomatologie observées avec le temps et en fonction de l’environnement, l’évaluation diagnostique des troubles mentaux chez l’enfant et l’adolescent exige toujours que des renseignements soient recueillis auprès de sources multiples (enfant lui-même, parents, enseignants, éducateurs) et dans différentes situations (domicile, école, foyer, hôpital). De même, les données que peuvent fournir le médecin traitant, le pédiatre ou d’autres thérapeutes ayant eu à faire avec l’enfant sont souvent précieuses. Une attention toute particulière doit aussi être portée à la dynamique familiale, dont l’évaluation repose sur des entretiens individuels et familiaux [34]. Du fait de la méconnaissance du diagnostic et de l’ensemble des problèmes posés, l’enfant peut être soumis à des traitements inappropriés, avec leurs dommages propres. Il s’agit là surtout, sur le plan évolutif, d’un facteur de risque susceptible de favoriser la survenue de complications.
De nombreux exemples pourraient illustrer ces données. Nous en retiendrons deux, ayant trait directement à des traitements médicamenteux.
Le premier exemple porte sur la méthode d’évaluation diagnostique utilisée par Emslie et al. [19] dans leur étude princeps sur l’efficacité de la fluoxétine dans le trouble dépressif majeur. Cette étude a été la première à avoir démontré l’efficacité d’un antidépresseur dans la dépression de l’enfant et de l’adolescent, avec un taux de réponse au placebo (33%) nettement inférieur à ceux habituellement retrouvés. Par rapport aux travaux antérieurs, cette étude se distingue par l’originalité de son protocole de sélection des sujets qui comprenait quatre visites d’évaluation (avec, à chaque fois, la nécessité d’obtenir une concordance entre les informations recueillies auprès de l’enfant lui-même et de ses parents) sur une période de 3 semaines (dont une, la dernière, sous placebo). Ce faisant, sur les 256 sujets considérés comme déprimés initialement évalués, seuls 96 furent en définitive inclus dans la phase d’essai. On peut penser que ce protocole de sélection a de fait permis aux auteurs de ne retenir que les enfants présentant d’authentiques troubles dépressifs majeurs, dont la nature était peut-être aussi d’ordre plutôt endogène, c’est-à-dire les enfants les plus à même de bénéficier d’un traitement médicamenteux.
Le deuxième exemple concerne les effets du méthylphénidate sur le devenir à long terme des enfants présentant un TDA/H. De nombreuses études ont montré que le TDA/H était un facteur de risque pour la survenue ultérieure d’un abus ou d’une dépendance aux substances psychoactives lorsque persistait, à l’adolescence, au moins une des dimensions du trouble (inattention, hyperactivité, impulsivité) [29]. Dans cette perspective, le contrôle des symptômes du TDA/H revêt une importance majeure. Plus de 70% des enfants présentant un authentique TDA/H répondent favorablement au méthylphénidate, dont l’efficacité sur le contrôle des symptômes du trouble apparaît bien supérieure à celle d’une prise en charge psychothérapique et/ou psychosociale [1, 18]. De fait, plusieurs études récentes ont montré qu’un traitement efficace et bien conduit du TDA/H par le méthylphénidate durant l’enfance diminuait d’environ 50% les risques de survenue, à l’adolescence, d’un trouble lié à l’utilisation de substances [20, 27, 55].
Ces deux exemples montrent qu’un traitement médicamenteux dont l’indication est bien posée a toutes les chances d’être efficace, non seulement à court terme, mais aussi à long terme, en réduisant les risques de complications liés aux troubles concernés. Ils montrent aussi que l’indication d’un traitement médicamenteux doit reposer, avant tout, sur une évaluation diagnostique soigneuse et précise. Cela ne signifie pas que la prise en charge d’un trouble dépressif majeur ou du TDA/H peut se résumer à la seule prescription d’un traitement médicamenteux. Mais autant il peut être dangereux de prescrire un médicament psychotrope dont l’utilité par rapport aux troubles présentés n’est pas clairement établie, autant un traitement médicamenteux peut être utile et efficace, lorsque l’indication est bien posée. C’est dire, si besoin encore était, l’importance de se donner, d’emblée, le temps et les moyens d’une évaluation diagnostique précise et complète [22, 33, 54].
NÉCESSITÉ D’UNE ALLIANCE THÉRAPEUTIQUE SOLIDE
La mise en route d’un traitement médicamenteux chez l’enfant et l’adolescent doit toujours refléter un consensus entre l’enfant, ses parents et le médecin prescripteur. De même, la prescription d’un traitement médicamenteux chez l’enfant et l’adolescent doit toujours s’articuler avec les autres mesures thérapeutiques dans le cadre d’un projet cohérent, élaboré avec l’ensemble des intervenants concernés.
L’enfant et ses parents
Le consentement est, avec le secret professionnel, un des deux fondements sur lesquels s’appuie la relation médicale entre patient et médecin. Aussi, toute prescription médicamenteuse chez l’enfant et l’adolescent nécessite-t-elle, au préalable, de recueillir le consentement de l’enfant et de ses parents (ou de son représentant légal), et ce d’autant que la plupart des médicaments psychotropes n’ont pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) chez l’enfant et l’adolescent [22].
En règle générale, il importe que le consentement soit recueilli auprès des deux parents. En pratique, certaines situations, fréquemment rencontrées en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, peuvent faire obstacle à cette nécessité (parents séparés ou divorcés, éloignés géographiquement l’un de l’autre). Certaines dispositions légales et réglementaires (article L. 1122-2-1 du code de santé publique relatif au consentement du patient en matière de recherche biomédicale, article du code de déontologie médicale relatif au médecin défenseur de l’enfant) permettent d’envisager cette éventualité, et il est possible, dans ces cas, en fonction de la sévérité des troubles et du degré d’urgence, de se contenter du consentement du seul parent présent. Cela n’exclut cependant pas l’obligation qui est faite au clinicien d’informer l’autre parent du traitement qui va être entrepris. En ce qui concerne l’enfant, l’usage éthique s’est établi, en France, de tenir compte de son avis à partir de 8-12 ans [14]. En psychiatrie, plus que l’âge chronologique, c’est le niveau de développement de l’enfant (cognitif, affectif et social) et ses intrications avec la pathologie qu’il présente qui seront en fait les déterminants essentiels. Quoi qu’il en soit, quel que soit l’âge de l’enfant, il importe de toujours tenir compte de son refus de recevoir un traitement médicamenteux.
Le consentement de l’enfant et de ses parents (ou de son représentant légal) doit être «éclairé», c’est-à-dire qu’il doit être précédé d’une information adaptée. La loi du 4 mars 2002 stipule que l’information doit porter «sur les traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent, ainsi que sur les autres solutions possibles, et sur les conséquences prévisibles en cas de refus». Autrement dit, l’enfant et ses parents (ou son représentant légal) doivent être informés des effets attendus, des effets secondaires possibles et des contraintes (en termes notamment d’observance et de surveillance) liés au traitement médicamenteux, mais aussi des alternatives possibles et des conséquences que pourrait avoir sur l’état de l’enfant leur refus du traitement médicamenteux [40, 54]. Cette information doit être simple, intelligible et loyale. Plusieurs études montrent qu’en adaptant l’information, un enfant peut parfaitement comprendre les avantages et les inconvénients liés à un traitement médicamenteux. En fait, plus que l’âge et le niveau de développement cognitif, ce sont surtout les facteurs émotionnels qui semblent influencer la compréhension de ces informations [15]. Il en va de même chez les parents [10]. C’est dire, là aussi, qu’il convient de se donner les moyens d’expliquer clairement à l’enfant et à ses parents les tenants et les aboutissants du traitement qui leur est proposé. En matière de soins, le consentement peut être recueilli oralement. Cependant, sur le plan juridique, la charge de la preuve de l’information, condition préalable et incontournable du consentement, revient au médecin, qui doit être capable de prouver la réalité et la qualité des informations fournies.